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"Habiter en Wallonie en l'an 2000" - Consommer du logement ou habiter ?

Jean-François MABARDI
Professeur à l'UCL - Unité d'Architecture

 

Quel sens peut avoir ce genre de titre, si ce n'est celui... d'accrocher; d'accrocher l'un ou l'autre lecteur certes, mais surtout d'essayer d'accrocher quelques questions pertinentes, susceptibles d'orienter un débat sur cette notion vaste et complexe.

Vaste, parce que pour en faire le tour, il faut sonder le coeur de l'homme comme le portefeuille des ministres; l'un comme l'autre sont au centre du débat, l'un et l'autre sont pleins de surprises, et lorsque l'on croit en avoir perçu les limites, ils dévoilent de nouveaux horizons; complexes car pour l'instant ni le sujet, ni l'objet ne sont d'accord sur leur nature; autrement dit, ni l'ensemble de ceux qui habitent, ni le territoire susceptible d'être habité ne convergent, du moins en apparence, vers une définition commune de leur devenir.

Parler d'"habiter" évoque immédiatement ces bâtiments qui "donnent une demeure à l'homme... Pourtant il n'y habite pas si habiter veut dire seulement que nous occupons un logis".(1) Ce texte écrit avant 1954 est d'une actualité toujours aussi frappante qu'à l'époque de sa publication. Issues des pages les plus marquantes sur l'habiter, publiées depuis bien longtemps, ces quelques lignes sont suivies d'autres rappelant qu'il ne peut être question d'évacuer d'un trait de plume les vocations multiples du logement; il ne peut être question de rayer de nos préoccupations les différents aspects sociaux, économiques que soulève le logement.

"A vrai dire, dans la crise présente du logement, il est déjà rassurant et réjouissant d'en occuper un; des bâtiments à usage d'habitation fournissent sans doute des logements, aujourd'hui les demeures peuvent même être bien comprises, faciliter la vie pratique, être une prise accessible, ouvertes à l'air, à la lumière et au soleil: mais ont-elles en elles-mêmes de quoi nous garantir qu'une habitation a lieu?"(1)

Tour à tour pourraient être interrogées les différentes facettes que représente cette composante de l'habiter, mais à quoi serviraient les réponses si elles nous écartent de cette question fondamentale.

Ainsi pourrait-on se pencher sur la capacité du logement à pourvoir de l'emploi et avec Jacques Delcourt (2) examiner l'impact qu'aurait sur le chômage le choix d'une technique particulière opposée à une autre. Faut-il opter pour une rénovation légère ou au contraire pour une construction neuve? Examiner comme il le fait, les différentes phases de l'évolution qui passent de la "prégnance de la logique de production" à la "transnationalisation des économies" ne le conduisent pas à considérer le logement uniquement comme régulateur d'une économie expérience.

Il se demande si "la production et la localisation des logements doivent être pensées dans la seule optique de consommation" (voir note (2)); apparemment tout son texte refuse cette vision réductrice d'un bien qu'est le logement.

Mettant l'accent sur le problème des besoins non-satisfaits, l'objet du débat glisse de la consommation de logement au droit de se loger dans des conditions décentes, renforçant ainsi l'idée que pour parler sereinement de l'habiter, il faut d'abord se rassurer et se réjouir d'en occuper un. C'est en quelque sorte s'assurer qu'une accessibilité à un logement de qualité soit garantie à tous; ce qui n'est certes pas le cas aujourd'hui et ce dont la Wallonie ne peut se satisfaire si en même temps se pose la question de définir une autonomie.

Celle-ci se pose avec d'autant plus de pertinence en évoquant l'habitat que celui-ci "garde la qualité d'un lieu privilégié de rencontre entre la production idéologique et matérielle de notre société et la vie quotidienne". (3)

Ce pouvoir de se gouverner par des lois que l'on sait librement choisies s'oppose à toute dépendance, tutelle ou soumission et commence par le choix d'un toit qui n'asservisse pas ni par la charge qu'il représente, ni par le temps qu'il dévore en déplacements ou en entretiens... Ce pouvoir s'inscrit à deux niveaux, celui de l'individu et sans doute celui de la région.

