Allocution
Jean-François RASKIN
Représentant le
Ministre-Président de l'Exécutif régional wallon, Melchior Wathelet
Je suis
particulièrement heureux qu'un tel colloque ait été organisé sur le
devenir, le futur de notre région. Heureux parce que c'est
certainement depuis longtemps la réflexion la plus intéressante et
la plus riche tant par les thèmes choisis que par les personnalités,
hommes d'action et/ou intellectuels qui y ont participé.
Au nom du
Ministre-Président Melchior Wathelet, je voudrais remercier et féliciter les
organisateurs, les initiateurs pour cette contribution à la définition d'un
nouveau paradigme pour la Wallonie.
Lors de ma courte
allocution, je voudrais donner un bref aperçu de l'image avec ses points noirs
et ses lueurs d'espoir de la Région wallonne qui est telle qu'elle peut
apparaître aux yeux des hommes politiques, une image qui, vu le temps qui m'est
imparti ne sera qu'incomplète et imparfaite.
Tout d'abord, il faut
bien parler de la situation économique, énoncer clairement le contexte général
de celle-ci, en ne négligeant pas, et d'autres l'ont fait dans les carrefours et
les ateliers, la comparaison avec la région flamande et les autres régions
d'Europe.
Première question: quel
est le poids de l'industrie en déclin? En 1984, dernière statistique disponible,
la répartition régionale de l'emploi entre secteurs progressif, intermédiaire et
régressif, indique que dans les deux Régions 30% de l'emploi sont situés dans
les secteurs régressifs. Il y a depuis quelques années un glissement très net de
l'emploi vers les secteurs progressifs et par là, j'entends bien sûr, les
secteurs de technologies nouvelles, l'informatique, les nouveaux matériaux, la
robotique, les télécommunications, la bio-technologie. Entre 74 et 84, la part
relative de l'emploi a diminué de 10% dans les secteurs régressifs et augmenté
de 7% dans les secteurs progressifs. En Flandre, par contre, les chiffres
étaient respectivement de 3% et 4%.
Il faut bien sûr pondérer
ces chiffres en tenant compte que nous partons d'une situation plus défavorable
et qu'il est toujours plus facile de monter plus vite quand on est au début
d'une côte. Une certitude cependant, c'est que l'outil industriel wallon se
transforme et se débarrasse du lourd héritage d'une structure industrielle
défavorable. Et deuxièmement, lorsque l'on affine l'analyse, celle-ci met en
évidence des sous-secteurs aux performances comparables entre les deux
principales régions de ce pays: nous pensons aux secteurs chimiques,
alimentaires, du matériel de transport, caoutchouc, plastique, construction
électrique, électronique, tandis que dans d'autres secteurs de pointe, nous
sommes plus performants et je voudrais ajouter à ce que Monsieur Quévit vient de
dire que ce sont des Américains avec des gens de chez nous qui font de la
Wallonie une terre d'élection, un centre de la bio-technologie mondiale:
Phytotec, pour ne prendre qu'un exemple, spécialisé dans la bio-technologie des
plantes, a été créé à Gembloux par les apports complémentaires de partenaires
wallons et américains.

Une importante société du
secteur pharmaceutique a mis au point l'année passée avec nos chercheurs le
premier vaccin contre l'hépatite B produit par recherches génétiques et le
commercialise. Dans le domaine de l'aéronautique et de l'aéro-spatiale, nous
participons activement au grand programme européen Airbus et Ariane. Avec
l'Institut d'Astrophysique de l'ULg, nous disposons en Wallonie d'un des quatre
centres d'essais coordonnés de l'Agence spatiale européenne. Et ce sont des
chercheurs wallons qui ont mis au point la caméra embarquée à bord de la sonde
Giotto pour photographier la comète de Halley, mission qui, vous vous en
souvenez, a fait la fierté des Européens. Ils participent pour le moment, à la
mise au point de nouveaux satellites, comme Météosate ou Iparcos.
D'après une étude récente
réalisée par la KUL à la demande d'IBM, le secteur informatique et construction
matérielle ne se porte pas trop mal en Wallonie, avec 45,2% de l'emploi contre
28,8 en Flandre et 25,2 à Bruxelles. L'installation du nouveau laboratoire Shell
à Louvain-la-Neuve va créer 250 emplois de haut niveau, et j'en passe, et j'en
passe.
Cette évolution favorable
est confirmée par quatre faits. D'abord le fait que les gains de productivité en
Wallonie, d'après les sources du VEV, sont les plus importants du pays.
