Pour une nouvelle
politique sociale des entreprises wallonnes
Marianne
DE BOECK
Licenciée en Journalisme
et Communication sociale
Professeur suppléant à l'UEM
Secrétaire générale de l'Union wallonne des Entreprises.
1. Les
transformations de la société
Le présent chapitre tend
à présenter de façon synthétique l'évolution du contexte de l'entreprise au
cours des prochaines années. Une nouvelle politique sociale repose
essentiellement sur un constat: ce sont les évolutions de la société et leurs
conséquences sur les entreprises et les comportements des hommes qui conduisent
à modifier profondément nos façons de faire.(1)
1.1. La continuité ...
La seconde partie des
années 80 n'apportera pas de rupture par rapport au passé. Ainsi, les
difficultés seront souvent les mêmes qu'aujourd'hui:
-
le déficit budgétaire
de la plupart des états industrialisés;
-
la concurrence des
pays nouvellement industrialisés;
-
la nécessité
d'accroître sans cesse la productivité;
-
la nécessité
d'affronter un niveau élevé de chômage;
-
le déséquilibre de
nos systèmes de sécurité sociale et les perspectives préoccupantes de la
démographie;
Parallèlement, les
principaux vecteurs de progrès seront aussi ceux que nous connaissons
aujourd'hui:
-
le développement
accéléré des nouvelles technologies;
-
la prise de
conscience généralisée des difficultés économiques et du chômage, ainsi que
la volonté de réagir;
-
le relèvement du
niveau de formation et son adéquation au marché du travail;
-
le développement de
l'esprit d'entreprise;
-
le développement de
nouvelles attentes de la vie en société et notamment à l'égard du travail.
1.2. Le changement..
L'accélération du
changement n'est pas un phénomène tellement nouveau. Ce qui l'est sans doute
plus, c'est la simultanéité du changement de l'ensemble des facteurs:
contraintes économiques, innovations technologiques, structure de l'Etat,
évolutions socio-culturelles.

1.3. Les défis ...
-
L'insuffisance de la
croissance, l'accroissement de la concurrence internationale, seront marqués
par la nécessité d'efforts soutenus en matière de productivité, de
compétitivité, de qualité.
-
L'efficacité de
l'entreprise dépend tout autant des ressources humaines que de ses moyens
matériels.
Cela implique de revoir la conception de la place des hommes dans
l'entreprise, le rôle de l'encadrement, les modes d'organisation du travail,
le style du management, l'aménagement du temps de travail, etc ...
1.4. En
finale, les éléments d'une nouvelle politique sociale pour l'entreprise devront,
selon l'UWE, reposer sur les bases suivantes:
-
une définition
nouvelle des relations avec le personnel dans des formes plus participatives
d'organisation du travail, et aussi avec les syndicats en vue d'affirmer
ensemble l'objectif prioritaire qu'est la réussite économique de
l'entreprise;
-
le développement
d'une plus grande adaptabilité favorisant la naissance d'entreprises
nouvelles et la mutation des entreprises existantes;
-
un investissement
accru dans le développement du personnel favorisant simultanément
l'efficacité de l'entreprise et l'épanouissement individuel.
(N.B. Ces deux parties
feront l'objet de publications ultérieures de l'UWE).
2. Une proposition pour
des relations sociales nouvelles

2.1. Hier:
Le consensus social
belge de l'après-guerre.
Depuis l'après-guerre
jusqu'au début de la décennie 70, le système des relations sociales belges est
apparu comme un peu immuable. Le fameux pacte de solidarité sociale mis au point
pendant la guerre, dans la clandestinité pour les uns ou en exil pour les
autres, constituait l'accord de base et un véritable consensus régissait la vie
économique et sociale en distribuant les fruits de la croissance.
2.2. Aujourd'hui:
La mise en cause du
système traditionnel.
D'un côté, les progrès de
la productivité sous l'impulsion du progrès technique transformaient la
structure de la population active. Par ailleurs, l'élévation continue du niveau
de vie et les progrès de l'instruction modifiaient les aspirations des
travailleurs. Enfin, la crise économique a amené le pouvoir politique à exercer
une partie des responsabilités traditionnellement assumées par les
interlocuteurs sociaux, ce qui a modifié sensiblement le fonctionnement des
relations paritaires.
2.3. Demain:
La nécessité d'une
rééquilibrage.
La tendance est à
intégrer les relations paritaires avec les syndicats et les représentants du
personnel dans un système relationnel plus large où une place plus grande et
plus cohérente serait réservée à l'individu.
Les relations directes
avec le personnel vont dans ce sens. Il faut remettre l'homme au centre des
relations sociales. Dès lors, l'UWE pense que, pour améliorer le climat social,
il faut à la fois:
-
progresser dans les
relations directes avec le personnel pour rétablir ou améliorer un contact
qui n'aurait jamais dû être relâché et prendre en charge les aspirations
nouvelles qui se font plus pressantes chez le personnel, à savoir une
personnalisation accrue des relations de travail, une communication
meilleure et l'exigence d'un travail épanouissant;
-
assurer des relations
constructives avec les représentants du personnel, dans la mesure de leur
représentativité et de leur participation à un fonctionnement normal des
relations paritaires dans l'entreprise. Il serait peu réaliste de remplacer
un "jeu à deux" direction/syndicats par un autre "jeu à deux"
direction/personnel. Il est plus indiqué d'établir un "jeu à quatre" où
chacun des partenaires de la direction (hiérarchie-syndicats-personnel)
trouverait son champ spécifique de relations.

