Le patrimoine culturel,
notamment le patrimoine d'archéologie industrielle
Marinette
BRUWIER
Historienne
Professeur à l'UEM
Vice-Recteur de l'Université de l'État à Mons
Parmi les
multiples significations du terme "culture", je retiendrai le
concept de mentalité nourrie par un héritage. C'est sur le
patrimoine culturel, qui va de la langue - tant des expressions
idiomatiques que des productions littéraires les plus raffinées -
aux paysages puisque ceux-ci, à travers toute l'Europe, ont été pour
la plupart fabriqués par l'homme, que se greffe le futur. La
culture-héritage est une virtualité, source de créativité. Le
patrimoine industriel, qui s'est constitué au cours de ces 100
dernières années, a redessiné le visage en bien des endroits de
Wallonie. Est-il un élément-clef de l'identité wallonne?
Si l'on regarde plus haut
dans le passé, la culture du plus grand nombre à savoir des gens des campagnes,
relève, malgré quelques traits propres, de la même civilisation rurale et
chrétienne que les autres régions d'Europe occidentale et les élites ne se
distinguent pas plus d'un cosmopolitisme sans frontière. Les pays qui vont
former la Wallonie vivent, comme les terres voisines, les influences par exemple
de la Renaissance ou du Siècle des Lumières. Leur appartenance à la francophonie
et leur situation aux confins de la romanité leur confèrent néanmoins un
caractère particulier. Avant de revenir à cette donnée majeure de l'identité
wallonne, je m'attacherai au patrimoine industriel. Dès avant la révolution
industrielle, apparaît dans la vie socio-économique des gens de Wallonie une
caractéristique commune, c'est de s'adonner à la fois à la culture et à
l'élevage mais aussi à des activités industrielles, d'être à la fois depuis de
longs siècles des paysans et des ouvriers du fer, du charbon, du verre et de la
pierre, ce type d'activité recouvrant pratiquement l'ensemble du pays wallon,
depuis Tournai jusqu'aux environs de Spa, depuis le sud du Luxembourg jusqu'à
Quenast. Comme elles sont au premier chef commandées par la géographie tant par
la géologie que par l'orographie, on les retrouve au-delà des frontières
politiques, en Thiérache ou dans les pays rhénans, mais elles sont pratiquement
inexistantes au nord de la frontière linguistique. Il ne faut pas non plus
ignorer les courants politiques ni non plus les courants commerciaux qui avant
la formation de l'entité "Belgique" traversèrent les pays wallons du sud vers le
nord, dans les Pays-Bas comme dans la principauté de Liège, dont la situation
politique a, par ailleurs, introduit des éléments culturels bien distincts dans
la future Wallonie. Celle-ci va se constituer au XIXème siècle au sein de la
Belgique indépendante. Certes les premières manifestations wallonnes ont été des
réactions contre le mouvement flamand et visaient à défendre des valeurs
linguistiques. La défense de la romanité a suscité une première prise de
conscience. Mais la mutation essentielle réside dans la grande industrialisation
qui va façonner les mentalités autrement. En concentrant la sidérurgie et la
verrerie sur la houille, la Révolution industrielle a créé le sillon Sambre et
et Meuse à savoir, malgré une concurrence entre bassins qui alimente l'histoire
événementielle, des structures similaires de l'économie, de la vie sociale, de
l'histoire politique. Par son poids démographique et économique, le sillon
Sambre et Meuse et son annexe du Hainaut central et occidental a été pour la
Wallonie du XIXème et du XXème siècle un facteur entraînant une dimension
majeure. La chronologie et la typologie de sa croissance industrielle, et, par
le fait même, la chronologie de son déclin l'ont dissociée des autres régions
belges et les circonstances de la croissance, notamment la dépendance à l'égard
des groupes financiers, ont suscité la formation de relations analogues avec le
pouvoir économique et politique. La grande industrie a donc joué un rôle de
catalyseur pour la création d'une mentalité, d'une culture wallonne.

Témoignage d'une
industrie en mutation profonde au cours de ces dernières décennies, le
patrimoine industriel est souvent une meurtrissure au sein du paysage. Son
influence, multiple et son sens divers, est perçue intuitivement par beaucoup de
Wallons: elle mériterait, à mon sens, d'être mieux analysée. A cet égard, les
matériaux se rassemblent.
Quand il y près de 10
ans, il a été question en Belgique d'archéologie industrielle d'abord pour un
public averti puis pour le grand public, le regard s'est porté sur les vestiges
d'industries qui venaient de disparaître ou étaient en voie de disparition. Il
était déjà trop tard pour de nombreux appareillages, des machines en grand
nombre dont il ne restait plus aucun exemplaire et dont les sites industriels ne
peuvent être dissociés sans renoncer à toute forme de compréhension. De plus le
sauvetage des réalisations les plus spectaculaires dont le niveau esthétique a
impressionné a fait oublié le tissu fondamental qui est la base de
l'appréhension mentale, de l'attitude culturelle à savoir les usines les plus
banales et les longues séries de maisons ouvrières qui parcourent nos
agglomérations ouvrières.
Des progrès sensibles
dans la connaissance du patrimoine industriel ainsi que dans une certaine mise
en oeuvre soit de protection, soit de restauration ont pris en Wallonie une
forme qui leur est propre. Si le mouvement est parti du début des années 70 de
quelques-uns qui se sont inspirés de l'exemple de l'Angleterre, il s'est très
rapidement répandu et on a vu naître des initiatives locales qui se sont
attachées à tel ou tel type d'activité, activité marquante de leur région. Une
véritable profusion de créations diverses prouve que le patrimoine industriel a
imprégné les mentalités et le succès touristique des musées spécialisés qui se
sont ouverts en bien des endroits en est une autre preuve. Des bâtiments
industriels anciens sont convertis soit en habitations, soit pour des services,
notamment bancaires, et c'est à la fois un signe de la crise de la construction
que traverse l'Europe Occidentale et du souci de restauration, de préservation.
Ces démarches, pour n'être pas propres à la Wallonie, n'en sont pas moins
frappantes par leur origines diverse et multiple. Si nous le comparons au
mouvement d'archéologie industrielle en Flandre, il semble avoir répondu à
l'incitation d'un groupe central dont les activités ne sont jamais interrompues
alors qu'en Wallonie il y a eu rupture entre les premières initiatives en 73-75
et la création en 1984 de l'asbl Patrimoine Industriel Wallonie-Bruxelles qui
joue à la fois un rôle de coordination et de sensibilisation.
Des enquêtes d'ensemble
sont relancées et je signalerai particulièrement celle qui a lieu depuis
1985-1986 et qui vise à constituer d'un répertoire de maisons ouvrières.
Mais pour éclairer la
signification du patrimoine industriel, pour répondre à la question posée à
savoir s'il représente un élément majeur de l'identité wallonne, nous en
appelons à la réflexion d'historiens, de sociologues qui pourront utiliser les
matériaux rassemblés. Avant cela des monographies de base s'imposent,
monographies descriptives que l'on devrait pouvoir éditer quelque part. N'est-il
pas l'heure maintenant de centrer la recherche, de l'approfondir voire en
regardant au-delà des frontières pour saisir à la fois ce qui est général à
savoir les données inhérentes à l'activité étudiée et ce qui est spécifique à
nos régions wallonnes? C'est évidemment une recherche typiquement de niveau
universitaire et dans la restructuration des universités wallonnes, ne peut-on
espérer la création d'un centre, spécialisé dans ce domaine qui est à mon sens
"la" caractéristique propre du patrimoine culturel wallon.
(Octobre 1987)

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