La bureaucratique
Guy Moreau
Agent conseil en Sécurité et
hygiène du travail
Liminaire
Loin de moi l'intention
de jouer les défaitistes, de dénigrer le progrès technologique, de m'accrocher à
toute forme de conservatisme généré la plupart du temps par l'inquiétude, par la
peur du changement, par la crainte de devoir abandonner certains privilèges. Je
considère, à juste titre, le conservatisme comme une entrave à la moindre
réforme, il est à mes yeux le chloroforme, l'asphyxie de la démarche évolutive.
Je ne tiendrai point le
rôle de casseur de métiers à tisser, sous prétexte que la mutation technologique
constitue une menace pour le travailleur, résister au changement n'est que
combat retardateur empreint de stérilité.
Mais je ne serai point
non plus laxiste face au développement anarchique de la troisième révolution
industrielle qui ne tient aucunement compte de l'impact psycho-social qu'elle
produit.
Dans l'impréparation,
l'application des nouvelles technologies engrange des risques potentiels, les
conséquences peuvent être dramatiques, les actions à posteriori ne seront plus
que correctives et dans bien des cas, elles ne seront qu'un palliatif.

Avertissement
Ce qui suit est une texte
de synthèse tiré d'un mémoire présenté dans le cadre d'une formation
complémentaire des chefs de service de sécurité, formation rendue obligatoire
par l'arrêté royal du 20 juin 1975.
Le travail consistait à
mettre en exergue les risques et conséquences générés par la mise en place de
façon improvisée d'un nouveau concept organisationnel du travail de bureau qui a
pour néologisme comme d'autres technologies nouvelles une terminaison en
"tique".
Ses promoteurs l'ont
appelée la "BUREAUCRATIQUE".
Le contenu de cet
exercice traitait de sa genèse, des facteurs évolutifs, des raisons, de sa
définition, des éléments constitutifs, de son influence sur l'emploi, des
risques qu'elle représente pour les utilisateurs, des recommandations
inhérentes, des diverses législations et dispositions en vigueur dans le monde,
d'une interrogation en milieux divers sur les contraintes et astreintes
spécifiques.
Un diagnostic corroborait
l'indigence des mesures préventives, mesures qui prenait un caractère
d'obligation par le 54 quater du règlement général pour la protection du travail
qui a pour titre "politique de prévention".
Sous forme de plaidoyer,
un appel au consensus pour un changement significatif terminait cette recherche.
Les divers aspects
exposés dans cet ouvrage ne seront abordés ici que de manière succincte.
Pour une information
complète, je vous invite à consulter ledit mémoire.

Des bouliers compteurs à
la miniaturisation électronique aujourd'hui
Tout comme les progrès de
la science, les innovations technologiques ont leur histoire, la
"BUREAUCRATIQUE" n'y échappe pas.
Ses origines datent de
l'antiquité, elles se situent six siècles avant Jésus Christ par l'invention de
la table de multiplication que l'on attribue à Pythagore.
La maîtrise du calcul,
dont la bureaucratique est fruit, eut un cheminement semé d'embûches,
l'enchaînement fut difficile, c'est la mise bout à bout de constats intelligents
traduisant le langage des chiffres.
Dans cette lente
ascension, beaucoup de femmes et d'hommes se sont relayés, l'histoire
scientifique a mis en évidence quelques uns d'entre eux, ceux qui par leurs
découvertes ont marqué les instants décisifs.
Il y eut d'abord les
précurseurs, les principaux furent Pascal et Leibniz, le premier était physicien
et philosophe, il est l'inventeur de la première additionneuse capable
d'effectuer des reports. Cette machine est appelée pascaline. A ses débuts elle
connut un développement rapide mais devant l'hostilité farouche des employés aux
comptes qui y voyaient une menace pour leur emploi, sa fabrication fut
interrompue.
Quant au second autre
prodige, né en 1646, il est de 25 ans le cadet du premier, Leibniz, avec
intrépidité, introduit des données astronomiques et les fonctions
trigonométriques, il s'initie également à la simplification radicale de
l'arithmétique, remplaçant l'écriture des nombres de notre système décimal par
la combinaison de deux chiffres seulement, le zéro et le un, c'est la découverte
du calcul binaire.
Ceux qui suivirent furent
considérés comme les bâtisseurs, il faut citer JACQUARD le Français, inventeur
des métiers à tisser, HOLLERITH l'Américain, père du premier fichier
informatisé, cette invention avait pour motivation le recensement des
populations, à chaque personne correspondait une carte perforée qui reprenait
une série de renseignements les concernant. HOLLERITH fonda en 1896 la
"tabulation machine compagny" mieux connue aujourd'hui sous le signe "IBM".
BABBAGE, mathématicien
anglais, inventeur de la machine analytique à l'image de l'ordinateur
programmable, présenta son invention au début du 19ème siècle à la "BRITISH
ROYAL ASSOCIATION".
Une femme Ada de
LOVELACE, jeune comtesse anglaise, passionnée de mathématique, elle, publia deux
essais :
- "Observation sur la
machine de Babbage";
- "Analogie entre le
tissage des fleurs et des feuilles de Jacquard et les motifs algébriques de
Babbage".
Elle unifia les divers
langages informatiques utilisés par les ordinateurs dont dépendent les rampes de
missiles américains, le pentagone en signe de reconnaissance, baptisa ce langage
unique du nom "ADA".
D'autres noms et d'autres
dates sont à inscrire, l'anglais BOOLE (1847), l'allemand ZUZE (1941), en 1935
commercialisation des premières tabulatrices dont les grandes entreprises
s'équipèrent.

