Vers une solidarité
mutualiste renouvelée pour l'an 2000
Alfred
CALIFICE
Ancien Député
Sénateur honoraire
Ministre d'Etat
Président de la Fédération des Mutualités chrétiennes de Charleroi
Pour nous,
mutualistes démocrates chrétiens, qui croyons en la valeur
irremplaçable de la solidarité, la question se pose de savoir si,
participant activement à créer de nouvelles perspectives d'avenir,
nous allons réussir à mettre ces nouvelles possibilités au service
de l'homme, pour son épanouissement personnel et son bien-être. Il
faudra faire preuve d'audace et d'initiative pour y parvenir tout en
garantissant des chances égales pour tous et en restant
particulièrement attentif aux besoins des plus faibles.
Dans ce contexte, il
faudra trouver de nouveaux équilibres entre les responsabilités collectives et
personnelles. Il s'agit bien de "nouveaux" équilibres, basés sur un large
consensus, avec une participation personnelle à la solidarité.
Sous la pression de la
crise, mais aussi et surtout en raison du plus grand bien-être matériel et des
conséquences fiscales de la forte croissance des dépenses publiques, l'idée même
de solidarité est de plus en plus battue en brèche par certains. Ceci d'autant
plus que certains systèmes généraux, ne laissant pas de possibilité de choix
personnel, sont souvent ressentis comme des charges imposées et des obligations
que l'on subit.
Dans de nombreux cas, la
notion de solidarité a disparu. Bien souvent, les systèmes généralisés et
obligatoires nuisent à la vraie solidarité en créant un esprit de "récupération"
où le "chacun pour soi" domine: on ne parle plus qu'en termes de "droits" sans
jamais évoquer les "devoirs".
Ceci ne signifie pas
qu'il faille supprimer les systèmes généralisés mais qu'il faille fixer
certaines limites et que les changements s'imposent. D'une part, le public doit
être mieux informé afin qu'il se sente directement concerné et, d'autre part, il
faut répondre au besoin d'une plus grande diversification.

Ainsi j'en arrive à
situer l'organisation de la solidarité mutualiste à trois niveaux:
1. La participation
active à la solidarité générale, obligatoire, qui reste l'objectif principal. En
effet, il s'agit en premier lieu de sauvegarder l'essentiel de cet acquis social
irremplaçable. Il s'agit de maintenir l'accès aux soins nécessaires pour tous -
ce qui ne revient pas automatiquement à la garantie de gratuité, ou mieux de
couverture totale, car la gratuité n'existe pas. Il s'agit plutôt de savoir ce
que nous prenons en charge collectivement, individuellement ou en groupe.
Vu la limitation des
moyens disponibles sur le plan des cotisations - et surtout sur le plan des
subsides, vu l'état de nos finances publiques - des choix, des priorités
s'imposent. Tout n'est pas possible en même temps et pour tous! Et une
allocation trop importante de moyens à ceux qui n'en ont pas besoin risque de
compromettre la situation de ceux pour qui les prestations sont d'importance
vitale! Là aussi, il importe de respecter la solidarité! Ainsi, des questions
immédiates se posent:
-
Comment allons-nous
pouvoir financer le coût supplémentaire que représente l'accroissement du
nombre de personnes âgées, de retraités et de préretraités?
-
Comment allons-nous
intégrer l'évolution technique permettant des soins plus efficaces et moins
pénibles, sans compromettre le financement des soins courants et quotidiens?
Regardant autour de nous,
je dois vous dire que le danger primordial réside dans le développement d'un
double réseau de médecine - d'une médecine "à deux vitesses" comme c'est le cas
en Grande- Bretagne et en partie aussi aux Pays-Bas. Prenant d'autre part en
considération le coût de l'assurance maladie tant en France qu'en RFA, et bien
que notre système ne soit pas parfait, j'ose quand même affirmer que malgré ses
imperfections et les corrections à y apporter, notre système est un des moins
coûteux, tant pour les assurés que pour la collectivité, offrant des
possibilités d'accès aux soins sans distinction de classes ou de revenus. Acquis
trop précieux pour le mettre en péril! Par conséquent, la sauvegarde de notre
régime d'assurance obligatoire tant pour les salariés que pour les indépendants,
son amélioration dès que les moyens nécessaires seront disponibles, est et doit
rester l'objectif n°1.
2. A côté, et en
complément de la solidarité généralisée et obligatoire, je situe un secteur que
je voudrais qualifier de solidarité consciente et volontaire, c'est-à-dire dans
le cadre de l'assurance mutualiste complémentaire. C'est dans le cadre de ces
services que nous devons susciter une nouvelle prise de conscience de la valeur
et des avantages d'une solidarité en l'organisant à un niveau où la communauté
d'intérêts peut être mieux sentie et mieux perçue, où l'adhésion est réellement
consciente, où la solidarité est librement acceptée par les membres, les
associés.
Nous sommes à cet égard
confrontés à un dilemme délicat et difficile: devons-nous développer des
services complémentaires généralisés (c'est-à-dire indirectement obligatoires)
ou des services facultatifs en cherchant bien entendu une adhésion volontaire
aussi large que possible par la persuasion. Ce caractère facultatif est
indispensable si nous voulons être concurrentiels par rapport aux assurances
commerciales qui se développent fortement avec le recul de la sécurité sociale,
mais aussi offrir une réponse valable à une diversification des besoins. La
promotion d'assurance complémentaire facultative ne peut toutefois nous rendre
moins fermes dans la défense de l'assurance obligatoire ni moins solidaires.
Ce développement me
semble inévitable si nous ne voulons pas que tout ce secteur soit un jour
entièrement privatisé dans le réseau commercial. Notre place dans ce domaine
pourrait s'avérer un rempart utile contre un recul supplémentaire de l'assurance
obligatoire en offrant des alternatives socialement plus valable que ladite
"privatisation". N'oublions pas non plus qu'avant d'être obligatoires, les
assurances sociales furent libres et facultatives - même jusqu'à ce jour. Il
n'est pas exclu que, dans un autre contexte économique, la couverture de
certains risques reprennent le même chemin de l'assurance libre vers l'assurance
obligatoire si l'affiliation libre a pris des proportions suffisantes.

