L'avenir de
l'Enseignement
(1) (1/2)
Gilbert De
Landsheere
Professeur émérite de Sciences
de l'Education de
l'Université de Liège (ULg)
Alors que
tous les pays industrialisés entrent dans une ère nouvelle dont les
bouleversements économiques, sociaux, culturels seront
historiquement aussi importants que ceux de la Renaissance ou de la
première Révolution industrielle, notre jeunesse - idéalement, toute
la jeunesse - est-elle bien préparée à faire face aux problèmes qui
l'attendent? Il importe de s'en assurer d'urgence et de prendre les
dispositions qui s'imposent.
La libération des tâches
routinières par l'informatique laisse une place prépondérante au jeu des
processus mentaux supérieurs : analyse, synthèse, créativité, évaluation. Dans
une société qui, selon l'admirable expression de Louis Armand, est en train de
s'encéphaliser, l'intelligence est devenue l'une des marchandises les plus
recherchées. "Les échanges invisibles, écrit Caspar (1989, p. 2),
constituent désormais une part essentielle des échanges entre pays. Le Fonds
monétaire international (FMI) estime que la moitié des échanges se font
désormais [...] sous forme de brevets, de hautes technologies, de capacités
managériales, d'informations financières ou stratégiques... bref de savoirs."
Société de l'information
et de la communication. De la surinformation aussi, surinformation qui risque de
déboussoler ou de paralyser ceux qui sont incapables de la trier, de la
structurer. Société du changement accéléré. Le capital de connaissances de
l'humanité doublerait, en moyenne, tous les sept ans. Les activités
professionnelles - est-ce un hasard? - demanderaient elles aussi une
reconversion au même rythme. Changement encore dans tous les aspects sociaux.
Selon des données
récentes, la moitié des emplois créés d'ici l'an 2000 exigeraient une formation
supérieure et environ un tiers d'entre eux seraient destinés à des
universitaires à part entière. Même pour l'exécution de tâches dites
subalternes, les processus mentaux supérieurs joueraient un rôle croissant.
Les entreprises, surtout
les grandes, connaissent des transformations fondamentales. Elles découvrent que
leur essor dépend de plus en plus des investissements immatériels, c'est-à-dire
des investissements dans l'intelligence : recherche et développement, formation,
affinement intellectuel et affectif des rapports d'autorité, des communications
dans le travail, des relations avec la clientèle.
De la base au sommet, le
monde du travail voit disparaître sa linéarité organisationnelle et
fonctionnelle au profit de processus interactifs multidirectionnels. Idéalement,
chaque travailleur devrait être, à son échelon, un décideur éclairé,
communicatif, prévoyant et flexible.
L'intelligence est donc
devenue l'une des marchandises les plus recherchées et le savoir prend valeur
stratégique. "Quel est le point commun à tout cela? C'est une double
conviction, autant philosophique que managériale, que n'aurait pas reniée le
Siècle des Lumières : l'homme constitue la ressource primordiale; la
connaissance est la source du progrès." (Caspar, 1989).
Qui - individu,
entreprise, nation - tire le mieux et le plus vite profit de ces conditions
nouvelles est un gagneur. D'où la concurrence effrénée. Qui a le mieux compris
ce qui arrive sait aussi que nous entrons dans l'ère de la mondialisation.

Si, quittant l'échelle
sociétale, on s'interroge sur les caractéristiques individuelles requises, on
s'aperçoit que l'individu total - intellectuel, affectif, moral, social,
physique - est interpellé. Doué d'une bonne santé physique et mentale, ayant
acquis dès le début, surtout dès le début de la scolarité, des bases solides,
chacun doit idéalement pouvoir :
-
prendre et analyser
l'information et conquérir la connaissance;
-
communiquer;
-
détecter les
problèmes et avoir l'envie et le pouvoir de les résoudre;
-
élaborer des projets;
-
anticiper;
-
travailler dans des
conditions mouvantes, décider et agir sans posséder tous les éléments
d'information souhaitables.
Est-il besoin de
continuer pareil inventaire?
Croire que chacun
possédera toutes ces qualités à la perfection serait naïf. En revanche,
considérer que nous trouvons là des caractéristiques modales souhaitées des
populations de demain est tout simplement réaliste. Il reste à les susciter. Si
nous le voulons, nous le pouvons. Comment? En commençant par approfondir, sans
complaisance aucune, l'analyse des problèmes majeurs d'éducation et de formation
qui se posent.
