Exigences éthiques du
devenir wallon
Jean-Emile
HUMBLET
Professeur e.r. - Membre du
Bureau de l'Institut Jules Destrée - Animateur d'Eglise-Wallonie
1. La
présente communication est inspirée d'une démarche morale
pluraliste. La morale propose (et aux yeux de certains, prescrit)
des conduites et comportements basés sur des valeurs. Ces conduites
et comportements sont relatifs aux relations avec les autres tant
collectivement qu'individuellement, ainsi d'ailleurs qu'avec
soi-même.
Pour les tenants de
diverses religions qui croient en Dieu, il y a un troisième volet à la réflexion
morale, incluant dans le collectif celui qui traite des devoirs vis-à-vis de l'Etat.
Le problème qui nous préoccupe aujourd'hui est celui des relations entre les
comportements inspirés de la morale et le devenir de la Wallonie.
2. Certes, d'aucuns ont
tendance à affirmer que la morale n'a rien à voir avec les choix politiques,
économiques ou culturels que l'on est amené à faire à un moment de l'histoire et
en un lieu de la planète.
Cette attitude qui
s'explique par des interventions abusives d'autorités religieuses dans des choix
partisans, n'est toutefois pas fondée parce qu'elle réduirait la morale à une
simple dimension individuelle, aberration qui s'illustre facilement par
l'exemple classique: X a accumulé une grande fortune par la production et le
commerce des armes, favorisant éventuellement des conflits pour trouver des
débouchés mais il a la conscience tranquille parce que, régulièrement, lui et
surtout sa femme portent des secours dans des homes à des invalides de guerre.

3. Il faut également
éclaircir le problème des devoirs vis-à-vis de l'Etat.
La théorie classique
consiste à dire que l'Etat est l'égal du clan dans les sociétés traditionnelles,
remplit des fonctions irremplaçables en matière de défense, de santé, etc. , ce
qui crée des obligations sur la base du principe donnant-donnant: en
contrepartie des services rendus par l'Etat, chacun se devrait d'assurer des
corvées, de payer des impôts, de remplir des obligations militaires ou civiles.
Sur ce problème se
greffent ceux de la légitimité de l'Etat, de l'Etat de droit et de la priorité
aux droits de l'Homme et des Peuples.
4. Nous approchons du
coeur du problème et il faut par conséquent évacuer une idée fausse, d'autant
plus répandue au fil des décennies par bien des moralistes qu'en particulier au
cours du XIXe siècle, on a progressivement remplacé le culte du souverain de
droit divin et l'énumération des devoirs qui lui sont dus par l'apologie de l'Etat-nation.
L'idée était en effet la
suivante: l'Etat dans son fonctionnement politique, militaire, économique, etc.
, est l'expression concrète d'une nation, c'est-à-dire d'un ensemble de
personnes ayant à la fois des caractéristiques communes, notamment historiques,
et une volonté de vivre en commun. De surcroît, on a voulu considérer que la
patrie (le "pays des pères")correspond à l'Etat et à la Nation.
5. A nos yeux, il va de
soi que nos devoirs vis-à-vis des autres sont d'autant plus impérieux qu'ils
sont plus proches de nous, mais il faut concilier cette priorité avec des
devoirs que nous avons de proche en proche vis-à-vis de toute l'espèce humaine.
C'est dire qu'axer sur le seul Etat prétendument souverain tous les devoirs
civiques, c'est négliger à la fois ce qui est infra-étatique.
Partout, par conséquent,
il faut tenir compte de tous les échelons de la vie sociale et du civisme:
-
famille
-
quartier
-
commune
-
sous- région
-
région
-
Etat historique
-
continent (Europe)
-
monde
Il y a là une première
raison qui crée des devoirs vis-à-vis de la Wallonie avant d'en créer vis-à-vis
de l'Etat belge.

6. Il faut ensuite
s'interroger quant à savoir si cet Etat est structuré et se conduit d'une
manière telle que les Wallons gardent des devoirs moraux vis-à-vis de lui.
Souvent, on nous rebat les oreilles à propos de l'Etat de droit dans lequel nous
vivons. Il s'agit d'un système dans lequel la loi est appliquée à tous avec en
outre - si l'on est généreux - la séparation des pouvoirs exécutif, législatif
et judiciaire.
Je rétorque à cela, d'une
part que des dictatures peuvent fonctionner en "Etat de droit" et, d'autre part
que déjà dans le droit romain l'on savait que l'application stricte du droit
pouvait conduire à la pire injustice "summum jus, summa injuria". Et je renvoie
à la jurisprudence d'une chambre uniquement flamande du Conseil d'Etat sur
FOURON.
Sous l'angle moral, le
critère à suivre n'est pas celui de l'Etat de droit. Ce qu'il faut assurer,
c'est la primauté absolue aux droits de l'Homme et aux droits des Peuples, ce
qui implique le plein respect des minorités.
7. Il faut, de surcroît,
pour avoir une conduite morale, ne pas s'attacher à un moment du passé, ni à une
seule institution dans le style "je suis belge avant tout" mais il convient de
tenir compte des inclusions d'ensembles et sous-ensembles que nous enseignent
les mathématiques modernes.
C'est ainsi que notre
appartenance à la Francité (internationale) et à l'Europe nous crée des devoirs
évidents et je dirai même impérieux. La mise en question sereine mais solide de
l'Etat belge et de son disfonctionnement est un devoir moral.
8. Cela n'exclut pas le
respect des pluralismes et des diversités. L'on peut être plus sensible à la
défense de l'environnement ou à la participation locale ou au sort de la
Wallonie ou à la défense et la promotion de la langue française ou à la
construction d'une Europe des Régions ou à la solidarité avec le Tiers-Monde,
mais l'on ne peut pas, moralement parlant, refuser de se poser les problèmes que
nous posons ici ni de mettre en cause l'Etat: "le plus froid des monstres
froids" (Nietzsche).
(Octobre 1987)

|