La formation de demain
Alain MOREAU
Régent en Langues germaniques
La société
bouge de plus en plus vite. L'enseignement traditionnel issu du
passé a une tendance à la progression lente. Dès lors, il se crée un
décalage entre les besoins de la société et la formation des
personnes qui composent cette société. Le problème de base est donc
de savoir comment on peut, dans le cadre de la communauté wallonne,
apporter aux étudiants le bagage nécessaire pour qu'ils puissent
s'adapter à la société au fur et à mesure que celle-ci évolue.
Découlant de ce problème: la formation (continue) des enseignants.
Il faudrait arriver à ce que l'enseignant parvienne à faire acquérir
à son étudiant la capacité de s'adapter, de se réorienter, en
fonction des besoins de la société. Quel bagage minimum doit-on
fournir à l'élève?
L'enseignement se borne
trop à enseigner de la matière alors qu'il y a un état d'esprit d'ouverture, de
curiosité à développer chez l'élève.
On constate pour
l'instant l'incapacité de l'enseignement à former des gens pour les besoins
actuels de la société puisque les entreprises forment de plus en plus les
nouveaux venus. Mais cela crée le danger de la spécialisation par les sociétés
du travailleur à une tâche bien déterminée.
La formation "théorique"
s'avère, me semble-t-il, plus nécessaire encore que dans le passé puisque de
plus en plus les tâches autrefois manuelles sont de plus en plus mécanisées ou
confiées à de la main-d'oeuvre bon marché se trouvant à l'extérieur de notre
communauté. De ce fait, les Wallons doivent s'occuper de choses qui demandent
une certaine formation et connaissance de base.
Que faire alors (et c'est
là ma préoccupation en tant qu'enseignant d'un centre scolaire de la Ville de
Charleroi, comprenant surtout des élèves rejetés de l'enseignement général
classique et se montrant pour le moins méfiants à l'égard de toute formation) de
ces gens qui n'ont pas la vocation ou le goût de l'étude et qui autrefois
exerçaient un métier manuel et qui devront demain trouver leur place dans la
société?
Il y a bien sûr le
délicat et difficile problème de la remotivation de l'élève qui a connu l'échec
mais aussi et surtout l'adaptation du contenu et de la manière d'aborder une
matière dans le but d'accrocher l'étudiant pour le raccrocher au train de la
société.
Ce problème est, je le
vois par expérience, surtout social. L'origine sociale de nos élèves ne les
pousse pas à la formation.
D'autre part,
l'enseignant est formé pour enseigner une matière bien déterminée en tenant
compte de certains facteurs pédagogiques et psychologiques mais nullement pour
amener son élève à se former lui-même en lui proposant des méthodes
d'apprentissage, des sources d'information et en lui apportant aussi bien sûr
des données nécessaires à sa formation.
A mon avis, le chômage, à
l'heure actuelle, peut être considéré comme une période de réadaptation à la
société. Cette période étant d'autant plus longue que la capacité acquise par le
chômeur à se former est faible. Il y a donc parallèlement à l'enseignement
classique une reformation nécessaire des chômeurs.

Lorsque l'on voit les
budgets accordés à la formation actuellement en Belgique, on est en droit de se
demander si on est bien en train de préparer le demain de notre société. Car
dans une société en continuel mouvement, les personnes qui n'ont pas la base
nécessaire pour se reformer, s'enfonceront de plus en plus dans la
sous-formation avec toutes les conséquence économiques, sociales et
psychologiques que cela entraîne. Et si l'on restreint encore le nombre d'aidants
à la reformation, on risque de voir notre région devenir sous-formée et donc
sous-développée.
Il existe aussi, à mon
sens, le danger suivant qui consiste à spécialiser les gens à un travail
particulier en croyant les préparer pour demain. Ce n'est pas en se contentant
d'apprendre à un élève à se servir d'un ordinateur qu'on le prépare à demain.
L'informatique en soi ne sert à rien. Mais elle devient indispensable pour
beaucoup de domaines, et ce sont ces domaines qu'il convient d'éclairer aux
élèves pour qu'ils puissent à l'aide de leurs connaissances en informatique,
s'introduire dans les milieux adéquats. Etre devant un ordinateur dans une
banque sans rien connaître du fonctionnement de la banque, de son rôle, est
absurde.
Enfin, devant l'invasion
de l'audio-visuel, une certaine mode voudrait que l'on abandonne l'écrit et donc
le lu. La formation par le seul audio-visuel me paraît difficile car il y a une
étape d'intériorisation des données qui nécessite du temps, de la réflexion et
de l'étude.
Je crois comme beaucoup
d'autres que la formation générale est le meilleur outil pour appréhender la
société future. Mais le problème consiste à faire accepter par des élèves, le
besoin d'apprendre des choses dont ils ne voient pas l'utilité immédiate. Cet
aveuglement parfois temporaire entraîne une rupture dans la volonté d'apprendre
des adolescents. Comment alors leur faire comprendre et donc accepter des
matières que leur milieu social considère au mieux comme superflues.
En tant qu'enseignant de
langues modernes, je suis confronté et interpellé chaque jour par les élèves:
pourquoi le néerlandais, pourquoi l'anglais? Je me dirige d'ailleurs lentement
en parallèle avec le cours proprement dit vers une justification appropriée aux
élèves de l'apprentissage des langues étrangères. Apprendre à contre-coeur ou
avec un sentiment de l'inutile est une gageure. Il me suffit pour cela de me
rappeler mon manque de motivation dans certains cours et de voir maintenant mes
lacunes dans ces domaines tout en ayant pourtant réussi les examens. Mais je
crois qu'une matière apprise contre son gré est une matière en voie d'effacement
sur les bandes du cerveau.
Il faut donc persuader
nos jeunes à apprendre des matières qu'ils jugeaient inutiles, en les motivant
de la manière "la plus simple": leur montrer l'absolue nécessité de la
connaissance de ces matières pour pouvoir s'adapter à la société de demain.
Pour montrer toute
l'ampleur de l'inadaptation de l'enseignement, voici un souvenir personnel: j'ai
connu des étudiants en première candidature qui ne pouvaient même pas citer
(uniquement) les partis politiques en présence en Belgique à l'époque. Pourtant,
ils avaient terminé avec fruit l'enseignement secondaire et n'ayant pas été
sensibilisés à la politique et à son rôle, ils risquaient de devenir des
citoyens préférant regarder un feuilleton américain que le journal télévisé.
(Octobre 1987)

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