-
Il faut d'abord
déterminer de façon aussi précise que possible notre situation réelle,
c'est-à-dire évaluer le rendement de notre enseignement fondamental et voir
où se situent les populations de 17-18 ans, qu'elles soient encore
pleinement scolarisées ou non.
-
La qualité de
l'enseignement fondamental doit absolument être améliorée. A cette fin, il
importe de dégager les savoirs méthodologiques les plus sûrs et de combattre
sans merci ce qui n'est qu'idéologie creuse ou fantasmes pédagogiques. Et
comme les savoirs fiables restent, à bien des égards, sérieusement
lacunaires, il faut investir dans la recherche en éducation, ce qui n'a
jamais été fait significativement dans notre pays. Nous y reviendrons.
Quant à la formation des enseignants, elle n'a pas encore fait sa nécessaire
mutation, ce qui rend d'autant plus pressante une formation continuée de
tout le personnel éducatif, formation dont l'ampleur doit dépasser le seuil
critique à partir duquel les effets du perfectionnement deviennent sensibles
au niveau éducatif global, et pas seulement en quelques lieux d'exception.
Le problème de la culture
générale se repose aussi. Sans elle, l'homme deviendra esclave de la technologie
au lieu de mettre cette force prométhéenne au service de tous.
Enfin, on voudrait savoir
dans quelle mesure l'Université continue à bien remplir sa mission essentielle,
tout en en assumant deux nouvelles : offrir un couronnement de culture générale
à des populations qui ne se destinent pas à la conquête scientifique supérieure
et assurer une formation continuée indispensable à tous ses diplômés - et ils
sont nombreux - qui ne peuvent la trouver normalement ailleurs.
Nous voudrions maintenant
revenir sur chacun des grands points qui viennent d'être évoqués pour
approfondir et préciser quelque peu la réflexion.

A société à
reconstruire, éducation nouvelle
L'école est déstabilisée
: elle n'est pas en crise parce qu'elle n'est pas adaptée à la société, mais
parce qu'elle essaie de s'y adapter (G. FOUREZ).
Les hommes sont
d'inguérissables apprentis sorciers. Loin de diriger en constante rationalité
leur existence propre et celle de la société, ils se laissent entraîner, voire
piéger par les événements. Nous sommes actuellement entraînés dans deux de ces
pièges historiques.
D'une part, la
technologie a avancé beaucoup plus vite que la moyenne d'instruction de la
population. Les régulations éducatives indispensables ne se sont pas produites
au bon moment parce que l'on n'avait pas vu venir le danger ou que les
responsables avertis n'ont pas jugé urgent d'y parer. Ainsi, seule une minorité
s'est munie à temps des compétences nécessaires et appartient à une nouvelle
aristocratie : celle des meilleurs, des gagneurs à qui vont actuellement toutes
les faveurs sur le plan individuel.
Dans le passé, les
privilèges se transmettaient sans plus. Aujourd'hui, il faut que les classes
dirigeantes soient compétentes : les parents favorisés sont prêts à payer le
prix pour que les enfants le soient aussi.
La perspective
néo-libérale est inacceptable. Comme le souligne G. Fourez, d'aucuns poussent
l'école vers le secteur marchand, lié à l'organisation du marché et à
l'optimisation des coûts. Cette optimisation est, de toute façon limitée, car on
ne peut remplacer les enseignants par des robots ou par une main-d'oeuvre
pédagogique à bon marché importée des pays moins favorisés.
L'école ne peut pas être
dominée par la recherche du rendement économique, car l'attention première, elle
doit la réserver aux valeurs. Comme service public, son devoir peut être de
s'opposer à des parents ou à des élèves qui seraient prêts à accepter un système
scolaire "dualisé". La vision de l'école doit rester focalisée sur le bien
commun et donc continuer à faire place aux plus faibles.
D'autre part, des
régulations sociales indispensables ne se sont pas opérées, soit par mépris pour
les "perdants", soit parce que le danger de réactions révolutionnaires
auxquelles le désespoir pourrait les pousser n'est pas perçu.
