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Le développement comme Culture - Sa dimension spatiale

Marc GOSSE
Architecte et urbaniste
Professeur à l'Institut supérieur d'Architecture de l'Etat "La Cambre" à Bruxelles
Secrétaire général de l'asbl "Espace et Coopération"

 

Le détour

"Le détour-anthropologique permet d'esquisser les premières cartes de ces lieux que le temps de la modernité transforme et fait surgir; il initie à la découverte des régions de l'inédit."

G. BALANDIER, "Le Détour", Fayard, 1985, p.18.

Devant l'ampleur du problème planétaire de l'habitat, d'ici la fin du siècle, les Nations unies ont proclamé 1987 "année internationale du logement des sans abri". Actuellement, plus d'un milliard de personnes (un quart de la population mondiale), "habite" dans des conditions catastrophiques: logement, eau potable, assainissements insuffisants. D'ici l'an 2000, la population mondiale augmentera encore de près de 2 milliards d'individus, dont la moitié en ville, essentiellement dans des bidonvilles et d'autres favellas ou barriadas.

Cette explosion urbaine prend la forme du "bidonville", réponse populaire tendanciellement majoritaire au problème de l'habitat, devant l'absence d'une politique sociale efficace en matière d'habitat de la part des pouvoirs publics. Ceux-ci ont longtemps, malgré leurs propres carences ou impuissance, considéré les bidonvilles comme des phénomènes de marginalités, clandestine, illégale, dont il fallait nier l'existence officielle et détruire la dérangeante réalité. Destructions, déguerpissements et résorptions violentes n'ont fait que déplacer le bidonville dans l'espace urbain ou périurbain, sans enrayer sa dynamique profonde et vitale pour les habitants.

L'habitat "social", subventionné par l'Etat, ne constitue pas, dans une situation de pénurie structurelle, une alternative possible: même dévié de son groupe cible (les plus démunis), il ne parvient pas à satisfaire, en quantité et en qualité, les besoins des couches auxquelles il est finalement accessible (classes moyennes, fonctionnaires, enseignants,...).

Si la situation du "logement social", en nos régions, montre, après un siècle d'histoire, les mêmes incapacités, l'évolution explosive de la question dans le Tiers Monde nous oblige à chercher d'autres voies.

Le (sous) développement n'est pas exotique

La Belgique compte aujourd'hui plus de 800.000 pauvres, 500.000 chômeurs (on produit de plus en plus de biens avec de moins en moins de main-d'oeuvre), des zones en voie de désertification, économique et culturelle, un complet déséquilibre écologique, 44% de logements insalubres dont 1/3 inaméliorables, un endettement comparable à n'importe quel pays du Tiers Monde

Selon un rapport de la Fondation Roi Baudouin, en Wallonie et à Bruxelles "les groupes défavorisés ont de plus en plus de difficultés à se loger décemment(...) et les inégalités entre différents groupes sociaux face au logement s'accentuent" (cfr "Logement et pauvreté", FRB 1986)

Une société duale est en train de naître, dont le coût social énorme est incompatible avec la logique de la production et de la consommation.

Dans la réorganisation économique, sociale et technologique, qui se déroule la réduction des coûts sociaux et culturels est donc un enjeu principal. Le système tend à marginaliser, comme il le fait à l'échelle planétaire pour le Tiers Monde, des populations et des régions entières (300.000 villages "sans futur" en Europe). En réalité, étions-nous réellement sortis de la logique de la survie? La société d'abondance est-elle une société développée?

Annah Arendt (in "Condition de l'homme moderne" traduit par G. Fradier, Calmann Lévy 1961), propose de classer les activités humaines en trois catégories: le travail est l'activité vitale qui permet la survie de l'espèce, l'oeuvre celle de la création non-naturelle, culturelle, d'objets artificiels qui survivent à l'individu et l'action l'activité d'échange sans l'intermédiaire des objets. Le "travail" est d'ordre privé, l"'oeuvre" est du domaine public.

Si l'on considère notre société de consommation, dont le credo est de consommer les objets, de les "manger" en quelque sorte pour s'en "nourrir" pour leur survivre, nous devons admettre qu'y dominent les processus du "travail", ceux de la survie biologique, même si le niveau de consommation est très élevé. Paradoxalement, notre société de consommation est une société de survie - au même titre que les sociétés de pénurie du Tiers Monde. Notre société - fondée sur la consommation individuelle - est aussi une agglomération de domaines privés, où le caractère public de l'oeuvre est nié, où l'architecture comme oeuvre collective, permanente, transmissible, tend à disparaître.

