Place du travail dans
l'éthique de la société moderne
Christian
GOUZEE
Ingénieur Agronome AIGX
1.
Définition et diagnostic
La définition conditionne
l'approche du programme.
Idéalement, le
travail est l'activité principale de l'homme, il correspond à son choix et à sa
formation, il permet son épanouissement, il lui permet de vivre, de faire vivre
une famille et d'avoir des loisirs, il le protège contre l'isolement.
Concrètement, la
formation et les choix sont limités; le travail est assimilé à la contrainte;
l'épanouissement est limité et les revenus qu'il procure sont pour la première
fois depuis longtemps décroissants; la liaison entre travail production et
satisfaction des besoins individuels et collectifs est de moins en moins
évidente.
De plus, récemment,
le travail est rare. Le chômage est une menace généralisée (sinon toujours
ressentie) du fait de la crise (ralentissement mystérieux de l'activité
mondiale) et de la mutation technologique (robotique en usine, informatique et
bureautique dans le tertiaire). Il en résulte une image négative du travail
considéré comme un élément de système économique (ou politique) en faillite au
niveau international. Le système serait surtout responsable de l'impasse que
constitue la notion de "demande solvable" et de la mauvaise structure de la
production (et de la consommation induite). La crise met en cause non seulement
l'Occident, mais tous les pays qui s'alignent sur son modèle de consommation

2. Réactions possibles
2.1. Partage du travail
C'est parfaitement
possible théoriquement et l'équation est simple: il suffit de diviser la masse
du travail disponible par le nombre de travailleurs potentiel pour obtenir la
durée du travail de chacun.
Mais cette évidence pose
autant de questions qu'elle n'en résout.
Quelle serait la
rémunération horaire ou journalière? Elle devrait être une pondération de la
rémunération du travailleur et de celle du chômeur, corrigée (vers le bas) pour
supprimer le déficit de la sécurité sociale. En fait, un tel calcul donnerait la
mesure de la dégradation de la position relative de plusieurs pays occidentaux.
Quelle serait la réaction
des différents groupes de la population? Quel serait l'impact sur le mode de
vie? Comment concilier dans l'optique actuelle, le temps libre accru (donc les
occasions de consommer) et la baisse des revenus? Quelle serait la réaction des
travailleurs actuels à temps plein tant que le chômage n'est pas une menace
générale vraiment ressentie?
2.2. Création d'emplois
Plusieurs cas sont à
distinguer.
2.2.1. Création par des
employeurs privés ou publics de nouveaux emplois rémunérés.
Ce serait la meilleure
solution mais la tendance actuelle est l'inverse dans l'industrie et le sera
sans doute bientôt dans le tertiaire. La création d'emplois nouveaux et durables
exige un capital intellectuel, un capital financier et un marché solvable. Or
les trois facteurs sont rares et dans les trois cas la solution se situe à moyen
terme plutôt qu'à court terme. Pour les emplois traditionnels la tendance des
groupes multinationaux à transférer l'exploitation vers des pays à main-d'oeuvre
docile et mal payée se généralise (le Japon lui-même sous-traite chez les
voisins paupérisés).
2.2.2. Développement des
services
Nécessitant moins de
capital par emploi, se substituant dans la structure de consommation à des
achats de biens industriels importés.
2.2.3. Développement de
services payés par la Communauté (social non rentable) soit dans la structure
(doubler le personnel dans les jardins d'enfants) soit dans des ASBL (subsides
ou, à la limite, le "chômeur volontaire").
2.2.4. Création de
coopératives autogérées pour assurer notamment des services non rentables par
voie normale.