Pour redresser la barre
tant qu'il en est encore temps, du moins, on l'espère, une transformation
profonde des mentalités doit se produire dans le plus bref délai. Un nouveau et
grand défi est ainsi lancé à l'éducation. Collaborant avec tous ceux pour qui le
respect de la dignité humaine est impérieux, elle doit contribuer de façon
décisive à l'installation de valeurs et d'attitudes nouvelles.
Dans son article
L'Homme et l'outil, Riccardo Petrella (1987) a admirablement cerné le
problème. La série des mots-clés qui caractérisent la société innovante qui se
dessine actuellement devant nos yeux est, nous dit-il : productivité,
compétitivité, efficacité, rentabilité, optimisation, flexibilité, contrôle,
adaptabilité, mesurabilité, gestion. A cette série, il importe d'en substituer
une autre : joie, beauté, solidarité, créativité, autonomie, stabilité, espoir,
coopération, identité, partage.
Un ordre social nouveau
doit s'instaurer, "celui de l'emploi pour tous, chômage zéro en l'an 2000"
ou encore "celui de la dissociation entre revenu et emploi : établissement
d'une allocation universelle de base à laquelle on aurait droit non pas parce
qu'on a un emploi, mais du simple fait d'exister" (Petrella). Qu'on ne s'y
trompe pas! Il faut y insister, il ne s'agit pas ici d'un rêve, d'une utopie de
plus, mais bien du seul programme humaniste susceptible de répondre positivement
aux conditions qui, sauf cataclysme, peuvent être les nôtres dans un avenir
proche.

Une culture générale à
reconstruire
Une culture générale de
bon aloi interroge les événements naturels et les phénomènes sociaux de façon
permanente, permet de dégager l'essentiel de l'accessoire et de fonder les
actions. Elle doit imprégner toute formation pour l'empêcher, notamment, de
s'enfermer dans une vision technicienne et de s'éloigner de la capacité de
toujours se renouveler en un mouvement caractérisé par une flexibilité, une
polyvalence en continuel accroissement. Si cette valence devenait universelle,
la technologie et la philosophie pourraient opérer leur jonction.
Qu'une réflexion nouvelle
sur la culture générale soit à l'ordre du jour n'a rien de fortuit ni de
gratuit. Les grandes entreprises comme les laboratoires de recherches les plus
avancés savent que ce qui manquent souvent à leurs membres, c'est la capacité de
philosopher, de distinguer l'essentiel sous le disparate ou les particularités,
de détecter les principes généraux qui apparentent des choses en apparence très
différentes, sinon étrangères.
La culture générale
reconstruite, que toute éducation devrait faire acquérir, a pour mission
essentielle d'offrir, aux futurs citoyens du XXIème siècle, une référence et un
code communs, une boussole intellectuelle et morale indispensable pour tenir un
cap dans le tourbillon tempétueux des innovations et des changements.
Il est grand temps, écrit
en substance Domenach, dans son récent ouvrage Que faut-il enseigner ?
(1989, p. 35), de rechercher l'essentiel dans le contemporain, de le ramener à
quelques règles, à quelques principes unifiants. Il importe "d'asseoir sur
des bases simples et stables, une pédagogie du complexe et du mobile", tout
en sachant bien "qu'entre la simplicité et la complexité, le chemin n'est pas
univoque : on va de l'une à l'autre", et c'est dans ce va-et-vient que se
situe la dialectique de la pédagogie.
On n'insistera jamais
assez sur la nécessité de construire une éducation intellectuelle et morale à
l'échelle de notre temps. Cette tâche est complexe et sa traduction en termes de
programmes va demander au monde de l'éducation un énorme effort de créativité et
de réajustement.
Simultanément, toutes les
disciplines d'enseignement, qu'il ne s'agit pas de fondre en un magma informe,
mais d'articuler, de "ponter", doivent être réexaminées pour décider de leur
survie, de leur place, de leur esprit et de leur contenu. Cette remise en cause
s'inscrit dans la réflexion relative à la culture générale nouvelle qui, faut-il
encore le dire, ignorera l'artificielle distinction entre culture littéraire et
culture scientifique.

La réflexion de G.
Fourez s'inscrit dans la même ligne
Un changement fondamental
de la méthodologie de l'enseignement est indispensable. Une société stable
s'accommode de contenus d'enseignement figés, d'une centration disciplinaire sur
les matières inscrites aux programmes. L'écolier est essentiellement passif,
réceptif? Mais, à société en évolution, contenus d'enseignement en évolution !
