Concertation sociale et
spécificités régionales
Jean VERLY
Chercheur en Sciences
économiques Institut supérieur du Travail - UCL
Dans le débat
sur l'autonomie régionale et plus spécialement sur l'hypothèse d'une
plus grande spécificité des politiques socio-économiques, on peut se
demander dans quelle mesure et à quelles conditions il existe, ou
pourrait exister, une autonomie régionale dans le système de
concertation sociale que l'on connaît en Belgique.
Avant tout, on entendra
ici par concertation sociale, au sens le plus limité, le système institutionnel
de négociation entre partenaires sociaux officiellement représentatifs et dont
le résultat concerne les conditions de travail, le salaire, la gestion de la
paix sociale; de manière plus large bien qu'aussi en grande partie liée à ce qui
précède, on pourrait aussi prendre en considération la concertation qui s'est
récemment développée à propos de l'insertion professionnelle des jeunes,
concertation plutôt consultative mais qui, sous certains aspects, concerne les
négociations sectorielles.
Il semble, en outre,
intéressant de poser la question d'une spécificité régionale de la négociation
sociale, même au sens limité, défini ci-dessus, étant donné l'évolution récente
du marché de l'emploi; citons, à ce propos, une diminution très importante de
l'emploi ouvrier, (-30%)(1),
une tendance à la diminution de la taille moyenne des entreprises (de 11
travailleurs en 1977 à 9,3 en 1985) une évolution de la gestion du personnel où
des tendances de flexibilité se développent.

La négociation des
conditions de travail: quelques principes
Le paradoxe est, en
effet, que le système de concertation sociale au sens le plus limité, a une
structure a priori nationale: la structure de négociation sectorielle organisée
au sein des Commissions Paritaires (CP).
Quelques remarques
peuvent être formulées, valables cependant pour l'ensemble du pays, elles sont
sous-tendues par l'hypothèse selon laquelle une décentralisation permettrait de
répondre à des problématiques spécifiquement régionales.
1. Si officiellement, la
négociation est nationale, on relèvera que dans le secteur des Fabrications
métalliques (15% de l'emploi du secteur privé en Wallonie), la négociation se
fait par bassin et selon une structure qui pourrait donc rencontrer des
spécificités régionales; il en est de même en chimie, tout au moins en Flandre.
2. Dans d'autres
secteurs, la négociation est décentralisée, au niveau des entreprises, cette
situation vaut pour l'ensemble du pays; la sidérurgie, la chimie, les métaux non
ferreux, la fabrication du papier, les banques, les grands magasins. 53% de
l'emploi wallon dans le privé se retrouve dans les secteurs qui viennent d'être
cités, 45% en Flandre.
3. Même si la négociation
est nationale, il serait utile de procéder à un inventaire plus détaillé mais
extrêmement complexe du contenu même des négociations; beaucoup d'éléments
peuvent être négociés au niveau national sans dès lors laisser beaucoup
d'autonomie aux entreprises, on se rapprocherait dans ce cas de la détermination
des conditions de travail dans le secteur public; tel est le cas des soins de
santé et d'alimentation. A l'inverse, le contenu de la négociation peut laisser
une grande place aux entreprises.
4. Une différence doit en
outre être faite entre les ouvriers et les employés, différence qui aurait
tendance à s'accentuer avec la croissance relative des employés; en effet un
nombre élevé d'employés (plus de 25% pour l'ensemble du pays) ne relève pas
d'une CP spécifique mais de la CP n°218 (au taux national des employés). En
pratique, les négociations de cette CP déterminent des minima qui sont améliorés
dans les grandes entreprises.
Outre les remarques qui
concernent le niveau de la négociation, une spécificité régionale nécessiterait
une structure des acteurs en fonction de cette spécificité.
A priori, il faut
constater l'absence de cette condition; les fédérations patronales et les
centrales syndicales sont nationales, à l'exception de la CNE/LBC, et hormis le
choix possible des négociateurs, sur base de critère régional, dans le cas, par
exemple, du secteur des Fabrications métalliques.
Il y a donc unité de la
fonction de négociation. Cette unité n'est pas aussi forte dans la concertation
sur l'insertion professionnelle des jeunes dont il est question ci-après, même
si les interlocuteurs sont en majeure partie, des membres d'associations
représentatives en fonction de critères nationaux.