Les premiers composants
actifs
Le coup d'envoi de
l'expansion fut donné dans les années vingt par l'apparition des tubes
électroniques vulgarisés sous l'appellation de lampes, ces premiers composants
sont générateur d'une première révolution qui prend le nom de TSF.
Ils entrent en 1942 dans
la fabrication d'un ordinateur qui sera utilisé par l'armée américaine pour des
calculs balistiques.
Quatre ans plus tard, une
deuxième génération d'ordinateurs naît, le premier exemplaire rentre en service
aux Etats-Unis. Comparé à son aîné, il est deux mille fois plus rapide, il est
réalisé avec des "lampes" double triode, sa puissance absorbée est de 200.000
watts, la surface qu'il couvre est de 170m2.
En 1950, un autre
calculateur est conçu et mis au point par le physicien VON NEUMAN, il est
programmable par enregistrement non câblé d'où une souplesse plus grande dans la
modification des programmes.
Les trois obstacles à
cette application sont les suivants :
- le volume important
qu'il faut réserver à son installation;
- une grande consommation
d'énergie;
- la dissipation de
chaleur qui n'est autre qu'une grosse partie de l'énergie consommée.
Pour vaincre ces
handicaps, il faut attendre la découverte des matériaux semi-conducteurs.

L'indispensable maillon
Les physiciens BRATTAIN,
BARDEE et William SCHOKLEY le découvriront à la faveur des recherches sur les
éléments redresseurs, il s'agit du transistor.
Avec d'autres composants
tels que diodes, thiristors, triacs, ..., les transistors constituent la
première génération des semi-conducteurs, ils contribuent à la réalisation des
circuits imprimés, ils entrent dans divers fabricats qui sont les hifi, la télé,
l'électro-ménager, l'ordinateur commercial, ils conditionnent les automatismes
dans l'industrie manufacturière et dans l'armement.
Des circuits qui tiennent
au creux de la main.
Afin de réduire encore le
volume et le coût des modules électroniques, des scientifiques, essentiellement
américains, appartenant pour la plupart à la "TEXAS INSTRUMENT COMPANY",
entreprennent d'importantes recherches, nous sommes en 1947, leurs travaux vont
durer quelques 12 ans, ils seront couronnés de succès puisqu'ils parviennent à
grouper mille transistors sur 1 cm²..
C'est assurément une
performance mais nullement révolutionnaire. Pour la mutation décisive, il faudra
attendre la fin des années 60 : le levain de la révolution informatique.
Sur une seule pastille de
silicium de quelques mm², plusieurs milliers de transistors sont intégrés grâce
à de nouveaux procédés de gravures, ces composants de la 4ème génération sont
appelés "CHIPS".