Pour éduquer à la flexibilité, au dynamisme, on ne peut plus contraindre l'élève
à la passivité.
"Dans nos écoles, on
tend moins à éduquer en vue d'une vie autonome et adaptée à la société qu'à y
enseigner les disciplines. Pourtant, déterminer un programme de mathématiques,
c'est avant tout répondre à la question : Qu'estimons-nous important, dans notre
société, d'imposer aux jeunes et pourquoi ?"
Dans un monde aussi
complexe que le nôtre, seule l'interdisciplinarité est opérationnelle
"La crise du sens dans
l'enseignement est profonde. On n'y apprend guère comment croiser sciences,
techniques, éthique, droit, écologie, économie, politique, esthétique, etc.,
pour aborder l'existence individuelle ou collective. A partir du moment où les
savoirs ne sont plus reliés au monde et aux décisions qu'ils essaient
d'éclairer, ils deviennent dogmatiques et tendent à ressembler à des
endoctrinements idéologiques (n'est-il pas caractéristique que l'on enseigne
aujourd'hui souvent les sciences comme des vérités qu'il faudra finalement
croire, comme on le faisait de la religion, il y a quelques siècles ? [...]"
L'image d'une école où
l'on ne vient que pour suivre des cours, et puis d'où l'on repart aussitôt, est
dommageable à l'institution scolaire.
Il s'agirait de
re-politiser l'école dans le sens noble du mot. J'entends par là que l'école
doit être vue comme un lieu où familles, enseignants, organisations sociales,
entreprises, élèves, etc. négocient les structures d'une institution dont
personne ne peut se considérer comme propriétaire. Même les relations
pédagogiques ne peuvent être envisagées comme purement techniques : il faut
savoir promouvoir une pédagogie qui réintroduit la distinction des perspectives
entre enseignants et étudiants, la négociation, les projets éventuellement
conflictuels, et, à travers tout cela, le sens.

L'enseignement
fondamental, le bien nommé
David Weikart a beaucoup
frappé les esprits lorsqu'il a établi, aux Etats-Unis, que pour chaque dollar
investi dans l'éducation préscolaire des enfants de milieux socio-culturellement
défavorisés, un bénéfice de 4,75 dollars était réalisé, grâce à la réduction des
affectations à l'enseignement spécial, de l'assistance publique et des moyens à
déployer pour lutter contre la drogue. D'une telle observation, on retiendra
simplement combien un investissement financier fait au bon moment dans le
domaine de l'éducation peut être fécond pour l'individu et la société.
Que penser, par ailleurs,
de l'affirmation, qui prend souvent valeur de slogan : "Tout se joue avant
huit ans" ? Elle repose d'abord sur une observation générale : c'est pendant
les premières années de la vie que l'individu présente la plus grande
plasticité, l'apprentissage du langage et l'effet indélébile de certaines
expériences précoces en témoignent. Plus particulièrement, Freud - pour ne citer
que lui - a mis en lumière le caractère infiniment profond des effets de
certaines expériences affectives précoces, tandis que des chercheurs comme
Bloom, Kraus et bien d'autres ont pu démontrer comment les apprentissages
réalisés au début de la scolarité, à commencer par celui de la lecture, décident
dans une large mesure de la réussite ou des échecs qui vont suivre et
influencent notre vie entière. De telles considérations appelleraient bien des
discussions techniques et des nuances, mais leur signification statistique
incontestable intéresse quiconque envisage macroscopiquement le phénomène
éducatif.
Quatre conclusions
s'imposent, sans la moindre contestation possible : la nécessité de préparer les
futurs parents à leur mission, de créer des conditions d'accueil de la petite
enfance éducativement positives, d'offrir à la presque totalité des enfants qui
le fréquentent, dans notre pays, un enseignement maternel de très grande
qualité, et de confier la charge des premières années de l'école primaire à des
maîtres de grande compétence pédagogique et psychologique. (Nous ne nous
arrêtons ici qu'aux deux premiers points. Les autres relèvent de la formation
des enseignants dont il sera traité plus loin).
1. L'éducation des
parents.
