Discours
Jean-Pol
DEMACQ
Président de l'Institut Jules
Destrée
Monsieur le
Bourgmestre, Monsieur le Président d'Honneur de l'Institut Jules
Destrée, Mesdames et Messieurs les responsables d'Institutions
universitaires, sociales, culturelles, économiques et politiques,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, chers Amies, chères Amis,
"Pour le peuple
wallon, la crise est ressentie durement et pleine d'inquiétude car elle se
couple d'un déclin structurel dont la responsabilité première incombe à
l'ancienne classe dirigeante du pays. En Flandre, par contre, elle est perçue
surtout comme une crise de parssage ou de transition et cette croyance est
d'autant plus solide qu'existe un rapport de force institutionnel favorable à sa
croissance".
Ces termes, je les ai
tirés d'un ouvrage que j'avais ouvert pour la première fois en 1978, il y a dix
ans, et qui constituait une des analyses les plus lucides de notre déclin
wallon. Beaucoup d'entre vous ont reconnu les mots qu'avait choisi le Professeur
Michel Quévit pour constater - et même pour dénoncer - les faiblesses
structurelles dont nous souffrions hier et dont nous endurons encore maintenant
les effets.
Cette analyse n'est pas
dépassée, n'a pas vieilli. Mais au constat a commencé à succéder une volonté
nouvelle de prise en charge par les Wallons non seulement de l'héritage de leur
passé, héritage qui n'est plus perçu comme la référence de notre décomposition
économique, mais aussi de leur avenir que les habitants de notre région, la
Wallonie, veulent s'approprier à nouveau.
La prise de conscience,
pour la plupart d'entre nous, de notre situation économique et sociale dans le
temps long de l'histoire, telle que l'a définie, mesurée même l'équipe
interuniversitaire du Professeur Pierre Lebrun a probablement joué un rôle
décisif dans notre appréhension de notre aujourd'hui. C'est presque devenu
commun d'affirmer que nous ne sommes déjà plus dans les sociétés industrielles
telles que les ont vécues nos parents et grands-parents, que la technique a
effectué en quatre décennies des progrès de portée infiniment plus élevée qu'au
cours des quatre siècles précédents. Que la naissance du nouveau système
technique, à laquelle nous assistons, est en train de générer une mutation qui
aura pour l'humanité une importance comparable à celle provoquée au siècle passé
par l'implantation des premières machines à vapeur.

La nouvelle
révolution industrielle est entamée. Comme la première, comme les
premières, - n'entrons pas dans le débat -, elle ne va pas consister
en un simple remplacement d'une génération technologique par une
autre mais ce sont effectivement tous les domaines de la
civilisation qu'elle va affecter à la fois: les principes de la
production, l'organisation sociale, la culture. Changement radical,
cassure avec la société dans laquelle nous vivons, cette mutation
secrète son passage vers une autre ère. En rupture progressive avec
la structure ancienne, déstructurante donc, la crise actuelle fait
apparaître des données inassimilables pour les théories économiques
et sociales de la période industrielle: endettement mondial
collectif, croissance fabuleuse du chômage, quasi impossibilité de
maintien du volontariat. Dans le même temps, les marchés, tout
autant que les mentalités, se transforment sous le mouvement de ce
que certains ont appelé la troisième vague des sociétés
industrielles. Après les matières premières et l'énergie, c'est au
tour de l'information en tant que ressource, de polariser les
secteurs économiques et de construire une nouvelle structure pour
notre société.
Age de l'intelligence
répartie, monde de la communication, société programmée, ère de la biomatique,
nous ne pouvons pas anticiper sur ce que sera demain. Il est pourtant essentiel
pour nous, Wallons, que nous essayions de comprendre et que nous tentions de
maîtriser les passages historiques.
Comme au dix-neuvième
siècle, la Wallonie est interpellée par la nouvelle révolution industrielle. A
cette époque, elle a prouvé sa capacité à modifier ses structures avec
efficacité et, après les tensions, à retrouver un équilibre social où l'homme
est davantage respecté.