L'aire du
micro-ordinateur et de la calculette est ouverte
Vers l'infiniment
petit
L'hyperminiaturisation
donne naissance à un nouveau modèle de "puces" plus connues sous le nom de
micro-processeur, ce sont des chips à très grandes intégrations (100.000
transistors inscrits sur moins d'un millimètre carré). Ils sont le fruit de la
conjonction des progrès réalisés dans les circuits intégrés de type "calcul"
avec les innovations techniques appliquées dans la fabrication des circuits de
type "mémoire", ils prennent en charge de grandes quantités de fonctions et de
stockage des données.
Les VLSI (Very large
Scale Integration) furent commercialisées en 1971 par la firme Santa Clara
(Californie).
Nota
Lorsque le mémoire fut
écrit, la dimension du transistor était de 3 microns, mais dans les labos de la
SILICON VALLEY et de la NIPPON ELECTRONIC, on s'attelait déjà à réduire encore
l'objectif : descendre à 1 micron, actuellement ce but est atteint et même
dépassé, en effet, dix transistors sont inscrits sur l'espace d'un micron.
Cependant, les efforts ne
semblent pas s'arrêter là, les centres d'investigations du "PENTAGONE" ont en
point de mire l'échelon moléculaire. Pour l'atteindre ils étudient l'enzymologie
qui est l'observation du comportement des enzymes, le procédé dit enzymique
consisterait à confier à ces substances organiques solubles le soin de
confectionner les jonctions qui actuellement sont encore réalisées par la mise
en présence de matériaux dits semi-conducteurs.
Présentement, cela paraît
utopiste, le proche avenir confirmera ou infirmera.

Pourquoi cette volonté à
vouloir rapetisser encore, pourquoi vouloir à tout prix progresser dans ce
domaine ?
L'enjeu est
considérable ! Tout comme jadis, les conquêtes territoriales, la suprématie sur
mer et dans les airs, la révolution micro-électronique va permettre aux
puissances industrielles et politiques d'asseoir leur hégémonie dans les
secteurs stratégiques qui sont : le contrôle de l'espace interstellaire, le
pouvoir prépondérant dans les domaines de l'aérospatial, des télécommunications,
de l'automatisation des procédés de productions, de la gestion informatisée, de
la production d'énergie électrique et nucléaire par transformation des énergies
rayonnantes.
A l'évidence, c'est
l'intérêt politico-économique qui motive et non l'aspect scientifique de la
découverte, les composants électroniques modernes ouvrent ainsi la voie aux
technologies nouvelles, celles-là même qui constituent la troisième révolution
industrielle.
L'application de ces
nouveaux concepts technologiques ne va pas sans risque pour le travailleur. Ici,
nos préoccupations seront retenues par l'application de la "BUREAUTIQUE".
La Bureautique, de quoi
est-il question ?
Sous-produit de la
miniaturisation des ordinateurs et des systèmes de traitement de textes, mariage
de l'électronique de gestion avec l'électronique de l'information, c'est
l'automatisation jointe à l'informatisation des tâches de bureau.