Deuxièmement, et deuxième confirmation, qui provient des données relatives à
l'investissement et témoigne elle aussi d'une tendance de résolution pour notre
avenir. Malgré le climat socio-économique pesant, (il y a cette brutale et
difficile reconversion industrielle), les opérateurs économiques ont continué à
avoir confiance dans l'avenir de la Wallonie puisque d'après les statistiques de
l'INS, sur la période de 80 à 85 dans plus de la moitié des secteurs
industriels, le taux d'investissement par rapport au chiffre d'affaires en
Wallonie fut supérieur ou égal à celui observé dans les autres régions du pays.
Une autre donnée statistique de l'INS nous apprend que les dépenses
d'investissement par personne occupée dans les établissements industriels en
activité, pour la période de 76 à 83 sont, à l'exception de l'année 79,
systématiquement les plus élevées.
Troisièmement, une
troisième confirmation, concerne l'exportation, (encore que la croissance
absolue ou relative des exportations d'un pays, d'une région, d'une entreprise
ne constitue pas en soi un indicateur de bonne santé économique mais peut être
le signe d'une dépendance excessive vis-à-vis du tonus de la demande étrangère
ou vis-à-vis de centres de décisions situés à l'étranger). Les données de l'INS
nous apprennent que les taux d'exportation de la Wallonie sont orientés à la
hausse et comparables à ceux du Nord du pays.

Quatrièmement et
quatrième confirmation de cette évolution, je la reprend dans l'étude récente
menée par le consultant "Heller General Factoring" et qui démontre que le moral
remonte dans les PME wallonnes, dont les patrons affichent maintenant un
optimisme hors du commun. Suivant les statistiques du registre national du
commerce, la création nette d'entreprises représente en Wallonie un pourcentage
du total national nettement supérieur à sa participation relative au produit
intérieur brut.
Ces exemples et bien
d'autres montrent que, consciente de ses potentialités et des ses atouts, la
Wallonie est prête aujourd'hui à miser sur l'avenir en pariant sur ses
ressources humaines, sa créativité et les technologies nouvelles. Aucune
société, souligna Jacques Attali, n'est sortie d'une crise sans réunir trois
conditions qui sont invariablement les mêmes: premièrement disposer de
ressources financières, deuxièmement contrôler une technologie qui réduit les
coûts sociaux, troisième avoir un projet culturel qui donne un sens à cette
réduction.
La Wallonie a conquis
aujourd'hui ces conditions: elle a un projet politique pour valoriser,
promouvoir et féconder ses atouts, entraîner et stimuler ses forces vives. Vous
me direz que cela ne va pas tout seul et qu'il y a des catastrophes localisées
et je pense, vous pensez sûrement à Unisys, Cuivre et Zinc ou Mémorex. Il y a
aussi le problème de l'emploi: la Wallonie a eu le courage de mener souvent de
manière douloureuse les restructurations qui étaient nécessaires. On ne peut lui
reprocher maintenant un taux important de chômage qui en est la conséquence,
mais il faut lui permettre d'avoir les instruments nécessaires pour affronter
efficacement ce véritable drame humain parce que les responsables politiques ne
peuvent laisser la société s'engager dans une voie de dualisation sans cesse
croissante entre les citoyens disposant d'un emploi et ceux qui en sont démunis
avant d'être de plus en plus marginalisés. Parce que les responsables politiques
ne peuvent pas être indifférents au drame collectif que représente le fait que,
pour un bon nombre de jeunes, leur première expérience professionnelle soit le
chômage. Parce que tant sous l'angle de la justice sociale que sur celui de
l'efficacité économique il est plus important de procéder à une redistribution
de l'emploi qu'à une redistribution des revenus ou à une amélioration des
revenus disponibles. Le danger est en effet de consentir des efforts pour
augmenter la consommation de biens importés qui n'auraient aucun effet positif
sur la relance de la machine économique de notre pays. Il faut cependant
rappeler que le nombre d'emplois perdus ou à perdre doit être comptabilisé par
rapport aux statistiques globales du chômage, ou que nos emplois perdus doivent
retenir autant l'attention que le nécessaire emploi gagné puisque le chômage est
relativement stable. Cela n'est cependant pas suffisant et loin de moi tout
triomphalisme dans ce domaine. A cet égard les pistes dégagées dans ces deux
journées me paraissent être dignes d'intérêt. Le phénomène observé en Wallonie
est le même en Flandre; il résulte de la même cause: l'assainissement
industriel. C'est ainsi que Beckaert vient de licencier 1.200 personnes et ...
s'apprête à se séparer de 2.000 travailleurs.
