Rapport de l'atelier n°2
:
Développement des technologies et de la recherche
Rapporteur
Yves VAN HAVERBEKE
L'Atelier n°
2 n'a pas résolu en trois heures de temps les problèmes de la
Wallonie de demain et sa contribution est fatalement limitée et même
modeste.
En outre, parlant du
développement de la technologie et de la recherche, le titre de notre atelier,
donc objet de notre travail, nous n'ignorons pas les implications d'un tel
sujet, avec par exemple la culture, l'emploi, les relations sociales. Mais ces
aspects n'ont volontairement pas été abordés puisqu'ils l'étaient dans d'autres
carrefours.
C'est donc en pleine
conscience, et je dirais par discipline intellectuelle, que nous avons
strictement circonscrit nos débats au domaine proposé. On parle couramment de la
troisième révolution industrielle. Les nouvelles technologies sont à la une.
Elles devront être intégrées à notre quotidien dans un futur proche. Le fait
n'est pas en réalité vraiment neuf et j'avais l'occasion de le rappeler
récemment en d'autres circonstances. Quand au quinzième siècle, Guttenberg
inventa l'imprimerie, la vie des moines copistes s'en trouva profondément
bouleversée, et la diffusion des idées grâce à ce nouveau support transforma la
société tout autant certainement que le cours de l'histoire.
Aujourd'hui, personne ne
doute que l'avenir de nos sociétés industrielles n'est plus dans le charbon et
dans la sidérurgie. Cela pose d'ailleurs bien des problèmes de solidarité à
résoudre prioritairement. Mais n'oublions pas que de telles industries
traditionnelles font désormais partie de notre patrimoine culturel et que nous y
gardons un savoir-faire encore souvent exploitable et valorisable. Toutefois,
inéluctablement, l'informatique, la robotique, l'intelligence artificielle, les
bio-technologies devraient faire partie de notre PIW, de notre paysage
industriel wallon.
Comment tenter d'arriver
à pareil objectif? Il faut à la fois assurer la formation des cadres nécessaires
et assurer dans ces matières (les technologies nouvelles) une recherche au plus
haut niveau. Le rôle des universités et institutions assimilées est donc tout à
fait primordial. On a d'ailleurs coutume d'affirmer que l'une des dernières
ressources de notre région, c'est sa matière grise. Les universités sont donc un
excellent investissement mais dans ce domaine comme dans d'autres, pas de
miracle. L'investissement nécessite de l'argent. En cette matière, les constats
sont plutôt accablants.

En franc constant, les
ressources des universités francophones en 1987 ne représentent que 91% du
chiffre de 1975, alors que parallèlement le nombre d'étudiants a augmenté de
18%. De façon plus large que les universités, la "R. et D.", la Recherche et
Développement, ne représente que 1,4% du produit intérieur brut en Belgique,
pour 2 à 2,5% dans les pays voisins et souvent plus de 3% dans d'autres.
On se rappelle aussi des
chiffres cités il y a quelques années: 1,92% du budget de l'Etat consacré à la
Recherche et au Développement, 1,92% des dépenses de l'Etat, bien sûr.
L'objectif d'atteindre en quelques années 2,8%, le chiffre des Pays-Bas, on en
est loin. Bien sûr le chiffre de 1,92 a un petit peu monté ces dernières années.
Mais, en pourcentage, c'est un rapport, une fraction. Pour augmenter une
fraction, il y a deux moyens: on peut augmenter le numérateur, (c'est à dire les
dépenses ou les dépenses consacrées à la recherche), ou diminuer le
dénominateur, (les dépenses de l'Etat en l'occurrence); je vous laisse deviner
la méthode qui a été suivie.
Dans les milieux
universitaires, on a le sentiment que dans les difficultés de la crise, on a
sacrifié les investissements intellectuels qui sont automatiquement des
investissements à long terme: le navire coulait et pour l'alléger, on a
abandonné les bateaux de sauvetage et les radeaux. Le navire coule toujours,
pourvu qu'on sache nager!
Aujourd'hui, la Belgique
connaît une fuite catastrophique de ses cerveaux vers des cieux plus cléments.
La Wallonie de demain aura-t-elle la volonté de privilégier ou même simplement
de protéger sa recherche en lui consacrant des moyens suffisants.
L'Etat wallon ou
francophone donnera-t-il des moyens adéquats à ses universités ou bien, comme
certains le prétendent, la communautarisation de l'enseignement sera-t-elle
accompagnée d'une réduction drastique des budgets, encore aggravée par une
dénatalité et donc par la diminution probable du nombre d'étudiants (et les
budgets sont fonction du nombre d'étudiants).
La recherche industrielle
n'est bien entendu, pas moins importante. Des efforts sont incontestablement
faits, mais sont-ils suffisants? Des incitants pourraient améliorer la
situation. Doivent-ils se manifester sous forme d'aide directe ou sous forme
fiscale: les avis sont partagés au sein de l'atelier. Toutefois, s'inspirant de
l'exemple américain, où les technologies nouvelles s'implantent
incontestablement mieux qu'en Europe, les incitants fiscaux sont jugés plus
efficaces par plusieurs intervenants. On a aussi parlé de la loi fiscale belge
appliquée selon une philosophie très différente en Flandre et en Wallonie.

