Quatres Messages à la
Wallonie
Riccardo
PETRELLA
Directeur du programme FAST
(Prospective et Evaluation de la Science et de la Technologie) -
Commissions européennes
J'avais pensé
apporter un message optimiste et puis je me suis dit qu'en tant que
Calabrais, ressortissant d'une région parmi les moins développées en
Europe, je n'étais pas qualifié pour le faire parce que l'avenir que
l'on promet à la Calabre, c'est un futur sans avenir et je ne peux
pas être très optimiste. J'allais alors essayer d'apporter un
message réaliste basé sur les faits, sur des contraintes, voir un
peu quelles sont les réalités du monde, bref un message peut-être un
peu noir. Je me suis rendu compte que ce n'était pas possible non
plus étant donné que je suis un eurocrate. En effet, l'Europe n'est
pas simplement la question agricole, l'Europe n'est pas simplement
la bataille entre les gens, l'Europe, c'est aussi quelque chose que
l'on veut construire ensemble. L'Europe est porteuse, effectivement,
du message de créativité des Européens. Bien entendu, il y a aussi
les discours incantatoires derrière l'Europe et avec l'Europe. Mais
l'Europe, c'est plus qu'une incantation.
Finalement j'ai découvert
que, en plus d'être un Calabrais et un eurocrate, je suis surtout un chercheur.
J'ai trouvé quatre choses et c'est cela les quatre messages que je voudrais
aujourd'hui vous apporter en tant que chercheur.

1. Le premier message
c'est que la planète sur laquelle nous vivons, (excusez-moi si je pars de très
haut), est en pleine transformation. Ces transformations se caractérisent
aujourd'hui par le fait que chacun, chaque pays, chaque peuple, chaque Etat,
quelle que soit sa puissance, quelle que soit sa dimension est en train de se
redéfinir, de retrouver la base d'une nouvelle histoire.
Nous, comme Européens,
nous sommes en train de nous rechercher; cela fait quarante ans que l'on essaie
de s'organiser, de retrouver notre propre histoire, si il y en a une; on la
crée.
Si vous prenez la
Norvège, depuis des années, les Norvégiens ont lancé un grand projet collectif
qui s'appelle "Norvège 2000" et parmi les scénarios les plus probables qu'ils
sont en train d'explorer (et contrairement à 1973 lorsqu'ils ont décidé de ne
pas entrer dans le Marché commun), le seul scénario qu'ils se donnent pour leur
pays en l'an 2000, c'est de faire partie de la Communauté. Et les Norvégiens en
sont malheureux. Ils se demandent ce qu'ils vont faire: rester Norvégiens ou
être Européens ou .... De là l'arche du monde.
Le Portugal a décidé il y
a quelques années de faire partie de l'Europe et pourtant au Portugal, les gens
ont combattu entre cette dualité qui fait partie de l'histoire du Portugal,
celle d'être à la fois une espèce de fenêtre de cette péninsule de l'Asie qu'est
l'Europe, et puis l'Atlantique - d'ailleurs récemment un romancier très fameux
au Portugal, a écrit un roman dans lequel il situe le Portugal au milieu de
l'Atlantique sans espace et sans temps-. Le Portugal aussi se recherche, pas
seulement après 1974, il se recherche dans son histoire.
Les Allemands sont
toujours concernés par le fait qu'il y a deux Etats allemands et un Mur. Il
suffit que vous alliez à Berlin pour constater comme cela fait partie de la
réalité présente. Je me demande si Gorbatchev ne sera pas celui qui éliminera le
Mur de Berlin. J'étais avant-hier à Dusseldorf, pour parler avec les autorités
de Nordrhein Westfalen et nous parlions aussi du futur . Vous savez que le
Nordrhein Westfalen est le land le plus important, le plus grand. Il n'y a pas
mal de pays dans le monde qui n'atteignent pas la capacité financière,
technologique, économique ou de population de Nordrhein Westfalen. Et bien eux,
leur problème c'était celui de dire "qui suis-je? Nordrhein Westfalen, qui
suis-je?"
