Possibilités et conditions des initiatives interuniversitaires
Albert
SCHLEIPER
Directeur du Centre
universitaire de Charleroi (CUNIC)
Face aux
défis de tous genres que nous avons à relever, un nombre croissant
de responsables appellent à un regroupement des énergies et à une
collaboration effective entre centres de recherche et institutions
d'enseignement.
Charleroi, dans ce
domaine, a dépassé depuis longtemps le stade des souhaits. Depuis 1965, l'Ecole
supérieure du Verre, le Centre interuniversitaire de Formation permanente,
l'Institut européen interuniversitaire de l'action sociale, le Centre
universitaire de Charleroi et l'Institut des Affaires publiques ont
successivement réussi, à leurs niveaux institutionnels aussi bien qu'à celui de
leurs programmes, à diversifier et intensifier la collaboration
interuniversitaire.
Celle-ci se situe dans
deux cadres fort différents qui exerceront une influence déterminante sur la
manière dont elle se réalise. Le premier cadre est celui de l'initiative privée,
celle notamment des institutions citées ci-dessus, garantie par la liberté
d'enseignement et d'association de notre pays. Dans ce cadre, et pour autant
bien sûr que la valeur et le financement du projet soient assurés, seule suffit
la volonté opératoire de travailler de manière interuniversitaire. La mise en
place de comités de concertation et de gestion, le recrutement des enseignants
ou des chercheurs; le déroulement des formations et des recherches, la mise en
commun des expériences,etc... n'ont jamais été entravés par l'appartenance des
intervenants à l'une ou l'autre institution.
Bien au contraire, chacun
des acteurs de telles initiatives en est toujours sorti enrichi et nombre de
collaborations permanentes se sont ainsi établies, fondées sur des affinités et
des modes d'action que les partenaires ne trouvaient pas dans leur propre
institution. Il serait trop long de citer l'ensemble des projets qui bénéficient
d'un apport interuniversitaire; il suffira d'en rappeler quelques-uns: le
Congrès des Economistes belges de Langue française, les post-graduats en Travail
communautaire, Gérontologie sociale, Santé mentale, Droit des Affaires,
Communication sociale, la Faculté ouverte Religions et Laïcité,...
Cet échantillon montre
que, même dans des domaines "chargés" idéologiquement, la collaboration
interuniversitaire est possible. Il convient cependant d'insister sur le
caractère "opératoire" de la volonté qui y préside: cela veut dire que la
réussite de telles opérations dépend de l'activité non partisane des personnes
chargées de leur gestion et de la transparence des informations.

Le second cadre dans
lequel peuvent se situer des initiatives interuniversitaires est beaucoup moins
confortable car, tout en exigeant la réalisation des mêmes conditions que dans
le premier cas, il oblige de tenir compte de la législation et des
jurisprudences extrêmement contraignantes qui régissent l'organisation des
premier et deuxième cycles universitaires (mieux connus sous l'appellation
"candidatures" et "licences"). En fait, jusqu'en 1985, aucune tentative
interuniversitaire mettant en jeu l'un de ces cycles ne peut aboutir. Il fallut
l'initiative du Ministre de la Communauté chargé de la Santé dans le précédent
Exécutif, Monsieur Urbain, pour qu'un groupe de délégués des universités,
habités d'une confiance réciproque et d'une volonté de réaliser peu communes,
prépare et anime, entre autres initiatives, un curriculum de deuxième cycle,
interuniversitaire, destiné à former des spécialistes en Education pour la
Santé. D'entrée de jeu, le groupe s'était livré à une réflexion approfondie au
terme de laquelle il apparaissait que le caractère interuniversitaire de la mise
en oeuvre d'un tel curriculum serait assuré
(1)
-
soit par la fixation
d'objectifs, d'un programme et d'un dispositif d'évaluation communs, adoptés
par chaque université, réalisés par ses propres moyens et permettant aux
étudiants de collationner les unités capitalisables dans chacune d'elles;
-
soit en accentuant la
collaboration déjà décrite ci-dessus en confiant tels modules à des
enseignants de l'université où ils se réalisent, et tels autres à des
enseignants d'autres universités ou institutions;
-
soit, enfin, en
demandant à plusieurs enseignants issus de diverses institutions ou
universités, de mettre au point chacun des modules; ce type de collaboration
est évidemment le plus complètement interuniversitaire, mais il ne semble
réalisable qu'aux conditions suivantes:
-
une entité de gestion
du programme, désignée par toutes les universités;
-
la désignation,par
cette entité, des personnes qui fonctionnent au sein du programme;
-
l'inscription des
étudiants dans l'une ou l'autre des universités partenaires du projet.
La troisième modalité de
collaboration s'applique actuellement à la Licence interuniversitaire en
Education pour la Santé dont le Conseil de gestion a été amené à résoudre les
difficultés au fur et à mesure qu'elles se présentaient. L'une d'entre elles, la
désignation d'enseignants pour des charges sans titulaire, vient de connaître
une issue favorable grâce à l'intervention du Conseil interuniversitaire de la
Communauté française qui a assumé la responsabilité d'organiser le recrutement.
Comme, par ailleurs, tout enseignant doit appartenir à une des universités
engagées dans le projet, il avait été demandé à chaque candidat d'indiquer
l'institution à laquelle il souhaitait être rattaché.
Il est permis d'être
assez optimiste quant à l'issue de cette expérience à laquelle collaborent les
Facultés N.D. de la Paix, l'Université catholique de Louvain, l'Université de l'Etat
à Mons, l'Université libre de Bruxelles, l'Université de Liège et le Centre
universitaire de Charleroi. On peut légitimement se réjouir de la parfaite
harmonie qui règne, au sein d'une même promotion, entre étudiants et enseignants
inscrits ou appartenant les uns et les autres à des universités qu'hier encore
tout semblait opposer. Non moins étonnante est la facilité avec laquelle
fonctionnèrent les jurys d'examen au moment des délibérations.
Dès lors, il n'est pas
interdit de penser que de telles opérations pourront se généraliser dans nombre
de domaines intéressants, voire cruciaux, mais dont la spécificité est peu
favorable au recrutement d'un nombre d'étudiants suffisamment élevé pour que
chaque université soit capable de fournir l'encadrement nécessaire. Il est
significatif de constater que dans le troisième cycle universitaire, où les
contraintes sont heureusement moins lourdes, plusieurs initiatives
interuniversitaires ont vu le jour, notamment la Licence spéciale en Biologie
moléculaire, orientation Biotechnologie, qui résulte d'une collaboration entre
l'Université de l'Etat à Mons, l'Université libre de Bruxelles et le Centre
universitaire de Charleroi. Outre la liberté de choix laissée aux étudiants, ces
opérations contribuent à une rentabilité sociale accrue et préfigurent les
synergies qu'il faudra nécessairement mettre en oeuvre pour participer
efficacement au devenir du monde.
(Octobre 1987)
Notes
(1)
Développement des programmes de formation en Education pour la Santé, Rapport du
Groupe de travail interuniversitaire "Enseignements en Education pour la Santé",
D.PIETTE et A.SCHLElPER rédacteurs, CUNIC, Charleroi, p. 16 et 17

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