Bâtir un pays, c'est
construire son éducation
Philippe
DESTATTE
Directeur de l'Institut Jules
Destrée
Nous en
étions conscients : le thème de l'éducation n'était pas d'une
actualité si lourde au moment du lancement de notre réflexion, dans
la foulée du premier congrès de Charleroi, fin 1987. La situation a
évolué rapidement et, pendant trois ans, les principaux
coordinateurs de cette dynamique ont dû se bâillonner pour laisser
mûrir et affiner leurs propositions avant de les faire éclore en
octobre dernier.
Notre approche de
l'éducation s'insérait dans notre volonté de définir un projet de société global
pour la Wallonie. Cette démarche, menée à partir de dix réseaux issus du premier
congrès - donc de manière totalement interdisciplinaire - s'est immédiatement
voulue plus ouverte qu'une approche du problème de l'enseignement proprement
dit. Ce que nous voulions appréhender, en termes de défi, ce sont toutes les
formes de la formation : celle de la culture familiale et locale, celles des
entreprises, des administrations, des médias, des institutions culturelles...,
tous ces processus d'apprentissage et d'adaptation aux bouleversements que nous
ne cessons de connaître en matière économique, sociale, culturelle,
d'aménagement du territoire, ainsi qu'en ce qui concerne nos habitudes
alimentaires.
L'éducation - définie
comme la capacité de comprendre et d'agir - est apparue comme vecteur
d'une réflexion concrète sur le devenir wallon pour trois raisons, ainsi que l'a
souligné d'emblée le Rapporteur général du Congrès, le Professeur Michel Quévit.
Rappelons ces
motivations. D'abord, le développement d'une société novatrice passe par
l'acquisition de nouvelles connaissances, de nouveaux apprentissages sociaux et
aussi de nouvelles solidarités. Ensuite, la Wallonie, comme jeune collectivité
territoriale, doit se définir de nouveaux modes d'association de sa population à
la gestion de son projet de société. "En acquérant un statut d'autonomie
institutionnelle, dit Michel Quévit, la Région wallonne est confrontée à
un double apprentissage, celui de l'animation de structures administratives
valorisant l'esprit d'initiative et la responsabilité de ses membres, ainsi que
celui de la création de conditions qui rendent possibles la participation et la
prise en charge par les citoyens de leur devenir collectif et associatif".
Enfin, la jeunesse est un facteur déterminant de la réussite d'un projet de
société et il faut donc mettre sur pied un dialogue constant entre les
générations.
Tout est lié. Prenons,
par exemple, le problème de l'emploi. Il existe des interfaces constants entre
l'entreprise et la formation. Il nous fallait les évaluer. Il était
indispensable de prospecter les différentes pistes qui s'offraient à nous dans
ce domaine : de l'enseignement continué à la formation spécifique offerte par
l'entreprise même, le Forem, les classes moyennes, etc... Ainsi, l'éducation, au
sens large, apparaît bien comme une composante essentielle pour soutenir et
promouvoir un devenir économique, social et culturel. Et, comme cela a été dit,
puisque la bataille de la formation est maintenant engagée, elle ne se gagnera
pas sur le seul terrain de l'école mais aussi dans les différents lieux où les
Wallons vivent et travaillent.
Visitant il y a peu le
Docav, centre de documentation pédagogique de la République et Canton du Jura,
je m'étonnais auprès de son directeur, Monsieur Fleury, de la pertinence et de
la qualité de l'outil mis à la disposition des enseignants de cette région
semblable, par le volume de sa population, à notre Communauté germanophone. Ni
la Wallonie, ni la Communauté française Wallonie-Bruxelles ne disposent, et de
loin, d'un outil comparable.
La réponse du directeur
jurassien à mon émerveillement fut : "Bâtir un pays, c'est construire son
éducation."
Tous ceux qui ont
contribué à la mise sur pied de ce deuxième congrès La Wallonie au Futur
se voulaient à la fois bâtisseurs de pays et prêts à relever un défi aussi
essentiel que celui de l'éducation. Notre gratitude se porte vers eux qui se
sont investis dans cette tâche : les très nombreux chercheurs et praticiens des
réseaux, les rapporteurs, le rapporteur général, le Premier Ministre wallon
Bernard Anselme.
Les textes qui sont
présentés ici constituent la mouture définitive des dix rapports de réseaux
revus par leurs auteurs après les travaux du 4 octobre 1991. Certaines
améliorations et compléments ont été apportés au document distribué à Namur le
jour du congrès. Nous y avons joint le rapport général, les contributions des
membres des réseaux ainsi que les textes des discours prononcés par les
personnalités présentes : Jean-Pierre Titz, Administrateur au Conseil de
l'Europe, Jean-Louis Close, Bourgmestre de Namur et Président de NEW, Jean-Pol
Demacq, Président de l'Institut Jules Destrée, Jacques Lanotte, Président de la
Fondation Jules et Marie Destrée, Bernard Anselme, Premier Ministre wallon.
Les deux correspondants
du journal La Wallonie
ont écrit du congrès que ce qui les avait frappés à Namur, c'était "la
maturité de la réflexion et le foisonnement des propositions". Et ils
concluaient : "La Wallonie est aujourd'hui en mesure de se connaître et de se
penser."
C'est en ce sens que nous
déposons aujourd'hui sur la table de travail des ministres wallons des deux
Exécutifs, rassemblés autour du nouveau Premier Ministre wallon, Guy Spitaels,
ainsi qu'entre les mains de tous les décideurs wallons, le fruit de cette
réflexion prospective qui leur était, sans aucun doute, destinée.
Nous ne doutons pas
qu'ils s'en inspireront efficacement.
(Octobre 1991)

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