Les bibliothèques
scolaires: infrastructure bibliothéconomique et environnement
pédagogique
Robert BOTTE
Licencié en Sciences psycho-
pédagogiques UEM
Agrégé de l'enseignement secondaire supérieur (UEM)
Bibliothécaire gradué
Instituteur
La note que
je propose dans le cadre de la préparation du Congrès organisé par
l'Institut Jules Destrée se rapporte à l'innovation "bibliothèques
scolaires centrales" qui est menée depuis quatre ans dans
l'enseignement fondamental communal de l'entité de Charleroi.
Le compte rendu d'une
telle entreprise s'inscrit dans le thème de réflexion annoncé dans la mesure où
l'implantation précoce de bibliothèques scolaires centrales contribue à préparer
au mieux l'intégration harmonieuse des élèves d'aujourd'hui dans "la société
wallonne de l'an 2000".
Pourquoi implanter des
bibliothèques scolaires alors qu'il existe des bibliothèques publiques?
D'une part, parce que,
dans l'entité de Charleroi, la majorité de ces bibliothèques publiques sont très
difficilement accessibles aux élèves pendant le temps scolaire. D'autre part,
parce que les bibliothèques scolaires préparent psychologiquement et
techniquement les enfants à fréquenter les bibliothèques. En effet, les élèves
se sentent progressivement impliqués dans la gestion de leur bibliothèque. De
plus ils se rendent naturellement compte que cette dernière, quelle que soit
l'importance de sa collection, a des limites auxquelles on pallie en sollicitant
les bibliothèques publiques.
Pourquoi organiser les
bibliothèques scolaires centrales alors qu'il existe des bibliothèques de
classes? Parce que la bibliothèque centrale présente sur la bibliothèque de
classe trois avantages non négligeables:
-
d'abord, sa
collection est importante et variée: elle répond mieux aux demandes des
élèves et permet de mener de véritables recherches documentaires;
-
elle oblige enfin les
élèves à effectuer un déplacement de leur classe vers ce local spécifique et
un tel déplacement constitue la première étape d'un déplacement vers la
bibliothèque publique locale.
Dans cette optique, il
importe que l'organisation des bibliothèques scolaires soit calquée sur celle
des bibliothèques publiques. Ainsi, nos élèves, qui sont habitués à fréquenter
une bibliothèque scolaire organisée sur le même modèle que les bibliothèques
publiques, passeront, pensons-nous, plus facilement en bibliothèques publiques
et les exploiteront d'une manière davantage optimale et autonome.
La note comprend deux
parties. La première partie concerne l'"infrastructure bibliothéconomique" que
nous installons dans les écoles. La seconde partie, de loin la plus importante,
présente l'"environnement pédagogique" vers lequel les écoles doivent tendre de
manière à ce que l'"infrastructure bibliothéconomique" installée ait quelques
chances de se transformer en véritables bibliothèques et surtout en
bibliothèques qu'on utilise vraiment.

1. Infrastructure
bibliothéconomique
Le fonds de livres qui
est rassemblé dans un local spécifique, il convient :
-
de l'organiser,
-
de l'accroître en
qualité,
-
de le mettre à la
disposition des élèves,
-
de l'étoffer par des
productions d'enfants et des écrits de la vie quotidienne.
C'est pourquoi
l'"infrastructure bibliothéconomique" mise en place au bénéfice des écoles de
l'entité comprend quatre secteurs d'activité en étroite inter-relation.
1.1. Schéma
d'organisation et de gestion s'inspirant de celles des bibliothèques publiques.
Exposé dans un "guide" à
l'usage des maîtres, le schéma d'organisation et de gestion est uniforme au
niveau de l'entité.
Mais il est suffisamment
souple pour respecter les spécificités de chacune des écoles et lui permettre de
fonctionner progressivement à des stades de plus en plus performants.
Il appartient donc à
chaque équipe éducative, en fonction de ses besoins, de ses ressources et de ses
contraintes, d'extraire de ce schéma les éléments qu'elle juge momentanément
opportun d'installer tout en sachant que le passage à un stade de fonctionnement
plus performant peut s'opérer ultérieurement par simple adjonction d'éléments
prévus.

