La presse régionale:
témoin ou stimulant ?
Jean GODIN
Secrétaire de rédaction
Journal "La Province"
Invité à
prendre la parole au cours de ce congrès, je tiens d'abord à
remercier ceux qui ont eu la sagesse de considérer que les
journalistes avaient aussi leur mot à dire sur l'évolution de notre
région, qui ont compris que la communication, la façon de faire
passer les idées du haut vers le bas, mais surtout du bas vers le
haut était une pierre angulaire dans la vie d'une société.
Journaliste depuis plus
de dix ans au journal "La Province", édition montoise de "La
Nouvelle Gazette", je voudrais, en quelques mots, vous transmettre les
sentiments que m'inspire une présence assidue sur le terrain. Ne comptez donc
pas sur moi pour que je vous parle "théorie".
Comme sujet de mon
intervention, j'ai choisi le thème "La presse régionale, témoin ou stimulant?"
Ne croyez pas que l'ai dû réfléchir longtemps pour trouver ce titre. Il s'est
imposé parce que c'est l'interrogation première qui m'interpelle après dix ans
de métier. Ne croyez pas non plus qu'il m'est particulier. Je sais qu'il trotte
dans la tête de plusieurs de mes collègues de la presse régionale. Ne vous
étonnez pas de cette interrogation, la presse régionale et ses journalistes
vivent, travaillent par définition dans la région, en comptent les malheurs et
les succès. Ils les partagent. Il est donc normal qu'ils deviennent des témoins
engagés. Nous préciserons plus loin la nature de cet engagement. Quand on
côtoie, chaque jour, les hommes de sa région, il est impossible de "rester au
balcon" lorsqu'ils accusent le coup ou qu'ils ont de bonnes raisons de se
réjouir.
La presse régionale a
cette charge de jouer le rôle de trait d'union entre toutes les composantes de
la zone où elle est implantée. Mais ne lui demandez pas d'en rester à cette
fonction de standard téléphonique qui met en relation des interlocuteurs. Les
journalistes ne sont pas des robots. Par contre, ils sont curieux, attentifs à
la société dans laquelle ils vivent, sensibles aux soucis, aux rêves de leurs
concitoyens. Cette proximité conduit tout naturellement au compagnonnage, à une
complicité, à une confiance qui nous est la plus belle des récompenses. Ces
constatations expliquent sans doute le succès de la presse régionale. Il faut
savoir que pour le Hainaut, elle rallie les suffrages d'environ 70% du lectorat.
C'est un chiffre qui ne cesse de progresser lentement et sûrement. Il nous
réjouit mais il nous place aussi devant une lourde responsabilité. Sans nous
hausser le col, sans nous saouler de grands mots, sans être attirés par le
vertige du pouvoir que l'on attribue à la presse, il faut bien constater que
nous sommes responsables d'une large part de l'opinion publique de notre région.
Nous sommes tous conscients de ce redoutable honneur, mais l'abordons avec
l'humilité qui préserve la justesse du jugement et l'exigence de rigueur
nécessaire dans la recherche de l'information juste. Travailler avec ces deux
préalables en tête donne de bons témoignages.
Mais à cela, nous
ajoutons l'engagement dont je vous ai parlé plus haut. Il est maintenant temps
de le définir. A "La Nouvelle Gazette-La Province", les choses sont
très claires à ce sujet. Voici, en quelques lignes, comment Jean-Pierre
Vandermeuse, notre Rédacteur en Chef, le définissait il y a quelque temps déjà.
"(...) Il est un aspect de notre vocation, disait-il auquel nous estimons
devoir consacrer un surcroît d'effort en ce temps de crise et d'incertitude: à
savoir la recherche du terrain d'entente où puissent se rencontrer les forces
vives, par delà les clivages doctrinaux et les égoïsmes politiciens, afin de
mobiliser leurs énergies au service de l'intérêt général. Il ne faudrait
pourtant pas que cette volonté de nous rendre utiles à notre région et aux gens
qui y vivent, et la détermination que nous manifestons, en cette matière,
induisent en erreur quant à la nature de nos motivations.