La rentabilité et la
productivité ont force de loi
La raison à cette
affirmation est manifeste, le contexte économique des quinze dernières années
contraint les entreprises à une recherche constante de l'amélioration des moyens
de production.
Entre 1960 et 1978, parce
que l'effort s'était concentré essentiellement sur les outils de fabrication, la
productivité des travailleurs manuels augmentait de 85 %.
Dans ce laps de temps la
rentabilité du personnel affecté aux travaux de bureau ne progressait que de
5 %, les charges administratives et le changement technologique toujours
grandissant voient grossir cette catégorie de travailleurs (en France ils
représentent plus de 50 % de la population active, au Québec plus de 65 %).
Au vu de cette évolution,
il était impensable que l'on ne se pencha point sur ce phénomène.
Dans ces conditions, les
prestations de service, le travail de bureau sont réorganisés par l'apport de
cette technique nouvelle qui nous apparaît par le biais des machines à
traitement de textes, des terminaux à écran, des micro-ordinateurs, des copieurs
et télécopieurs plus ou moins intelligents, des machines à dicter, des systèmes
de péritéléphonie, sans oublier les systèmes de micrographie.
Impact quantitatif et
qualitatif sur l'emploi
Progression ou
régression du volume ?
S'appuyant sur les faits
antérieurs, les optimistes déclarent que les révolutions technologiques ont
toujours eu un effet inducteur sur l'emploi, ils affirment que la
micro-électronique ne fera sans doute pas exception, par extension la
bureautique qui en est sous-produit sera, elle aussi, génératrice, d'après eux,
les postes perdus dans les industries traditionnelles seront compensés à moyen
terme par la création de nouveaux "JOB".
Sur le terrain qu'en
est-il exactement ?
- Premier constat, le
secteur à devoir rationaliser c'est celui-là même où l'on conçoit, où l'on
fabrique les matériaux informatiques, des exemples : en 5 ans, NCR (manufacture
de caisses enregistreuses) réduit ses effectifs de 37.000 à 18.000; ERICSSON
(fabricant d'appareil de télécommunication) de 15.000 unités à 10.000 pour un
niveau de production identique. Une étude faite pour la multinationale italienne
OLIVETTI a, sur un échantillonnage de compagnies qui offrent au marché des
produits "d'information", traduit quantitativement des dérangements, elle fait
apparaître des pertes de 30 % pour OLYMPIA, 20 % chez ADLER, 40 % à la "WESTERN
ELECTRIC". L'industrie horlogère n'est pas épargnée; la Suisse, pays de la
montre par excellence, perd 46.000 emplois. A la même époque, en Allemagne
occidentale, ce secteur subissait une chute de 40 %.
- Deuxième constat, les
industries manufacturières, par la robotisation des procédés de production,
voient leur nombre de travailleurs se réduire comme une peau de chagrin.
- Troisième constat, le
tertiaire qui pendant des années avait drainé quantité d'emplois, semble
s'essouffler en cette matière, jugeons-en : dans les milieux des banques et
assurances pendant la période des golden sixties, la progression annuelle
était de 10,2 %. Dès les premières années de crise, la croissance n'était plus
que de 0,7 %, actuellement c'est la tendance à la baisse qui prédomine.
- Dernier constat, le
milieu des médias n'y échappe pas, l'impression et l'édition sont restructurées,
les perspectives ne sont guère encourageantes : 7.000 emplois perdus en 5 ans,
cela représente une diminution de 17 %.
A l'horizon 1990, on nous
annonce la perte d'un poste sur deux de dactylographes, d'autres catégories
seront également touchées : l'ingénierie, la recherche au développement
industriel, les bureaux des méthodes, les postes de dessinateurs et combien
d'autres encore ....
Au vu de la situation
présente, au su des prévisions à court terme, n'en déplaisent aux optimistes,
nous assistons et nous assisterons à un véritable tassement à un point tel qu'il
serait mieux à propos de s'exprimer en terme de volume du chômage et non en
terme d'emplois créés ou maintenus.

Amélioration ou
détérioration de la qualité de l'emploi ?
Les promoteurs de cette
nouvelle technologie répètent à la ronde que l'automatisation des travaux de
bureau contribue dans une certaine mesure à exclure les tâches monotones, que
cette forme de progrès libère le travailleur afin qu'il puisse enfin se
consacrer plus amplement à son épanouissement.
Mais les utilisateurs
partagent-ils cet avis ?
Pour les utilisatrices et
utilisateurs, cet engouement n'est nullement de mise : une parcellisation accrue
des tâches, une charge mentale amplifiée, une déqualification du contenu, un
changement profond des habitudes et des schémas opératoires exigeant des efforts
d'adaptation individuelle ou collective, ne sont assurément point contributifs
au plein épanouissement.
La transformation du
travail de bureau en une chaîne de montage est révélatrice de troubles
psychosomatiques : maux de tête, brûlures d'estomac, insomnie sont monnaie
courante chez les employés concernés.
La santé du travailleur
est-elle en péril ?
Des instituts collectifs
ou spécialisés se sont penchés sur cette question, par le biais de sondages,
d'investigations d'enquêtes, ils ont mis en évidence les astreintes spécifiques
susceptibles d'atteindre la santé du travailleur appelé à s'intégrer dans ce
nouveau concept organisationnel qu'est la BUREAUTIQUE.
L'Institut National de
Recherches en Sécurité (INRS) réalisa une étude qui avait pour motivation de
dégager les causes et aspects cognitifs des tâches informatisées, il s'agissait
d'une recherche orientée sur les contraintes et astreintes engendrées en un par
la saisie des données sur le terminal écran, en deux sur les opérations de
dialogue avec la machine, tâches se différenciant par leurs exigences.
Les risques doivent être
considérés sous trois aspects :
- l'aspect
psychologique ;
- l'aspect
neuropsychique ;
- l'aspect sociologique.