1.2. Politique
d'accroissement et de prêt
La politique
d'accroissement et de prêt offre à toutes les écoles de l'entité les services
suivants:
-
des "catalogues"
annuels leur proposent un éventail diversifié d'ouvrages de qualité;
-
les livres choisis
leur parviennent uniformément étiquetés et fichés pour s'insérer en
collection et ce quel que soit le niveau de fonctionnement de la
bibliothèque;
-
comme tous les
ouvrages acquis sont recensés chaque année dans un "inventaire collectif",
elles peuvent se les prêter et évitent les doubles emplois lors de futures
commandes.
1.3. Ensemble de jeux
d'initiation où fonctionnement des bibliothèques scolaires
Les élèves découvrent
leur bibliothèque d'une manière fonctionnelle si, pour mener à bien un projet,
ils sont amenés à consulter les ouvrages récréatifs ou documentaires qui s'y
trouvent.
Cependant, la maîtrise
progressive des clés d'exploitation de la bibliothèque conduisant à
l'appropriation de plus en plus fine de ses collections se réalise aussi par le
biais de l'ensemble de "jeux" qui mettent à la portée des enfants les notions
comme les procédures du "guide" destiné aux enseignants.
1.4. Banque de données
et publications d'élèves tant informatives que documentaires
La "banque de données"
est quotidiennement alimentée par un dépouillement systématique de deux
journaux.
Elle permet, chaque
semaine, aux élèves d'une classe volontaire du degré supérieur d'élaborer un
"dossier thématique" et de participer à l'édition d'un "hebdomadaire
d'actualité". La motivation des enfants est renforcée par le fait que ces
publications sont diffusées à toutes les écoles communales, primaires et
secondaires, de l'entité.
Chaque "dossier
thématique" présente trois sections:
-
l'"actualité"
rassemble de courtes coupures de presse qui couvrent un événement;
-
la "documentation"
explicite les faits évoqués en recourant à des extraits d'ouvrages relatifs
où sujet;
-
la "bibliographie"
incite les lecteurs à retrouver en bibliothèques scolaires et publiques les
documents qui ont servi à l'élaboration du dossier.
Quant à l'édition de
l'"hebdomadaire d'actualité" qui présente les principaux titres concernant un
maximum de domaines, elle vise quatre objectifs:
-
rappeler les
événements marquants de la semaine écoulée;
-
familiariser avec les
cotes de rangement utilisées en bibliothèques scolaires et publiques;
-
favoriser la
conceptualisation des grandes classes du savoir;
-
affiner la prise
d'information.

2. Environnement
pédagogique
Qu'elle soit scolaire ou
publique, la bibliothèque n'est pas une fin en soi. Ce n'est qu'un moyen, parmi
d'autres, au service d'une politique éducative ou culturelle.
Il importe donc
d'entourer l'"infrastructure bibliothéconomique" d'un "environnement
pédagogique" favorable à l'exploitation de la bibliothèque. (Voir le diagramme
Bibliothèques scolaires ci-dessous).
En effet, il ne suffit
pas de créer des bibliothèques scolaires. Encore faut-il donner aux élèves la
possibilité [1], l'envie et les raisons [2], ainsi que l'habitude [3] de les
exploiter. Il faut aussi donner aux élèves les compétences nécessaires [4] à
leur exploitation. Il faut enfin donner aux élèves les moyens de maîtriser
l'information de la vie quotidienne [5] en les exploitant.
Cet "environnement
pédagogique" idéal vers lequel il faut tendre constitue un référentiel qui
permet à chaque école d'élaborer, en fonction de ses particularités, un "projet
bibliothèque" cohérent avec le "projet éducatif" de son pouvoir organisateur.
Pour ce faire et à propos
de chacun des cinq axes de l'"environnement pédagogique" idéal, nous nous
proposons de dégager les finalités à retenir en ce qui concerne l'élève, la
classe et l'école, la bibliothèque, le message écrit ou non, l'équipe éducative.
Notons que le référentiel
est structuré de manière à souligner, où travers des cinq axes, que si la
volonté pédagogique de l'équipe éducative n'existe pas, la bibliothèque reste
sous-exploitée, que, dans l'affirmative par contre, la bibliothèque renforce les
moyens pédagogiques que l'école met en oeuvre pour servir les valeurs et les
principes de son "projet éducatif".
Axe 1: donner à l'élève
la possibilité d'exploiter la bibliothèque
Selon le "projet
éducatif" de la Ville de Charleroi, l'élève doit progressivement assumer des
libertés comme des responsabilités [valeur 3], faire preuve d'autonomie et
d'initiative [valeur 4].
Le décloisonnement des
classes ainsi que l'interdisciplinarité des matières (moyen 4) permettent à
l'élève d'exercer réellement ces valeurs. Une telle organisation de l'école
permet notamment de conduire des projets.
Une telle organisation de
l'école donne aussi à l'enfant la possibilité d'exploiter d'une manière optimale
la bibliothèque, laquelle renforce alors le moyen [4] que l'école met en oeuvre
pour atteindre les valeurs [3] et [4] de son "projet éducatif".
La bibliothèque est donc
un local accessible en toute sécurité selon des règles de circulation et de
fréquentation établies en commun. Elle est agencée pour fonctionner en
consultation comme en prêt. On y garantit en permanence l'accueil et
l'encadrement des enfants. Son climat social est identique à celui qui règne
dans les classes.
Les livres sont non
seulement rassemblés mais aussi et surtout organisés pour être mis à la
disposition des élèves. L'équipe éducative a une vision positive de l'enfant.
Chacun de ses membres, ou tout au moins la personne-relais, se forme à la
bibliothéconomie.