Alors que l'on enseigne
tant de choses d'une importance contestable dans l'enseignement secondaire et
dans les Universités, notamment sous le couvert de formation générale, pourquoi
ne prépare-t-on pas psychologiquement et pédagogiquement les parents potentiels
à l'une des choses les plus importantes et les plus difficiles qu'ils devront
accomplir au cours de leur vie adulte? L'éducation des enfants.
Cette préparation
s'impose plus que jamais dans le nouveau contexte socio-culturel dont l'immense
complexité vient d'être évoquée.
On sait, en particulier,
qu'à côté du curriculum scolaire explicite et implicite, il existe aussi un
curriculum familial, implicite dans sa plus grande partie, mais tout aussi
important. Il est porteur de valeurs et d'attitudes qui se transmettent plus par
contagion que par discours de circonstance, et s'incruste ainsi profondément
dans les personnalités. D'où, répétons-le, l'importance de l'éducation des
futurs parents.
Se référant à divers
auteurs J-P. POURTOIS et M. HOUX écrivent : "L'égalité des chances à et par
l'école est loin d'être chose acquise. En particulier, l'art de développer des
stratégies d'investissements scolaire rentable reste l'apanage des classes
privilégiées".
Il apparaît notamment que
les parents construisent des représentations sociales de l'école différentes,
non seulement en fonction de leur appartenance socio-culturelle, mais aussi, à
niveau scolaire égal, en fonction de leur trajectoire professionnelle. Aux
trajectoires, individuelles vient s'ajouter l'effet des trajectoires
intergénérationnelles, qui contribuent à définir les typologies familiales
particulières, plus ou moins favorables à l'investissement dans le jeu scolaire.
Par ailleurs, une étude longitudinale montre que les pronostics de curriculum
scolaire établis pour des enfants âgés de sept ans, à partir de données
individuelles et familiales, se vérifient quinze années plus tard dans sept cas
sur dix.
La collaboration active
entre la famille et l'école manque surtout de propositions concrètes et
précises. En cela, elle déçoit l'immense majorité des parents qui ne demandent
qu'à bien faire. Par exemple, beaucoup de parents intelligents et de bonne
volonté ignorent ce qu'ils pourraient et devraient faire pour aider leur enfant
au moment où il apprend à lire. Donner à ce propos des indications concrètes,
éventuellement accompagnées de petits matériels utilisables à la maison, se
révèle très efficace. Bien des suggestions de ce type sont possibles, non
seulement pendant les premières années de la scolarité, mais aussi par la suite,
notamment au moment de l'adolescence, pendant laquelle les réactions des jeunes
prennent si souvent les parents au dépourvu.
Quand parents et
professeurs réussissent ainsi à conjuguer leurs efforts, l'élève y gagne
pratiquement toujours. L'effet de cette coopération peut être supérieur à celui
du statut socio-économique de la famille. Et se vérifie aussi bien pour les
jeunes élèves que pour les plus vieux. Evidemment, les enseignants doivent être
bien préparés à cette collaboration.

2. L'accueil de la
petite enfance.
De plus en plus de femmes
exercent une activité professionnelle en dehors du domicile familial et les
grands-parents vivent de leur côté. D'où le besoin croissant de structures
d'accueil pour les jeunes enfants, depuis les premiers mois de la vie jusqu'à,
au moins, l'entrée à l'école maternelle. Le placement se fait ou bien dans une
famille ou bien dans une crèche. Ces deux modalités font actuellement problèmes.
Selon une vérité reçue
qui a la vie dure, grâce à Freud, à Bolwby et à bien d'autres psychologues,
l'éloignement quelque peu prolongé du milieu familial, spécialement de la mère,
serait générateur de carences affectives souvent graves. Grâce à des
réalisations comme celles de Loczi, on sait aujourd'hui que ces effets négatifs
sont loin d'être inéluctables pour autant que le milieu d'accueil soit à la fois
sécurisant, stimulant et propice à l'indépendance ou, si l'on préfère, à la
créativité comportementale.
Malheureusement, les
familles d'accueil sont rarement préparées à la mission qu'elles assument et ne
réunissent guère l'ensemble des conditions qui viennent d'être évoquées. Quant
aux contrôles qui peuvent être opérés, ils ne portent guère sur la qualité
éducative de ces milieux.
De leur côté, les
crèches, dont le nombre est dramatiquement insuffisant, sont encore loin d'avoir
accompli leur évolution nécessaire. Surpeuplées, elles travaillent dans des
conditions difficiles, très éloignées de ce qui permettrait la sécurisation
psychologique et la stimulation pédagogique optimales.
