Une Wallonie moderne
dans une Europe culturelle
Jean-Pol
BARAS
Secrétaire général de Présence
et Action culturelles
Président de la Commission Culture de l'Union des Partis socialistes de
la Communauté européenne
L'analyse
réclame un impératif besoin de paradigme, de simplicité et de
propositions très concrètes. Nous rappellerons donc deux constats
positifs pour dégager deux pistes constructives parmi d'autres.
Car c'est d'abord d'un
optimisme raisonné que la Wallonie a besoin, une sorte de puissant mouvement de
forces créatrices internes dont la prise de conscience reste le principal
révélateur.
La Wallonie n'est pas une
terre de détresse. Bien située géographiquement, elle dispose de nombreux atouts
pour affirmer son identité. Aucun délire climatique, aucun risque de catastrophe
naturelle, aucun isolement de relief ne doivent la conduire à l'exclusion, la
verser dans le triste répertoire des endroits défavorisés de la planète.
La Wallonie n'est pas une
terre en détresse. Si elle vit présentement un passage délicat de son histoire,
rien ne la prédispose à la permanence du désespoir. Elle ne s'abandonne pas à un
triste sort. Elle possède beaucoup de moyens et d'outils pour conduire sa
mutation économique et sociale avec succès. Elle rassemble des intelligences
convergentes capables d'assurer potentiellement ses démarches d'avenir. Elle
vit, bouge, agit sans démissionner devant les obstacles qu'elle affronte.
Moins que jamais, le
schéma sinistre peut être appliqué à son sort.
Un écueil guette sa
volonté de progression : le repli. Tendance dangereuse de faussement faire face
aux situations difficiles, le besoin de se refermer sur soi-même enfonce dans la
difficulté tout qui s'y laisse apprivoiser. Au contraire, un regard large et
lointain, haut porté par delà les nuages, un souci d'ouverture béante vers le
monde constituent des conditions essentielles d'une bonne affirmation et d'un
véritable dessein ambitieux.
La Wallonie fait partie
d'un Etat plongé totalement dans le sort d'un continent. La plupart des
paramètres appliqués à l'examen de son présent et de son avenir peuvent être
projetés vers bien d'autres régions de l'Europe. Et si, la notion même de
prospérité échappe à ce socle de valeurs qu'on lui croyait jadis inébranlables,
cela ne résulte pas non plus d'une malédiction étrange qui se serait
volontairement abattue sur elle. L'Europe n'est plus le centre du monde. Ses
conquérants ne partent plus par les mers lointaines recueillir les richesses,
porter la parole décisive ou distribuer les magiques secrets des nouvelles
inventions. L'Europe n'est plus le centre de décisions de la planète. Elle n'en
est plus non le noyau de l'argent. Il faut donc qu'elle apprenne sa nouvelle
condition et qu'elle renforce les points prioritaires de ses autres influences
prépondérantes. Avec elle, en son sein, toutes ses composantes. Car l'Europe non
plus n'est pas en déclin. Elle possède même - bien droit devant elle - toutes
les possibilités d'encore jouer un rôle. Il est primordial dans le concert
mondial. Il lui suffit de... (et oui, il n'est pas trop hautain d'employer cette
formule facile...) Il lui suffit de...
Combien sommes-nous déjà
à avoir appelé de nos voeux l'unité européenne? En combien de générations?
Soit. Poursuivons sur le
mode confiant.
L'Europe unie et forte,
riche de ses diversités et fière de ses complémentarités, c'est l'Europe des
régions, celle qui augmentera toutes ses potentialités dans l'autonomie et le
respect des spécificités, en laissant à celles-ci le plus bénéfique
épanouissement possible dans l'ensemble cohérent d'une puissante communauté de
destins.
Il faut y croire. Parce
que l'Europe est condamnée à réussir sa construction. Il faut y contribuer.
Parce que c'est là que se situe la seule véritable planche de salut pour la
Wallonie. Région bafouée dans une Belgique mesquine, en déglingue, la Wallonie
peut s'affirmer comme une région motrice dans une Europe équilibrée et
énergique.

La dernière phase de solidification de la Communauté européenne,
l'indispensable ciment qui doit assurer toute sa cohésion, c'est le projet
culturel.
Ce n'est que lorsque les
gens perçoivent au niveau de leur vie quotidienne les effets d'une identique
citoyenneté qu'ils parviennent à se sentir unis vers une même destinée,
rassemblés dans un commun devenir.
Le projet d'une Europe
culturelle s'inscrit sur toutes les bases de l'humanisme qui ancra toute
l'histoire de ses nations. L'élément neuf susceptible d'amplifier et de
dynamiser cet objectif, c'est qu'aujourd'hui, le concept de culture s'insère de
plus en plus dans l'économie et dans le social. Tout est lié. Il n'est plus
possible de concevoir une politique par catégories distinctes sans verser dans
l'illusoire.
Bien entendu, tout le
secteur de l'audiovisuel créant déjà ce "village planétaire" au plan de la
citoyenneté offre des enjeux économiques considérables dont l'Europe doit
absolument se saisir face aux dominations des grandes puissances comme le Japon
et les Etats-Unis. Mais l'encouragement à la création, la perspective d'un
enseignement coordonné, l'agencement des industries culturelles ou la
reconnaissance et l'alimentation d'un immense patrimoine commun sont autant de
facteurs d'harmonie et de cohésion européennes.
La modernité dont la
Wallonie a besoin pour recouvrer une identité altière, se trouvera dans l'Europe
culturelle de demain. Une vaste communauté, la première du monde, qui, au delà
de toutes les petites politiques avilissantes qu'un semblant de démocratie
sous-tend péniblement, dans un cadre équitable pour toutes ses composantes,
respectueuse des minorités et des différences, saura donner à chacune d'elles la
chance de contribuer à l'essor dont elles ont toutes besoin.
Il n'y a pas de fatalité
dans la crise. L'homme se doit de la maîtriser, voilà tout. Et ses actes
créateurs sauront, par le biais du fait régional réévalué, catalyser largement
les énergies et les potentialités des autres qui l'entourent.
La Wallonie fut bien ce
que sont aujourd'hui les émirats du Golfe persique.
Au coeur même d'une
Europe qui construit chaque jour davantage son avenir, avec la langue française
comme vecteur de sa communication et de l'imagination toute redéployée vers des
expériences inédites, la Wallonie peut regarder son destin au fond des yeux :
elle saura encore jouer un rôle de précurseur.
(Octobre 1987)

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