Dans ce deuxième temps,
je voudrais m'arrêter sur probablement le point le plus encourageant dans cet
ensemble. C'est la prise de conscience wallonne, la fierté de l'être, mais pas
dans l'opposition aux autres, dans la plainte permanente, mais dans le
volontarisme positif. Non seulement, les Wallons renouent avec leur vocation
planétaire mais ils réorganisent leurs champs économiques. C'est une profonde
modification des mentalités que nous observons aujourd'hui. Hier, les Wallons
étaient aux Etats-Unis, au Japon, en Afrique occidentale et septentrionale, en
Allemagne, au Portugal. Aujourd'hui, ils sont de retour au Québec, en URSS, au
Japon, au Pays-Bas, en Autriche, en Afrique. De même le redéploiement wallon
s'accompagne d'initiatives socio-économiques originales de plus en plus
nombreuses. Les entreprises, au travers de groupements d'entreprises de services
communs, abandonnent les relations verticales pour des relations horizontales;
des réseaux d'accompagnement et de solidarité se créent et, à ce propos, c'est
un tel alliage de relations, d'inter-faces et de connections qui a contribué,
entre autre, à la réussite de la Silicon Valley aux Etats-Unis.
Je voudrais ici faire une
parenthèse et insister sur l'importance du consensus qui a probablement été
témoin de cette deuxième évolution, et je voudrais citer quelques moments
stratégiques pour la Wallonie où tous les partenaires sociaux se sont retrouvés
ensemble pour défendre les mêmes thèmes. Je pense notamment au contrat Télécom
et à la décision de créer un comité de suivi des décisions du 11 août. Je pense
également au domaine de l'aéronautique où la stratégie industrielle a fait
l'objet de concertations allant d'une démarche avec les partenaires du secteur
industriel jusqu'à ceux de l'entreprise faisant d'objet de certaines
restructurations financières. Je pense enfin au grand marché de 1992 où une
concertation new-look, comme l'a qualifiée le Ministre-Président Melchior
Wathelet, va être lancée et où tous les partenaires sociaux ont marqué leur
accord pour en être.

C'est une Wallonie très
souvent forte et unie aussi qui se présente à l'Etranger. Elle sera à Davos, en
88, invitée par le Forum mondial de l'Economie en compagnie de sept autres
régions du monde qui ont été remarquées pour leur dynamisme et l'originalité de
leur démarche industrielle dont l'Etat de New-York, l'Etat de Hong-Kong et
Berlin. Elle accueillera enfin dans huit mois l'Assemblée générale des Régions
d'Europe, le Conseil des Régions d'Europe, dont la Wallonie est leader dans le
domaine d'une concertation d'échange et la définition d'une politique
industrielle dans le domaine des technologies nouvelles. La Wallonie est donc
présente sur le plan international.
Je voudrais terminer cet
exposé par un point important pour la Wallonie de demain et vous l'aurez deviné,
ce sont les étapes futures de la réforme des institutions et en corollaire, le
dialogue communautaire.
Il y a déjà quelques
mois, le Ministre-Président Melchior Wathelet insistait sur le fait que le
problème que nous connaissons ne pouvait se régler que dans le cadre d'une
négociation de Communauté à Communauté en abordant sans blocage ni tabou les
préoccupations propres à chacune des composantes du système politique belge. Je
suis heureux de constater qu'une certaine unanimité se dégage sur cette manière
de voir les choses même si rien là encore n'est réglé: il y a accord pour la
négociation; restent certains tabous persistants. Et j'aimerais tracer avec vous
quelques principes qui devraient être retenus pour préparer les étapes futures
de la réforme de nos institutions. J'en vois au moins quatre: l'autonomie, la
cohérence, la coopération, le règlement des conflits, la solidarité, la
responsabilité.
Premièrement: l'autonomie
et la cohérence. Depuis 1980, l'expérience nous a appris beaucoup de choses.
Premièrement, que la régionalisation a permis de pacifier un maximum de conflits
dans les domaines compétents des Communautés et des Régions. Deuxièmement,
beaucoup de points de blocage, et de non décision restent au sein de l'Etat
central, par exemple, le problème des mandataires des communes à statut spécial
mais aussi le financement des secteurs nationaux et des commandes publiques.
Troisièmement, l'émiettement des compétences empêche souvent de mener des
politiques articulées et multiplie des sources de conflits entre les diverses
instances des pouvoirs. Une amélioration de la dévolution des compétences aux
Régions et aux Communautés apparaît donc comme souhaitable dans le sens d'un
accroissement des autonomies régionales, mais aussi dans le sens d'une cohérence
qui permet d'éviter la multiplication des centres de décisions politiques. Dans
cette perspective, il ne faut donc pas exclure la rationalisation de certaines
compétences aujourd'hui régionalisées. Ce souhait d'une amélioration de la
dévolution des compétences aux Régions et aux Communautés ainsi que d'une
cohérence accrue dans la répartition des compétences est un objectif des
responsables politiques flamands. Les thèmes de revendication, par rapport à l'Etat
belge, sont d'ailleurs bien connus: pouvoir fiscal accru au sein de la
communauté flamande, communautarisation de l'enseignement, communautarisation de
la coopération développement, régionalisation de la politique scientifique. La
Wallonie n'a pas l'intention d'entrer à reculons dans cette nouvelle phase de
régionalisation mais, je dis simplement, que l'ordre de préférence dans la
réorganisation de l'Etat ne doit pas se réduire à celui de la Flandre.