2.4. La relation directe
avec le personnel.
2.4.1. L'objectif
et la stratégie.
L'objectif est clair: il
s'agit ni plus ni moins de mobiliser l'intelligence et la volonté de travail du
personnel. La stratégie ne l'est pas moins: communiquer et mettre en place des
structures participatives de façon à rencontrer les attentes et les aspirations
nouvelles de l'homme au travail. La mise en place de telles structures
participatives et l'exercice, à l'intérieur de l'entreprise, d'une autorité
forte basée sur la compétence, loin d'être antinomiques sont complémentaires.
2.4.2. Les
besoins de l'homme au travail.
L'UWE pense que si de
nombreux besoins fondamentaux de l'homme au travail ont déjà été satisfaits, il
convient aujourd'hui de faire face à des besoins nouveaux: les besoins
d'autonomie et de savoir, d'accomplissement et d'affirmation de soi.
Ils sont en partie, mais en partie seulement, satisfaits par l'accès à
l'instruction et à la culture. Ils doivent trouver aussi leur mode d'expression
sur les lieux du travail et dans le travail lui-même.
2.4.3. Comment
traduire concrètement ces nouvelles aspirations?
Chacun souhaite que son
rôle dans l'entreprise soit reconnu, que son travail soit jugé utile. De plus,
chacun aspire à affirmer sa personnalité, à développer ses possibilités. Ce
besoin d'épanouissement personnel revêt plusieurs formes; à côté des attentes
déjà traditionnelles d'un travail enrichissant, d'information appropriée et de
possibilités de carrière, se manifestent des aspirations d'un type plus nouveau,
à savoir:
-
l'exigence de
comprendre ce que l'on fait,
-
la possibilité de
pouvoir s'exprimer sur les lieux de travail,
-
le besoin de prendre
des initiatives et des responsabilités dans les domaines de sa compétence,
-
le besoin
d'appartenir à une communauté de travail inspirant la fierté.
Comment l'entreprise
peut-elle rencontrer ces aspirations aux divers niveaux?

Le personnel
d'encadrement
La gestion décentralisée,
la gestion par objectifs, permettent de rencontrer l'essentiel des aspirations
fondamentales du personnel d'encadrement telles qu'elles ont été exposées
ci-avant. En effet, elles permettent assurément aux cadres de se situer dans
l'entreprise, de donner leur avis, de prendre des initiatives et d'assumer des
responsabilités.
Par ailleurs, la gestion
décentralisée ne fait que répondre aux aspirations des cadres; elle trouve bien
entendu sa justification sur le plan de l'organisation générale, où elle est une
condition d'efficacité pour gérer de grands ensembles (pour éviter la paralysie
par un excès de centralisation ou l'anarchie par une insuffisance d'unité de
vues et d'action).
Enfin, la
décentralisation s'avère indispensable pour disposer d'un relais
communicationnel efficace jusqu'à la base.
Une formation sociale et,
en particulier, une formation aux communications, complètent les moyens
permettant de rencontrer ces objectifs.
Le personnel de base
Les divers moyens
suivants cités à titre d'exemple peuvent être utilisés
(2):
1. Pour répondre au
besoin de comprendre ce que l'on fait, de se situer dans l'entreprise:
- accueil des nouveaux engagés,
- formation au poste de travail,
- extension des communications écrites,
- bilan social,
- exposé des objectifs de l'entreprise,
- exposés ponctuels de problèmes directement au personnel,
- présentation d'activités et de produits nouveaux,
- visites d'installations réalisées par l'entreprise et de clients.
2. Pour le besoin de
s'exprimer et d'avoir son mot à dire dans le cadre de ses compétences:
- contacts personnels à l'occasion de la présence fréquente de la hiérarchie sur
les lieux de travail,
- consultation du personnel sur les aménagements de postes de travail, méthodes
de travail, implantations, outillages et investissements nouveaux, amélioration
des conditions de travail, etc ...
3. Pour le besoin de
prendre des responsabilités et des initiatives, des expériences se multiplient
dans les entreprises telles que:
- regroupement des tâches,
- développement de la polyvalence,
- participation à l'élaboration des objectifs, stratégies et plans d'action,
- groupes d'échange ou de progrès sur la sécurité, l'environnement de travail,
la qualité,
- équipes temporaires pour la réalisation d'objectifs à court terme,
- autocontrôle,
- cercle de qualité.
4. Pour le besoin
d'appartenir à une communauté de travail inspirant la fierté:
- portes ouvertes,
- manifestations socio-culturelles,
- clubs et manifestations sportives,
- expositions de produits nouveaux,
- célébration en commun de fêtes telles que succès de l'entreprise, centenaire,
remises de distinctions honorifiques, départs pour la pension...

