Rapport de l'atelier n°3
:
L'avenir de l'enseignement
Rapporteur:
Gilbert de LANDSHEERE
A mesure que
le XIXe siècle a avancé, la Wallonie, l'un des foyers de la
Révolution industrielle, a pu s'enorgueillir de ses écoles. La
profession d'enseignant attirait les meilleurs enfants de son
peuple. Ce furent des maîtres de grande qualité qui donnèrent ses
lettres de noblesse à l'école publique. Le potentiel humain de notre
communauté fut ainsi remarquablement valorisé et le défi lancé par
une société en mutation relevé avec succès. Nous nous trouvons
actuellement devant un défi éducatif au moins aussi décisif. Il est
à la fois qualitatif et quantitatif.
Qualitatif d'abord, parce
que la mutation culturelle et sociale qui se produit sous l'influence des
technologies nouvelles demande un nouveau type d'homme. La première révolution
industrielle, et plus spécialement le machinisme, a libéré l'homme d'une forme
de travail exigeant des efforts musculaires souvent énormes: combien de
travailleurs passèrent leur vie active exploités comme des bêtes de somme?
Actuellement une
libération plus décisive encore se produit: des machines intelligentes
dispensent l'homme des chaînes tayloristes et des tâches intellectuelles
routinières.
Bref, comme Fourastié
l'avait admirablement pressenti, la société nouvelle exige des hommes
intelligents. En fait, ils l'ont toujours été, mais leurs facultés étaient
sous-développées, sous-employées.
Ce changement de perspective ne procède pas d'une simple vue de l'esprit. On
reconnaît de mieux en mieux que le potentiel humain des nations a été mal
valorisé. On s'est contenté de l'exploiter là où il s'offrait à portée de main;
on n'a pas fait les efforts et appliqué les méthodes nécessaires pour faire
jaillir des ressources moins accessibles.
Or, des ressources
humaines, la Wallonie en possède toujours beaucoup, et une éducation conçue pour
aider la personne humaine à s'épanouir complètement, pour valoriser la matière
grise, constitue notre seul espoir de continuer à participer à part entière à la
vie du monde du XXe siècle.
Pour atteindre cet
objectif vital, l'Atelier 3 a relevé l'importance particulière des aspects
suivants:
-
Sur le plan politique
et administratif, il importe que toutes les compétences en matière
d'éducation relèvent d'un seul ministère répondant aux aspirations de la
Wallonie.
-
L'importance décisive
de l'enseignement fondamental a été reconnue. Les apprentissages cognitifs,
affectifs et psychomoteurs réalisés entre la naissance et la fin de l'école
primaire constituent les fondations sur lesquelles le développement
ultérieur va s'appuyer. Si ces fondations sont gravement défectueuses, les
chances de l'individu sont compromises pour l'avenir.

L'enseignement
secondaire, qui revêt de plus en plus un caractère d'enseignement fondamental,
doit évoluer profondément en fonction des nouvelles exigences formulées à son
égard. Un enseignement qui concerne la totalité des groupes d'âge jusqu' à
dix-huit ans diffère radicalement d'un enseignement conçu pour une minorité
intellectuelle et sociale.
Enfin, l'enseignement
supérieur doit aussi pouvoir rester à la pointe des progrès des sciences et des
techniques, assurer la formation continuée de tous ses diplômés; lui aussi, il
doit pouvoir accueillir des populations d'étudiants d'un type nouveau, que
l'enseignement secondaire conduit à ses portes.
L'avenir de la Wallonie
dépend aussi, pour une bonne part, de la qualité de ses universités et de ses
chercheurs. Au lieu d'être bloquées par des mesures étouffantes, les universités
devraient compter parmi les priorités et retrouver les moyens qui leur
permettent d'accomplir leur tâche. Si l'actuel mouvement d'écrasement se
poursuit encore quelques années, les conséquences pour la Wallonie seront
désastreuses.
La Wallonie doit se doter
d'un projet éducatif de base où s'expriment ses grandes options philosophiques,
sociales et psychopédagogiques. Le présent congrès où la Wallonie s'interroge
sur son futur apporte une fois de plus la démonstration que des hommes et des
femmes venus d'horizons philosophiques et politiques différents peuvent
s'accorder sur des choix essentiels.
Au-delà de ces choix,
chaque groupe particulier doit pouvoir formuler un projet éducatif propre,
traduisant les aspirations de la communauté éducative entière: parents,
enseignants, élèves, interlocuteurs sociaux...
Le projet éducatif se
veut donc démocratique. Il tiendra compte du long terme, établira sa
faisabilité, sera soumis à l'expérimentation contrôlée et , une fois devenu
opérationnel, sa réalisation effective sera évaluée. Par définition, les projets
éducatifs seront évolutifs.
L'enseignement ne
répondra aux aspirations de la Wallonie que dans la mesure où il respectera la
triple homogénéité: objectifs poursuivis - contenus: objectifs - méthodes,
objectifs - évaluation. Toute rupture de cette homogénéité met le projet
éducatif en péril.
Le besoin d'enseignants
jouissant d'une formation initiale et continuée de grande qualité est évident.
Pour attirer les meilleurs et les rétribuer correctement en fonction des lourdes
responsabilités qu'ils assument, une revalorisation de la fonction est
nécessaire. Elle ne doit d'ailleurs pas être seulement matérielle, mais aussi
morale.

Le monde enseignant
connaît un désarroi créé par l'accumulation de réformes structurelles et
pédagogiques insuffisamment justifiées et préparées, par les menaces qui pèsent
sur l'emploi et par l'attitude dépréciative de divers milieux. Le respect pour
la fonction pédagogique doit être aussi restauré.
Les échecs scolaires qui
affectent un grand nombre d'élèves, dès le fondamental, pourraient être en large
partie évités si les mesures adéquates étaient prises. En attendant, le
préjudice est considérable et l'avenir des individus et de la communauté
hypothéqué.
Sans être appuyées sur la
recherche scientifique en éducation, maintes décisions importantes sont prises
de façon inadéquate, sinon totalement erronée. La Wallonie doit se doter d'un
réseau stable de centres de recherche en éducation qui, à côté d'investigations
fondamentales, auraient aussi pour mission d'informer les décideurs de l'état
des connaissances objectives existantes relatives aux objets à propos desquels
ils doivent se prononcer. Comparées aux pays voisins, les ressources allouées à
la recherche pédagogique en Wallonie sont dérisoires.
Enfin, il s'impose
d'organiser un dispositif de pilotage qui informe en permanence sur l'état et la
productivité du système éducatif, notamment en ce qui concerne la réalisation
des programmes adoptés. Cette tâche serait aussi accomplie par le réseau des
centres de recherche.
En conclusion, le futur
de la Wallonie dépend en large partie de la qualité de l'école démocratique qui
pourra y exister.
L'Atelier demande que,
dans la politique générale à adopter, le progrès de l'éducation compte parmi les
premières priorités.
(Octobre 1987)

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