Notre "architecture" se veut ou ne peut être qu'éphémère, "changeante", "nouvelle", "moderne", c'est-à-dire le contraire de l'architecture. Alors, comment faire sortir notre société de la pénurie d'architecture de sa logique de survie, de son sous-développement, de son inculture?

Vers une société à l'oeuvre

En digne héritière de la Renaissance, l'architecture moderne postulait que l'objet architectural pourrait modifier la vie: modernité fait prédominer le bâti sur les pratiques sociales, la spatialité architecturale sur la dimension temporelle des modes de vie et de la culture. L'histoire montre que les pratiques sociales ont toujours eu raison de la forme donnée, des modèles comme des réalités matérielles, en les transformant, les adaptant, les appropriant à leurs propres besoins et valeurs. Espérons qu'il en soit encore ainsi pour le dernier-né de l'ordre marchand: la réorganisation informatique devra être maîtrisée par tous, sous peine d'être une chape totalitaire.

Si nous voulons échapper à une architecture de consommation, sur catalogues informatisés, il nous faut rendre aux habitants la maîtrise de leur environnement et faire d'eux des demandeurs et des producteurs de culture, d'oeuvres.

L'industrie de la répétition et sa réorganisation informatisée peuvent sans doute subvenir aux besoins massifs de la survie; elles ne peuvent proposer les oeuvres de l'"appartenance - au monde". La construction de l'humain dans l'homme appartient à la culture, au développement en tant que système culturel.

Le développement, au-delà de la croissance, du changement social ou de l'avancée technologique, est essentiellement culturel: il engage la totalité de l'être des individus, des groupes et des sociétés.

L'"agonie du capital" (selon A. Gorz in "Les chemins du paradis" Galilée 1983) provoquée par la contradiction fondamentale de l'augmentation de la productivité et la disparition du salariat, implique une réorganisation spatio-temporelle profonde.

Nos gestes hyper-producteurs d'objets ont spacialisé, spécialisé notre environnement; nos déplacements temporels, producteurs de comportements, devront rendre à l'espace sa dimension temporelle, d'essence culturelle.

La gestion du temps devient le défi principal de nos sociétés sans travail où la survie peut être assurée par la productivité globale et le respect du droit au minimum vital. Le temps ainsi libéré de l'économie de survie devrait servir à rebâtir des oeuvres, à la culture, à la "construction de l'humain dans l'homme".

Nous devrions saisir cette opportunité historique pour recentrer notre développement.

L'importation (dans une région ou un pays) d'un produit n'est qu'un substitut au transfert de la technologie qui aurait été nécessaire pour le produire; c'est en quelque sorte un non-transfert qui entretient l'idée que l'on peut "acheter le développement".

La maîtrise technologique, qui ne peut concerner que la collectivité, nécessite une pédagogie dont le spécialiste - dont l'architecte - doit "se faire l'artisan" au-delà de ce qu'on a appelé l'"auto-construction assistée" dans le Tiers Monde, le "do it yourself" dans nos pays: il s'agit de développer une culture technologique, partagée par tous, accessible à tous et à chacun. L'habitat, cette coquille quotidienne de nos vies est un enjeu technologique fondamental: l'habitat fait l'homme autant qu'il est fait par lui.

La technologie n'a que deux modes d'existence: l'information et le savoir-faire. La maîtrise de la technologie (traditionnelle ou avancée) par l'artisan passe par un savoir-faire qui inclut automatiquement l'information. Cet artisan dispose d'une incontestable supériorité professionnelle sur l'intellectuel qui ne possède que l'information, le "savoir" sans le "faire", il possède une culture matérielle, gestuelle, organisationnelle supplémentaire essentielle.

La diminution du temps "obligatoire" consacré à la production du nécessaire permettra, si le temps de travail est partagé, l'expansion d'un secteur non marchand, du superflu de la création de l'auto-production, non plus fondé sur la consommation, mais sur le désir et le plaisir de faire, d'apprendre et de créer soi-même. Notre habitat est au centre de cette mutation artisanale.

Ce nouvel âge de l'artisanat, de la culture, du développement nous permettrait peut-être de sortir de la "société de travail" pour une "société à l'oeuvre".

 


 

 

 

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