Les relations avec les
représentants syndicaux
Que faut-il entendre par
"fonctionnement normal des relations employeurs-syndicats"?
La crise actuelle a
permis une meilleure compréhension des rôles respectifs des facteurs de
production. Le fonctionnement normal des relations paritaires et la solution des
conflits précités demandent des institutions professionnelles représentatives
(organisations professionnelles d'entreprises et syndicats, directions et
délégations, syndicats d'entreprise):
-
faisant preuve d'un
esprit de conciliation pour trouver des solutions par des voies pacifiques,
-
programmant le
progrès social en fonction des possibilités économiques et réglant les
problèmes conflictuels par des conventions collectives qu'elles font
appliquer et respecter,
-
prenant en compte les
intérêts de l'entreprise et ceux des travailleurs, acceptant ainsi la
liaison intime entre l'économique et le social,
-
et ne faisant appel à
la grève et au lock-out que comme à des armes ultimes à manier avec
précaution.
Les Conseils d'Entreprise
doivent rester l'endroit privilégié du dialogue et de la concertation entre la
direction, les cadres, les employés et les ouvriers. Il est du devoir de la
direction d'améliorer leur fonctionnement, de sorte qu'ils soient vraiment un
organe de participation à la vie de l'entreprise.
Les cadres doivent avoir
la possibilité de s'exprimer comme les autres travailleurs: ils doivent avoir le
droit de se faire élire au CE sur la liste de l'organisation représentative de
leur choix, le cas échéant, en dehors du monopole des trois syndicats
traditionnels et, en tout cas, pouvoir rencontrer aisément la Direction,
notamment dans un Conseil de Cadres là où celui-ci se justifie.
Le fonctionnement
efficace des relations paritaires dans l'entreprise suppose que:
-
la délégation
patronale se compose de dirigeants de haut niveau motivés par une volonté
d'écoute et d'échange, que ceux-ci soient prêts à prendre leurs
responsabilités et qu'ils acceptent de fournir l'information crédible
permettant de suivre la marche réelle de l'entreprise,
-
les représentants du
personnel soient formés à l'exercice de leurs tâches et responsabilités et
informés des problèmes et techniques de gestion utilisées dans l'entreprise.
La réalisation de ces
conditions exige un travail de longue haleine qui suppose chez les partenaires
sociaux une conviction personnelle et une volonté déterminée de les réaliser
concrètement. Les efforts demandés aux travailleurs pour rétablir et consolider
la compétitivité des entreprises et sauvegarder leur emploi sont importants. Il
ne seront acceptés qu'à la condition que les travailleurs soient assurés de leur
nécessité et du bon usage qui en aura été fait.
Une telle perception ne
peut être le fait que de gens formés et informés. Cela postule que le personnel,
tout autant que les milieux socio-économiques, acquièrent la compréhension des
réalités concrètes de la vie et de l'entreprise.
(Octobre 1987)
Notes
(1)
Cfr notamment: "L'évolution du contexte à l'horizon 90 et ses conséquences
sur les problèmes humains, sociaux et organisationnels" et "Place des
hommes dans l'efficacité de l'entreprise" Rapport de "Entreprise et
Personnel" 1982 et 85.
(2) Il va sans dire que la politique de communication
préconisée ci-devant, tant pour le personnel d'encadrement que pour le personnel
de base, ne peut suffire à satisfaire toutes les attentes que les membres de
l'entreprise peuvent légitimement avoir à l'égard de l'entreprise. Une politique
appropriée de communication ne peut réussir à rencontrer les nouvelles
aspirations de l'homme au travail que si les attentes plus traditionnelles sont
raisonnablement rencontrées par les voies habituelles de la politique sociale de
l'entreprise (rémunérations, gestion des carrières, formation, systèmes
complémentaires améliorant la sécurité ou le niveau de vie, représentation
collective du personnel etc...). Cela est particulièrement vrai en période de
crise où les difficultés économiques et les prélèvements sociaux et fiscaux
remettent en cause des avantages sociaux qui avaient peut-être été trop vite
considérés comme acquis définitivement.)

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