Et d'ailleurs puisque
tout à l'heure je parlais du Mur de Berlin et de Gorbatchev, pensez à cette
société énorme qu'est l'URSS qui, avec la "glasnost" essaie de se transformer,
qui a un problème d'histoire domestique et qui dit au monde "S'il-vous-plaît,
n'essayez pas de nous mettre dans les conditions de devoir détourner la plupart
de nos énergies à être une puissance militaire, laissez-nous, s'il-vous-plaît,
essayer de faire la réforme dans notre pays."
Et si vous regardez le
Japon, le Japon mondialisé, leader mondial, l'intérieur du Japon commence à
craquer; le vieux ne se retrouve plus, la famille ne se retrouve plus, les
jeunes filles qui avaient fait dans les années 70 la force de la pénétration
japonaise dans le monde, rappelez-vous ces 250.000 jeunes filles qui
travaillaient dans les îles pour produire des micro-processeurs à bas prix, ces
jeunes filles n'acceptent plus et le Japon commence à craquer de l'intérieur.

Et les Etats-Unis: alors
que depuis plus de cent ans, ils sont une société en ascension permanente, pour
la première fois dans leur histoire, ils sont en train d'expérimenter ce que
d'autres ont fait avant eux: le déclin. Et cela pose des problèmes aux
Etats-Unis.
Pourquoi fais-je toute
cette énumération? Cela à l'air de vouloir faire un exemple de survol planétaire
pour dire: "Ah les eurocrates malgré tout savent dans quel monde ils
vivent". C'est parce que le premier message que je voulais vous dire, à vous,
les Wallons qui êtes à la recherche de votre identité, est celui-ci: vous n'êtes
pas les seuls à essayer de construire l'histoire de votre passé pour construire
votre avenir. Nous sommes tous dans une force constituante, nous sommes tous
dans une société qui est en train de se transformer, chacun de nous doit se
reconstituer de manière active pour projeter vers l'avenir sa propre identité.
Dante disait que finalement,(et c'est aussi cela mon message), quand vous
avez un compagnon dans le malheur, la peine est un peu diminuée.
Mais au-delà de cela, le
message de cette première réalité multiple, c'est que, effectivement, dans votre
recherche d'identité, de votre place pour l'avenir, il y a la place pour tout le
monde. Il n'y a pas une histoire mondiale unitaire. C'est cela que je voulais
vous dire. Les Etats-Unis, le Japon, l'Inde, le Portugal, la Norvège, chacun, le
Nordrhein Westfalen, chacun ont une histoire à eux. Il n'y a pas une histoire
mondiale unique, uniforme, ou homogène malgré toutes les forces qui essayeront
de la rendre telle. Et donc il y a de l'espace pour une Wallonie déclinée au
futur.
1.2. Deuxième point que
je voulais souligner, c'est que nous vivons une étape où six piliers
fondamentaux de la société dans laquelle nous avons vécu jusqu'à présent -
c'est-à-dire la société industrielle au stade national - sont en train de
disparaître. Peut-être que pour certains de ces piliers, cela prendra encore
cent ans; pour d'autres c'est déjà fait. Il me semble, par exemple, que l'un de
ces piliers était l'économie mixte. Nous vivions dans une situation où les
acteurs dits privés et les acteurs dits publics géraient la location des
ressources disponibles pour la meilleure production de valeur ajoutée et pour le
meilleur mécanisme de distribution de la richesse obtenue. Et bien cette
économie mixte est à sa fin.
1.3. Nous sommes entrés
dans une phase où il y a un processus d'économie à base privée, régie par des
mécanismes et des dispositifs d'allocations des ressources gérés par des grandes
organisations privées à l'échelle mondiale.
