Le développement des
activités culturelles
Jacques
FUMIERE
Directeur du Théâtre de l'Ancre
Dans le
domaine théâtral, l'évolution du paysage culturel wallon a été
considérable au cours de ces vingt-cinq dernières années. Terre de
circulation pour les théâtres français et bruxellois, la Wallonie
s'est progressivement dotée d'outils performants en matière de
création théâtrale.
Des centres
professionnels permanents fonctionnent avec bonheur, tandis que des réalisateurs
"free-lance" concrétisent des projets ponctuels. La circulation de spectacles
est majoritairement prise en charge par les Maisons de la Culture avec pour
conséquence une programmation réfléchie et de plus haut niveau.
Si cette description
idyllique est assombrie par de nombreux grippages au niveau de fonctionnement,
il est néanmoins incontestable que la Wallonie manifeste une très grande volonté
de s'autogérer.
Revendiquer son autonomie
culturelle est une étape importante, reste à déterminer l'usage que l'on veut en
faire. Et tout est à inventer dans cette deuxième phase de l'évolution wallonne.
Le développement culturel
doit se concevoir dans une vision européenne, bien au-delà du traditionnel
régionalisme wallon.
Les entreprises
commerciales réalisent leur conversion en ce sens pour se découvrir une vocation
sociale. La formation culturelle des cadres et dirigeants figure parmi leurs
préoccupations majeures (culture entendue comme activités libres instructives
tels recyclages et séminaires). Mais il y a place pour les arts traditionnels et
le Théâtre en particulier. De nouvelles relations s'installent entre le monde
artistique et le monde économique et des perspectives nouvelles apparaissent qui
peuvent apporter un élan nouveau au monde de l'Art.
Cette possible
association de l'Art et de l'Economique détient la solution à la question de
l'usage de l'Art. Par voie de conséquence, l'entreprise culturelle doit se
donner une dimension à la mesure de son destin. Constatons qu'au stade actuel
des choses, la taille des entreprises wallonnes ne répond pas aux critères
européens. Des concertations doivent donc s'effectuer et celles-ci se concevront
sans doute sous la forme de holding.
L'apport de la technique
autorise en effet toutes les concentrations administratives, de la gestion à la
recherche de marchés ou de fonds de fonctionnement ainsi qu'à la répartition de
ceux-ci. Chaque cellule de création serait alors uniquement responsable de la
concrétisation du projet théâtral. La diffusion des produits culturels serait
éventuellement gérée par un organisme spécifique. Rationalisation. Rendement. Un
profil économique pour l'Art.
Remarquons que cette
vision matérialiste évacue la notion du risque inhérente à toute création
théâtrale originale: les créateurs deviennent les exécutants d'une machine à
produire du rassurant. Du court terme. Et c'est bien cela qui inquiète.
La valeur d'une
civilisation s'exprime sur le long terme, sur l'audace de sa pensée et sa vision
prémonitoire. Le "rendement" en Art se mesure sur des siècles et se fonde sur
l'audace et la liberté.
Quel héritage le peuple
wallon veut-il laisser? Quel message veut-il transmettre aux générations
futures? Quel pari tente-t-il sur l'avenir? Autant de questions fondamentales.
Ce pari mystique ne peut
être relevé que par un pouvoir fort, seul capable de l'imposer. Ainsi donc la
responsabilité du développement culturel incombe en grande partie au pouvoir
politique, capable de ce choix, au-delà des partis, capable ainsi de prendre en
charge ses créateurs et de leur gaspiller (et non grappiller) les moyens de la
communauté.
Qui oserait croire en une
telle perspective?
La première hypothèse est
la plus vraisemblable.
Hélas.
(Octobre 1987)

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