Quelques résultats
Lorsqu'il s'agit de la
concertation au niveau des entreprises c'est-à-dire les rôles des conseils
d'entreprises, des Comités de Sécurité et d'Hygiène voire des délégations
syndicales, l'existence de seuils (50 et 100 travailleurs) a pour effet de
limiter le champ de concertation sociale.
En 1983, 70% des
travailleurs du secteur privé sont concernés par les élections sociales en
Wallonie, 60,5% en Flandre; 47% des mêmes travailleurs électeurs l'ont été dans
les entreprises de plus de 500 travailleurs en Wallonie, 40,5% en Flandre; la
Wallonie reste toujours caractérisée par la présence d'un plus grand nombre de
grandes entreprises.
75% de l'emploi wallon se
retrouve dans une dizaine de secteurs, parmi lesquels ceux dont la structure de
négociation est décentralisée. Cinq secteurs manufacturiers repris au tableau
ci-joint ont une part relative plus importante dans l'emploi en Wallonie,
comparativement à la Flandre.
Géographiquement,
l'emploi industriel wallon est fortement centralisé dans les provinces de Liège
et du Hainaut.
En outre, une étude
récente du CRISP(2)
signale que la CSC et la FGTB "progressent dans toutes les provinces
wallonnes, mais beaucoup plus dans les provinces du Hainaut et de Liège."
Il apparaît cependant,
selon les résultats des élections sociales de 1983, que la représentation
syndicale n'est pas comparable dans les secteurs à structure de négociation
décentralisée: les fabrications métalliques et la chimie montrent une nette
prédominance de la FGTB.
Le syndicalisme libéral
se retrouvant de manière significative en chimie et chez les employés.
Lorsqu'il s'agit des
salaires, on observe principalement, en Wallonie une position relativement
meilleure des fabrications métalliques. On observe aussi que le gain horaire
moyen d'un ouvrier dans l'industrie est de 7% au-dessus de la moyenne nationale,
tandis que la moyenne de son collègue employé est pratiquement identique à la
moyenne nationale (voir tableau).
Malgré la concentration
de l'emploi dans les deux provinces de Liège et du Hainaut, les ouvriers de
l'industrie liégeoise reçoivent un salaire de quelque 5 points supérieur à leurs
collègues du Hainaut. Dans l'ensemble du pays, ce sont les ouvriers de la
province d'Anvers qui sont les mieux payés. Pour les employés, seules les
provinces d'Anvers et de Brabant se distinguent des autres provinces.
La concentration de
l'emploi, le taux de syndicalisation, la dimension des entreprises sont des
éléments essentiels pour renforcer la position relative d'un secteur. Cette
constatation classique en matière de conditions d'emploi, souligne en fait,
l'ambivalence d'une stratégie visant à favoriser le niveau régional comme niveau
relatif des avantages salariaux dans les secteurs et régions relativement
fortes, risquant de favoriser un processus d'éclatement par ailleurs.
On pourrait dès lors
s'interroger sur l'opportunité d'une négociation décentralisée des conditions de
travail.

La négociation régionale
serait-elle uniquement consultative?
D'un autre côté,
cependant, il s'agit ici de la négociation qui apparaît depuis quelques temps
dans les domaines de la formation professionnelle et de l'apprentissage
industriel.
Si l'origine de ce type
de concertation se trouve dans les problèmes d'emploi, il ne se traduit pas
essentiellement en convention collective c'est-à-dire que les partenaires n'y
usent pas du même pouvoir de décision qu'en ce qui concerne les conditions de
travail.
Ce type de concertation
se situe en amont (formation, apprentissage) de la négociation qui porte sur les
conditions de travail et les salaires, mais il pourrait aussi se situer en aval
(sortie de la vie active) et vraisemblablement envisager certaines formules de
gestion et de l'emploi (travail à temps partiel) ou d'avantages sociaux
complémentaires (garderie d'enfants...).
Dans ces différents
domaines, il nous semble pouvoir exister des possibilités de négociations en
rapport avec les problématiques régionales de l'emploi. Elles ne pourraient
cependant se développer que si les différents partenaires intéressés,
représentatifs des intérêts régionaux, se rencontrent et si chacun peut espérer
y trouver avantage. Cette concertation pourrait alors devenir décisionnelle au
niveau régional, en vue de favoriser des politiques spécifiques.

En résumé:
Il apparaît que la
concertation sociale classique bien qu'institutionnellement nationale laisse des
possibilités de négociations éclatées; celles-ci risquent de s'inscrire à
contre-courant du mouvement d'interprofessionnalisation qui sous-tend le
développement de nos relations sociales, y compris même durant la période
récente, où par exemple, toutes les conventions conclues au CNT n'ont pas été de
type défensif vis-à-vis de la crise.
Lorsqu'il s'agit
cependant de négocier un certain nombre de questions qui se situent à l'amont et
à l'aval de la négociation des salaires et des conditions de travail, on peut
envisager un type de négociation marqué par la spécificité régionale, entendue
dans le sens d'une prise en considération du contexte socio-économique.
(Octobre 1987)
Notes
(1)
en Wallonie du 30/6/77 au 30/6/85 ; secteur privé.
(2) E. ARCQ, L'évolution de l'implantation syndicale,
Ch n° 1147, p 16.

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