Dans cette modernisation
de l'économie, il n'y a pas d'économie mixte. Pour l'instant, il y a une
économie privée, qui est en train de se bâtir, de se développer. Il n'est pas
possible, pour l'instant, de faire une économie mixte à l'échelle mondiale.
1.4. Quatrième point.
Nous avons perdu l'unicité de la parole. Moi je suis un Calabrais dont le
premier code linguistique était le calabrais. J'ai été éduqué dans la langue
italienne. En tant qu'eurocrate, je dois parler au moins encore deux autres
langues. Chacun de nous, nos enfants, les autres, les jeunes désormais n'ont
plus l'"unicité du code linguistique". Ils sont pluri-linguistiques. Nous allons
vivre dans une permanence de pluralisme linguistique à l'avenir. Pensez qu'en
l'an 2020, dans les pays de la Communauté européenne, la deuxième langue parlée
d'Europe sera l'arabe.
Tous les débats vis-à-vis
de cette unicité ou non-unicité de la parole (faut-il utiliser l'anglais ou pas,
faut-il conserver les dialectes ou pas,...?) n'ont de sens que dans la mesure où
on accepte cette diglossie et cette pluralité de la langue.
1.5. Cinquième point. Un
autre pilier de la société dans laquelle nous avons vécu était un peu la
justice, la répartition, l'organisation sociale. Et bien, un de ces piliers, les
syndicats, a perdu du pouvoir. Et si vous allez en Angleterre, il n'y a que 8%
de syndiqués. Si vous allez en France, désormais les syndicats ont perdu leur
prestige. Demandez à Edmond Maire que j'ai vu il y peu. Si vous allez en
Allemagne, vous comprenez ce que c'est. Si vous voyez en Italie, les syndicats
sont souvent amenés à faire les discours de Fiat...
1.6. Sixième point. Le
travail humain aussi a changé. Ce Congrès a insisté beaucoup sur ce sujet: nous
avons nos usines, nos bureaux, de plus en plus remplis de machines qui
remplacent les gens, hommes et femmes.
Le deuxième message que
je tire de tout cela, (pêle-mêle, je n'ai pas hiérarchisé ces faits, je ne les
ai pas mis ensemble, je les ai donnés comme ils sont, bien entendu cela m'aurait
pris beaucoup d'heures de vous expliquer parce que j'ai une théorie sur les
choses, mais ce n'est pas l'objectif de cet exposé), c'est que ces phénomènes
sont extrêmement complexes et l'approche qui dit "il n'y a qu'à", c'est une
approche mauvaise. "Il n'y a qu'à faire ceci, il n'y a qu'à faire cela, il n'y a
qu'à faire de l'innovation technologique, il n'y a qu'à donner de la francité,
il n'y a qu'à mettre les Wallons ensemble, il n'y a qu'à tout cela,...". C'est
trop simpliste. Et la logique du "il n'y a qu'à" est une logique mauvaise.

2. Tout cela nous montre
que nous sommes entrés dans une phase constituante, qu'il faut rebâtir tous les
éléments de l'édifice. Non pas ex-nihilo, ex-novo, mais nous sommes entrés dans
une période de créativité, et ce que je veux tirer comme message ici, c'est que
ce fait là c'est enthousiasmant, c'est beau. C'est beau de se trouver dans une
période où l'histoire est constituante au lieu d'être une histoire exécutive.
C'est beau de savoir que nous sommes en train de rebâtir les fondations
juridiques de notre société. Par exemple, s'il faut utiliser des
micro-organismes pour l'exportation commerciale ou faire de la manipulation
juridique, on est en train de rebâtir le droit. C'est beau de rebâtir le droit
en ce qui concerne l'utilisation de l'information. Jusqu'où, comment utiliser
les informations? Nous sommes en train de rebâtir l'éthique, nous sommes en
train de rebâtir nos cathédrales à la fois religieuses et industrielles. Nous
sommes en train de rebâtir nos champs. On met des micro-organismes, des machins
et autres choses, nous rebâtissons nos champs. Les paysans sont en train de
transformer, c'est beau tout ça. C'est enrichissant, c'est enthousiasmant. Et
vous, en Wallonie, essayez de faire en sorte que cette période soit
constituante!
