Une nouvelle école pour
une nouvelle société
Marcel
HANSKENS
Instituteur de l'Enseignement
primaire
Directeur d'école
Président CGSP Enseignement - Entité de Charleroi
La crise (pas
pour tous) qui sévit maintenant depuis plus de dix ans a frappé de
plein fouet le monde de l'éducation. L'école n'a jamais été, autant
qu'aujourd'hui, contestée et bafouée.
Sans faire du
corporatisme, (les autres groupes sociaux et en particulier la classe ouvrière
ont durement payé également), il faut bien convenir que l'enseignement a été une
cible privilégiée des gouvernements de droite. Atteint en tant que citoyen,
l'enseignant a vu également son "outil de travail" qu'est l'école, spolié dans
ses moyens de fonctionnement.
A cet égard, il est bon
de rappeler qu'en 1981, le budget de l'Education nationale représentait un peu
plus de 20% du budget de l'Etat. Par contre, en 1986, la part réservée à
l'enseignement n'atteignait plus que 16%. Il est donc faux de prétendre que
l'éducation coûte de plus en plus cher. La supercherie des gouvernants actuels
s'explique aisément quand on connaît leur volonté délibérée de mettre à mal une
réelle démocratisation de l'école et d'en revenir à un élitisme de bon aloi.
Les meilleurs exemples
dans ce domaine ne sont-ils pas:
-
la mise à mort de
l'enseignement de promotion sociale,
-
la suppression du
rénové dans le secondaire au profit d'un retour à l'élitisme, option
néo-libérale privilégiée.
Ce constat amer, d'une
école en crise, trucidée par la politique de droite, n'a pu se faire qu'avec la
complicité, parfois inconsciente, souvent manipulée d'une opinion publique où
les parents largement démissionnaires dans leur rôle d'éducateurs préfèrent
rejeter sur l'école les conséquences de leurs manquements.
L'objectivité conduit à
fustiger également l'apathie désenchantée des enseignants trop vite contraints,
ainsi que le manque d'unité des groupes de pression où le "front commun" n'a
jamais été qu'une vue de l'esprit.
Le décor actuel étant
planté, il convient maintenant, dans la perspective de l'école de l'an 2000, de
jeter en vrac quelques réflexions ou suggestions de nature à rendre notre école
future plus sociale, plus juste et plus adaptée, dans laquelle l'enfant
s'épanouira pleinement aux côtés d'enseignants responsables, motivés et ayant
retrouvé leur crédit dans une société que nous espérons plus juste, plus
harmonieuse et plus fraternelle.
L'école a toujours été le
reflet de la société existante. Le Pouvoir, fortifié par un système hiérarchique
tout-puissant n'a jamais demandé aux éducateurs que de façonner des élèves,
futurs citoyens, bien instruits sans doute mais surtout dociles et ne pensant
pas trop.
Les enseignants
conditionnés par le système ont bien rempli leur rôle! Les pouvoirs spéciaux
imposés par la droite n'auraient-ils pas dû provoquer une réprobation agissante
de l'opinion publique? Seule la gauche a lancé son cri dans l'indifférence
générale.
Pour réaliser des élèves
épanouis, assumant leur liberté, ayant l'esprit critique, le sens social,
créatifs, disponibles et compétents (comme le suggère le Projet éducatif de la
Ville de Charleroi), il importe d'abord que les enseignants possèdent ces
qualités.
Pour cela, il faut que la
hiérarchie éclate, que les enseignants aient leur mot à dire dans toutes les
réformes à venir. Il faut également que le corps inspectoral ne soit plus
seulement un ensemble de "missi dominici" du pouvoir central.
Il faut ouvrir nos écoles
aux groupes sociaux, (parents, groupes culturels). L'école doit redevenir un
centre d'éducation véritable mais aussi un point de rencontre accentué dans le
domaine culturel.
Un personnel
para-scolaire, statutaire, animerait et compléterait après la classe la mission
du personnel enseignant en organisant, au sein de l'école, des animations
culturelles et sportives, au profit de tous.
Afin d'éviter les échecs
nombreux, dès l'école primaire, il conviendrait aussi d'intensifier la mission
des PMS (psychologues, logopèdes, etc.) qui gommeraient, dès leur constat, les
lacunes constatées, chez les élèves par l'enseignant. Quelle économie en
perspective! En effet, moins d'échecs scolaires = moins d'adultes désarmés
intellectuellement = moins de chômeurs plus tard = moins de délinquance.

Enfin, énumérons quelques
moyens, plus ou moins importants, aptes à valoriser notre enseignement:
-
Dès le fondamental,
instauration du mi-temps pédagogique favorisant un équilibre harmonieux
entre les tâches physiques et mentales.
-
Dans le secondaire,
prolongeant l'action du primaire, valoriser un rénové adapté, tenant compte
des contraintes du savoir mais permettant à chacun de progresser suivant ses
moyens.
-
Dans la foulée, à
l'Université, s'inspirer des points ci-dessus pour parachever l'oeuvre
entreprise et former des "Hommes" à la mesure de Kipling
-
Introduire, pour tous
les niveaux de l'éducation, l'idée d'une année sabbatique à un moment de la
carrière, afin d'éviter l'essoufflement intellectuel des maîtres
-
Formation permanente:
à intégrer dans le temps de travail, les élèves étant pris en charge par un
pool d'intérimaires. A cet égard, également, instauration d'études uniques,
de la maternelle à l'Université. Diplôme obtenu, choix du niveau
d'enseignement suivant ses aptitudes. Barèmes revus.
-
Pour les écoles, mise
à disposition rapide et continue des résultats de la recherche universitaire
dans le domaine de la psychologie de l'enfant.
-
Statut financier:
pour éviter les inconvénients de la "carrière plane", instaurer un système
de bonifications obtenues par examens, ceux-ci préparés en formation
continue (voir 5).
-
Ecole pluraliste:
dans une Wallonie, maîtresse de son destin, abandon des clivages: école
libre, école officielle pour en arriver à l'école unique, pluraliste et
respectueuse des opinions de tous. Sans négliger l'avantage financier
incontestable, l'école pluraliste façonnerait des jeunes baignants dans une
tolérance agissante, gage d'une insertion aisée dans la société de demain.
Conclusion
La troisième révolution
industrielle terminée, la Wallonie de l'an 2000 sera ce que nous aurons voulu
qu'elle soit. Si nous prônons une société pluriculturelle, différenciée,
tolérante et respectueuse pour les Wallons de demain, il importe dès maintenant,
que les "décideurs", c'est-à-dire le pouvoir politique mais aussi les pouvoirs
financier, industriel, etc. - en un mot, les "forces vives" -, aient à l'esprit
que notre salut passe par un enseignement de valeur, crédible aux yeux de tous,
formant des citoyens wallons responsables, tolérants et compétents.
Ce vaste défi ne peut pas
être une utopie, notre passé l'atteste, nous avons les moyens de le relever,
tous ensemble, unis dans nos différences et transcendés par notre volonté de
marquer notre place dans une Europe des Régions.
(Octobre 1987)

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