Législation sur l'emploi
des langues dans l'administration publique:
Appartenance linguistique du personnel
René Louis
FAUTRE
Responsable de l'Association
wallonne du personnel des Services publics
Il nous
paraît souhaitable de rappeler que l'emploi des langues usitées en
Belgique est facultatif et qu'il ne peut être réglé que par la loi.
C'est ainsi que des lois règlent l'emploi des langues à l'armée, en
matière judiciaire, dans l'enseignement et en matière
administrative. L'application des lois sur l'emploi des langues en
matière administrative sera le thème unique de l'exposé.
Les principes de
l'utilisation des langues dans l'administration publique avaient déjà été réglés
par le dispositif de la loi du 28 juin 1932. Mais à partir de 1932, bien des
choses ont changé. La modification du statut linguistique de l'Université de
Gand a créé des situations différentes de celles connues et c'est surtout
"l'aspect social" qui a sensibilisé de plus en plus profondément la masse
flamande, laquelle a exigé la suppression de la "frontière linguistique sociale"
pour accéder à son élévation culturelle. Une importante fraction de l'opinion
publique de Flandre s'est élevée contre le recensement linguistique. Telles sont
en bref les raisons fondamentales qui ont fait que les milieux flamands ont
réclamé avec une insistance très vive, la modification de la loi de 1932. C'est
en 1963 que furent déterminés de façon rigoureuse les nouveaux principes des
lois linguistiques. Il est important de retenir pour la suite de l'exposé que
les Wallons et les francophones n'étaient pas demandeurs.
Nous avons cru opportun
d'adopter pour une meilleure compréhension du sujet, une classification en trois
chapitres:
-
L'unilinguisme des
fonctionnaires et leur rôle linguistique. L'unilinguisme des services.
-
Les cadres
linguistiques.
-
Les conséquences
résultant de la violation systématique des lois linguistiques dans les
administrations publiques.
1.1. L'unilinguisme des
fonctionnaires et leur rôle linguistique
Les lois linguistiques
étant basées sur le principe de l'unilinguisme, les fonctionnaires et agents des
services centralisés de l'Etat et des services locaux et régionaux des régions
linguistiques homogènes sont unilingues. La connaissance de la seconde langue
nationale n'est imposée qu'aux fonctionnaires et agents des services locaux,
c'est-à-dire ceux dont l'activité ne s'étend pas à plus d'une commune et dans
les services régionaux, c'est-à-dire dont l'activité s'étend à plus d'une
commune, sans s'étendre à tout le pays, lorsque ces services sont situés dans la
région bilingue de Bruxelles-Capitale ou dans une des communes à "régimes
spéciaux". C'est ainsi par exemple qu'un fonctionnaire wallon peut accomplir une
carrière complète et accéder au plus haut niveau de la hiérarchie de
l'administration publique centrale en ne connaissant que sa seule langue
maternelle: le français.

