La régionalisation des crédits de
recherche: la place de la Wallonie
Michel
COLLARD
Radiologue
Agrégé Professeur à l'ULB
Chef du service Radiologie du Centre hospitalier universitaire A.Vésale
à Montigny-le-Tilleul
Traditionnellement (cette notion est encore entretenue dans certains
milieux académiques), une distinction artificielle est maintenue
entre la recherche fondamentale, étroitement associée aux structures
de l'enseignement supérieur, et la recherche appliquée, liée au
monde industriel. La fin du 20ème siècle démontre à l'évidence
qu'une telle frontière est artificielle: recherche fondamentale et
appliquée sont étroitement associées. Au cours de sa carrière, le
scientifique peut passer de l'une à l'autre! L'organisation
spécifiquement académique de la répartition des crédits de recherche
fige leur répartition en fonction des structures universitaires
traditionnelles. De la sorte, une dissémination dosée des crédits
contrarie l'élaboration de programmes coordonnés et ambitieux et, en
tout cas, compétitifs sur le plan européen. Chaque université
complète prétend aborder tous les domaines de recherche, de telle
sorte que des travaux identiques peuvent être simultanément
entrepris dans plusieurs centres universitaires sans qu'une
complémentarité ne soit envisagée, hormis quelques rares exceptions.
En fait, la perspective européenne impose une meilleure
concentration des crédits de recherche, en fonction d'une
spécialisation des divers centres universitaires wallons. Une
concentration universitaire au niveau wallon représente une des
conditions essentielles au maintien de la Région wallonne dans le
courant de pensée scientifique européen. Par ailleurs, au-delà même
des structures académiques, des centres de recherche appliquée,
comme l'Institut des Radio-éléments à Fleurus, ou des centres
d'application industrielle doivent participer à cette coordination
qui doit aboutir à une utilisation plus rationnelle des crédits de
recherche.
L'analyse démographique
de la Région wallonne fait apparaître à cet égard une relative disparité. Pour
des raisons historiques, l'Université libre de Bruxelles et l'Université
catholique de Louvain se développent essentiellement autour de la Région
bruxelloise; ce n'est que tout récemment que ces universités ont développé dans
la Région wallonne proprement dite certaines unités de recherche spécifique.
L'emploi généré par ces structures universitaires et ces unités de recherche est
essentiel au développement qualitatif de la région wallonne. Le potentiel
intellectuel de la région wallonne doit être maintenu dans une perspective
régionale: il convient de ralentir l'actuelle concentration démographique de la
recherche fondamentale et de la recherche appliquée dans la région centrale du
pays, sous peine d'assister à une paupérisation intellectuelle et morale des
autres régions wallonnes
Jusqu'à présent, la
politique de la recherche scientifique est nationale et les diverses structures
qui l'organisent conservent des compétences nationales. Comme dans d'autres
domaines, la pression flamande se manifeste en matière de recherche par une
politique de révision des clés de répartition. Les personnalités wallonnes du
monde scientifique et académique doivent opposer à cette politique flamande une
stratégie de concertation. Au-delà de l'enseignement qui doit demeurer général
et adapté à la finalité des diverses structures universitaires de la Région
wallonne, la définition d'une spécialisation dans la recherche doit aboutir à
une utilisation plus rationnelle des crédits et des chercheurs, de sorte que des
centres wallons d'excellence puissent conserver une place significative au
niveau européen. La complémentarité des centres de recherche et du monde
industriel doit s'amplifier, de manière à développer un emploi de qualité en
Région wallonne avec toutes ses incidences culturelles.

Nouvelle politique
médico-hospitalière en Wallonie
L'élaboration d'une
politique médico-hospitalière en Wallonie doit essentiellement tenir compte de
facteurs démographiques et sociaux et il est essentiel de modifier
l'investissement médico-hospitalier actuel qui se caractérise par un
déséquilibre marqué entre les diverses régions de la Communauté française. Les
études démographiques démontrent une diminution progressive du nombre
d'habitants à Bruxelles et en Wallonie, tandis que l'accentuation est légère en
Flandre. (voir tableau 1)
L'analyse de la natalité
par région démontre une réduction du taux de natalité en Flandre et un statu quo
en Wallonie. (voir tableau 2)
Divers facteurs sociaux
peuvent être envisagés pour expliquer l'évidente diminution de la natalité
flamande. Une des causes les plus vraisemblables réside dans une meilleure
connaissance des méthodes contraceptives de la part de la population féminine de
Flandre qui a atténué sa discipline vis-à-vis de l'autorité ecclésiastique
traditionnelle. Les projections démographiques relativement acceptables pour la
Région wallonne jusqu'en l'an 2000 démontrent par contre qu'à partir de 2005, le
processus de vieillissement s'accélère plus en Wallonie qu'en Flandre. Les
générations du baby boom auront 60 ans en 2005, tandis que les adultes de
20 à 40 ans, nés entre 1965 et 1985 seront beaucoup moins nombreux.
