La population de la
Wallonie au début du XXIème siècle
Robert ANDRE
Professeur à l'ULB
Echevin de l'Instruction publique de la Ville de Mons
Chargé de cours à l'Université de l'Etat à Mons (UEM)
Directeur du Centre de Démographie de l'Institut de Sociologie de l'ULB
Membre de l'Académie royale de Belgique
Réflexions
sur les conséquences d'une diminution et d'un double vieillissement
Aujourd'hui, les
inquiétudes que provoque la crise économique pèsent sur la Wallonie. Pourtant
elles ne doivent pas masquer les menaces qui se précisent et grandissent dans le
domaine de la population tant en Wallonie que dans l'ensemble de la Communauté
française.
Une population
aujourd'hui en régression
Le phénomène qui retient
le plus souvent l'attention est la chute de la natalité qui s'est effondrée
après 1964 et qui après un arrêt de la baisse, s'effondre à nouveau. Aujourd'hui
en Wallonie, 1.000 femmes en âge de procréer donnent le jour à moins de 800
filles, ce qui induit que les générations de mères ne sont pas remplacées par
des générations suffisantes de filles puisqu'elles seront de 20% moins
nombreuses.
En ce qui concerne la
mortalité, des progrès ont été certes obtenus. Il n'empêche que de nouveaux
progrès doivent encore intervenir, car la situation de la Wallonie est loin
d'être la meilleure du monde et n'est d'ailleurs pas parmi les meilleures
d'Europe. Une étude en cours au Centre de Démographie de l'Université libre de
Bruxelles montre que la Wallonie est en surmortalité par rapport à la Flandre et
par rapport à Bruxelles, chez les hommes comme chez les femmes. En 1979-1982, un
Wallon possède à la naissance une espérance de vie de 68,6 ans et un Flamand une
espérance de 71,1 ans; en 1979-1982, une Wallonne possède à la naissance une
espérance de vie de 76,2 ans et une Flamande une espérance de 77,4 ans.
Or, l'immigration nette
qui était encore sensible en 1962-1970 s'est changée, à cause de la crise, en
une émigration nette en 1979-1982 qui se manifeste par des taux négatifs à quasi
tous les âges chez les hommes comme chez les femmes. Cette situation n'est guère
étonnante puisqu'on n'a jamais songé - même après le rapport Sauvy - à faire
réellement de l'immigration un des leviers de la politique démographique pas
plus d'ailleurs qu'a promouvoir une politique démographique wallonne.
Au recensement du 1er
mars 1981, la Wallonie (région de la langue allemande comprise) comptait
3.221.225 habitants représentant 32,7% de la population du pays; au 1er janvier
1986, elle réunissait 3.206.165 habitants, c'est-à-dire 32,5% de la population
du pays. Ainsi en 4 ans et 10 mois, la population de la Wallonie avait perdu
l5.060. habitants c'est-à-dire 0,47% par rapport au recensement de l98l. Pendant
la même période, Bruxelles passait de 997.293 habitants (l0,l% de la population
de Belgique) à 976.536 (9,9%), ce qui se soldait par un déficit de 20.757
personnes (- 2,08% en 4 ans et 10 mois). La population de la Wallonie devient de
plus en plus minoritaire et elle commence à disparaître.

Les perspectives au
début du XXI°siècle
Considérant comme
probable la baisse de la mortalité, nous estimons qu'au début du XXIe siècle, la
population variera entre un minimum de 2.933.000 personnes (projection A - voir
tableaux en annexe) et un maximum de 3.126.000 personnes (projection D). Ainsi
au 1er mars 2001, par rapport à la situation au 1er mars 1981, la perte
démographique se situera entre un maximum de 287.000 personnes (9%) et un
minimum de 95.000 (3%). Un double vieillissement et une hausse du pourcentage
d'adultes caractériseront l'évolution de la structure. Ainsi, au début du XXIe
siècle, la Wallonie comptera au maximum à peine plus d'habitants qu'en 1961
risquant au minimum d'en posséder moins qu'au recensement de 1930, avec en outre
un pourcentage de jeunes plus faible ou aussi faible qu'au lendemain de la
seconde guerre mondiale.
Cette régression
démographique aboutira à une structure doublement vieillie, où en 2001, les
jeunes représenteront moins d'un quart de la population et les personnes âgées
déjà un cinquième. Il faut empêcher que la tendance au XXIème siècle ne
s'inscrive dans la ligne tracée par la projection A. On s'aperçoit ainsi que le
retour à un solde migratoire positif (projection B) atténuerait fortement la
perte qui serait en cinquante ans de 15,6% au lieu de 26,4%, mais n'enrayerait
pas le processus du double vieillissement qui serait plus modéré que dans la
projection A mais toujours très intense. Il est clair qu'une inversion de la
tendance actuelle n'est possible que dans le scénario où la hausse de la
fécondité se combine avec une immigration nette (projection D).
L'histoire devrait
inciter les Wallons à réfléchir sur l'urgence d'une solution. En 1962, au moment
du cri d'alarme d'Alfred Sauvy, qui proposait comme objectif l'arrêt du
vieillissement en présentant une politique de soutien de la fécondité
s'accompagnant d'un immigration familiale, 1000 femmes donnaient naissance à
1200 filles en Wallonie et l'immigration nette était importante. En 1987, 1000
femmes donnent naissance à moins de 800 filles et l'immigration nette est
devenue une émigration nette. Ainsi, au temps de "Val-Duchesse", des droits
pensés acquis sont mis en péril: la possibilité de prendre sa pension avant 60
ans; le paiement des pensions; la sécurité sociale; le chômage et les
enseignants subissent les conséquences de la dénatalité. Du 1er mars 1981 au 1er
mars 2001, les changements démographiques auraient peu d'effets sur le nombre
d'actifs; les contrastes principaux seraient dus aux changements des taux
d'activité. Il n'empêche que la population active masculine et féminine se
caractériserait par un vieillissement sensible. Il serait plus prononcé chez les
hommes où les actifs âgés de 40 ans à 69 ans deviendraient quasi aussi nombreux
que ceux âgés de 15 à 39 ans même dans l'hypothèse d'un retour à la migration
1962-1970. La baisse de la fécondité intervenue après 1963 explique cette
tendance.
(Octobre 1987)

|