3. La troisième analyse
que je voudrais apporter, (et là c'est vrai Michel Quévit, qui est un très bon
copain, - mais comme on dit en italien, et je crois qu'en français on le dit
aussi, en wallon aussi j'espère, "des amis me garde Dieu", parce que des ennemis
c'est moi qui m'en occupe -, m'a volé pas mal d'idées) est justement en rapport
avec ces projets, cette société en projet dont Michel Quévit a parlé si
brillamment et si intensément. Il ne faut pas mettre l'outil avant les hommes,
alors qu'aujourd'hui, si vous regardez autour de vous, la priorité est donnée à
l'outil, aux ordinateurs, aux satellites, aux fibres optiques, aux
micro-organismes, aux nouveaux matériaux, etc... On ne voit l'avenir qu'en
fonction de cela. Si on prend l'exemple de l'usine, on ne trouve que des
systèmes intégrés et flexibles. On voit tellement de robots mais on ne voit
jamais les hommes. Si on parle de l'usine du futur, on vous décrit un robot, on
ne vous décrit pas l'ouvrier. Si on pense à la maison de demain, on vous dit:
"Cette maison sera intelligente parce qu'on y mettra des machines", en ne se
rendant pas compte que l'on n'aura pas nécessairement pour cette raison une
maison intelligente. Si on pense au bureau de demain avec toujours des "work
stations" comme diraient les Américains (et peut-être une belle secrétaire
autour d'un ordinateur, - jamais les managers autour, parce que ça c'est pas
beau - mais une belle secrétaire autour de la "work station", qui vous
téléphone. Vous verrez, ça c'est la seule occasion où l'on voit les hommes, dans
cette conception technologique masculine dominante: la femme est un objet au
service des formes autour d'une machine. Vous rigolez, mais ça c'est la
réalité). C'est la logique du "il n'y a qu'à". "Il n'y a qu'à qu'introduire des
objets peu performants, à bas prix pour être compétitifs sur ce point et tous
les problèmes seront résolus".
C'est l'outil qui est
devenu la finalité. L'outil est un moyen formidable, fantastique, pourquoi pas.
Moi, je préfère voyager en avion que marcher. Pour aller à Florence, oui,..
l'outil est devenu la finalité. Et on sacralise la performance de l'outil par
rapport au principe de rationalisation et de légitimation de la location des
ressources disponibles. On vous dit: "Aujourd'hui il faut dépenser davantage
pour développer l'outil". Et puis il faudra développer de l'argent pour former
les gens qui s'adaptent aux outils. Même la politique d'investissement autour de
la formation et de l'éducation se préoccupe de cette question: comment adapter
mieux les hommes et les femmes à l'outil?
Mon troisième message,
est donc "Wallons ne faites pas ça". Ne donnez pas la priorité à l'outil. Faites
que l'outil devienne un moyen pour l'objectif que vous vous êtes donné. Mais ne
pensez pas que l'avenir, la Wallonie au Futur sera uniquement une Wallonie
déclinée en termes technologiques.

4. D'après nos travaux,
quatre éléments sortent d'une tentative de comprendre le rôle de la région en
Europe et dans le monde. Et ici, si vous voulez, ma thèse est la suivante: c'est
la région qui peut aider l'Europe et le monde mais pas l'inverse. Contrairement
à la période où l'Europe se construit et devient une vache à lait, une espèce de
caisse d'épargne ou caisse de financement: le FEDER, le FEOGA, etc... Jusqu'à
présent l'Europe a été intéressante parce qu'elle a donné des sous. A partir du
moment où elle ne donne plus de sous, ça n'intéresse plus personne. Pourquoi
contacte-t-on le FEDER? Pour les investissements: les paysans vont là parce
qu'ils ont des fonds de garanties ou des ressources agricoles; les travailleurs
en chômage, parce qu'il y a le Fonds européen social. Si vous enlevez tout cela,
l'Europe ne signifie plus grand chose pour les gens. De plus, quand les gens
reçoivent de l'argent du FEDER ou du FEOGA, ils n'osent pas le faire savoir dans
les chantiers parce que les Etats membres n'ont pas envie de faire savoir que
leur développement même technologique a été alimenté par de l'argent qui vient
de l'Europe.
