Syndicalisme et
mutations culturelles
Jacques
FOSTIER
Secrétaire de l'interrégionale
wallonne de la FGTB
Le
rétrécissement de la base industrielle en Wallonie rend crucial pour
l'avenir la définition et la mise en oeuvre d'un nouvelle politique
industrielle.
C'est sur l'attitude des
acteurs concernés par le développement de notre région, sur les mutations qui
s'opèrent au sein des organisations patronales et syndicales mais aussi dans les
rapports entre syndicats et patronat que j'entends axer cette brève réflexion
préparatoire au congrès organisé par l'Institut Jules Destrée sur le thème "Travail,
Technologie, Culture: La Société wallonne vers l'an 2000".
A l'heure où notre
société est engagée dans une crise très longue dont n'émergent que des
incertitudes; au moment où de plus en plus on prend conscience qu'aucun projet
global n'apportera de solution miracle, la recherche du consensus entre acteurs
économiques et sociaux n'est-elle pas la démarche la plus adéquate pour
atteindre l'objectif que nous nous sommes fixés: le redéploiement industriel de
la wallonie?
La notion de consensus
fait désormais partie de notre vocabulaire quotidien et on en fait un usage si
large qu'il n'est pas inutile de préciser ici le sens que je lui donne. On parle
souvent du consensus qui a prévalu dans les relations sociales en Belgique
pendant 20 ans. Qu'était-il sinon une connivence entre les travailleurs, les
employeurs et l'Etat sur les objectifs de l'activité économique? Chacun jouait
sont rôle dans le cadre de cet accord tacite et y trouvait son intérêt sans que
soient pour autant exclus les conflits. Ce modèle traverse aujourd'hui une crise
lui aussi en raison de la modification des rôles des divers acteurs due
précisément à la récession économique et aux mutations industrielles qui
l'accompagnent.
Le consensus, j'en
délimiterais pour ma part les contours en disant qu'il suppose un minimum de
vision commune de l'avenir; un minimum de partage des rôles et un minimum de
confiance dans l'équilibre des résultats obtenus. C'est tout à la fois la
reconnaissance du fait que des conflits traversent la société et simultanément
la volonté de gérer ces conflits. Accepter cette définition constitue
incontestablement une mutation culturelle dont les conséquences elles-mêmes sont
autant de changements dans les comportements et dans l'appréhension de la
réalité économique et sociale. Ainsi par exemple:
-
les résultats obtenus
par les différents partenaires ne s'apprécient plus en terme de succès ou
d'échec. La victoire n'est pas le fait de l'un ou de l'autre des acteurs en
présence; la victoire c'est le pas en avant; c'est l'accord intervenu et
perçu comme facteur de développement économique.
-
l'identité et la
force de chaque acteur sont confrontées et respectées.
-
toute idée
d'objectivité des choix économiques et sociaux, toute idée de déterminisme
est écartée.

Face à cette démarche,
face à cette recherche du consensus, chaque acteur est en proie aux mêmes
contradictions: d'une part, il est vrai que des mutations culturelles doivent
induire des mutations industrielles, mais, d'autre part, personne ne peut nier
une sorte de déterminisme des structures industrielles sur la conscience des
acteurs économiques et sociaux.
Alors, mener à bien la
démarche que je prône, est-ce chose possible compte tenu des forces
contradictoires en présence? Des signes permettent de le croire. Des mutations
culturelles significatives sont en cours. Je citerai pour exemple l'expérience
d'ILE à Frameries après la fermeture des laminoirs de Jemappes qui, en 1982,
mettait 800 travailleurs sur le pavé, et laissait la région en état de choc. Les
syndicats, avec l'aide de l'ONEM, ont créé une cellule de formation-reconversion.
Il s'agissait de tenter une démarche collective avec quelque 150 travailleurs de
formation à la création de leurs propres emplois. Cette expérience a
incontestablement contribué à modifier les comportements et ce, pour diverses
raisons:
-
les syndicats ont
dépassé leur démarche revendicative traditionnelle pour "entreprendre",
-
une action
volontariste refusant la fatalité s'est substituée à une attente
spontanéiste,
-
la multiplication
d'initiatives modestes mais cohérentes a été reconnue comme facteur de
redéploiement industriel,
-
il y a eu prise de
conscience des difficultés qu'il y a à créer une entreprise,
-
les risques de
l'opération ont été acceptés.
Autre exemple
significatif, au Conseil économique et social de la Région wallonne où syndicats
et patronat sont partie prenante. Au CESRW en effet, l'ensemble des
interlocuteurs sociaux, toute sensibilité confondue, ont souhaité que soit mise
sur pied une concertation stratégique dans divers secteurs. Ce souhait unanime
n'est pas resté un voeu pieux. La concertation stratégique est ainsi réellement
menée dans des secteurs clefs tels que l'aéronautique et les télécommunications.
Notre projet syndical pour les prochaines années est maintenant de relier cette
concertation stratégique globale à la concertation dans les entreprises
elles-mêmes via les conseils d'entreprise.
Je concluerai cette
ébauche de réflexion en regrettant que le dialogue social soit contaminé par un
mal: la querelle idéologique. Les partenaires sociaux quels qu'ils soient
s'égarent vite sur les rives rassurantes des dogmes et des idées fixes.
On clame haut ses thèses
et le débat vise trop souvent plus à vaincre qu'à convaincre. Pourtant, au-delà
de la rhétorique officielle, au-delà des accords alibis, il y a place pour une
autre démarche, il y a place pour une stratégie de développement volontariste
reposant sur un partenariat régional. A condition que chacun le veuille, à
condition que chacun agisse en conséquence, sans désemparer malgré les lenteurs
ou les embûches inévitables, la Wallonie pourrait se bâtir un nouvel avenir.
(Octobre 1987)

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