L'école et l'entreprise,
quelle collaboration ?
Jacques
DUPONT
Licencié -
Traducteur (Anglais - Néerlandais) (Ecole d'interprètes internationaux -
Centre universitaire de Mons) -
Sous-Directeur au Centre éducatif communal secondaire et supérieur non
universitaire à Charleroi
Forcée ou
contrainte, l'école doit s'ouvrir aux réalités du monde extérieur.
Les enseignants de tous niveaux, et surtout ceux de l'enseignement
technique, professionnel et de promotion sociale, ne peuvent ignorer
l'ordinateur les machines à commande numérique, les matériaux
composites, l'introduction de l'informatique dans les domaines comme
la comptabilité, la gestion, l'industrie mécanique, la
biotechnologie, la construction,...
Le budget de l'Education
nationale prévoit une somme de 90 millions pour l'équipement des écoles. Comme
cette somme ne permet pas de lourds investissements, les pouvoirs organisateurs
doivent effectuer un choix, mûrement réfléchi, à l'issue d'un large tour
d'horizon opéré dans les entreprises. Notons, à cet effet, l'existence du Club
Athena Technologies - Education, créé en février 1985 par Melchior Wathelet,
Ministre des nouvelles technologies pour la Région wallonne. Ce club s'est fixé
pour objectif de regrouper, de manière pluraliste, toutes les forces vives qui
s'occupent en Wallonie des nouvelles technologies afin de permettre aux
enseignants et industriels de se rencontrer.
Dans un monde qui évolue
à une rapidité inouïe, on constate que les grandes découvertes technologiques
ont vu le jour au cours des 30 dernières années et qu'il est donc essentiel pour
les jeunes de développer un maximum d'aptitudes aux transferts, aux mutations.
C'est donc la formation générale qui devra être privilégiée pour permettre aux
jeunes de se réorienter. Mais en vue de préparer notre jeunesse aux transferts,
une étroite collaboration entre la recherche, l'école et l'entreprise est
indispensable.
L'école se rend compte de
la nécessité de placer le jeune en situation de travail, d'autant plus que les
moyens financiers diminuent et qu'il n'est donc plus possible d'investir en
matériel hypersophistiqué pour assurer des formations de plus en plus
spécialisées. Rappelons que la subvention d'équipement est proportionnelle au
nombre d'élèves. Les syndicats sont réticents. Ils craignent ce type de
coopération car les jeunes seraient en quelque sorte "une main-d'oeuvre à bon
marché". Les écoles font de réels efforts pour répondre aux exigences des
industriels, mais certains d'entre eux ont, d'ores et déjà, jeté des ponts.
Ainsi Fabrimétal, pour le secteur métallique, a établi des profils pour des
métiers types de la mécanique, elle a précisé des niveaux de qualification que
devaient atteindre les jeunes aux termes de leurs études techniques ou
professionnelles. Il suffisait de traduire ces profils en termes de structures
et de programmes, mais à ce jour, rien n'est encore sorti. Fabrimétal a, en
outre, collaboré avec l'ONEM à la formation de techniciens qualifiés dans des
centres de perfectionnement et d'emplois où les jeunes qui suivent ces
formations ont 90% de chances d'être embauchés.

