Rapport de l'atelier
n°14 :
Les relations sociales
Rapporteur
Michel MOLITOR
Les débats de
l'Atelier 14 consacrés aux relations sociales se sont inscrits dans
une perspective générale présente dans d'autres ateliers: la
reconstruction de l'action économique et sociale en Wallonie. Les
notes préparatoires comme le travail de l'atelier ont un
dénominateur commun -la nécessité d'innover et d'établir de
nouvelles relations sociales en Wallonie- et un objectif commun-
promouvoir la croissance et le développement économique.
Les notes préparatoires
avaient surtout insisté sur deux points:
-
les contraintes
nouvelles pesant sur l'action économique de l'entreprise et leur impact sur
les relations collectives de travail;
-
les changements
affectant la conduite des acteurs syndicaux et patronaux.
Les débats de l'atelier
ont été plus loin dans l'exploration des relations sociales et de leur contenu
renouvelé. Le débat a été d'une sincérité fort intéressante et donc riche, même
si l'ensemble des interlocuteurs présents sur le terrain de l'action économique
et sociale en Wallonie n'étaient pas représentés.
Lors du débat, on n'a pas
rediscuté des conditions nouvelles de l'action de l'entreprise (modification
dans l'organisation du travail, exigences et rentabilité, changements
technologiques) sinon pour souligner qu'elles constituaient dorénavant le décor
ou les contraintes à l'intérieur desquelles se développaient les relations
sociales.
Par ailleurs, plusieurs
contributeurs avaient analysé les transformations auxquelles était confronté le
syndicalisme et les difficultés qui s'ensuivaient: transformations de sa base
sociale, inadéquation des structures syndicales par rapport à l'espace
international, croissance de l'individualisme et des réflexes défensifs,
différences entre actifs et inactifs, etc. Comment, dans ce contexte de mutation
rapide, peser à nouveau sur les mécanismes de décision? Comment développer de
nouvelles modalités concrètes de solidarité (par exemple à travers une sécurité
sociale renouvelée nourrie non seulement des transferts du travail mais aussi
par les transferts des gains de productivité)?
Les débats ont permis
d'aller encore plus loin sur ce point. On a souligné la véritable mutation
culturelle que devaient opérer les organisations de travailleurs dans un certain
nombre de matières:
-
ainsi, on souligne
que le syndicalisme est encore trop souvent marqué par des orientations "anarchosyndicales"
et qu'il n'est pas facile d'arriver à un véritable "syndicalisme de
proposition"; autrement dit, on ne passe pas rapidement d'une logique de
partage à un projet de développement.
-
De la même manière,
il n'est pas aisé de passer d'une action centrée sur la grande entreprise à
une action orientée vers des PME; le nouveau tissu industriel confronte le
syndicalisme à un nouvel apprentissage.
-
Le syndicalisme a
encore une vue très catégorielle des secteurs d'activité. Or ceux-ci
évoluent très rapidement, en raison notamment des changements
technologiques. Ceci dit, la prise en compte de cette nouvelle donnée
pourrait l'amener à contribuer très efficacement au remaillage du tissu
industriel.
Les employeurs ne sont
pas absents de cette interrogation sur leur action. La Wallonie n'a pas de forte
tradition d'un patronat régional très identifié à une dynamique de développement
- notamment en raison du caractère plus national que régional du tissu
industriel wallon. On souligne néanmoins l'émergence progressive de chefs
d'entreprise ayant une conscience aiguë de leurs responsabilités en cette
manière. S'ils n'estiment pas que leur vocation première est de créer de
l'emploi mais bien de la richesse, ils ne désolidarisent pas, bien au contraire,
le succès de leur entreprise du développement de leur région.
Ceci dit, l'action
collective du patronat - notamment son implication dans la concertation -
nécessite une adaptation profonde aux données de la régionalisation et, au-delà,
aux exigences spécifiques du développement régional.
En effet, les
organisations patronales demeurent essentiellement nationales en raison,
principalement, du caractère national des structures industrielles.

