Transports en commun et
milieu rural: le rôle des transports vicinaux
Guy ALBARRE
Géographe - Attaché à la
Fondation rurale de Wallonie (FRW)
Une
révolution tranquille et irréversible.
Les transports en commun
sont en profonde mutation, personne ne peut en douter! Trains, trams et métros
urbains, autobus urbains et ruraux; nouveaux modes de transport (TAU, GLT,...)
reviennent régulièrement à la une de l'actualité, ne fut-ce qu'une fois par
an... lorsque l'on discute de l'opportunité de modifier les tarifs à la hausse!
Mais en réalité, cette mutation se réalise chaque jour pas à pas, étape par
étape, au gré de l'évolution de situations locales.
Depuis la restructuration
en profondeur des dessertes ferroviaires, réalisée il y a quelques années, et le
recours généralisé à l'utilisation des autobus, le réseau de transport, hérité
en grande partie des structures socio-économiques du siècle passé, a acquis une
grande souplesse d'adaptation. Cette souplesse permet en effet, du jour au
lendemain, parfois même sans préavis, de modifier des itinéraires et des
horaires, d'inverser des sens de circulation et, bien évidemment, de supprimer
purement et simplement certains services!
Usagers occasionnels
s'abstenir!
La Société nationale des
Chemins de Fer vicinaux (SNCV) est devenue le principal organisme chargé de la
desserte des régions rurales depuis que de nombreux points d'arrêt du chemin de
fer ont été supprimés.
C'est sur ses épaules que
repose désormais, pour bon nombre de ruraux, la possibilité de se déplacer et
d'accéder aux services et aux commerces, lesquels désertent progressivement les
campagnes. Afin de rendre au mieux ce service, la SNCV a progressivement adapté
son réseau et ses services pour satisfaire au mieux les exigences spécifiques de
la clientèle régulière.
Malheureusement, depuis
une vingtaine d'années, celle-ci s'est fortement réduite pour ne plus
rassembler, dans certaines régions, que quelques groupes professionnels ou
sociaux bien caractérisés: écoliers, employés et ouvriers d'entreprises,
clientèle de centres commerciaux et des marchés publics, navetteurs,...
La SNCV a tenté de suivre
au plus près cette évolution, d'une part, en "spécialisant" une grande partie de
ses services et, d'autre part, en négligeant les dessertes fréquentées par une
clientèle occasionnelle.
Il est ainsi devenu
pratiquement impossible d'atteindre la plupart des localités rurales en début de
matinée ou de les quitter en fin d'après-midi puisque l'essentiel sinon la
totalité du matériel est alors utilisé dans l'autre sens! Il est inutile aussi,
dans certaines régions, de vouloir circuler en dehors des jours dits "ouvrables"
ou en période de vacances scolaires.
Quant au voyageur
occasionnel, contraint parfois à de multiples correspondances plus ou moins bien
assurées en cours de route, autant dire qu'il sera rapidement découragé dans sa
louable tentative d'utiliser les transports en commun.
Ces carences apparaissent
notamment dans l'organisation de produits touristiques nouveaux en région rurale
telles les randonnées pédestres sur longue distance ou l'accès aux pistes de ski
de fond, ... qui réclament des possibilités de transport pratiquement
inexistantes à l'heure actuelle.

De la vache à lait au
poids mort!
Comme l'ensemble des
services publics, la SNCV est actuellement confrontée à des contraintes
financières dues à l'accroissement de la différence entre les coûts
d'exploitation et les recettes, soit un déficit annuel de près de 9 milliards de
francs pour l'ensemble du pays. Dans ces conditions, autant ne pas espérer que
la situation actuelle s'améliore dans l'immédiat.
Une nouvelle approche
globale de la situation est nécessaire. Les travaux du groupe de travail mis en
place par le Rassemblement pour une autre Politique de Déplacements constituent
une toute première réflexion.
Mais la mise en place
d'un nouveau système de transports ne se fera pas en un jour. En attendant, de
nouvelles coupes sombres seront faites dans les dessertes rurales. D'ores et
déjà, les lignes ont été classées en quatre catégories suivant leur rentabilité
respective, de la "vache à lait"... au "poids mort", en passant par la "vedette"
et le "dilemme", approche purement économique et laissant sans doute de côté,
comme à l'habitude, les avantages sociaux, et par conséquent non comptabilisés,
offerts par les services publics aux contribuables, qu'ils en soient usagés ou
non.
Pour se rendre compte de
ce rôle social joué par les transports en commun, il suffit de prendre place
dans un autobus un jour de semaine en dehors des heures dites de pointe et de se
laisser aller à observer les attitudes de la clientèle, à écouter
(distraitement) les conversations, à engager (ce qui est formellement interdit)
le dialogue avec le conducteur, pour s'apercevoir de la véritable utilité d'un
service au public en milieu rural.

Devant l'aiguillage,
prendre la bonne voie!
Alors, nous en sommes
arrivés à un point de non-retour. Il faut choisir: le transport public en
régions rurales va-t-il s'engager sur une voie de garage ou va-t-il prendre la
voie de l'avenir?
La SNCV, à l'aube de son
deuxième siècle d'existence, semble consciente de l'importance de l'enjeu: elle
met sur place des outils d'analyse fine du fonctionnement de son réseau, elle
organise des comptages systématiques, elle sonde les usagers effectifs et
potentiels, elle revoit sa politique d'acquisition de matériel, elle tente
d'engager le dialogue avec la population et se lance dans des opérations de
marketing.
Effort sans doute
méritoire, mais entre-temps, depuis le 5 janvier 1987, une série de villages de
la province de Luxembourg ont perdu, totalement, pour certains, leur service
régulier de transport.
Faudra-t-il en arriver,
comme en Grande-Bretagne, à déréglementer totalement les transports publics,
permettant ainsi à certaines firmes de concurrencer directement les autobus avec
des taxis, permettant aux véhicules postaux de transporter des voyageurs,
permettant aux collectivités locales d'organiser un transport communautaire avec
du personnel bénévole, pour sauvegarder le droit à la mobilité de la population
rurale en Wallonie?
Le Vicinal a 101 ans. Il
est temps de lui rendre une nouvelle jeunesse, mais cela ne se fera pas
simplement par une sévère cure d'amaigrissement et l'effacement de quelques
rides.
Il faudra faire plus.
C'est sans doute la mission de la SNCV, mais ce sera aussi et surtout le devoir
de la population que de veiller à maintenir, sans coûts financiers, des services
efficaces au bénéfice de l'ensemble des collectivités rurales. Sa survie est à
ce prix.

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