Jusqu'à ces dernières
années, la médicalisation de la Région wallonne était supérieure à la
médicalisation flamande. Naturellement, le nombre de médecins et par conséquent
le taux d'activités médicales est le plus important dans le sillon industriel
wallon. Toutefois, l'accroissement rapide du nombre de médecins flamands tend à
ramener l'activité médicale de cette région à un niveau comparable à celui de la
Région wallonne.
Evolution de la
consommation médicale
Comme pour les autres
régions européennes, la Wallonie connaît un accroissement important de la
population âgée, puisqu'en effet, en 1947, 30 % de la population belge était
âgée de plus de 60 ans et ce taux atteindra 58,8 % en 2025. L'abaissement de
l'âge de la retraite ainsi que la prépension sont présentés comme des mesures
sociales, mais elles répondent en réalité à un souci de diminuer
artificiellement le nombre de chômeurs. Or, seules les rares individualités
susceptibles de réussir leur mutation d'un environnement professionnel à un
autre environnement culturel et social peuvent réussir la fin de leur vie
active. Par contraste, une majorité de préretraités, souvent peu structurés sur
le plan culturel, connaissent des troubles médicaux initialement
psychosomatiques mais qui se somatisent progressivement et génèrent ainsi un
recours accru à la médecine.
Le climat actuel
d'insécurité sociale qui s'est développé d'une manière insidieuse et connaît une
accélération ces dernières années génère une atmosphère stressante qui accélère
les troubles psychosomatiques et le recours à des médications neuroleptiques. La
fragilité sociale et l'insécurité de l'environnement socio-économique
constituent un handicap considérable au développement harmonieux de l'homme. La
précarité de nombreuses situations accentue une tension nerveuse aboutissant à
une médicalisation excessive. La surpopulation croissante en généralistes
engendre un développement inexorablement progressif des médecines douces ou
parallèles (homéopathie, chiropraxie, acupuncture, mésothérapie, etc).
Ce vieillissement de la
population wallonne au début du 21ème siècle annonce des difficultés en matière
de sécurité sociale qu'il importe d'analyser dès à présent.

Démographie médicale
En 1951, la Belgique
comptait 8.685 médecins, soit 1.000 habitants par médecin; en 1983, la Belgique
compte 27.631 médecins, soit un médecin pour 357 habitants... De 1974 à 1990, le
nombre de médecins généralistes aura doublé! L'augmentation exponentielle du
nombre de médecins va de pair avec leur rajeunissement relatif ainsi qu'une
féminisation progressive (surtout due aux femmes de moins de 35 ans). Alors
qu'il n'existe aucune limitation au nombre de médecins généralistes introduits
chaque année dans le circuit de la santé publique par les diverses universités
belges, une politique malthusianiste limite le nombre de médecins spécialistes.
Par le biais de commissions d'agréation, le nombre de mandats de médecins
stagiaires diminue, d'autant plus que les restrictions hospitalières accentuent
la restriction de l'engagement médical. Pour la Belgique, comme pour les autres
pays occidentaux, la proportion de médecins spécialistes dépend étroitement du
degré d'urbanisation. Pour des villes moyennes (25.000 à 75.000 habitants), les
spécialistes représentent la moitié du nombre des omnipraticiens, mais pour les
grandes villes du pays, le nombre de spécialistes est équivalent à celui des
généralistes. A Bruxelles, en raison d'une inopportune pléthore
médico-hospitalière, on note un taux unique en Europe de 1 médecin spécialiste
pour 420 habitants! Le nombre de spécialistes augmentera encore de 50 % dans les
10 prochaines années...