On ne semble pas encore
avoir bien compris combien une amélioration quantitative et qualitative sensible
des modalités d'accueil pourrait avoir des répercussions bénéfiques sur l'avenir
des enfants, notamment pour leur carrière scolaire.

La reconstruction de
l'enseignement secondaire
Cette reconstruction est,
elle aussi, urgente, car il n'est pas possible de mener de la même manière un
enseignement secondaire fréquenté par une minorité culturellement et socialement
homogène, et un enseignement secondaire accueillant la quasi totalité de groupes
d'âge, - dès lors forcément hétérogène -, à conduire effectivement au seuil des
études supérieures.
On a perdu de précieuses
décennies a échanger arguments et contre-arguments à propos de ce que nous
appelons l'enseignement secondaire rénové, alors qu'en fait le choix n'existe
pas, si l'on s'en tient aux objectifs qui viennent d'être évoqués. Et comment ne
s'y tiendrait-on pas ? On sait depuis longtemps que l'éducation ne se modèle pas
au gré de vues abstraites, idéales, mais bien en fonction des besoins d'une
société telle qu'elle existe en un lieu et à un moment donnés. Et le besoin
d'une valorisation massive des potentialités des jeunes existe bien.
Ce qui est encore sujet
de controverse chez nous depuis longtemps est tenu pour évident dans d'autres
pays, qui évitent une sélection prématurée. Cette politique s'avère payante, à
condition de savoir conduire la barque ou, si l'on préfère, de ne pas faire
n'importe quoi.
Dans l'indispensable
rénovation de l'enseignement secondaire, il importe toutefois, de ne pas répéter
les erreurs commises lors de la grande réforme de ces dernières décennies,
notamment:
-
un certain flou
conceptuel chez ceux qui ont pris l'initiative de la réforme, dans les
domaines de la psychologie, des sciences de l'éducation et de l'évaluation;
-
un certain laxisme
confondu avec le respect de la personnalité de l'élève et avec ses besoins
particuliers;
-
une préparation
psychologique et pédagogique des enseignants et des cadres pédagogiques
insuffisante;
-
un manque de moyens
et d'instruments adaptés, tant pour l'enseignement que pour l'évaluation;
-
une information
insuffisante des politiques et de l'opinion publique. Les généreuses
professions de foi, les affirmations essentiellement idéologiques ne
suffisent pas. Il importe d'expliquer, d'apporter des preuves, de fournir
des dossiers bien étayés. Les données objectives, difficilement
contestables, ne manquent pas. Encore faut-il les digérer et les diffuser
sous des formes qui conviennent;
-
l'absence d'un
pilotage rigoureux de la réforme. Tous les intéressés ont le droit de savoir
avec précision ce qu'elle produit, et où des difficultés particulières se
manifestent.
Ils ont aussi le droit de
poser des questions et d'obtenir des réponses qui ne soient pas de simples
opinions.
La rénovation de
l'enseignement secondaire compte parmi les urgences premières de la politique de
l'éducation.

L'expansion
universitaire
Une expansion externe des
universités a été généreusement réalisée. Elle suffit largement à notre petit
pays et bien des rationalisations sont souhaitables.
En revanche, l'expansion
interne accuse un retard dramatique et en aggravation constante. Il concerne
trois aspects : l'adaptation à des populations nouvelles, les moyens humains et
matériels de la recherche, et la formation continuée.
1. La population
universitaire change.
Si nous réussissons à
conduire avec succès la grande majorité des jeunes jusqu'à la fin de
l'enseignement secondaire supérieur, ceux-ci jouiront, selon notre législation,
du droit d'entrer à l'université, dans la plupart des cas sans la moindre
épreuve de sélection.
Ainsi va se reproduire,
avec un décalage temporel, le problème d'hétérogénéité qui se pose avec tant
d'acuité dans l'enseignement secondaire. A côté des étudiants "traditionnels"
sélectionnés de fait (selon des critères autant sociaux qu'intellectuels sur
lesquels nous ne revenons plus) dans l'enseignement secondaire, étudiants qui
souhaitent mener à bien des études scientifiques du plus haut niveau, vont
affluer progressivement dans les universités des élèves souhaitant y trouver,
soit un parachèvement de la formation secondaire générale, soit une
qualification technique valorisable le plus rapidement possible.
