Ecole
et développement culturel
Paul ARON
Docteur en Philosophie et
Lettres
Assistant à l'ULB
Jean-Maurice ROSIER
Docteur en Philosophie et
Lettres
Professeur à l'Athénée royal de Soignies
La situation
présente de la Wallonie se caractérise par la non-existence d'un
peuple-nation, au sens gramscien de ce terme. L'on a beaucoup
épilogué sur ce phénomène, dont les causes sont multiples. La
principale demeure sans doute la disparité existant entre un
mouvement national flamand ayant réalisé son unité idéologique grâce
à une fusion entre intellectuels organiques (les petits curés et
Conscience...) avant de se donner une dimension politique et un
mouvement francophone à la recherche d'une unité culturelle en voie
d'être forgée péniblement dans un contexte politique défensif. Là,
un dynamisme unitaire, paraissant (pour le moment du moins)
transcender les différences subrégionales et les oppositions de
classes;ici, une démarche chaotique où demeurent vivaces les
particularismes locaux et l'asynchronie masses/intellectuels. Sur
ces derniers continuent à peser les traditions livresques
parisiennes - au titre de centre culturel de la francophonie -, la
permanence de la pseudo-identité nationale (ou provinciale) et la
culture médiatisée anglo-saxonne. Au-delà d'une utopie de l'"Europe
des régions", nous mettons ici en évidence l'inadaptation des formes
étatiques à la société pluri-culturelle wallonne (francophone). En
particulier, à l'heure où la communautarisation de
l'enseignement semble prendre corps, s'impose la nécessité urgente
d'instaurer un lieu où faire émerger la mémoire historique
de la région et un espace créatif pour l'imaginaire social et
collectif. Plus difficile - et d'autant plus urgente - qu'en période
de croissance ou de plein emploi, s'impose ainsi le besoin d'une
Ecole qui participe de et à la prise de conscience régionale et qui
s'ouvre au développement des technologies nouvelles.
Nous voulons encore dire
notre crainte que, même communautarisée ou formellement dépendante de la Région,
l'Ecole continue à échapper aux caractères spécifiques de la Communauté ou de la
Région. C'est pourquoi nous avançons ci-après une série de propositions pour
revaloriser la mission éducative et sociale de l'Ecole dans la Wallonie de
demain. Celles-ci concernent, il faut le rappeler, l'un des rares "gisements"
encore exploitables dans le Sud de la Belgique: la matière grise, atout maître
dans ces "trocs" qui seront peut-être la ressource de notre économie de demain
et un investissement stable dans les échanges Nord/Sud.
Ces propositions
s'adressent surtout aux niveaux secondaire et supérieur de l'enseignement.

1. Elaboration d'un
statut de l'enseignant chercheur, afin que ce dernier puisse participer à
l'exécution de programmes d'autoformation.
Dans le domaine des
sciences humaines notamment, on doit repenser l'investissement actuellement
consenti pour la formation de chercheurs à temps plein à qui le marché de
l'emploi n'ouvre guère de possibilités de rentabilisation du savoir accumulé. Il
paraît intéressant d'accorder une partie des fonds de la recherche scientifique
à des projets de recherche fondamentale ou appliquée concernant l'interface
enseignement/recherche. D'offrir un système plus souple permettant, au gré des
besoins et des demandes, de libérer les énergies créatrices des intellectuels de
la région (années sabbatiques, conventions de recherche etc...). De multiplier
l'existence de carrières à la fois fiables (titularisation) et variées dans
leurs domaines d'intervention. En un mot: de se donner les moyens de créer, via
l'enseignement et la recherche, un corps d'intellectuels organiques!
L'idéal serait sans doute
d'arriver à une intégration des différents réseaux universitaires existant dans
une Université wallonne pluraliste et pluri-centrée. Mais il faudra dès demain
songer à la complémentarité entre les réseaux existants: seul gage de la
non-extinction de pans entiers de secteurs à faible fréquentation dans chacune
des universités.
Ainsi pourrait s'exprimer
l'affirmation d'un rapport régional dans la confection des moyens d'enseignement
(manuels, édition, logiciels...) et dans l'orientation des programmes de
recherche.

2. L'ouverture de
l'enseignement à ces nouveaux contenus est inséparable de la construction de
modèle(s) pédagogique(s) destiné(s) à former des citoyens respectables.
Le modèle appropriatif
élaboré par M. Lesne, qui s'inscrit dans la tradition déjà ancienne de
l'apprentissage actif et producteur, nous paraît répondre aux exigences
présentes. Il suppose une socialisation effective des apprentissages qui ouvre
l'école sur le monde extérieur. Il exige par ailleurs que soit accordée à
l'enseignant une part croissante d'autonomie et de responsabilité dans sa
pratique pédagogique . Une action pédagogique conséquente s'inscrit dans un
champ déterminé par trois articulations: formative (nous venons de l'évoquer),
pédagogique et sociale. Pédagogique, parce qu'il s'agit de former les acteurs du
changement social en négociant par une pédagogie du projet les rapports au
savoir et au pouvoir. Ce contrat est nécessairement spécifique et régional dans
la mesure où il prend en compte le besoin des enseignés et tend à répondre à
l'émergence d'une société wallonne pluriculturelle. Cette insistance sur une
pédagogie différenciée est essentielle dans la mesure où l'école actuelle
n'assure pas la prise de conscience de l'identité wallonne et que cet échec se
déroule à travers des pratiques scolaires bien concrètes. Sociale ensuite, car,
pour mettre à jour des savoirs nouveaux, l'innovation pédagogique seule ne
suffit pas. Il faut donc tout à la fois socialiser les apprentissages et créer
des relations permanentes entre l'Institution scolaire, les T. V. régionales et
les associations de base en général. Cette fusion permet de procéder à des
activités totalisantes où l'école n'est plus coupée du devenir régional.
3. Une transformation
institutionnelle de l'école en un service public à la gestion multipartite et
démocratique.
Sans ce type de gestion
qui sous-entend que l'école est l'affaire de tous, il n'y aura pas dans la
communautarisation de l'enseignement qu'une adaptation de l'Ecole au processus
de déqualification consécutif à la désagrégation de notre tissu industriel. Dans
cette optique, il est nécessaire que l'école s'approprie à nouveau des pans
entiers d'une formation qui tend de plus en plus souvent à être confiée à des
organismes extérieurs au système éducatif. Nous pensons en effet que la
formation permanente est aussi une dimension du système scolaire régional.
Telles quelles, ces
propositions modestes tendent à faire de l'Ecole un lieu de création et de
transformation plutôt que d'intégration.
(Octobre 1987)

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