Quelques réflexions sur
les enjeux de la formation de base menée par la Funoc
Christiane
VERNIERS
Titulaire du diplôme d'Études
approfondies en Sciences de l'Éducation
Directrice de la FUNOC
En région
wallonne, 54% des hommes et 67% des femmes sont sortis de
l'enseignement de plein exercice à l'âge de 14 ans. Dans le Hainaut,
ces chiffres sont de 57% pour les hommes et de 69% pour les femmes.(1)
Si on examine les
statistiques du chômage, on constate que, dans la région de Charleroi, un
chômeur sur deux a au plus un diplôme de l'enseignement primaire et que 8
chômeurs sur 10 ont au plus un diplôme de l'enseignement secondaire inférieur (2).
Si on regarde du côté des personnes qui n'ont pas droit aux allocations de
chômage et qui se retrouvent bénéficiaires de l'aide sociale du CPAS de
Charleroi, on constate que 80% d'entre elles n'ont pas dépassé le niveau de
l'enseignement secondaire inférieur (3).
Ces pourcentages parlent d'eux-mêmes: l'exclusion massive de l'enseignement est
non seulement un problème de société en soi - l'exclusion de la vie sociale,
culturelle et politique de 50% de la population - mais est également en étroite
corrélation avec l'exclusion du marché du travail et l'exclusion des droits
sociaux.
Face à la dimension
collective de cette sous-scolarisation et des drames sociaux qu'elle engendre,
la FUNOC (4)
développe, dans la région de Charleroi, un important dispositif visant la
formation de base, la montée en qualification massive des jeunes et adultes peu
qualifiés et peu scolarisés.
Elle a été créée en 1977,
et depuis cette date, offre diverses formations qui visent, toutes, à rencontrer
les besoins de formation de cette population en liaison à son besoin de
qualification professionnelle, de qualification sociale et de formation
générale.
La dimension
professionnelle est développée dans la préparation à des nouvelles
qualifications accessibles à ce type de public et liées à l'évolution du marché
de l'emploi: par exemple, dans le secteur tertiaire, les métiers de la
bureautique et de la micro-informatique; dans le secteur secondaire, les métiers
de la rénovation et de la restauration du bâtiment. La qualification sociale
vise à donner accès aux connaissances et compétences permettant de comprendre la
vie sociale et d'y participer en tant que citoyen à part entière.
La formation générale est
conçue comme formation aux langages fondamentaux de notre société: le français
et les mathématiques, bien sûr, mais aussi, le langage socio-économique, le
langage informatique et le langage télévisuel.
C'est donc tout ce que
l'école n'a pas apporté à cette population qui fait l'objet des formations
développées par la FUNOC: le bagage que les autres jeunes et adultes ont pu
acquérir grâce à leur milieu social et à leur scolarité non interrompue.

Mais la FUNOC ne
reproduit pas les contenus et les méthodes scolaires pour autant. Elle pratique
une pédagogie des adultes, construite à partir des réalités qu'ils vivent, qui
tient compte de leur difficultés et s'articule à leurs problèmes concrets
d'insertion professionnelle et sociale. La pédagogie originale mise en oeuvre
inclut par ailleurs un usage intensif des nouvelles technologies de
l'information, et en particulier, les moyens audio-visuels et la
micro-informatique.
C'est en ce sens que la
FUNOC porte le projet plus vaste d'Université ouverte: un lieu d'innovation
pédagogique centré sur les publics peu scolarisés et visant à leur apporter un
réel bagage éducatif, compris comme l'articulation entre des éléments de
qualification professionnelle, de qualification sociale et de formation
générale.
Par cette préoccupation
éducative large, la FUNOC se trouve en opposition avec le courant qui veut lier
strictement la formation à l'insertion professionnelle immédiate, courant qui en
arrive à éliminer du champ de la formation les aspects de formation générale et
de formation à la vie sociale. Or, faut-il rappeler que l'insertion
professionnelle se fait au compte-gouttes, même dans le cas des filières les
plus performantes et les plus strictement professionnelles?
Faut-il rappeler que les
peu scolarisés se heurtent à un marché de l'emploi qui ne les absorbe plus ou
presque plus, et que de plus en plus les places sont prises par des personnes
trop qualifiées pour les places qu'elles occupent? Quelles sont les chances des
peu scolarisés, même quand ils se forment intensivement?
Certains d'entre eux,
grâce à une formation de la FUNOC, passent à travers les mailles du filet et
trouvent ou créent un emploi. Mais pas les 1500 qui fréquentent chaque année les
formations de la FUNOC! On ne le dira jamais assez: ce n'est pas le manque de
qualification de la population qui est cause du chômage, même si le manque de
qualification de la personne individuelle est responsable de sa disqualification
dans la course à l'emploi. Si, par un coup de baguette magique, l'ensemble de
cette population se retrouvait très qualifiée, elle n'accéderait pas pour autant
à un emploi... loin s'en faut. Et à d'autres époques, on a connu le plein emploi
avec une population globalement moins qualifiée que celle d'aujourd'hui.
Mais on assiste de plus
en plus au triomphe de la tendance qui veut éliminer de la carte toutes les
opérations de formation ne débouchant pas directement sur un placement!

Faut-il abandonner toutes
les personnes dont les chances d'insertion professionnelle immédiate sont quasi
nulles? Après les avoir exclues de l'école, de l'emploi et parfois de leurs
droits sociaux, faut-il maintenant les exclure de la formation continuée?
La FUNOC s'y refuse!
La FUNOC défend
l'hypothèse de la montée en formation et en qualification de tous (même si elle
ne se refuse pas à mener également des opérations pointues centrées sur
l'insertion professionnelle de quelques-uns).
Il s'agit d'une lutte
essentielle pour la démocratie de demain. Il s'agit d'un défi pour un nouveau
développement d'une région comme celle de Charleroi, développement que nous nous
refusons à envisager comme celui d'une société de plus en plus duale. Il s'agit
enfin d'un pari économique: en effet, rien ne permet de connaître quels seront
les besoins des entreprises dans quelques années.
Dans l'économie de marché
qui est la nôtre, et donc en l'absence de planification, l'hypothèse de la FUNOC
est que le marché du travail exigera de plus en plus une main-d'oeuvre à même de
s'adapter aux changements et donc possédant la formation de base lui permettant
cette adaptation.
C'est donc à cette
formation de base que s'emploie la FUNOC pour permettre à cette population de
reprendre confiance en elle, de participer à la vie sociale et de retrouver un
jour un emploi. Mais le combat quotidien pour la survie de ce type de formation
témoigne du fait que la société d'aujourd'hui est dominée par un courant qui ne
conçoit pas les enjeux de la formation continuée au-delà de l'insertion
professionnelle hypothétiquement immédiate; pour ceux dont les chances
d'insertion professionnelle sont faibles, il paraît que ce n'est pas rentable!
Mais est-ce rentable de laisser un chômeur sur deux, ou huit "minimexés" sur
dix, se marginaliser et marginaliser leur famille? Oui, c'est rentable pour un
certain type de société!
(Octobre 1987)
Notes
(1)
I.N.S., annuaire de Statistiques régionales, 1984, p.70 et 71.
(2) Comité subrégional de l'Emploi de Charleroi, "Stats
'85", p. 16.
(3) Pourcentages de 85 communiqués par les responsables du
CPAS de Charleroi.
(4) FUNOC: Formation Université ouverte Charleroi. Pour en
savoir plus, tél. 071/31/15/81.

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