"L'avenir de la
Wallonie dépend des Wallons", écrivait Jacques Leclercq et il poursuivait "pour
que cet avenir soit assuré dans les meilleurs conditions, il faut que toutes les
forces vives du pays se concertent. Demain sera ce qu'aujourd'hui le fera".
Cette concertation, cette
mise en commun des volontés, d'approches et de sensibilités différentes, est la
vocation de l'Institut Jules Destrée. Rassembler est un acte responsable, ai-je
dit. Rassembler pour s'émanciper, rassembler pour bâtir, rassembler pour
construire. Nous sommes là pour apporter des réponses à nos interrogations et à
nos angoisses.
J'exprime ici ma plus
chaleureuse et particulière gratitude à l'égard de notre rapporteur général, à
l'égard des rapporteurs de carrefours et d'ateliers ainsi qu'envers les très
nombreux contributeurs qui nous ont apporté, bénévolement, leur précieux et
efficace concours.
Vous tous qui participez
à la dynamique de ce que Guido Fonteyn en bon observateur a appelé le "réveil
wallon", soyez également remerciés pour votre entreprise et pour votre
engagement culturel, économique, social et politique. Politique au sens réel du
terme parce qu'il n'y a pas de naïveté dans notre démarche. Politique, parce
qu'aujourd'hui, affirmer qu'il y a un futur pour la Wallonie et que nous pouvons
lui élaborer un modèle de développement n'est pas innocent. Affirmer que l'on
est décidé à s'opposer à son propre immobilisme et à prendre en charge son
avenir, est une attitude des plus responsable.
Certains ont parlé de
nous comme d'une nouvelle génération de Wallons. Non pas génération en fonction
d'un âge précis, mais bien en fonction d'une volonté de se détacher de l'image
d'une Wallonie qui marche à reculons et qui se caractérise par la crise. Nous
avons atteint une majorité dans notre conscience et dans notre coeur. Les
Wallons sont, je crois, en train de devenir adultes.
Si nous nous positionnons
à un autre niveau que les querelles partisanes, c'est-à-dire, de partis et de
groupes, nous ne pouvons pourtant pas nous isoler des problèmes concrets de la
crise de nos institutions qui s'est développée avec acuité ces derniers jours.
Le débat institutionnel ne sera pas absent de nos préoccupations. Le diagnostic
a déjà été posé plusieurs fois depuis 1912. Il y a plus de vingt ans, en 1965,
les collaborateurs du CRISP, sous la direction de Jean Ladrière, Jean Meynaud et
François Perin affirmaient déjà avec vigueur que, je cite: "l'affrontement
des communautés semblait assez fort dans ce pays pour mettre en question
l'existence même de l'Etat". Et ils poursuivaient: "Dans une situation de
cet ordre, on peut se demander si l'immobilisme traduit, comme c'est souvent le
cas, une simple sclérose ou n'exprime pas une modération vitale. Ainsi posée, la
question se ramène à savoir si la conservation de la Belgique n'est pas, dans
une large mesure, fonction de l'immobilisme gouvernemental", je cite
toujours, "ou ce qui revient au même, si la survivance de l'Etat belge n'est
pas liée à une volonté de temporisation. La fixation de la frontière
linguistique a certes sorti la législation de l'immobilisme mais il est possible
qu'elle ait en même temps constitué un premier pas vers la destruction de l'Etat
belge".,
Assurément, le modèle
d'édifice dont nous tracerons les pourtours et les plans ces 17 et 18 octobre et
dans les semaines et dans les mois qui suivront, s'avérera indispensable à la
poursuite de notre existence en temps que Wallons face aux enjeux qui nous
attendent, non pas demain, mais aujourd'hui déjà.
José Happart affirmait
récemment: "Il est temps de tailler un nouveau costume pour la Wallonie".
Si vous partagez cette option, je vous propose qu'ensemble, nous en prenions les
mesures.
Je vous remercie.
(Octobre 1987)

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