3. La solidarité directe
- interpersonnelle (medemenselijke) ou la solidarité concrète et vivante au
niveau local. Ce serait une illusion de croire que tous les besoins nouveaux -
résultant e.a du vieillissement de la population - pourront être couverts par
des services rétribués de professionnels. Il est certain que la charge
financière qui en résulterait ne serait pas acceptée par la population. Mais il
faut que le public sache que si la volonté quant au financement fait défaut - si
en d'autres termes on ne veut pas payer de sa poche - il faudra payer de sa
personne en consacrant une partie de son temps libre - et ceci d'autant plus
dans une perspective de limitation du temps de travail et de temps partiel - au
service des autres, aux personnes âgées et moins valides, soit de sa famille,
soit de son voisinage. La sécurité sociale devrait même l'encourager!
Il serait tout aussi
illusoire de croire que les deux premiers niveaux de solidarité vont pouvoir
tout résoudre. Bien au contraire, le recul du premier et le développement plus
sélectif du second laissent le champ libre à beaucoup de problèmes sociaux et
humains. Ceux-ci ne trouvent pas ou plus de solutions dans le cadre d'une
législation générale car ils sont souvent complexes (sociaux, financiers,
humains), et très spécifiques. Ils réclament dès lors des solutions adaptées,
qui font un recours très important au bénévolat, ou plus exactement à des
solutions qui revitalisent le réseau social naturel au niveau local et
nécessitent la collaboration dans une action concertée de professionnels et de
bénévoles.
L'augmentation très
importante des problèmes rencontrés par les CPAS indique clairement que la
solidarité au niveau local mérite d'être organisée plus systématiquement. Les
mutualités sont des organisations sociales qui ont un réseau extrêmement ramifié
dans l'ensemble de la population. L'activité au niveau local est importante non
seulement sur le plan administratif de l'assurance, mais aussi par les services
sociaux, les services de soins à domicile, d'aide familiale et seniors, ainsi
que par des mouvements et services (aides aux malades, association d'handicapés,
de pensionnés ou de jeunes.)
A partir de ce qui existe
déjà et en s'appuyant sur cet acquis, il nous est possible de développer une
action plus systématique, complète et intégrée d'aide et d'entraide sociale.
Ces trois niveaux de
solidarité s'articulent l'un sur l'autre dans un tout intégré. Le recul - non
voulu - de l'un provoque le développement des deux autres. L'essor du deuxième
consolide le premier. Le troisième complète les deux autres et alimente en
réflexion et en questions l'ensemble de l'organisation.
En guise de conclusion,
j'aimerais souligner que la redéfinition, en quelque sorte aussi le
ressourcement de la solidarité mutualiste, n'est pas un retrait stratégique sous
la pression des difficultés actuelles mais plutôt un renouveau sur base d'une
coordination meilleure et plus souple dans un ensemble intégré. Ceci, tant au
niveau des services d'assurance générale et facultative qu'au niveau de nos
services socio-culturels et de soins par l'entourage.
Cette intégration peut et
doit nous permettre de répondre plus rapidement aux besoins qui ne cessent
d'évoluer.
Redynamiser une
solidarité active et consciente, c'est l'approche et la préparation d'un nouvel
avenir.
(Octobre 1987)

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