Ces trois types de
besoins sont éminemment respectables et il faut y répondre. Mais sans perdre de
vue la mission première de l'université : former, dans les meilleures conditions
possibles, des spécialistes et des chercheurs du plus haut niveau.
Des réponses à ces
questions existent et sont bien expérimentées. Ainsi, pour la culture générale,
on a créé aux Etats-Unis, depuis les années 60, des instituts annexes, les
Community colleges, qui offrent des cycles courts, de deux à trois ans. Des
dispositions institutionnelles similaires doivent voir le jour chez nous.
Quant aux formations
techniques ou technologiques, elles peuvent être assez facilement réalisées,
soit dans l'enseignement technique supérieur, non universitaire, bien développé
dans notre pays, soit en coordonnant ces instituts avec des sections
universitaires, solution déjà pratiquée grâce à des passerelles.
Tant pour les formations
générales que pour les formations techniques, de nouvelles initiatives doivent
être prises.

2. La recherche, plus que jamais.
La recherche scientifique
et le développement technique sont non seulement de plus en plus indispensables
dans la civilisation de l'intelligence, mais leurs apports constituent aussi une
part majeure des échanges invisibles dont on a vu l'importance croissante sur le
plan tant commercial que stratégique.
Malheureusement, la
recherche d'aujourd'hui coûte de plus en plus cher et devient de plus en plus
difficile chez nous.
D'abord en raison des
équipements souvent sophistiqués et de vie de plus en plus courte. Dans certains
cas, des petites communautés comme la nôtre devront passer des accords
intercommunautaires, interrégionaux ou internationaux pour l'acquisition des
matériels les plus chers. Encore faut-il que nous puissions payer notre part!
Ensuite parce que les
équipements les meilleurs ne présentent aucun intérêt s'il ne se trouve pas de
chercheurs du plus haut niveau pour s'en servir. Or cette situation nous menace,
parce que les Universités ne disposent plus d'assez de moyens pour offrir un
minimum de stabilité aux plus avancés de leurs jeunes éléments, et que, par
conséquent, ceux que nous avons formés à grand prix nous sont enlevés par des
pays plus avisés.
3. Organiser d'urgence
la formation continuée.
L'attribution d'un
diplôme universitaire atteste deux choses : que le lauréat a acquis, d'une part,
une formation supérieure aussi fondamentale et donc aussi durable que possible
et, d'autre part, qu'à la date de délivrance, il était bien au fait de l'état
d'avancement de sa discipline.
A une époque où la
science ne progressait que très lentement, la validité du diplôme pour une vie
professionnelle entière pouvait encore se concevoir, avec déjà, cependant, un
certain nombre de réserves. Mais, à partir du moment où la totalité des
connaissances, dans une discipline donnée, double en quelques années, - ce qui
est le cas dans tous les domaines avancés -, la situation change radicalement.
L'actualisation continue ou au moins périodique de la formation s'impose.
Certaines entreprises privées l'assurent à leur personnel, mais pour beaucoup
d'autres professions, à commencer par les professions libérales, cette
possibilité n'existe pas.
C'est pourquoi nos
universités doivent pouvoir organiser immédiatement et en grandeur réelle la
formation récurrente pour un grand nombre de leurs diplômés. Dans certains pays,
les étudiants engagés dans ces formations continuées sont déjà plus nombreux que
les étudiants en formation initiale . Nous sommes encore loin d'être dans une
telle situation. Nos Universités ont pris des initiatives limitées en ce sens,
sans pratiquement disposer de moyens spéciaux pour le faire. Pour répondre aux
besoins réels et urgents, il n'est plus possible de travailler dans ces
conditions.
En conclusion:
Deux mesures s'imposent
sans tarder : une rationalisation rigoureuse (elle est souvent évoquée, mais se
traduit peu dans la réalité) et l'attribution des crédits nécessaires aux
nouvelles initiatives universitaires.
.../...
Notes
(1)
Le texte de la discussion générale, dont l'ossature est due à G. de Landsheere,
intègre des apports d'A. Van Haecht, de G. Fourez, et de J-P Pourtois et Madame
Houx, Assistante du Professeur Pourtois, à la Faculté de Psycho-pédagogie de
l'Université de Mons-Hainaut.

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