Nous ne nous
considérons ni comme des dépositaires d'une vérité absolue, ni comme des
directeurs de conscience, ni comme des redresseurs de torts. Nous sommes des
Wallons moyens, attentifs aux maux dont souffre leur région et désireux d'y
remédier; des citoyens ordinaires, soucieux de contribuer au bon fonctionnement
des institutions et au respect des libertés individuelles; des hommes de bonne
volonté à la recherche du bonheur pour eux-mêmes et pour leurs semblables, qui
refusent avec fermeté de prendre à la légère l'accomplissement des tâches qui
leur échoient, tout autant que de se prendre au sérieux".
Soyez persuadés que tous
les journalistes de notre maison partagent cet avis et, depuis des années,
l'appliquent tout naturellement dans leur travail.
Permettez cependant à un
journaliste montois de mettre un accent tout particulier sur un passage précis.
C'est vrai que nous devons oeuvrer partout à la recherche d'un terrain d'entente
où puissent se rencontrer les forces vives par-delà les clivages doctrinaux et
les égoïsmes politiciens mais c'est sans doute plus vrai encore à Mons-Borinage
que dans une autre région.
Nous y attendons depuis
trop longtemps un consensus propice à diriger les énergies de nos décideurs vers
des buts communs et précis. Devant ce tableau affligeant, la presse montoise a
décidé d'inviter nos forces vives à se mettre autour d'une table pour déterminer
un minimum de buts à atteindre et à travailler pour qu'il en soit ainsi. Si la
presse montoise a eu cette idée, c'est qu'elle a constaté que de multiples
tables rondes ont été tuées dans l'oeuf parce qu'organisées par l'une ou l'autre
partie concernée; les autres ne pouvaient évidemment tirer profit de
l'initiative.
Notre souci est aussi de
faire constater, par une personnalité venue de l'extérieur et admise par tous,
les efforts des uns et des autres pour atteindre les buts qu'ils se sont fixés.
L'opinion publique sera tenue au courant des progrès enregistrés.
Voilà, nous semble-t-il,
un exemple de ce que la presse peut faire pour jouer son rôle de stimulant. Mais
il est évident que ce rôle ne se limite pas seulement à nos décideurs. Il
s'adresse aussi à toute notre population. Depuis des années, nous luttons contre
la morosité ambiante. Bien sûr, nous informons complètement nos lecteurs
lorsqu'il y a une mauvaise nouvelle, lorsqu'une entreprise ferme, mais nous
sommes particulièrement attentifs aux efforts que font nos concitoyens pour
entreprendre. Nous faisons alors connaître ces efforts à coups de trompe, nous
faisons en sorte que la forêt qui pousse fasse plus de bruit que l'arbre qui
tombe.
Le mot "relance" a
souvent été sous nos plumes. Nous savons qu'il est aujourd'hui de plus en plus
dans la tête de nos concitoyens et qu'ici et là, il se concrétise dans les
faits. Nous sommes à l'écoute de ceux qui parient sur l'avenir, de ceux qui
entreprennent, quelle que soit leur appartenance politique ou philosophique.
Nous les aidons qu'ils soient sportifs, artistes, ouvriers, chefs d'entreprise,
indépendants ou responsables politiques.
Notre région est riche de
potentialités encore ignorées de l'opinion publique. C'est notre travail de les
faire connaître, d'aider, avec nos moyens, à leur émergence, de libérer d'autres
ambitions. Nous aimons trop notre région et sa population pour qu'il puisse en
être autrement. Avec d'autres, à notre place, dans un effort persévérant, nous
travaillons à son renouveau.
Un souhait enfin: que ce
congrès qui regroupe un important panel de gens responsables ne soit pas
seulement celui du verbe. La responsabilité ne se limite pas uniquement aux
discours, elle doit se manifester dans les actes. Alors, la presse régionale
souhaite pouvoir enregistrer, à la fin de cette rencontre, des décisions
précises, des axes de travail où chacun aura pris l'engagement d'oeuvrer, selon
ses capacités. L'opinion publique accueillerait sûrement cette nouvelle comme un
signal encourageant.
Vous le savez tous, nos
concitoyens sont malades de la morosité. Que ce congrès leur rende une part de
rêve, nous regroupe tous autour d'un projet où se conjuguent ambition et
réalisme. Puisse ce projet être esquissé ici-même !
(Octobre 1987)

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