Découvrir les inégalités
sociales et bâtir des alternatives crédibles
Abbé Michel
PAPELEUX
Responsable de "La Lucarne"
1. Vive les
forts, les entreprenants!
Qu'ils puissent disposer
à leur gré d'argent et de facilités fiscales! Le sort du pays dépend d'eux! Que
l'Etat les laisse faire et surtout que l'Etat ne mette aucune barrière aux
possibilités d'entreprendre de toute personne ou de toute société privée. Tel
est, en quelques slogans, le langage qu'on entend tous les jours.
Ce langage, il faut le
dénoncer. Non par des propos théoriques mais dans les faits. "Il n'y a pas
dans le monde actuel que les bombes des terroristes qui doivent nous inquiéter,
il y a les distorsions fondamentales dans les rémunérations et les revenus qui
préparent un avenir incertain. Que peuvent nous préparer pour demain des jeunes
sans travail et n'ayant pour vivre que quelques milliers de francs par mois?"
2. Les inégalités, une
réalité
Parler d'inégalité exige
de savoir qui l'on compare: inégalité entre hommes et femmes, entre telle et
telle classe sociale, entre les individus ou des ménages; mais demande aussi des
informations statistiques suffisantes. Or actuellement, les informations font
cruellement défaut et c'est sur base de statistiques trop restreintes et trop
anciennes que l'on est contraint à réfléchir sur ce qui se passe aujourd'hui.
Ainsi, près d'un quart des ménages, qui sont à des niveaux de revenus bas, sont
hors des statistiques fiscales et n'entrent donc même pas dans les comparaisons.
Dans une présentation
statistique en pyramide, les revenus disponibles professionnels ont une base
ouvrière, employée et retraitée. Au fur et à mesure que l'on monte dans cette
pyramide élancée, les ouvriers y sont moins nombreux, les employés et
indépendants y représentent alors une proportion plus importante. Tout au
sommet, bien en haut de cette pointe, on ne voit qu'administrateurs de société
et sans activités (rentier). Ce socle de hiérarchie des revenus professionnels
est amplifié encore par les revenus de la propriété; mais dans des sens divers.
Des retraités à faibles revenus disponibles jouissent de plus de capital mais
des groupes à hauts revenus disponibles jouissent de montants de capital, de
plus en plus exorbitants. La hiérarchie des revenus professionnels hiérarchise
aussi les professions des personnes qui les exercent, les valeurs que ces
professions véhiculent et les pouvoirs détenus. Ainsi une institutrice
maternelle, au revenu bien inférieur à celui d'un professeur de l'enseignement
secondaire ou universitaire, est moins bien considérée.
L'activité qu'elle exerce
apparaît comme peu importante, la profession peu enviable et son rôle dans la
société pratiquement nul. Et pourtant, objectivement, il est prouvé que
l'éducation donnée vers 3, 4 ans est essentielle pour la formation de
l'individu. Cette hiérarchie des revenus "fabrique" une société où les rôles et
les pouvoirs sont contestables.
Dans une période où les
enjeux sont de plus en plus occultés au profit de vues partielles, c'est
l'ensemble que nous devons voir si nous voulons agir adéquatement dans la
société où nous sommes.

3. Quel est le rôle de
l'Etat?
Au cours des trente
dernières années, les recettes de l'Etat, des Communes et de la Sécurité sociale
ont grimpé du quart à près de la moitié de la valeur de ce qui est produit dans
le pays (produit national brut). Les recettes fiscales proviennent maintenant à
près de 60% (40% il y a 30 ans) de l'impôt directement prélevé sur les revenus
des ménages(1)
(impôts directs). Ceux qui souhaitent plus d'égalité s'en réjouiront car les
impôts directs sont les plus modulables selon les revenus. Ne nous réjouissons
pas trop vite! A partir de plusieurs exemples, le professeur Frank a bien montré
que le rôle redistributeur de l'Etat diminue tant par la manière dont il prélève
les impôts que par la façon dont il répartit les dépenses. Exemple: l'impôt sur
le patrimoine (sur la fortune d'une famille) est passé en 30 ans de 2,7% du
produit national brut à 1% et chacun sait que face aux difficultés budgétaires,
le gouvernement économise sur le budget de la Sécurité Sociale. En clair, les
plus démunis font les frais des économies.
4. Qui domine dans notre
société?
Il convient de souligner
les carences de l'appareil statistique; ainsi, quand on analyse le faible recul
de la consommation des ménages, il n'est pas facile de voir qui et combien de
gens consomment plus alors que l'on sait que bien d'autres consomment bien
moins. Les amputations de revenus se sont opérées drastiquement vers les revenus
les plus bas mais ne se sont pas étendues aux revenus les plus hauts.
Toutes les mesures qui
favorisent les revenus de la propriété, illustrent une pratique gouvernementale
inféodée aux intérêts financiers et bancaires. Deux exemples: l'aide à la
construction et les abattements professionnels dans l'impôt des personnes
physiques. Explicitons le premier exemple. La diminution du taux de T.V.A. (de
19% à 6%) pour la construction est en quelque sorte un cadeau de l'Etat à ce
secteur. Mais ce cadeau n'est pas réparti en fonction des régions alors que le
logement est une compétence régionale. Dans la répartition, la Flandre est
favorisée car elle a besoin de construire davantage, la Wallonie a surtout
besoin de rénover. Si la Wallonie pouvait disposer du "cadeau" de l'Etat en
fonction de sa population, elle pourrait mieux encourager une réhabilitation du
logement wallon.

5. Appel au travail de
groupe
Il faut continuer le
travail d'exploration et de transparence dans des groupes locaux, de façon à
faire émerger une alternative tenant mieux compte des réalités populaires
d'aujourd'hui.
Une véritable alternative
ne pourra surgir qu'au départ de nombreux groupes qui se seront attachés à
réfléchir à ce problème des inégalités. Il est en effet à souhaiter que des
groupes de militants de différents mouvements ou organisations s'astreignent à
un travail suivi dans ce domaine pour que chacun mette en route, dans les lieux
ou les engagements où il se trouve, une opposition organisée à une société
inégalitaire.
(Octobre 1987)
Notes
(1)
Au sens économique, un ménage est aussi bien une personne vivant seule qu'une
famille de plusieurs personnes.

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