Les implications
physiologiques
Elles concernent :
l'astreinte visuelle que nécessite le travail sur terminal à écran-clavier, le
côté sédentaire du poste, la charge mentale liée à l'organisation du travail.
C'est pourquoi en aucun
cas les dispositions préventives, fussent-elles élémentaires, ne peuvent être
éludées.
Dimensions des écrans,
forme de ceux-ci, contraste entre le fond et les caractères, stabilité
spectrale, lisibilité des textes, norme dimensionnelle des matrices, choix des
couleurs, contraste dans le champ visuel immédiat, épaisseur des claviers,
localisation des touches, sensation tactile lors de l'enfoncement de celles-ci,
implantation du poste, dimensionnement du poste, exigence gestuelle, position de
la posture, angles de perceptions horizontale et verticale, seront pris en
considération.
Les facteurs qui
occasionnent les tensions neuropsychiques
De natures diverses, ils
s'articulent autour des tâches qui consistent à interroger l'ordinateur via
l'écran cathodique ainsi qu'autour des tâches d'envoi des données à l'aide du
clavier, doublées d'un contrôle visuel des données introduites.
Les premiers constituent
l'élément astreignant, les attentes devant le terminal, lorsqu'elles sont
répétitives, représentent une sollicitation neuropsychique supplémentaire.
Les secondes demandent
une plus grande dispersion visuelle par un balayage constant des documents, du
clavier et de l'écran.
Elles exigent de
l'opérateur une activité mentale soutenue qui peut provoquer un surmenage.
Les cadences élevées, le
contexte banalisé nous font penser sans conteste au taylorisme. Il n'est pas
étonnant dès lors d'assister à la prolifération des troubles généraux : les plus
courants sont la céphalée, les douleurs cervicales, les troubles mentaux, les
troubles cognitifs.
En conséquence, lors de
l'élaboration organisationnelle globale des travaux de bureau, quand cela est
possible, l'alternance des tâches est intégrée. Les efforts nécessaires de
formation sont déployés. Des poses de 10'/H assurent une réelle détente.

Le contenu sociologique
Si au plan quantitatif,
la bureautique est en amont génératrice d'emplois, il apparaît qu'au plan
qualitatif, en aval, elle en soit destructrice.
Toute une série de
travaux sont spécialisés, le pouvoir de décision est parcellisé, les tâches sont
cloisonnées, l'organisation de l'entreprise est davantage centrée sur la
compétitivité entre les individus qui n'ayant peu ou plus de contacts entre eux
ont tendance à la renforcer.
Cette nouvelle
organisation du travail basée sur l'isolement et sur la dépersonnalisation, fait
qu'il n'est plus surprenant de voir les opératrices ou opérateurs parler à leur
machine, d'où l'apparition d'un sentiment d'aliénation.
Prévoir c'est aussi
maîtriser
Face à l'extension de ce
nouveau concept organisationnel des travaux de bureau et des risques qu'il
produit, des spécialistes du monde médical s'y intéressent et y réfléchissent.
Leur démarche est à
caractère préventif, elle consiste à avertir les milieux concernés sur les
dangers inhérents, dans un premier temps, ils s'attachent à détecter les causes
et origines, la seconde phase, ils la consacrent à formuler des recommandations
qui, appliquées, contribuent grandement à réduire les risques y afférents.
Les mesures proposées
sont d'essence multidisciplinaire, elles sont en symbiose avec les contraintes
et astreintes spécifiques décrites au chapitre précédent.
Le contenu de ces
recommandations étant tellement important qu'il ne m'est pas possible de vous
les énoncer.
Cependant, il est à
retenir que lesdits spécialistes préconisent que d'abord tout utilisateur
potentiel fasse l'objet d'un bilan ophtalmologique, d'un examen clinique ayant
pour cible la santé physique et nerveuse du travailleur.