L'organisation de la
recherche et le choix des sujets prioritaires fait aussi l'objet de plusieurs
réflexions: l'exemple du Japon est cité. Le problème des contacts
industries-universités est longuement évoqué. Beaucoup d'intervenants rapportent
des problèmes rencontrés: l'incompréhension entre ces deux milieux,
l'exploitation de l'un par l'autre et fatalement réciproquement. Concilier les
impératifs du monde académique avec les règles du secret des milieux industriels
n'est pas toujours aisé. Les universitaires ont quelque fois perçu les
industriels comme des dispensateurs à fond perdu de subsides, et inversement les
industriels ont parfois utilisé des universitaire pour accéder à des fonds
publics ou pour abuser de leur naïveté en matière de gestion de contrat.
Mais grâce aux cellules
d'interfaces qui se développent dans chaque institution, comme grâce à
l'évolution des mentalités, la situation s'est fortement améliorée. L'exemple
américain est à nouveau évoqué: outre ce qui a déjà été dit plus haut, la
mobilité entre l'université et l'industrie y est une réalité ce qui facilite la
compréhension entre ces deux univers. En Europe, au contraire, et en Wallonie
bien sûr, cette mobilité est quasi impossible.
La multiplicité des
guichets pour obtenir des crédits est aussi soulignée, et un participant propose
même la création d'une chaire inter-universitaire en subsidiologie.
L'atelier a examiné
longuement les conditions pour transférer avec succès les résultats d'une
invention dans l'industrie: le trio, la troïka, (scientifique, marketing,
finance) apparaît comme évidente et indispensable. Mais chez nous, les hommes
appartenant à chacun de ces groupes communiquent difficilement entre eux. Un
effort pour une formation pluridisciplinaire s'impose évidemment.
Enfin, il apparaît avec
clarté à l'ensemble de l'atelier que dans le domaine des technologies nouvelles,
on ne peut raisonner au minimum qu'au niveau d'un marché européen. Est-ce parce
que la recherche est déjà largement interdisciplinaire? Ou est-ce parce que les
échanges d'étudiants devraient s'amplifier grâce au programme Erasmus, toujours
est-il que cette perspective européenne réjouit l'ensemble de l'atelier.
Parviendra-t-on à
respecter l'échéance de 1992? Ou bien des événements jugés probables par
certains retarderont-ils la création de ce grand marché européen? Quoi qu'il en
soit, cet effacement des frontières ressemble à une grande chance et à une
grande espérance pour la Wallonie.
La Wallonie n'est pas un
ghetto, elle est européenne.
(Octobre 1987)

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