Cependant, à l'instar des
Etats-Unis, du Canada et de l'Allemagne, nos industriels, dont Fabrimétal,
préconisent la formation professionnelle en alternance dans les dernières années
de l'école technique et professionnelle. En Belgique, c'est dans le secteur des
fabrications métalliques qu'on a dispensé, à Liège, une formation en alternance,
avec l'aide du Fonds social européen qui a financé l'expérience à 50%. En effet,
au fil des années, les entreprises ont éprouvé de plus en plus de difficultés à
recruter du personnel qualifié. Des séquences de formation en entreprises furent
donc introduites dès la 5e année: par l'intermédiaire de parrains volontaires,
les élèves étaient confrontés au travail et à la vie sociale de l'entreprise. De
gros problèmes subsistent néanmoins pour généraliser cette initiative car les
patrons refusent de rémunérer la formation pratique. Pour eux, les jeunes
n'effectuent pas un travail, ils reçoivent une formation. Pourtant, les
avantages de ce système coopératif qui favorise l'alternance des études à
l'école, des stages dirigés dans l'entreprise et éventuellement pour les
étudiants de l'enseignement supérieur, des stages en milieu de recherche, sont
indéniables. On a constaté de nombreux avantages, aussi bien pour la formation
théorique que pour la relation pédagogique: l'étudiant manifeste un intérêt plus
marqué pour ses études et en retire plus de satisfaction, il a davantage
l'occasion de mettre ses talents et ses connaissances à l'essai, il peut tester
son sens des responsabilités. En favorisant sa maturité, son stage lui permet de
s'auto-évaluer et éventuellement de changer d'orientation.
Afin d'introduire
valablement cette formation en alternance, et permettre d'adapter les formations
techniques aux technologies de pointe, il faut se préoccuper également du
recyclage des enseignants, mais des motifs financiers entravent sa mise en
oeuvre. En effet, le recyclage des enseignants doit s'effectuer, pour être
efficace, dans le cadre de leur carrière professionnelle. Il suffirait dès lors
de prévoir dans leur carrière un certain nombre de mois destinés au recyclage
pour supprimer les obstacles du moment.
Mais l'enseignement est
confronté à un autre problème: les normes de rationalisation et de programmation
de nouvelles sections. L'industrie appelle de ses voeux l'organisation de
graduats qui répondraient aux nouveaux profils de formation qu'elle a elle même
définis. Ainsi, une école doit compter 160 étudiants et toute nouvelle création
doit atteindre le chiffre énorme de plus de 30 inscrits en lère année.
Face à toutes ces
rigidités, une nécessité s'impose: créer une fondation Enseignement - Entreprise
qui réunirait les trois réseaux d'enseignement, les représentants de la vie
économique et industrielle ainsi que les responsables politiques concernés.
Cette fondation serait dotée d'un pouvoir de décision qui lui permettrait de
déterminer les profils professionnels, de gérer les crédits et les biens
d'équipement,d'assurer la formation continuée des enseignants et d'élaborer une
politique cohérente de formation, bref, de coordonner au maximum les ressources
existantes.
A ce stade de mon exposé,
il conviendrait également d'épingler les efforts considérables déployés par
l'Institut de l'Entreprise avec le concours de sponsors. Nous déplorons très
souvent que les jeunes diplômés ne connaissent pas leur futur milieu de travail.
Or, ces dernières années, grâce à l'Institut de l'Entreprise, les stages pour
jeunes se sont multipliés. Son action "chantier - enseignement et dialogue avec
les jeunes" a connu cet été un large succès avec le lancement de l'opération
"Banque de données - stages des jeunes".
L'Institut organise des
visites d'entreprises, des rencontres avec leurs dirigeants, de conférences. En
outre, elle établit de nombreux dossiers et documents de travail plus
particulièrement destinés à l'enseignement supérieur. Par ses initiatives, l'IDE.
veut aider les jeunes à s'imprégner plus facilement de l'esprit d'entreprise.

Par sa campagne en faveur
des stages et des jobs pendant les vacances et les temps libres, l'Institut de
l'Entreprise veut donner la possibilité à tout jeune de 16 ans et plus d'avoir
accès à une banque de données qui contiendra plus de 20.000 adresses et points
de contacts relatifs à des stages sportifs, culturels, linguistiques,
informatiques, qu'ils soient rémunérés ou non, tant en Belgique qu'à l'étranger.
L'Institut se devait de prendre une telle initiative car la vie en entreprise
demande de plus en plus d'allier une formation performante à des qualités telles
que culture générale, résistance physique,esprit d'équipe, savoir informatique,
connaissance des langues, expérience. Ces qualités ne sont guère innées, elles
peuvent s'acquérir très tôt dans le cadre des études, mais aussi et surtout
pendant les loisirs.
N'oublions pas de
rappeler qu'une certaine collaboration entre l'école et le monde du travail se
pratique déjà depuis que la loi a imposé l'avis éclairé de jurys formés de
praticiens et de responsables des différents secteurs de la vie économique pour
la sanction finale des études. Il en va de même pour les jurys chargés de
décerner le Certificat de qualification aux élèves de l'enseignement technique
et professionnel.
Dans nos établissements
scolaires, où nous dispensons des formations plus spécifiquement axées sur les
services aux personnes, nos chefs d'ateliers se tiennent constamment au courant
de l'évolution des modes et des techniques grâce à de fructueux contacts avec
les milieux professionnels.
Vous l'avez entendu, des
actions concrètes ont dépassé les discours académiques et même les opérations de
prestige. Imparfaites, sans doute, elles ont néanmoins le mérite d'exister mais
il s'agit maintenant d'amplifier le mouvement, c'est secteur par secteur qu'il
nous incombe d'ouvrir le dialogue entre l'école et l'entreprise afin de définir
les moyens à mettre en oeuvre pour l'avenir des jeunes wallons de l'an 2.000.
(Octobre 1987)

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