Consécutivement comment
les avis préalables prennent-ils caractère d'obligation ?
Avec l'introduction des
nouvelles technologies, quasi la totalité des puissances industrielles du monde
occidental sont confrontées aux problèmes d'humanisation des conditions du
travail.
Peu de pays ont légiféré
en la matière, le plus souvent les obligations sont le résultat d'accords cadres
ou de conventions collectives entre les partenaires sociaux, patrons et
syndicats, les seuls pays où l'état est associé sont, à ma connaissance, la
Suède, la Norvège, la France, l'Allemagne, la Belgique, tous possèdent une
réglementation qui protège le travailleur contre les nuisances que peuvent
produire indistinctement les technologies.
Quelques puissances
économiques, comme le Canada, élargissent la protection aux effets
socio-économiques provoqués par le changement de technologie.
Chez nous, dès 1975, des
dispositions générales prenant caractère d'obligations légales sont promulguées
par arrêtés royaux, le 54 quater en est un, il s'intitule "Politique et
prévention", le 15 juillet 1975, par sa parution au Moniteur, il prend
force de loi, il organise les structures indispensables au développement de la
sécurité et de l'hygiène dans les milieux de travail, il donne à l'exécutif le
pouvoir de contrôle.
Pour l'essentiel, il
tient en ces mots :
"Les employeurs sont
tenus de prendre les mesures matérielles de sécurité indispensables à la
préservation des travailleurs contre les risques décelables".
"Ils sont également tenus
de prendre les mesures nécessaires à l'adaptation du travail à l'homme".
Le 13 décembre 1983, une
convention collective du travail (CCT n° 39) vient compléter la disposition de
loi qu'est le 54 quater.
A l'instar des pratiques
d'outre atlantique, la CCT n° 39 octroie le droit de contrôle aux représentants
des travailleurs, elle reconnaît leurs compétences pour négocier dans tous les
domaines des accords collectifs au sein de l'entreprise, y compris les mesures
protectrices en matière d'emploi.
Sur le "tas", ces
mesures obligatoires trouvent-elles leur prolongement ?
Afin de vérifier
effectivement l'outil utilisé fut le sondage, pour une réflexion objective, il
prit forme d'interrogation en milieux divers avec une double préoccupation,
pouvoir apprécier là où la bureautique était déjà bien implantée et là où elle
était encore à ses premiers balbutiements.
L'action centrée
respectivement vers le tertiaire et le secondaire englobait des entreprises de
grandes tailles et de tailles moyennes.
Le secteur des banques et
des assurances, les activités de produits manufacturés, la construction,
l'entreprise d'utilité publique en formaient l'éventail.
Cette enquête
exploratrice contenait plusieurs séries de questions orientées de façon
convergente avec pour lieu le ou les risques inhérents.
Les travaux d'analyse
mirent en exergue les fatigues et les causes probables, les hommes et les femmes
étaient répertoriés distinctement, suivant âge, temps d'exposition en durée, en
nombre d'heures/jour. Le risque électrique, le maintien d'un bon niveau de
lecture y étaient comptabilisés.

Les résultats
qu'étaient-ils ?
Répartition numérique
des personnes selon les conditions de travail dans lesquelles elles étaient
placées
|
Bonnes conditions |
Mauvaises conditions |
Dimension du poste : hauteur appropriée des différents niveaux |
|
hauteur écran |
4 |
13 |
|
hauteur clavier |
2 |
11 |
|
hauteur trav. écriture |
3 |
10 |
|
hauteur plan unique |
12 |
31 |
Clavier |
|
mobilité |
33 |
10 |
|
données dimentionnelles |
|
|
|
longueur |
12 |
29 |
|
épaisseur |
14 |
28 |
Ecran |
|
localisation |
34 |
7 |
Siège |
|
dossier |
20 |
23 |
|
pietement |
13 |
10 |
Repose-pied |
|
12 |
31 |
Malgré le nombre
important de poste inadaptés dimensionnellement, les exigences sont assez
modestes puisque 36 personnes estiment êtres placées idéalement, mais
paradoxalement 20 personnes se plaignent de fatigues liées à la posture pendant
et/ou après le travail.
Conditions relatives à la
charge visuelle
écran |
|
|
dimensions face-avant |
38 |
5 |
dimensions caractères |
10 |
33 |
espace entre caractères |
15 |
27 |
espace entre lignes |
19 |
24 |
contraste fond-texte |
3 |
39 |
dispositif anti-reflet |
|
|
verre dépoli |
15 |
24 |
filtre |
12 |
30 |
distance yeux-écran |
22 |
21 |
rapport des luminances dans le champs visuel central : |
|
|
fond-texte |
33 |
6 |
écran-clavier |
9 |
34 |
clavier |
|
|
contraste sigles-touches |
26 |
12 |
absence de brillance |
28 |
13 |
dimensions de touches |
14 |
32 |
(3 personnes ont des
touches de configurations diverses)
La situation reflétée
dénote de la part des constructeurs un manque de prise en considération des
recommandations.
implantation du poste : |
|
|
distance prise de jour |
11 |
26 |
occultation baies ou fenêtres |
12 |
28 |
situation sous luminaires |
24 |
17 |
diffus. de la lumière artificielle. |
34 |
9 |

