Maîtriser l'informatique
pour mieux gérer les outils sociaux
Marc IMPE
Psychosociologue chargé de
cours à l'ISSHA-EOS -
Conseiller scientifique à l'ULB Président du STICS
1. Le mot
gestion est à la mode.
Pour certains, il évoque
la grande vague bleue du néo-libéralisme qui rationalise, restructure, porte
atteinte aux acquis sociaux,...
Pour d'autres, il
signifie la nécessité de soumettre les institutions sociales à la rigueur de
l'évaluation, aux nécessités de la productivité.
Mais, la notion de
"productivité sociale" reste peu perceptible; la loi du nombre de dossiers
traités l'emporte encore trop souvent sur une évaluation qualitative des
services offerts à la population.
A travers une pratique de
formation à l'ISSHA et au STICS, j'ai pu expérimenter une pratique qui s'efforce
de dépasser les résistances suivantes:
La résistance au
chiffrage chez nombre de travailleurs sociaux, plutôt soucieux du contact et de
la qualité de la communication, ne peut être dépassée que par la mise en
évidence de paramètres communicationnels enregistrables.
Cela signifie que la
tenue de statistiques informatisées ne sera vécue comme autre chose qu'une
corvée que si des bénéfices effectifs en termes d'attitudes découlent des
traitements.
Mais cela veut dire
également qu'il est indispensable que l'ensemble des travailleurs sociaux et
responsables concernés participent au processus, y compris, autant que faire se
peut, à l'encodage et au tri des données.
Les pratiques de
formation doivent donc tenir compte du fait que les statistiques confiées à un
bureau d'études et d'évaluation externe sont probablement dépassées. Chaque
agent social doit pouvoir participer à des procédures d'évaluation, substituant
au contrôle externe la notion d'auto-évaluation.
La micro-informatique
professionnelle, à la portée de pratiquement toutes les institutions sociales,
permet de telles pratiques. L'expérience démontre que des pratiques évaluatives
de qualité valorisent toujours les pratiques sociales.
La résistance au fichage
des usagers: il ne peut y avoir de travail social sans respect de règles
déontologiques; mais, paradoxalement, le respect global de la vie privée du
citoyen n'est que très vaguement envisagé par la législation.
Face à un extraordinaire
vide juridique, les travailleurs sociaux ont souvent développé une forme de
résistance passive. Pourtant, si l'intention est bien de préserver la
confidentialité de certains dossiers, il est possible de développer un certain
nombre de clés de sécurité qui sont plus importantes que pour les
dossiers-papier: on peut, par exemple, créer un fichier signalétique qui n'est
relié à un fichier confidentiel que par un rapport codé connu d'un seul
intervenant social. Certains services privés ou CPAS ont développé des outils
remarquables à ce niveau.
La résistance des
pouvoirs publics à des évaluations tranchantes dans les services sociaux en
Belgique sont encore trop souvent considérés comme palliatifs; il y aurait lieu,
me semble-t-il, de les considérer davantage comme des investissements à moyen ou
long terme. On pourrait passer alors plus facilement à la notion de programmes
sociaux de durée déterminée, évaluables de manière standardisée. Mais cela
obligerait inévitablement à faire des choix, à trancher, à dépasser le
clientélisme politique et le saupoudrage des subventions. Et pourtant, loin de
cette note sceptique, je voudrais mettre en évidence les efforts qui sont faits
dans certains départements du Ministère de la Communauté française pour évaluer
les stratégies administratives à l'aide de l'outil informatique. Je participe à
une opération de potentialisation de l'informatique administrative à la
Direction d'administration de la Jeunesse et de l'Education permanente: cette
opération se caractérise par la volonté affirmée des responsables de mieux gérer
leur outil statistique pour, d'une part, mieux orienter leurs actions, mais
aussi, d'autre part, servir la vie associative en la valorisant tant au plan des
réalisations effectives que des besoins recensés; enfin, de nouveaux services
concrets seront offerts prochainement aux citoyens et associations. Ceci
démontre à l'évidence que le souci gestionnaire ne contredit nullement la notion
de service public.

2. La résistance à
l'échange ou la cession de données.
En 1986 s'est créé un
programme appelé Média-jeunesse: ce programme, géré par le Ministère de la
Communauté coordonne l'équipement informatique d'une quinzaine de centres
d'information des jeunes, généralistes ou spécialisés dans un domaine
particulier. Ce programme s'est rapidement heurté à l'enjeu économique des
échanges de données: l'information, c'est de l'argent: or, il n'y a pas beaucoup
d'argent dans le secteur considéré. Le sponsoring constitue une des voies
explorées, mais je voudrais, pour ma part mettre en avant une formule originale
retenue: la Communauté française, plutôt que d'acheter des données et d'ainsi
dépouiller les organisations productrices a procédé à la location de données
régulièrement actualisées; ceci permettait de mettre ces données gratuitement à
la disposition de professionnels de l'information des jeunes. Si, dans ce
domaine, des progrès importants ont pu être enregistrés, il reste nécessaire de
coordonner les efforts et d'associer toutes les institutions qui ont pour
vocation l'information des jeunes et de leurs parents: pensons ici aux centres
psycho-médico-sociaux, aux Comités de protections de la jeunesse etc... Mais
j'entends dire que des projets d'informatisation de ces services chacun dans
leur coin...
3. Vers ou
s'achemine-t-on ?
Les développements
incessants de la micro-informatique professionnelle relèguent peu à peu les
lourdes structures d'antan au rang des monstres préhistoriques.
Il me semble que, dans le
cadre de politiques cohérentes, il conviendrait que les pouvoirs publics
encouragent le développement d'applications intégrées permettant une gestion
globalement informatisée de services sociaux publics et privés; de telles
gestions comprendraient:
-
gestion des dossiers
clients à partir de menus explicites et de choix successifs aidant à la
résolution de problèmes administratifs
-
gestion des échéances
et organisation du travail
-
enregistrement et
traitement statistique des demandes et de leur suivi
-
gestion comptable
couplée
Il s'agirait en somme de
multiples fichiers interactifs, couplés à un certain nombre de bases de données.
Mais c'est dans la
direction de la gestion de projets sociaux que les promesses sont les plus
importantes: je prépare, avec divers partenaires publics et privés une
application de gestion économique de projets permettant de passer des logiques
comptables en plan comptable normalisé, à des logiques de responsables de
projets, disposant d'instruments de gestion spécifiques à leur projet (dans
nombre d'institutions, plusieurs projets sont développés en parallèle), de
tableaux de bord et de ratios non seulement économiques mais sociaux. Ce projet,
baptisé "Progestion" est sans doute complémentaire à d'autres initiatives qui se
sont développées dans le secteur des entreprises.
Une rencontre des
logiques sociales de la Communauté française et économiques de la Région
wallonne paraît ici vivement souhaitable.
(Octobre 1987)

|