L'individu par sa condition d'homme post-moderne en est arrivé à pousser son individualisme jusqu'au paroxysme et, de ce fait, à déserter la "res publica en nettoyant le terrain jusqu'à l'avènement de l'individu pur... On demande à être seul, toujours plus seul et simultanément on ne se supporte pas soi-même, seul à seul. Ici le désert n'a plus de commencement ni de fin".(4)

Alors se reposent deux questions qui renvoient l'une à l'autre. Dans une telle perspective y a-t-il une réelle autonomie possible, et, à supposer le logement assuré, ce qui n'est pas, y a-t-il habitation possible d'une région?

S'il est vrai que de plus en plus tout s'affirme dans sa différence et sa spécificité plutôt que dans sa similitude, il deviendra de plus en plus difficile de penser à un quelconque "droit du logement" sans repenser profondément nos structures mentales, comme nos structures institutionnelles. La notion même de qualité minimum, de conditions décentes de logements serait différenciée et poserait avec plus d'acuité encore la question des critères de qualité.

Comment parvenir à penser ce droit pour tous qui implique un minimum de solidarité si la communauté ne trouve pas de motivations pour protéger les unes des autres les singularités des individus et des groupes dont l'affirmation est renforcée par les courants dominants? Sera-t-il encore possible d'arbitrer le jeu du plus fort/plus faible sans s'abriter derrière le paravent de l'individualisme croissant? Et si "l'autonomie, c'est cette volonté plurielle d'indépendance à l'intérieur d'une communauté d'affinité" (5) quelle sera l'échelle de cette communauté d'affinité et le degré de décentralisation que cela implique? Comment enfin dégager des "affinités" positives qui ne se définissent pas seulement par la seule volonté d'échapper à la tutelle centrale comme cela a été quelquefois le cas dans le cadre de la régionalisation?

Exister par la seule négation de l'autre ne permet pas de dégager ces nouvelles affinités, et entraîne à mettre en place des structures vides, vides de ce minimum de solidarité qui permettrait de profiler un projet d'habiter sur le territoire wallon.

Le scénario démographique présenté par Fr. Hambye dans une communication faite à la FTU prévoit une perte de population pour la Wallonie oscillant entre 300.000 et 900.000 habitants. "Mons, Charleroi, Namur et Liège perdraient entre 40.000 et 150.000 habitants" (6). Cette situation ne facilite en rien la réflexion qui pourrait conduire à un quelconque projet d'"habiter la Wallonie".

Ce projet pourrait partir de la notion de "ménager" plutôt que de celle d'"aménager". Le premier sens qui vient à l'esprit est celui d'épargner, de traiter avec modération ou encore sauver, et dans ce cadre, trouverait fort bien son application, il ferait référence évidemment aux centres anciens, au patrimoine de toute nature qu'il soit de l'ordre du construit ou non. Cette notion de "ménager" a cependant l'avantage d'être associée au sens d'établir sa demeure, qu'elle va puiser dans ses origines lointaines "manere" ou demeurer; enfin cette notion révèle aussi une signification vieillie qui est celle de gérer judicieusement. Dans son bâti comme dans le non bâti, c'est bien de tout cela qu'a besoin notre territoire, un véritable "ménagement" qui serait ce quelque chose d'actif lorsque "il a lieu quand nous laissons dès le début quelque chose à son être, quand nous "ramenons quelque chose à son être" et que dans ce sens nous l'épargnons et l'"entourons d'une protection" (7).

 

Notes

(1) HEIDEGGER M., Bâtir, Penser,Habiter, in ESSAIS ET CONFERENCES, Gallimard, 1958.
(2) DELCOURT J., Regards historiques et tendances actuelles de la politique sociale du logement, in Politiques sociales du logement, FTU Bruxelles 1987.
(3) PLAN C., Revue H. Revue de l'Habitat social
(4) LIPOVETSKY G., L'ère du vide; essai sur l'individualisme contemporain, Gallimard, 1983.
(5) BARRE F., Revue H. Revue de l'Habitat social.
(6) HAMBYE F., Critères déterminants pour une politique sociale à plus long terme, in Politique sociale du logement, FTU, Bruxelles, 1987.
(7) HEIDEGGER M., Ibid.

 


 

 

 

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