Rapport de l'atelier
n°10 :
Emploi, Travail et Solidarité
Rapporteur
Joseph GILLAIN
La note de
synthèse ci-jointe et relative aux treize contributions fournies a
été adoptée et a servi de base de travail aux nombreux et actifs
participants à nos réflexions.
Ceux-ci se sont vu
soumettre une analyse tripolaire au départ du constat suivant.
Notre système social
actuel fondé sur le travail - il se refuse encore à rencontrer efficacement la
notion de non-travail - repose sur l'apologie du meilleur, de la gagne à tout
prix. Facteur de concurrence, de lutte pour la vie, de violence, pareil système
ne peut être qu'inhumain s'il ne prend en compte que la productivité profitable
à quelques-uns sans faire référence au plus grand nombre, masse fatalement
marginalisée.
Dans cette mesure, la
Wallonie ne constitue-t-elle pas le creuset idéal de nature à permettre
l'analyse des moyens indispensables pour assurer le bien-être de sa population
sans rester en arrière?
Pour ce faire, deux
principes-paravents qui sont autant de nécessités absolues doivent s'imposer, à
savoir la sauvegarde de la solidarité et le maintien de la protection sociale.
Quelle était cette
analyse tripolaire?
1.
L'évolution de la société wallonne vers le monde dual est due à sa démographie
enrayée, à sa désertification économique et à la répercussion de ces deux
éléments sur l'emploi.
2. Les divers caractères
de la société duale se vérifient notamment dans les quatre considérations
suivantes:
2.1. il s'opère une
différentiation de statut chez les travailleurs subordonnés suivant la façon
dont ils peuvent s'adapter aux nouvelles technologies - "la civilisation de la
peine devient la civilisation de la panne" relevait Yves Lafargue dans le
quotidien "Le Monde" du 22 août 1987 -. Cette différentiation amène l'émergence
d'une minorité de "sachants" bien rémunérés et à l'emploi garanti et le
ravalement d'une majorité de travailleurs peu instruits et au statut précaire;
2.2. cette
différentiation viendrait de la nécessité économique d'adapter le travail
convenu aux nouvelles technologies. Celles-ci favorisent le travail atypique,
nécessairement flexibilisé et plus isolé;
2.3. pareil isolement
rend ineffectif le fait syndical, ce qui contribue à l'affaiblissement des
indispensables solidarités;
2.4. enfin, la
raréfaction du travail disponible augmente le nombre des sans-emploi. Elle
entraîne la mutation de la protection sociale du régime de la sécurité sociale
vers celui de l'aide sociale, ce qui pose le problème de la recherche d'un
financement adéquat.

3. Les perspectives
d'avenir ne sont guère réjouissantes pour la Wallonie tant la porte y est
étroite.
Sur base de ces
données, s'est entamée une discussion vive et constructive où, ainsi
que l'avait relevé un des rapporteurs généraux J.F. Escarmelle, chaque
intervention manifestait essentiellement la préoccupation professionnelle de son
auteur.
1.
L'évolution de la société wallonne vers un monde dual a été généralement admise
tout en étant déplorée. Un intervenant a cependant signalé que la dualité
s'était toujours vérifiée mais a convenu que la situation de turbulence que nous
connaissons en avivait les manifestations.
Pour en combattre les
effets, deux orientations ont été dégagées à savoir la réduction du temps de
travail d'une part, la prise en considération d'une société de non-travail et
d'une humanité auto-gérée, d'autre part.
Devant les interrogations
que pose l'évolution démographique et économique, a été mise en cause la
fixation de l'âge du départ à la retraite. Celui-ci doit-il être abaissé, relevé
ou maintenu? Peut-on envisager un type de société où la population se
répartirait en 25% de personnes actives pourvues d'un emploi stable, 25% de
travailleurs à statut précaire et 50% de personnes inactives? Ne doit-on pas, en
vue de mieux appréhender l'avenir, privilégier les moyens actuellement
disponibles en faveur de la formation et du perfectionnement des citoyens se
situant dans la tranche d'âge de 16-25 ans? Dans cet ordre d'idées, vaut-il
mieux que soit préféré par l'employeur un travailleur plus âgé, plus expérimenté
et par là, plus qualifié à un jeune travailleur novice et, dans l'affirmative,
comment renverser cette inflexion? Quelle attitude adopter enfin à propos du
temps de travail, doit-on l'augmenter ou le réduire?
S'est, en tout cas,
vérifié un accord de fond, certainement théorique, pour rejeter la société
duale. Ce rejet implique qu'il soit lucidement réfléchi aux possibilités réelles
d'action d'une Wallonie plongée dans un monde dominé par la compétition et où la
démotivation se manifeste à tous les niveaux sociaux, qu'il s'agisse des
étudiants, des travailleurs ou des cadres.
2. Face à ces constats
et pour y faire face, deux conceptions se sont dégagées.
D'un côté, celle des
optimistes qui met l'accent sur les vertus d'un aménagement indispensable du
régime de la sécurité sociale, notamment par le biais de modifications au calcul
des cotisations, sur l'incidence de la réduction des prestations de travail sur
l'emploi au moyen d'une légère diminution de la durée hebdomadaire des
prestations de travail flanquée, le cas échéant, d'une diminution, à due
concurrence, de la rémunération.
De l'autre, celle des
pessimistes qui révèle que très rapidement le poids social de l'inactivité d'un
nombre croissant de citoyens ne pourra plus être supporté par les actifs; que la
marginalisation du monde du travail entraînera d'autres exclusions aboutissant à
un régime d'assistance; que certains, eu égard à leur formation, ne pourront
jamais trouver ni retrouver place dans la société aux exigences scientifiques ou
technologiques de plus en plus sévères, et enfin que déjà la solidarité du monde
du travail ne se vérifie plus sur le terrain.
3. Toutefois et
heureusement, cinq pistes de réconciliation ont été tracées:
3.1. il est indispensable
qu'avant de partager le travail soient partagés les revenus, et qu'au partage du
travail corresponde un partage de la rémunération;
3.2. il faut que soient
pensés divers modes d'appropriation, par les travailleurs, des moyens de
production - tel notamment le mode coopératif - dans les limites évidemment
compatibles avec les exigences économiques;
3.3. il sied de
rechercher la convivialité par la création de comités de quartier de nature à
favoriser la participation active des citoyens aux problèmes du quotidien, seule
façon de réapprendre ou même d'apprendre le dialogue dans les espaces appropriés
où se rencontreraient les cultures, les sexes et les groupes d'âge au sein d'une
société patriarcale du temps retrouvé. A ce propos, est suggérée l'instauration
de groupes de réflexion, de dialogues et de prospectives où les marginalisés
trouveraient enfin à s'exprimer;
3.4. il convient de
dégager les besoins nouveaux;
3.5. il est urgent de
favoriser le lancement de passerelles entre les actifs et les non-actifs, le
recyclage professionnel à l'entreprise, le développement des services
collectifs, la politique d'aide aux familles, celle de la jeunesse en vue
d'éviter l'effet pervers de l'oisiveté, un programme d'utilisation des loisirs,
la formation en alternance, la réinsertion sociale des handicapés, etc.
(Octobre 1987)

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