Les organisations
patronales régionales du nord et du sud du pays n'ont ni le même rôle, ni le
même statut. Le patronat flamand n'a pas attendu les lois de régionalisation
pour créer une structure régionale d'action collective patronale gérant les
initiatives propres; en Wallonie, l'organisation patronale wallonne est une
structure plus fragile créée à côté des structures nationales et qui, sauf dans
certaines matières, n'est pas encore un partenaire social à part entière dans la
concertation.
Cette analyse de
l'adaptation des interlocuteurs sociaux à la régionalisation a entraîné le débat
à se porter sur la régionalisation de la concertation sociale elle-même. Le
sentiment général est que la concertation est liée aux lieux du pouvoir. Sa
régionalisation s'opérera quand le pouvoir de décision sera plus clairement et
surtout plus réellement régionalisé.
Diverses analyses
montrent que la régionalisation de la négociation pourrait avoir des effets
positifs notamment sur les matières amont et aval des conditions de travail. Par
contre, une négociation régionale des salaires pourrait s'avérer très
problématique. Il est rappelé à cet égard que les employeurs wallons s'opposent
à toute négociation régionalisée des salaires et de la sécurité sociale et que
d'ailleurs il s'agit là de matières qui seront vraisemblablement traitées à
l'échelle européenne dans un avenir plus ou moins proche.
C'est cependant sur la
question du consensus ou, plus précisément, du compromis qui fonde les relations
sociales qu'on a été le plus loin dans la discussion. Plusieurs notes
s'interrogeaient sur les convergences qui avaient existé dans le passé entre les
interlocuteurs sociaux. Certains contributeurs estimaient que la recherche du
consensus entre interlocuteurs sociaux était une démarche adéquate pour
atteindre des objectifs de redéploiement industriel.
Après une longue
discussion, l'atelier a estimé que la notion de consensus était imprécise, que
le consensus n'était pas un programme en soi mais que le compromis était une
méthode qui permettrait d'arriver à certains objectifs:
-
l'objectif commun est
le développement (même s'il se traduit en significations concrètes
différentes pour les interlocuteurs);
-
cet objectif doit
être progressivement réalisé par des interlocuteurs ou des partenaires
autonomes mais
-
engagés les uns par
rapport aux autres à travers des relations contractuelles établies par la
négociation.
-
Cette négociation se
déroule dans un contexte original qui impose des priorités particulières.
Quels sont ces thèmes
nouveaux ou incontournables?
Très clairement la
question de l'emploi. D'autres thèmes ont été évoqués mais avec moins
d'insistance (affectation des gains de productivité, réorganisation des
conditions de production, etc...).
Le contenu de la
négociation est très important dans la mesure où il doit contribuer à
crédibiliser aux yeux de toutes les couches de salariés l'importance de la
concertation. C'est en effet dans la mesure où les matières négociées leur
sembleront crédibles et correspondre à leur expérience ou à leurs attentes que
les diverses catégories de travailleurs se retrouveront dans l'action collective
renouvelée.

Enfin, au-delà de la
question préjudicielle du compromis ou du consensus, on estime que le devenir
des relations sociales pourrait rencontrer des opportunités de renouvellement
relativement importantes à l'intérieur comme à l'extérieur de l'entreprise.
-
Dans l'entreprise,
les employeurs pratiquent aujourd'hui une "offre participative" souvent liée
à de nouveaux modes d'organisation du travail. Celle-ci, qui rencontre un
certain succès auprès de certaines catégories d'employés, désarçonne souvent
les organisations syndicales. Il ressort du débat que certains pensent que
cette relation plus directe avec le personnel pourrait parfaitement être
compatible avec un fonctionnement satisfaisant (et renouvelé) des relations
paritaires dans l'entreprise.
-
A l'extérieur de
l'entreprise, on estime urgent de revitaliser la concertation sociale. La
formule de la "concertation stratégique" qui articulerait la concertation
globale à la concertation dans l'entreprise (et ce, notamment, via les
conseils d'entreprise) semble une formule importante à tester.
Pour conclure, les débats
ont permis de situer les problèmes dont il faudrait poursuivre l'étude
ultérieurement. Dans la perspective d'une concertation régionale qui
contribuerait à donner sa substance à l'objectif de développement, il faudra
prendre en compte les données suivantes:
-
Dans une économie
qui, à la recherche de la compétitivité, organise la "flexibilisation des
conditions de travail", il s'agit d'examiner de contenu minimal des
garanties collectives dont devraient bénéficier les acteurs sociaux.
(Octobre 1987)

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