1.2. Le rôle
linguistique.
Dans les services publics
centraux, tous les fonctionnaires sont inscrits, de façon immuable, sur un rôle
linguistique, le rôle français ou le rôle néerlandais. L'inscription sur un rôle
linguistique est primordial car elle conditionne en fait toute la carrière
administrative du fonctionnaire. Le rôle est l'affectation linguistique du
fonctionnaire, et nous verrons plus loin que le cadre est l'affectation
linguistique de l'emploi.
1.3. L'unilinguisme des
services.
En théorie,
l'unilinguisme des services des administrations centrales a été érigé en
véritable principe. La loi prévoit en effet que chaque fois que la nature des
affaires et le nombre d'agents le justifient, les administrateurs des services
centraux sont groupés en direction ou division, bureaux et sections français ou
néerlandais. Mais la pratique est tout autre. Les agents du rôle français et
ceux du rôle néerlandais travaillent ensemble. Ce qui crée et créera de plus en
plus souvent des frictions entre les fonctionnaires des différents rôles
lorsque, comme nous le verrons au chapitre 3 de l'exposé, les lois linguistiques
ne sont pas appliquées scrupuleusement.
2. Les cadres
linguistiques.
Le cadre linguistique
d'une administration centrale de l'Etat est le tableau numérique indiquant les
emplois prévus pour chacun des grades et la répartition de ces emplois entre les
deux langues: le cadre français, le cadre néerlandais et le cadre bilingue. Ce
cadre bilingue est réservé à un certain nombre de fonctionnaires bilingues
chargés d'assurer l'unité de jurisprudence de la fonction publique. Compte tenu
que ce cadre bilingue cause incontestablement un sérieux malaise dans la haute
administration, nous n'hésitons pas à prôner la suppression de ce cadre, mais en
maintenant le système du seul bilingue adjoint au chef de l'administration. Ce
système de l'adjoint bilingue nous semble satisfaisant et nous en sommes
partisans, même pour les fonctions supérieures dans les administrations locales
de Bruxelles-Capitale et surtout pour les administrations régionales de la
région de Bruxelles. L'économie générale du système des cadres linguistiques
peut se résumer de la manière suivante:
-
Pour les emplois
inférieurs à ceux de direction, le nombre d'emplois à répartir est fixé en
fonction du volume réel des affaires à traiter dans chacune des langues.
-
2. Exception faite de
quelques cas particuliers prévus par la loi, à partir du grade de directeur
et au-dessus, les emplois sont répartis en nombre égal entre le cadre
français et le cadre néerlandais.

C'est la Commission
permanente de Contrôle linguistique, institution linguistiquement paritaire, qui
est chargée de la surveillance de l'application des lois linguistiques et qui
examine toutes les propositions de cadres linguistiques qui lui sont soumises
par les ministres des différents départements. C'est une commission de simple
avis et, de plus en plus souvent, les conclusions qu'elle énonce ne sont pas
respectées pour l'élaboration des arrêtés de cadres linguistiques soumis à la
signature royale. De telles violations des lois linguistiques ont donné lieu à
de très nombreuses polémiques parmi les fonctionnaires, leurs associations et
dans la presse.
3. Les conséquences
résultant de la violation systématique des lois linguistiques dans les
administrations publiques.
Nous l'avons dit dans le
préambule du présent exposé: les Wallons et les francophones n'étaient pas
demandeurs pour la modification des lois sur l'emploi des langues.
Paradoxalement, ce sont les Wallons et les francophones qui, à l'heure actuelle,
réclament l'application correcte des lois de 1963 tellement les problèmes sont
nombreux et les pertes d'emplois importantes. D'une étude entreprise par l'APWFSP,
il ressort sans conteste que près de 12.000 emplois sont pris à la communauté
d'expression française. Il nous suffira de citer deux exemples parmi les
nombreux autres pour montrer que les "affaires linguistiques" ont des
implications dans les domaines sociaux, commerciaux, économiques et culturels.
Examinons d'abord la
diplomatie. Les lois linguistiques stipulent que les agents de la carrière
extérieure du ministère des Affaires étrangères, exerçant leur fonction dans les
ambassades et légations, doivent être répartis en nombre égal et à tous les
degrés de la hiérarchie. Pourtant, la violation systématique des lois
linguistiques est telle que dans la limite des deux années à venir, 75% des
postes diplomatiques seront occupés par des néerlandophones; lesquels occupent
déjà les ambassades les plus importantes. Les diplomates du rôle français
doivent, eux, se contenter de la partie négligeable! Cela revient à dire que la
représentation de la nation à l'extérieur est tenue par les diplomates plus
soucieux de la prospérité de la Flandre que de celle de la Wallonie.
Deuxième exemple: la
Régie des Télégraphes et Téléphones. Par la non-application correcte des lois
linguistiques à la Régie, le déséquilibre marqué en faveur des agents
néerlandophones laisse apparaître clairement que le dossier des grandes
commandes publiques sera une nouvelle fois établi en faveur de la Flandre! De
nombreux cas d'espèce peuvent être démontrés dans l'Armée, aux Travaux publics,
au Secrétariat permanent au Recrutement, à l'Institut des Invalides de Guerre,
dans la coopération au Développement, et dans bien d'autres.
Et c'est par toutes ces
violations des lois qu'un Etat de droit devient un Etat de fait.
(Octobre 1987)

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