Les conditions de notre
affirmation culturelle
Guy GALAND
Agrégé de l'Enseignement
secondaire du degré inférieur
Professeur au Centre d'Enseignement secondaire de l'Etat à Péruwelz -
Administrateur de la Maison de la Culture à Tournai
Quel est le sceau
de la liberté acquise ? Ne plus avoir honte de soi-même.
F.
Nietzsche
Les médias, les
techniques et les industries de communication ne peuvent se réduire à une
production d'effets d'évasion, sinon d'évacuation, du réel.
Cette affirmation doit
faire quasi l'unanimité sans doute. Pourtant elle énonce un principe de
politique réellement culturelle et pose outre la question du niveau des
contenus, celle des influences ou des ingérences financières et idéologiques et
celle de la complexité et de la multiplicité des effets des technologies
modernes.
Par celles-ci, se modifie
l'essence même du "savoir". L'actuelle connaissance iconique bouleverse les
canons de l'ère Gutenberg. Mais...
Ainsi, par exemple,
assiste-t-on déjà, sous l'impulsion des USA à une élévation de l'information par
rapport à l'instruction, à la valorisation de l'instant par rapport à la
mémoire.
Une certaine idéologie de
la réussite favorise un processus qui rencontre la tendance à la facilité, à une
forme certaine de paresse intellectuelle.
Or, les histoires
violentes, les spectacles porno, les feuilletons sentimentaux sont souvent des
matériaux importés. La TV américaine exporte d'ailleurs dix fois plus que la TV
française.
On peut rêver de
civilisation, de culture universelle.

Mais cet universel, le
"grand village" évoqué par Mc Luhan homogénéise, standardise et massifie. Il
n'est pas de communication s'il s'instaure un monologue entrecoupé seulement de
quelques bribes significatives de différences.
Il s'agit donc de
proposer le respect de l'identité culturelle face aux technologies dominées par
les géants linguistiques et économiques et face aux commerçants de la culture.
Il s'agit, à beaucoup, de
révéler notre patrimoine identificateur, à d'autres, de le rappeler.
Il s'agit dans la
Wallonie toujours multiple, de promouvoir une culture enracinée, par ses thèmes,
par le lien avec les associations culturelles et sociales, par la mise en valeur
de la créativité artistique, intellectuelle ou technique de toutes les
composantes de notre peuple .
Ainsi pourrons-nous
illustrer notre façon singulière de vivre en français, nous situer par rapport
aux autres et aussi par rapport à ce qui est au-delà.
L'enrichissement mutuel
au sein de la Communauté française - il ne s'agit pas de l'amalgame réalisé par
la législation actuelle en Belgique - composée de la France, la Wallonie, le
Québec et la Romandie exige un approfondissement, une promotion de nos valeurs,
des manières de penser, de travailler et de vivre de nos populations, au niveau
des programmes.
Alors nous pourrons
aborder le dialogue entre les cultures qui reste l'une des perspectives
humanistes de la civilisation contemporaine et un élément essentiel de toute
activité de progrès.
J'ai conscience que les
frontières ont éclaté et éclateront encore davantage: la combinaison du
satellite et du câble accroîtra d'autant l'internationalisation des programmes.
Mais notre originalité
est d'abord à définir et à inscrire dans l'expression française du concert
international.
Une société ne se
transforme que si elle puise sa force dans son fond culturel propre, si elle
crée son devenir sur l'appropriation de son héritage culturel et l'affirmation
de celui-ci.
Un tel projet passe
évidemment par la coopération européenne, car l'Europe est un ensemble
organique, un groupe de peuples cohérents par leurs traditions, leur géographie,
leurs composantes ethno-culturelles, mais le brassage et le métissage des
programmes n'auront de signification que par la spécificité des apports.
Une Wallonie consciente
d'elle-même et qui affirmerait son autonomie politique, économique, culturelle
et sociale se doit de promouvoir l'action en faveur d'une industrie
audio-visuelle européenne vigoureuse et dynamique, une TV à la dimension de
l'Europe, qui s'adresse à tout le public de l'Europe, par des émissions
multilingues, avec la possibilité pour le téléspectateur de choisir sa langue
préférée.
Une attention
particulière serait réservée aux productions des industries culturelles les plus
faibles. Et les échanges bilatéraux avec les pays du tiers monde qui cherchent
encore à maintenir leur identité seraient accrus.

Une telle ambition
requiert un consensus très vaste. C'est pourtant la seule perspective qui sauve
de la colonisation culturelle ou de l'aliénation qui serait par exemple, la
multiplication de "Dallas" à la française !
On resterait alors
orphelin, dans un monde perçu comme étranger et menaçant où la réalité et la
fiction se conjuguent au point de se recouvrir.
Une telle exigence de
liberté, de libération n'est pas précisément ce que prépare une société qui
domestique les individus et régularise les idées et les mouvements sociaux.
Et ce n'est pas non plus
ce que produit la déculturation par asphyxie. Il s'impose donc, contre tout
mimétisme étriqué, de réaffirmer des valeurs comme le refus de la facilité, le
mépris de la mode, la rigueur du raisonnement, la capacité de se dévouer à un
intérêt plus élevé que le sien propre, la volonté de relever les défis de
l'histoire et de maîtriser le réel.
Il s'indique de récupérer
la mémoire historique et populaire, condition de l'identité au niveau collectif
comme au niveau individuel. C'est le tissu textuel et iconographique de la
quotidienneté qui constitue le patrimoine mythique et symbolique d'une culture.
Il convient de restituer
à notre culture toutes ses fonctions sociales, d'élargir cette notion:
beaux-arts, théâtre, littérature, cinéma, à la cuisine, au jazz, à la "bonne"
chanson, aux sciences, aux techniques et aux rituels de tout domaine.
Cela réclame aussi une
politique au service du verbe qui fonde notre personnalité et une audace au
service de ce verbe.
Cela exige une télévision
parfois didactique, et donc tout à la fois pédagogique, qui fournisse une
initiation minimale, une présentation sommaire des émissions de savoir
scientifique et des oeuvres classiques de l'art, de la littérature ou de la
musique.
Cela suppose - comment
n'en aurais-je pas parlé? - un enseignement qui réintègre les valeurs
culturelles et spirituelles, la culture, au sens large et sans frontières, comme
dans ce qu'elle a d'infiniment précieux et particulier.
(Octobre 1987)

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