rapport des luminances dans le champ visuel périphérique |
|
|
contraste plan de travail-lumière diurne |
18 |
18 |
absence de reflet de l'environnement |
26 |
14 |
contraste plan de travail-environnement |
21 |
21 |
Dans cette confusion, il
n'est pas étonnant dès lors que 28 personnes se plaignent de fatigue visuelle et
que 11 personnes sur 21 portant des verres correcteurs déclarent avoir subi une
diminution de l'acuité visuelle après affectation sur terminal à l'écran.
Conditions relatives au
climat d'ambiance.
Il fut impossible
d'évaluer si les tâches s'effectueraient dans de bonnes ou de mauvaises
conditions, vu l'absence de mesures préalables concernant l'intensité lumineuse,
le bruit ambiant, l'humidité relative, la climatisation des locaux,
l'inexistence de démarches associatives.
Il ressort de surcroît
que l'état physique du travailleur n'avait été aucunement pris en compte
puisqu'un seul des interrogés déclare avoir été soumis à un examen médical
complet avant affectation, 11 n'avaient été examinés que partiellement, 32 ne
l'avaient pas été du tout.
Pour conclure
globalement
L'éclairage fourni par
cette exploration a prouvé le manque d'actions préventives.
Cette infraction au 54
quater affecte et affectera à court terme la santé des travailleurs, elle aura
comme corollaire, dans un premier temps, la reconnaissance en tant que maladies
professionnelles des séquelles qui découleront des atteintes à l'équilibre
physique et mental, dans un second temps, la couverture des accidents
cardio-vasculaires par l'assurances loi.
La situation sur le
terrain nous prouve l'urgence d'une démarche informative pour une réelle prise
de conscience, condition primordiale à l'indispensable changement.