Deuxièmement, la
coopération. Le corollaire de l'accroissement des autonomies, c'est la
coopération entre les Régions et les Communautés. Certes, il est difficile de
démontrer que la voie coopérative donne plus de cohérence, d'efficacité et
d'unité à l'action des pouvoirs dans un pays qui ne donne la voie que d'une
solidarité imposée. En revanche, on peut affirmer que les efforts communs, que
ce soit en matière de recherches, de relations extérieures, de politiques
industrielles décidées librement et conjointement avec le choix des ressources
que chaque Région entend y consacrer, constituent des facteurs de cohérence,
d'efficacité, d'unité solidement ancrés dans la volonté des électorats des
différentes régions.
Et nous voyons déjà
s'amorcer ce type de coopération, que ce soit dans les secteurs de
bio-technologie, de l'aéronautique, de recherches sur l'utilisation social du
vidéotexte, ou encore dans la tenue des grandes foires internationales.
Il y a donc avantage en
Belgique à mettre sur pieds des instances et à mettre au point des procédures
qui auront pour fonction de favoriser ces coopérations plutôt que de réserver
systématiquement à l'Etat central le rôle d'arbitre lorsqu'il y a conflit, voire
même avant qu'il ne se manifeste.
Nous devrons, un jour,
tenter de définir ensemble ce que nous attendons encore d'un Etat central qui,
au contraire de nier le fait fédéral, collaborera efficacement et loyalement
avec ses Régions et ses Communautés. Ainsi, par exemple, dans le domaine des
relations extérieures, l'Etat, les Communautés, les Régions qui se trouvent sur
un pied d'égalité mais dans un état de dépendances réciproques, doivent définir
des règles d'association qui leur permettent d'articuler leur politique.

Troisièmement: le
règlement des conflits. L'expérience du comité de concertation entre le
gouvernement et les exécutifs régionaux et communautaires, alors même que,
depuis 85 il fonctionne avec des exécutifs politiquement homogènes, montre qu'il
faut réfléchir à créer des mécanismes de règlement de conflits plus efficaces.
Mécanismes qui seront d'autant moins sollicités que des structures politiques
améliorées auront diminués ces sources de conflits. Cet objectif pourra être
atteint en repensant le rôle de la Chambre et du Sénat et des Assemblées
régionales et communautaires, en évitant les conflits d'intérêts issus des
doubles casquettes que portent les parlementaires belges. Il faudra aussi avoir
réglé le statut des mandataires publics des Communes à statut spécial, selon, et
sur ce point en tout cas ,il semble qu'il y ait accord général, selon les règles
d'un code de bonne conduite, en présumant la connaissance des langues d'usage
dont la preuve contraire ne pourrait être admise qu'au travers d'actes officiels
et en s'appuyant sur la courtoisie linguistique comme on s'appuie sur la bonne
foi dans le droit des contrats.
Quatrièmement:
solidarité, responsabilité. Le problème du financement des autonomies régionales
et communautaires est bien évidemment au coeur de ce dialogue de Communauté à
Communauté. Les principes de base devraient en être "responsabilité et
solidarité". Responsabilité, car dans tous les systèmes politiques développés,
les consensus ne réussissent guère plus qu'à des niveaux décentralisés. Il faut
en conséquence disposer des moyens adéquats de financement et ainsi redistribuer
les moyens entre le pouvoir central et les niveaux de responsabilités
politiques. Deux orientations majeures doivent être suivies en la matière: les
Régions doivent disposer de moyens fiscaux pour organiser cette responsabilité,
laissant à chacune d'entre elles le soin d'en assumer les gains et les pertes
qui y sont associés et deuxièmement, il faut favoriser les impôts exclusifs
plutôt que concurrents, faute d'organiser des irresponsabilités. La solidarité,
la mesure de la solidarité, c'est la mesure du vouloir vivre ensemble, en dehors
d'une solidarité fondée sur l'existence d'un pouvoir central; des mécanismes de
péréquation financière entre régions doivent être prévus. Il convient donc de
prévoir des systèmes de compensation dans l'hypothèse où d'importants différends
de capacité contributive de région devraient apparaître.
J'ai brossé en quelques
minutes un tableau certes sommaire et politique de la Wallonie mais qui je crois
illustre bien les enjeux auxquels nous sommes et seront confrontés. C'est Gaston
Berger qui disais "Demain ne sera pas comme hier, il sera nouveau et dépendra de
nous". Il est moins à découvrir qu'à inventer.
(Octobre 1987)

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