Quatre éléments
renforcent l'affirmation selon laquelle les régions peuvent être davantage
utiles à l'Europe que l'Europe pour l'instant aux régions.
4.1. Le premier c'est que
les régions sont obligées de faire une nouvelle alliance entre deux éléments:
d'un côté la mondialité et de l'autre la localité. Je dirais presque dialogue,
c'est-à-dire avoir une "double logique" (de dialogue: deux logiques). La région
ne peut être désormais effectivement que transnationale: être insérée dans un
processus de transnationalisation des activités, des services de production, de
la culture. Les Wallons étaient en Autriche, au Vietnam, ailleurs, comme dans le
temps ils avaient été en Espagne, aux Etats-Unis, au Québec, ou ailleurs. C'est
la transnationalité implicite de la réalité régionale. Il n'y a plus de région
qui soit uniquement fixe dans une réalité locale uniquement. Par définition la
créativité wallonne (je parle de Wallonie parce que nous sommes là) sera à
usage, à destination transnationale. Et je dirai que, par rapport à la région et
à l'Europe (dont ce Congrès a parlé) et le monde (qui était mal défini dans ce
Congrès), l'un des rôles des régions dans cette transnationalité c'est surtout
de s'intéresser aux gens du Tiers-monde. Parce que cette transnationalité amène
à être bien, à être dans le temps des mutations de demain. Les mutations les
plus importantes, les plus significatives pour la planète entière concerneront
les six milliards de gens qui dans trente trois ans vivront dans les régions
tropicales et sub-tropicales et dont l'espérance de vie commence déjà à
diminuer. Contrairement à tout ce qu'on peut penser, l'espérance de vie de la
race humaine diminue à l'échelle mondiale et n'augmente plus. Mais cette
transnationalité ne peut être (je peux vous donner des statistiques d'ailleurs)
fixée dans le local parce qu'il n'y a pas de véritable transnationalisation sans
ce départ d'une identité, d'une réalité qui démarre d'une source et d'un projet
local.
4.2. Le deuxième élément,
c'est un dialogue, "nouvelle alliance" entre l'élitisme (si je peux m'exprimer
ainsi) et la démocratie. On ne veut pas valoriser (c'est le mot le meilleur). Il
faut le meilleur bien sûr. Mais je ne veux pas bâtir une histoire de meilleur.
Et il faut que le système d'allocation des ressources disponibles passe par des
dispositifs qui permettent à la créativité de tous de s'exprimer: l'accès,
l'initiative, la capacité créatrice sont associées à des dispositifs qui
multiplient la capacité d'accès des gens, et ne réduisent pas cette possibilité
d'accès en fonction de certains critères ou paramètres servant le mieux
l'objectif donné.

Donc un dialogue entre
élitisme et démocratie passe par des dispositifs qui permettent la culturation,
et la créativité du plus grand nombre. Cela était déjà dit, je ne pouvais que le
confirmer.
