L'avenir de nos relations
internationales à travers le développement des relations Wallonie - Québec
Jean MOTTARD
Avocat au Barreau de Liège
Président de l'Association "Wallonie-Québec"
1.
Pour la Wallonie et pour la Communauté française de Belgique, tout
comme pour le Québec, le développement d'une politique autonome de
relations internationales n'est nullement un luxe, mais bien une
nécessité vitale. Le Québec, minorisé au sein du Canada anglophone,
constitue, en outre, un îlot francophone en Amérique du Nord. Une
des conditions fondamentales de sa survie, c'est de tisser des liens
aussi nombreux et aussi profonds que possible avec la francophonie
d'Europe et d'Afrique. La Wallonie et la Communauté française voient
leurs intérêts de plus en plus négligés par l'Etat belge. C'est vrai
en ce qui concerne les décisions de politique intérieure; ce l'est
tout autant en ce qui concerne les relations internationales et le
commerce extérieur. Il suffit de constater, à cet égard, le partage
inégal des responsabilités gouvernementales ayant un impact
international, la flamandisation de la diplomatie belge, les graves
déséquilibres en notre défaveur dans les organes nationaux du
commerce extérieur, la manière dont la Wallonie est "défendue" au
sein des instances européennes. La Wallonie ne peut donc plus se
permettre, pas plus que le Québec, d'abandonner à l'Etat central la
tâche d'affirmer sa présence et de défendre ses intérêts sur la
scène internationale. Elle doit le faire elle-même, avec le plus
d'autonomie possible.
2. Pour
la Wallonie, le développement de ses relations internationales suppose: des
compétences, des moyens, une volonté politique.
2.1. Des compétences
2.1.1. Dans le système
institutionnel belge actuel (mis en place par la réforme de 1980), il existe une
différence de jure et de facto entre les compétences de la Région wallonne et
celles de la Communauté française.
cf - la teneur des
articles 107 quater et 59 bis de la Constitution, des articles 81 et 16 de la
loi de réformes institutionnelles du 8 août 1980;
-
l'avancée
institutionnelle réalisée par l'ancien Ministre-Président de la Communauté,
Philippe Moureaux, qui a eu pour résultat la conclusion par la Communauté
française de plusieurs accords avec des Etats souverains, ainsi que son
accès direct à des instances internationales importantes (ACCT, Confeges,
Unesco, Conseil de l'Europe, etc...).
2.1.2. En outre, le
système actuel, basé sur le mécanisme de l'association des Régions aux
négociations internationales portant sur des matières qui relèvent de leurs
compétences exclusives, n'est même pas appliqué correctement par le gouvernement
national Martens VI. De là, la nécessité d'une attribution claire à la Région
wallonne de la plénitude des moyens d'action sur la scène internationale dans
les matières relevant de sa compétence, ainsi que d'un accès direct aux
instances internationales (en particulier européennes) chargées de ces mêmes
matières.

2.2. des moyens
Les moyens actuels des
Régions et des Communautés sont tout à fait insuffisants, qu'il s'agisse des
politiques internes ou externes. Dans le cadre d'un fédéralisme accompli,
attribuant aux Régions et aux Communautés au moins 50% des moyens financiers et
humains de l'Etat, s'imposent en tout cas - pour ce qui est de la politique
extérieure - la régionalisation du Commerce extérieur et la Communautarisation
de la Coopération au Développement.
2.3. une volonté
politique
Il importe que les
responsables de la Région wallonne comprennent, à l'image du Québec,
l'importance fondamentale de l'investissement international.
Dans le cadre d'un Etat
de type fédéral ou confédéral, une telle volonté politique suppose:
-
non pas la vaine
tentative de doubler la représentation extérieure de l'Etat central dans les
domaines qui resteront de son ressort (défense, "grande" diplomatie,
relations Nord-Sud et Est-Ouest) et d'établir, en quelque sorte, une
diplomatie parallèle;
-
mais bien d'assurer,
sur la scène internationale, la présence réelle et active de la Wallonie
dans les dossiers relevant de ses compétences et sur les terrains essentiels
pour son redressement et d'y défendre les intérêts de notre Région, ce que
l'Etat central belge ne veut plus ou ne peut plus faire. Ceci suppose, d'une
part que nous consacrions à une telle présence les moyens suffisants dans
une vision à moyen et long termes, d'autre part que nous choisissions nos
partenaires et nos actions en pleine autonomie et avec la préoccupation
exclusive de nos besoins et de nos intérêts. Une telle action doit
s'accompagner de deux combats parallèles: l'exigence du rééquilibrage, en
faveur des Francophones, de la représentation extérieure de l'Etat central;
la lutte pour la constitution d'une véritable Europe des Régions.

3. La Wallonie et le
Québec sont des partenaires évidents
-
par leurs affinités
naturelles, en particulier culturelles;
-
par leur situation
très comparable dans leurs Etats nationaux respectifs;
-
par leurs moyens, qui
seraient comparables dans le cas de la réalisation, en Belgique, d'un
fédéralisme accompli;
-
par leur volonté
commune de voir émerger un nouveau type de relations internationales,
fondées non sur la volonté des Etats centraux, mais sur le respect des
identités culturelles;
-
par leur taille et
leur "état d'esprit", qui excluent toute arrière-pensée de domination
politique ou néo-colonialiste;
-
par leur situation
géographique respective privilégiée (le Québec au bord du Saint-Laurent,
artère de pénétration de l'Amérique du Nord;
la Wallonie au coeur de l'Europe industrielle aux confins des mondes roman
et germanique).
De toute évidence, il
importe donc d'encore renforcer leur coopération.
3.1. On peut estimer que
leurs échanges culturels et humains ont atteint, en intensité et en volume, un
rythme de croisière satisfaisant. Reste à développer, cependant, la mise en
oeuvre de projets culturels communs (y compris dans le domaine des industries
culturelles et du matériel éducatif) tant à usage interne qu'à destination de
pays tiers.

3.2. Il importe aussi
d'approfondir et de resserrer les convergences Québec - Communauté française au
sein des instances multilatérales francophones.
3.3. Le développement de
notre coopération économique et scientifique s'impose de toute évidence.
3.4. Pourquoi
n'envisagerions-nous pas la mise en commun, sur base de contrats clairs et
satisfaisants pour les deux parties, de nos moyens de prospection économique et
d'établissement de relations culturelles?
On pourrait imaginer, par
exemple, une étroite collaboration Québec - Wallonie dans le cadre des
délégations ou des bureaux commerciaux à l'étranger.
La Wallonie ne surmontera
ses difficultés que si elle prend en main sa destinée de manière autonome, dans
un Etat belge rééquilibré et restructuré. Mais autonomie ne signifie pas repli
sur soi-même. Au contraire, la Wallonie devra s'ouvrir au monde, ce qui suppose
constance dans l'effort et choix judicieux. Dans cette perspective, le Québec
est à la fois pour nous un exemple
et un partenaire privilégié, sinon le partenaire privilégié.
(Octobre 1987)

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