Ces médecines parallèles
constituent un complément d'activités médicales palliant la réduction
progressive du travail spécifiquement médical. Il s'avère impossible de
distinguer les activités médicales parallèles des activités médicales
classiques: leur intitulé est identique au niveau des indices de la sécurité
sociale. L'augmentation du nombre de médecins généralistes aboutit aussi à une
médicalisation d'actes para-médicaux simples avec une incidence de plus en plus
perceptible au niveau des activités para-médicales: kinésithérapeutes, logopèdes,
diététiciens, infirmiers, etc.
Le doublement des
médecins généralistes prévu pour 1990 accentuera encore la médicalisation de
notre société, sans que la santé au sens réel du terme n'en soit améliorée. Bien
que la notion de numerus clausus engendre une réticence naturelle qui résulte de
son caractère peu démocratique, il n'en reste pas moins vrai que la limitation
de l'explosion de la démographie médicale constitue un impératif pour les 20
prochaines années. Jusqu'aujourd'hui, l'équilibre budgétaire des facultés de
médecine dépend du nombre d'étudiants en candidature et aucune université n'a
réellement pratiqué une limitation du nombre d'étudiants. Le problème se
complique par le fait que les recteurs des universités flamandes ont affirmé que
le numerus clausus devrait être envisagé par la région francophone alors qu'ils
ne l'estiment pas indispensable pour la communauté néerlandophone. Dans
l'éventualité de l'application du numerus clausus sur le plan national, les
recteurs flamands revendiqueraient 60 % de l'ensemble des étudiants admis aux
études médicales. A l'heure actuelle, la situation est confuse, mais les
perspectives d'une communautarisation de l'éducation nationale débouchent
nécessairement sur la nécessité d'une stratégie de limitation d'accès aux études
médicales pour la communauté française du pays, tout en essayant de mieux
répartir les étudiants dans les divers centres facultaires. L'excessive
concentration des étudiants en candidature de l'ULB et l'UCL doit être tempérée
en encourageant le recours aux autres centres francophones (Liège-Namur et
Mons-Charleroi) où un enseignement en candidature existe dans des conditions
d'encadrement mieux adaptées.

L'organisation
hospitalière en Région wallonne
L'expulsion de la Faculté
de Médecine de Louvain et son implantation à Bruxelles ont accéléré une
concentration anormale des hôpitaux au centre du pays. En effet, la construction
d'un hôpital académique lié à l'UCL a engendré celle d'un hôpital similaire lié
à l'ULB et enfin un troisième hôpital académique a été édifié en faveur de la
VUB. En quelques années, à Bruxelles, le nombre de lits universitaires a atteint
le taux de 2.496 lits pour une population de 982.434 habitants, c'est-à-dire le
rapport incroyable d'un lit universitaire pour 393 habitants... (record du monde
en la matière).
BRUXELLES: un lit
universitaire - 393 habitants;
VLAAMSE BRABANT: un lit universitaire - 771 habitants;
WEST VLAANDEREN: un lit universitaire - 1022 habitants;
LIEGE: un lit universitaire - 1061 habitants;
NAMUR: un lit universitaire - 1370 habitants;
ANTWERPEN: un lit universitaire - 1795 habitants;
HAINAUT: un lit universitaire - 6410 habitants;
OOSTVLAANDEREN: un lit universitaire - 8315 habitants;
LIMBOURG: NIHIL;
LUXEMBOURG: NIHIL.
L'actuelle politique
nationale est de privilégier le développement des hôpitaux universitaires en
leur accordant non seulement un budget nettement supérieur à celui des autres
hôpitaux (prix de journée, etc), mais également en leur réservant un
investissement prioritaire en équipement lourd. Cette politique accentue une
concentration artificielle de moyens techniques et financiers sur quelques sites
hospitaliers académiques, dont la répartition géographique diffère des critères
démographiques.
Sous le couvert d'une
subsidiation préférentielle des structures académiques, le budget de la sécurité
sociale prend en charge l'activité médicale des hôpitaux académiques, dont une
part importante ne diffère en rien de l'activité des hôpitaux généraux de la
Wallonie. Dans cette perspective, l'actuel gouvernement a diminué le mode de
subvention des lits universitaires, compte tenu de la part significative de leur
activité en routine. Dans le budget de la sécurité sociale, le poste des
hospitalisations universitaires augmente avec régularité, alors qu'on enregistre
une diminution progressive des hospitalisations non universitaires.