Axe 2: donner à l'élève
l'envie et les raisons d'exploiter la bibliothèque
Selon le "projet
éducatif" de la Ville de Charleroi, l'élève doit être progressivement amené à
faire preuve de curiosité et de créativité [valeur 6], à questionner l'écrit, à
découvrir et à construire son savoir.
Une pédagogie active et
motivante [moyen 1] stimule le questionnement de l'élève tandis qu'une pédagogie
valorisante de la réussite [moyen 3] l'accompagne dans sa production. Une telle
pédagogie mobilise la mise en oeuvre de projets et fait en sorte que chaque
projet entrepris soit mené à bon terme.
En apportant la double
conviction que le savoir comme le plaisir sont attachés à la lecture, que le
questionnement de l'écrit est nécessaire à la poursuite d'un projet, une telle
pédagogie donne aussi à l'enfant l'envie et les raisons d'exploiter la
bibliothèque, laquelle renforce alors les [moyens 1] et [3] que l'école met en
oeuvre pour atteindre la [valeur 6] de son "projet éducatif".
La bibliothèque est donc
un lieu engageant et familier. C'est un cadre de travail et de détente. C'est
aussi un centre de ressources documentaires et récréatives.
La collection est
attrayante et pour le rester, elle est régulièrement entretenue. Elle est
susceptible d'intéresser les enfants et de leur apporter les réponses aux
questions qu'ils se posent. La sélection des ouvrages est opérée selon des
critères de qualité. Chaque livre est équipé pour faciliter son repérage par les
élèves. L'écrit est perçu comme une source de savoir et de plaisir tandis que la
lecture est rendue essentielle dans la mesure où on l'intègre à la vie de
l'école. Il convient de privilégier la bonne littérature pour enfant.
L'équipe éducative incite
et facilite. Ses membres s'attachent à promotionner la bibliothèque et ont
préalablement défini et trouvé les moyens de fonctionnement de celle-ci.
Axe 3: donner à l'élève
l'habitude d'exploiter la bibliothèque
Selon le "projet
éducatif" de la Ville de Charleroi, il importe que chaque élève actualise au
mieux ses potentialités tant dans la dimension individuelle que dans la
dimension sociale [principe 1]. Pour ce faire, il faut le reconnaître dans ses
intérêts, dans son individualité [valeur 1] et dans sa personnalité [valeur 2]
mais en même temps il convient de l'amener à développer son sens social [valeur
5].
On favorise ce double
épanouissement en pratiquant une pédagogie à la fois sécurisante et socialisante
où alternent les activités individuelles qui permettent à l'élève d'affirmer sa
personnalité et les activités collectives qui favorisent sa socialisation (moyen
2). Une telle pédagogie multiplie et diversifie les opportunités de mener à bien
des projets individuels et en groupes, des projets pour soi comme pour les
autres.
Une telle pédagogie donne
aussi à l'enfant l'habitude d'exploiter la bibliothèque pour y rencontrer des
écrits variés, des lecteurs différents et ainsi accroître ses chances
d'accrochage avec la lecture. Cette bibliothèque renforce alors le [moyen 2] que
l'école met en oeuvre pour atteindre les [valeurs 1],[2] et [5], ainsi que le
[principe 1] de son "projet éducatif".
La bibliothèque est donc
un environnement d'imprégnation à la lecture. C'est aussi un lieu de relation et
de communication à propos de l'écrit, une zone d'affichage, d'exposition et
d'animation autour du livre.
Le fonds de livres est
suffisamment diversifié pour rencontrer les préoccupations de chaque enfant. On
assure un équilibre et on établit une liaison entre ouvrages de fiction et
autres. L'écrit est un support pour communiquer et la lecture est envisagée dans
sa fonction de communication. La bonne littérature pour enfants est d'ailleurs
un message qui leur est adressé et qu'ils peuvent partager avec d'autres.
Chaque membre de l'équipe
éducative donne l'exemple du vrai lecteur. Il installe et soutient l'habitude de
lire en établissant la médiation entre le livre et l'enfant, en guidant le choix
de l'élève dans la diversité de l'écrit.