Plaidoyer pour un
consensus
Pour mieux avoir à
l'esprit la nécessité d'un dialogue fructueux, une image est parfois
nécessaire :
Nous étions dans la
petite localité de Sermeuse, en 1928, plus exactement le 13 avril, c'était un
vendredi de campagne électorale où libéraux et socialistes s'affrontaient. Les
socialistes déployaient un tel dynamisme qu'ils suscitaient l'admiration des
plus réfractaires.
Pour s'expliquer sur
le collectivisme à propos duquel les histoires les plus absurdes circulaient, un
meeting avait été organisé, des socialistes tels DESCHAMPS, ISIERES, DESTABEL,
BLANDAIN, BERGER devaient y prendre la parole, en dernière minute, les libéraux
souffrant de quelques démêlés avec les commerçants de la ville, acceptèrent de
venir se justifier, in extremis, cette réunion d'information devint débat
contradictoire.
Dès 19 H, le théâtre
municipal était envahi, un pêle-mêle d'ouvriers, de bourgeois, négociants,
avocats, houilleurs, employés, s'entassaient aux stalles, dans les loges, le
parterre, le paradis . Des milliers d'yeux fixaient la scène où DESCHAMPS,
ISIERES, DESTABEL, BLANDAIN, BERGER et d'autres devaient prendre place, lourde
était l'atmosphère, tendu était le climat, ils comprenaient qu'ils allaient
livrer une bataille décisive contre les préjugés.
L'enjeu était
d'importance, c'est DESTABEL qui s'avança le premier, un silence redoutable
s'installa.
La voix était claire,
nette, elle portait jusque "tout au bout".
Citoyens,
commença-t-il, des réunions comme celle-ci ne seraient pas inutiles si elles
pouvaient avoir le résultat de nous fournir quelques bases d'appréciations
impartiales sur nos intentions et nos projets que défigurent tant de polémiques
et de malentendus.
Il exposa l'évolution
économique moderne caractérisée par le développement du machinisme et la
concentration capitaliste. Le petit patron disparaissait devant la grande
industrie, le boutiquier devant le grand commerce tous deux étaient rejetés dans
la classe des prolétaires laissés libres par la révolution française mais nus.
L'effort des
travailleurs s'estimait de plus en plus comme une simple valeur marchande,
constamment réduite et dégagée de toute idée morale, de compassion, de
solidarité.
L'organisation des
entreprises par des sociétés anonymes éloignait à ce point l'employeur des
employés que tout lien humanitaire était rompu et que le directeur-gérant, si
bien lui prenait d'améliorer le sort de ses ouvriers, s'exposait à nuire aux
intérêts des actionnaires.
Il vit alors au fond
de sa pensée une image qui lui parut énorme, violente même, devant elle le
discours se cabra tel un cheval face à l'obstacle insurmontable, il marqua un
temps d'arrêt puis il poursuivit : de telle sorte que par la force supérieure
des choses, par les lois qui régissent le capitalisme actuel, notre société
devient, tous sentiments de fraternité morts, un gigantesque pressoir où
s'écrase la chair humaine pour en faire juter l'or des dividendes.
(extrait d'un compte-rendu journalistique de Jules Destrée pour l'action
syndicale du dimanche 15 avril 1928).
On y était ! Nous y
sommes ! Il voyait juste, peut-être sa vision était-elle caricaturale, voir
apocalyptique, mais la situation présente dépouillée de ses fioritures, de ses
salamalecs, ne ressemble-t-elle pas étrangement au spectre décrit par Destabel,
économie mondialement organisée, grands groupes financiers, multinationales,
trusts, holdings où les dirigés cherchent désespérément le visage des véritables
dirigeants, où les décisions sont prises froidement ne retenant qu'un seul
critère : la valeur pratique.

Fréquemment encore, ceux
qui dirigent, ceux qui ont en charge la gestion des entreprises ont une
perception passéiste des relations humaines plaçant au devant une organisation
hiérarchisée empreinte d'archaïsme.
Ils semblent dans bien
des cas peu préoccupés par l'incidence psychosociale que peut avoir le
développement d'une nouvelle organisation du travail.
Ils considèrent la
sécurité au travail comme une entrave à la bonne marche de l'entreprise, parce
qu'il n'est pas évident, ils ne perçoivent pas l'intérêt économique que procure
l'amélioration des conditions.
Ils ne sont pas
convaincus du rôle social de l'entreprise qu'a fait naître l'industrialisation .
Du côté des organismes de
défense des travailleurs, n'a-t-on pas aussi une part de responsabilité ? A-t-on
toujours été attentif aux conséquences que portent en elles les mutations qui
s'amorcent ? Il est navrant, voire inquiétant de constater qu'au niveau des
instances paritaires (conseils d'entreprises - comités de sécurité et d'hygiène)
l'on a peu conscience des problèmes, que les efforts déployés pour en avoir
connaissance ne sont bien souvent pas à la mesure.
"L'action préventive"
n'est pas l'application pure et simple, voire pragmatique de quelques
dispositions réglementaires noyées parmi tant d'autres.
Elle n'est pas non plus
la juxtaposition simpliste de mesures fragmentaires prises essentiellement pour
faire taire ici et là les revendications.
C'est moins encore
l'utilisation unilatérale de méthodes empiriques, la croissante complexité des
technologies ne peut s'en contenter.
Face aux nouvelles
technologies, la démarche doit être une véritable "ACTION RESEARCH" s'appuyant
sur le dialogue, la concertation, la participation effective des personnes
concernées par le changement technologique, sans préjugé, sans méfiance
réciproque, sans mépris, sans aversion, à l'écart des schémas et clivages
stéréotypés, c'est à ces conditions qu'un large consensus se dégagera, donnant à
la décision une pleine adhésion.
Parce qu'il engage son
capital travail, le Travailleur mérite bien que l'on se préoccupe de sa
condition.

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