A titre de référence, les
hospitalisations universitaires représentaient 8 % du total des hospitalisations
en 1978 et, en 1984, ce taux atteignait 14,5%. La tendance s'est encore accrue
au cours des années suivantes. Par ailleurs, les hôpitaux académiques
participent indirectement aux crédits de l'éducation nationale (corps
enseignant) et aux crédits de recherches scientifiques et médicales (Fonds
nationaux). A l'heure actuelle, le Hainaut, le Luxembourg et la Province de
Namur ne participent que d'une manière très limitée aux investissements
hospitaliers universitaires.
L'adaptation des
équipements médico-hospitaliers à la démographie wallonne est essentielle: il
est urgent de ralentir le solde migratoire des patients drainés par les hôpitaux
universitaires de la Région bruxelloise; afin de maintenir un taux d'occupation
acceptable, ceux-ci sont contraints d'accentuer une politique de recrutement de
patients wallons, même pour des actes médicaux ne revêtant aucun caractère
universitaire. A côté de l'aspect spécifiquement médico-social de ce
déséquilibre hospitalier, il faut rappeler l'induction d'emplois de haut niveau
par le développement des hôpitaux universitaires qui bénéficient de conditions
financières plus favorables que les hôpitaux généraux. Une répartition plus
harmonieuse des structures hospitalières universitaires dans la Région wallonne
mettrait à la disposition de sa population des soins et un appareillage mieux
adaptés à des critères démographiques objectifs.
En outre, il apparaît
essentiel d'élaborer une politique de concertation entre les divers hôpitaux de
la Région wallonne en matière de technologie lourde: transplantation d'organes,
grands brûlés, chirurgie cardiaque, traitements médicaux complexes. De la sorte,
certaines missions spécifiques seraient dévolues à divers hôpitaux qui ne
seraient pas concurrentiels dans une même discipline de pointe. Cette approche
régionale permettrait aussi une meilleure coordination des investissements,
ainsi que la mise sur pied d'équipes expérimentées répondant à un besoin
régional avec une efficacité et une compétitivité adéquates. En outre, un
reconditionnement du mode de répartition de l'emploi médical, scientifique et
para-médical de haut niveau dans les diverses régions de la Wallonie permettrait
d'y maintenir des emplois très qualifiés avec une évidente incidence culturelle.

Conclusion
En prévision du début du
21ème siècle, il est essentiel de définir une nouvelle politique
médico-hospitalière tenant compte de la spécificité de la Région wallonne.
-
L'inflation du nombre
de médecins accentue la médicalisation de la population wallonne avec le
risque d'une moindre performance d'un corps médical dépourvu d'une pratique
régulière. Tout médecin, généraliste ou spécialiste, doit atteindre un seuil
minimal d'activités pour maintenir ses connaissances et son expérience à un
niveau adéquat.
-
Le vieillissement de
la population wallonne sera maximal à partir de 2005 et l'organisation d'une
structure d'accueil pour le troisième âge s'impose, d'autant plus que les
mesures de pré-pension ou d'abaissement de l'âge de la retraite engendrent
une fragilisation psychosomatique de cette tranche de population.
-
La concentration
regrettable des investissements hospitaliers dans l'agglomération de
Bruxelles crée un déséquilibre à la fois social, médical et scientifique. En
effet, l'agglomération bruxelloise compte un lit universitaire par 393
habitants! Pour assurer à ces hôpitaux un taux d'occupation adéquat, une
politique de recrutement en patients wallons se développe de plus en plus
avec une incidence évidente sur le solde migratoire de ces patients. De
plus, les investissements en technologie lourde ne peuvent être liés
exclusivement au caractère académique des institutions hospitalières car
cette concentration anormale de moyens techniques et humains accentuerait
encore le déséquilibre actuel. A l'avenir, la programmation hospitalière
devra tenir compte de chiffres moyens de la population, c'est-à-dire d'une
étude démographique objective, ainsi que de l'âge moyen de la population et
sa morbidité spécifique. Cette évidence doit être appliquée sans retard,
afin de répondre à des impératifs médicaux et sociaux ainsi qu'économiques.

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