4.3. Troisième dialogue,
entre la pluralité et la spécificité. Aucune société ne sera plus mono. Toute
formation sociale de demain sera plurielle. Nous sommes dans une société où la
pluralité, la diversité, la complexité font partie intrinsèque et extrinsèque de
tout être individuel et collectif. Prendre conscience de cette pluralité
comporte toute une série de choses sur les plans pratiques et opérationnels. Si
la pluralité restait un mot vain, bien entendu "business is so sure" comme
diraient les Américains, on ferait les choses comme auparavant. Mais si cette
notion de pluralité devient quelque chose de réel, demain ne sera plus comme
aujourd'hui. Mais c'est grâce au fait qu'on accepte que la prise en compte,
l'adoption de cette pluralité se fait réellement qu'on pourra être spécifique.
Il n'y aura pas d'unicité de la pluralité. Le Sénégalais sera pluriel parce
qu'il est pluriel comme demain l'Hambourgeois (habitant d'Hambourg) sera pluriel
mais ils seront spécifiques: ils ne pourront pas être les mêmes.
Et c'est à travers la
manière d'exprimer cette pluralité que le monde progressera. Tout dispositif qui
empêchera cette spécificité dans la population et la pluralité d'expression
signifiera un pas en arrière de la conscience et de la société morale mondiale.
4.4. Quatrième point.
Duel dialogue. C'est un dialogue entre la production de l'innovation et l'usage
de nouveaux produits et services. Tout à l'heure, le Professeur De Landsheere a
dit, avec le brio et l'intelligence qui le caractérisent (si je peux m'exprimer
ainsi, parce qu'il a parlé beaucoup d'intelligence), que tout le problème de
l'usage de l'ordinateur à l'école est central et qu'il ne suffit pas d'avoir un
ordinateur à l'école pour que l'école devienne plus intelligente. Il faut aussi
savoir l'utiliser.
Et bien c'est par là que
passe une société qui est mise en mesure de pouvoir s'approprier des usages,
inventer ses propres usages dans la spécificité, dans la démocratie et
l'élitisme, dans la mondialité et la localité. Cette société-là ira de l'avant.
C'est ainsi à mon sens
qu'aujourd'hui la région peut apprendre à l'Europe et au monde à aller de
l'avant. Les mutations ne sont pas mondiales. Les mutations ont toujours lieu
dans des lieux précis, dans des micro-systèmes. La transformation de l'appareil
industriel due à la technologie n'est pas au niveau mondial; elle a lieu d'abord
ici, à Liège, quant on voit qu'une firme ou une entreprise ferme. C'est là qu'on
comprend qu'il y a une mutation technologique. Quand il y a une catastrophe à
Milan ou à Cologne, c'est là qu'on comprend que la vulnérabilité du système dans
lequel nous vivons est importante, qu'il faut maîtriser cette vulnérabilité du
système.
C'est au niveau des
réalités micro-locales que les grandes mutations se font, sont vécues, assumées,
interprétées et peuvent devenir source de projet. Le monde n'existe pas. Le
monde en tant que tel, c'est une réalité abstraite. Elle est faite par les
réalités micro. Et bien en ce sens là, je crois que c'est concret à démontrer
que les régions et la Wallonie non seulement existeront encore en l'an 2000,
mais que la volonté de faire que le monde existe, un monde qui réponde peut être
mieux aux fins des personnes, et pas simplement un monde qu'organisent des
outils en fonction d'une attendue supériorité de la productivité.

Je crois que je peux
remercier en votre nom à tous le message de Monsieur Riccardo Pétrella qui, quoi
qu'il en dise, était, tout de même réconfortant, de savoir que nous ne sommes
pas les seuls à la recherche de notre devenir, de notre futur.
Le mot de la fin de nos
travaux, il revient, comme il se doit à l'Institut Jules Destrée et à son
Président qui a pris la responsabilité d'organiser ces assises et c'était toute
une responsabilité, avec tous les aléas et les appréhensions que ça pouvait
comporter au départ. Et ce qui ne gâte rien d'ailleurs, ce Président, Jean-Pol
Demacq, qui, à l'issue de cette séance dans quelques minutes aura la gentillesse
de nous offrir le verre de l'amitié. Jean-Pol tu as la parole.
(Octobre 1987)

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