Axe 4: donner à l'élève
les compétences nécessaires à l'exploitation de la bibliothèque
Selon le "projet
éducatif" de la Ville de Charleroi, l'élève ne devient autonome que dans la
mesure où il possède les compétences [valeur 8] utiles à l'exercice de cette
autonomie.
Ces compétences, l'élève
les acquiert grâce à une pédagogie fonctionnelle où la méthode de travail, en
général, et la pratique de décodage, en particulier, sont basées sur l'émission
et la vérification d'hypothèses [moyen 1]. Une telle pédagogie permet de mener à
bien des projets de plus en plus ambitieux.
Une telle pédagogie donne
aussi à l'enfant les compétences nécessaires à l'exploitation de la
bibliothèque, laquelle renforce alors le moyen 1 que l'école met en oeuvre pour
atteindre la valeur 8 de son "projet éducatif".
La bibliothèque constitue
le terrain tout indiqué pour maîtriser ses clés d'exploitation et s'initier au
fonctionnement des différents types de livres. Elle aide aussi à la
conceptualisation et à la classification des principaux domaines du savoir.
C'est un endroit où l'apprentissage de la lecture s'opère en prêtant et en
soutirant des significations et s'ancre dans la conviction que lire vaut la
peine. C'est enfin le lieu idéal où se forment les lecteurs polyvalents.
Pour faciliter la
recherche, les livres de la collection sont clairement signalés et catalogués.
L'écrit respecte les faits de langue et répond aux attentes des enfants. Il
convient de se tourner vers la littérature qui a un sens pour l'enfant et de
considérer la lecture dans sa fonction signifiante.
L'équipe éducative
apporte une aide significative à la production d'actes de lecture et veille à ce
que le rapport enfant-écrit s'établisse en termes fonctionnels ou tout au moins
fonctionnalisés.

Axe 5: donner à l'élève
les moyens, par l'intermédiaire de la bibliothèque, de maîtriser les
informations de la vie quotidienne.
Selon le "projet
éducatif" de la Ville de Charleroi, l'élève est préparé à la vie [principe 2],
est amené à s'ouvrir au monde et à ses inévitables mutations si on développe
chez lui, d'une part, son esprit critique [valeur 4], d'autre part, sa
disponibilité, c-à-d la faculté de se remettre en question et de s'adapter au
changement [valeur 7].
Une pédagogie qui prend
en compte les stimulations de l'école "parallèle", qui prend en compte les
technologies nouvelles [moyen 5], une pédagogie qui implique, qui conduit à l'auto-formation
et surtout à la formation permanente [moyen 6] ne peut que favoriser l'insertion
de l'élève, ne peut que faciliter sa conquête perpétuelle du savoir. Une telle
pédagogie intègre les informations scolaires et de la vie quotidienne dans des
projets scolaires mais aussi para-scolaires, c'est-à-dire orientés vers
l'environnement.
Une telle pédagogie donne
aussi à l'enfant les moyens de maîtriser les informations de la vie quotidienne
en exploitant la bibliothèque, laquelle renforce alors les [moyens 5] et [6] que
l'école met en oeuvre pour atteindre les valeurs [4] et [7] ainsi que le
[principe 2] de son "projet éducatif".
La bibliothèque est un
carrefour d'informations internes et externes à l'école. C'est une ouverture sur
le milieu. Elle fonctionne en réseau avec les autres bibliothèques scolaires et
constitue un relais vers les bibliothèques publiques et les diverses sources
d'écrit.
La collection s'élargit
aux divers médias audio-visuels ainsi qu'aux autres formes d'imprimés. Elle
s'ouvre aussi à la littérature non-commerciale qui considère la réalité sociale
avec lucidité et humanité. Il apparaît clairement que l'écrit n'est pas le seul
moyen d'information et doit être approché d'une manière critique. Quant à la
lecture, elle est reconnue dans son statut social et culturel.
L'équipe éducative est
élargie par divers intervenants extérieurs et chacun de ses membres est
conscient des enjeux scolaires, professionnels, sociaux et culturels de la
lecture ainsi que du fait que l'écrit est un savoir qui existe indépendamment du
maître et de l'école.
(Octobre 1987)

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