2.3. Création de travail
sans création d'emplois.
Supposons la journée de
travail rémunéré ramenée à 6 heures. Un groupe décide d'utiliser quatre heures
supplémentaires par jour à un travail déterminé. Celui-ci peut être aussi
matériel que le nivellement d'une plaine de jeux ou le ramassage des produits de
première éclaircie pour chauffer un home de vieillards, ou aussi immatériel que
la création d'une chorale, l'organisation d'un cours d'alphabétisation ou de la
formation permanente.
Il n'y a pas création
d'emplois, pratiquement pas d'augmentation du PNB mais il y a augmentation du
bien-être national.
Quelle serait l'attitude
du public devant le développement de ce volontariat? Quelle serait l'attitude
des finances si se développait un tel système? Jusqu'à quand est-ce qu'un
volontariat basé sur l'échange ou la fourniture gratuits de service peut-il
échapper à la taxation?
Que deviennent les
finances des pouvoirs organisateurs si le système se généralise (l'hostilité
marquée, dans ce pays, à l'échange de services non facturés entre voisins
agriculteurs et ruraux montre que la question n'est pas académique ).
2.4 Changements
fondamentaux
2.4.1. Une des raisons de
la crise actuelle a été les termes de l'échange entre le Nord et la Sud. Le
Nord, riche, achetait des matières premières bon marché et vendait cher des
produits industriels ou des services (cher et bon marché, s'entendent comme
référence au prix de l'heure du travail incorporé). Le Sud, pauvre, emprunte
pour acheter et se laisse séduire par le modèle nordique de consommation. A un
certain niveau d'endettement le système se bloque. Des termes de l'échange plus
normaux permettraient de relancer le système, et les échanges avec un pays riche
sont plus importants qu'avec un pays pauvre (le Japon est un meilleur partenaire
que le Zaïre).
2.4.2. Structure de
production et de consommation.
Une des raisons de la
dévalorisation du travail est l'importance des biens et de l'énergie importés,
dans notre consommation. On a déjà calculé combien de journées de travail
pourrait fournir en France, la production de méthane si cette matière était
utilisée pour remplacer les importations de pétrole.
Le même calcul peut être
fait pour d'autres biens, notamment industriels. Pourquoi ne pas fabriquer ses
propres vélos, machines à écrire, machines à coudre etc...
2.4.3. La rentabilité et
le niveau de vie
La notion qui bloque les
changements ci-dessus est celle de rentabilité économique liée au niveau de vie.
Les produits importés coûtent moins chers, donc on peut consommer plus. Mais ce
raisonnement restera valable combien de temps?
Ne risquons-nous pas de
devenir un jour les acheteurs obligés, et aux termes d'échange que dictera le
partenaire? (Japon par exemple).
2.4.4. Le développement
de l'attitude au changement et son corollaire, la formation permanente
apparaissent comme facteur essentiel à intensifier pour accélérer les évolutions
vers un nouveau statut du travail dans la société.

3. Quelques aspects
particuliers
Tous les groupes sociaux
ne vivent pas la situation actuelle de la même façon.
3.1. Les entrepreneurs
ont commencé par considérer la crise actuelle comme une péripétie normale du
système capitaliste entraînant la disparition des moins aptes et une reprise en
main des salariés. Actuellement, ils perçoivent l'ampleur de la catastrophe en
Belgique (diminution de plus de 50% dans la construction par exemple) mais sont
trop enclins à n'entrevoir d'autres solutions que l'arrêt des investissements en
Belgique.
Comment les faire changer
d'avis?
3.2. Les syndicats ont
pour mission la défense des employés, de leurs revenus, de leur statut, et de la
sécurité sociale. Ils ne sont pas responsables de la création d'emplois. Ils
commencent seulement à considérer comme prioritaire la lutte contre le chômage
dans la mesure où la proportion des chômeurs augmente parmi les affiliés.
Comment les encourager?
3.3. L'Etat est
complètement débordé et de plus, au niveau des régions ne dispose que de moyens
financiers et administratifs dérisoires.
3.4. Le groupe des femmes
occupe une position particulière dans la crise actuelle: elles sont plus
impliquées dans la civilisation tertiaire de 1982 que dans la société
industrielle de 1930. Elles sont nombreuses à travailler comme salariées mais
elles ont aussi traditionnellement, l'expérience d'autres formes de travail:
volontariat, travail ménager non rémunéré, entraide etc... La crise d'une
société organisée par les hommes les traumatise moins qu'eux, elle leur fournit
l'occasion de définir d'autres conceptions de la société en général et du
travail en particulier.
Comment les aider à les
concrétiser?
3.5. La jeunesse est
spécialement frappée par la crise parce qu'elle bouche son horizon. C'est elle
qui consent l'effort d'expérimentation des formules nouvelles (CST notamment).
Elle peut basculer dans l'initiative comme dans l'apathie. Elle est en proie
injustement à beaucoup d'hostilité de la part de l'ordre établi.
Quel appoint faut-il pour
la dynamiser sans paternalisme?
(Octobre 1987)

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