Les défis éthiques des
mutations en Wallonie
Albert
STEVAUX
Docteur en Théologie
Animateur de "Eglise-Wallonie"
1. Quelles
mutations?
1.1. Etre Wallon
aujourd'hui, quelle aventure !
Quel défi ! Quelle lutte
de chaque jour ! Notre histoire, c'est celle d'une longue série d'invasions et
d'occupations, venant de Rome et de Germanie, de Scandinavie et de
Grande-Bretagne.
Pendant presque mille
ans, le Prince-Evêque de Liège a été vassal du Saint-Empire Germanique. A
Tournai, on nous montre fièrement la lettre de Jeanne d'Arc "aux gentils
Français de Tournai".
Charleroi a été fondée en
1667 comme place forte par les Espagnols contre les Français, avant de devenir
avec Liège une des capitales de la révolution industrielle.
La province de Luxembourg
dépendait du Grand-Duché du même nom; elle fut pendant des siècles rattachée sur
le plan religieux à l'archevêché de Reims, à l'évêché de Metz, et à celui de
Trèves.
Le vouloir-vivre ensemble
des Wallons n'est pas une chose évidente; il doit beaucoup aux contingences
géographiques, historiques et politiques. Nous sommes trop bien situés au
confluent des mondes germanique, anglo-saxon et français pour ne pas avoir tenté
nos puissants voisins de venir régler leurs différends sur notre territoire.
N'est-ce pas pour cela
que nous avons été plus forts et plus inventifs dans la résistance que dans la
construction de la paix?
1.2. Etre
chrétien aujourd'hui, en Wallonie, quelle aventure !
Chacun le sait: la Terre
wallonne a été fortement marquée depuis deux siècles par les idées du "Siècle
des lumières". Depuis plus d'un siècle, cette même terre a été imprégnée par
toutes les formes de la pensée et de l'action socialistes.
Certes beaucoup de
chrétiens wallons ont été activement présents sur les terrains de l'action
sociale et des sciences religieuses. Et pourtant, la sensation est forte, dans
l'Eglise de Wallonie, de chercher appui auprès du "Grand frère flamand", qu'il
s'agisse du C.V.P., du syndicat chrétien, ou de la Conférence épiscopale
nationale.
Cette situation et cet
état d'esprit doivent permettre d'apprécier plus correctement la percée de la
laïcité dans les villes wallonnes et à Bruxelles.
Jamais la frontière
franco-belge n'a arrêté le rationalisme français. Pas davantage la frontière
germano-belge n'a arrêté la progression de la culture germanique en Flandre.
La sensibilité wallonne
profonde, dans le peuple et dans la bourgeoisie, a été globalement accueillante
aux idées de la Révolution française, axées sur la liberté, l'égalité et la
fraternité, et s'exprimant dans la Déclaration des Droits de l'Homme.
Depuis une vingtaine
d'années surtout, la pensée et l'action laïques, se référant au principe de
liberté d'opinion inscrit dans la Constitution belge, revendiquent une présence
accrue dans les écoles et les hôpitaux, dans les mass média et dans la vie
communale.
Ce fait interpelle la
conscience des catholiques, -longtemps porteurs d'une volonté de monopole, -
quant à leur capacité de respecter "ceux qui ne se réclament pas du même Credo
que le leur".
1.3.
La présence protestante
dans nos provinces remonte au temps des guerres de religion et s'est accrue aux
17ème et 19ème siècles. La présence juive se retrouve dans toutes nos
grandes agglomérations. Elle porte dans sa mémoire collective le lourd souvenir
de la persécution et de l'extermination des juifs durant la dernière guerre
mondiale, uni au souvenir de l'aide fraternelle rencontrée dans beaucoup de
familles, chrétiennes ou non.
L'Islam est
devenu aujourd'hui numériquement la deuxième religion en Belgique surtout, à
cause de l'afflux de travailleurs immigrés venant du Maghreb et de Turquie. A la
suite de cela, l'Islam est entré chez nous dans la catégorie des "religions
reconnues", et reçoit des subsides pour l'entretien des mosquées et la
subsistance des imams. Quel changement! Quel défi! Quelle aventure!

2. Une nouvelle
évangélisation ?
2.1.
Depuis la visite de Jean-Paul II en Belgique en 1985, on parle beaucoup de
"nouvelle évangélisation". Un "livre de la Foi" rédigé pour tous les évêques de
Belgique, est paru au début de cette année et rencontre un grand succès de
librairie. Fort heureusement, le texte et l'iconographie de ce livre sont
différents pour la partie flamande et la partie francophone de la Belgique.
2.2.
Même la fête nationale depuis cette année a été régionalisée: le Roi et la Reine
à Bruxelles, le Prince Albert et la Princesse Paola à Namur, leurs enfants à
Bruges, ce sont des signes discrets d'une attention plus grande à la diversité
des communautés au sein de l'Etat belge.
2.3. "Quid leges
sine moribus ?"
A quoi bon des lois si
les moeurs ne changent pas. C'est dans la vie de tous les jours que la Bonne
Nouvelle de l'Evangile doit être annoncée.
A quoi servira un Te deum
à Namur si le peuple wallon se sent mal à l'aise dans l'Eglise. A quoi bon une
Conférence épiscopale de Wallonie si elle n'est pas souhaitée et accueillie par
les Wallons? A quoi bon une communautarisation (ou régionalisation) de
l'enseignement, si elle est perçue comme un nouveau "Walen buiten", si elle
n'est pas désirée et voulue sincèrement par l'ensemble des Wallons?
A quoi bon nous exhorter à rejeter nos peurs réciproques si l'on ne travaille
pas à déceler les causes de ces peurs et à les supprimer ?

3. Conclusion
3.1. L'espérance pour les
Wallons demain, c'est une autonomie plus grande, et par rapport aux Flamands, et
par rapport aux Français.
3.2. Entre Wallons, notre
espérance, c'est une estime plus grande et une plus grande solidarité: entre
paysans et travailleurs de l'industrie, entre Luxembourgeois et Tournaisiens,
entre Carolos et Liégeois.
3.3. Notre espérance,
c'est une économie plus saine,-avec priorité aux plus pauvres, - où l'argent
n'est plus le maître.
3.4. Que les croyants de
Wallonie soient fidèles à leur Eglise, dans un acte de foi libre, éclairé et
motivé.
3.5. Que les problèmes
"éthiques" soient abordés avec clarté, dans le respect du vécu et de la vie
privée de chacune et de chacun.
(Octobre 1987)

|