Le potentiel humain de
la Wallonie
Francis
CARNOY
IRES
Le potentiel
humain constitue un élément indispensable à la formulation d'un
diagnostic sur le potentiel de développement régional.(1)
1. Données d'encadrement
Depuis 1981, la
population wallonne décroît: son déclin est parmi les plus rapides par rapport à
ses voisins européens. Elle descendra probablement sous la barre des trois
millions d'habitants dans le courant du siècle prochain. Parallèlement, son
poids démographique au sein du Royaume est en régression lente mais constante,
et la. proportion de la population étrangère est en croissance.
Aujourd'hui déjà, la
Wallonie se caractérise par une proportion de personnes âgées, et cette
structure renforcera à l'avenir l'effet de l'évolution négative de la fécondité
et du solde migratoire.
Par ailleurs, le taux
d'activité nous est apparu, en Wallonie, plus faible que dans le référentiel
national (2), et
nettement plus faible que chez ses voisins européens. Une explication peut
résider dans le taux de scolarisation
(3) des 14-24 ans
qui est, en Wallonie, particulièrement élevé par rapport à la moyenne européenne
(plus précisément jusqu'à l'âge de 21 ans); quant aux 20-24 ans plus
spécifiquement (donc au niveau de l'enseignement supérieur), leur taux de
scolarisation apparaît significativement plus élevé en Wallonie (26,1%) que dans
le Royaume (24,0%). Il s'agit là d'éléments à souligner.
Le nombre d'étudiants
dans l'enseignement supérieur francophone a augmenté de 8,6% de 1979-80 à
1984-85, traduisant une poursuite de la croissance du taux de fréquentation de
l'enseignement supérieur. C'est dans le supérieur non-universitaire que la
croissance a été la plus rapide; au sein de l'enseignement universitaire, le
groupe qui connaît la croissance de loin la plus rapide est celui des étudiants
en sciences économiques appliquées et sciences commerciales(4),
suivi du groupe des étudiants en pharmacie, en agronomie, en sciences
économiques, sociales et politiques et en droit.
Quoique relativement
faible, on l'a vu, le taux d'activité wallon poursuit sa croissance grâce à la
progression spécifique du taux d'activité féminin.
Cette croissance compense
la régression de la population d'âge actif, de sorte que la croissance de la
population active totale pourrait se poursuivre jusqu'à la décennie nonante,
mais guère au-delà de 2000.

2. La structure
professionnelle
2.1. Secteur secondaire
Le personnel de
production (ouvriers + mineurs) représente 73,7% du personnel total du secteur
secondaire. La variance de cette part entre les différents secteurs d'activité
est faible, l'activité productive étant une caractéristique de base, commune aux
branches industrielles.
D'un point de vue
dynamique, sur la période 1970-1981 en Wallonie, on constate cependant
l'affaiblissement - à la fois relatif et absolu - de la part des professions
attachées à la production proprement dite.
Cet affaiblissement se
réalise au profit d'une majorité des professions hors production, principalement
les informaticiens, les conseillers en gestion - économie - actuariat, les
comptables, les documentalistes et les juristes.
Ce mouvement repose sur
l'automatisation croissante du processus productif et se traduit par
l'accroissement des tâches situées en amont et en aval de la production
(conception, organisation, gestion, recherche, commercialisation, encadrement
technique).
L'examen des indices de
spécificité(5) de
la Wallonie par rapport au Royaume permet de dégager des observations
intéressantes.
L'indice de spécificité
des ouvriers est exactement égal à l'unité, et avec une variance très faible: il
n'y a donc pas d'écart substantiel de la part du personnel de production dans
l'emploi total des branches industrielles entre la Wallonie et le référentiel
belge. On peut raisonnablement en déduire une utilisation similaire des facteurs
travail et capital en Wallonie et dans ce référentiel - étant entendu que la
technologie disponible est homogène.
La différenciation de la
structure professionnelle se situe essentiellement au niveau des activités hors
production.
A cet égard, on observe
que la Wallonie est relativement "spécialisée" dans un certain nombre de
fonctions à haute qualification - particulièrement scientifique - situées
essentiellement en amont de la production. Inversement, des fonctions situées
davantage en aval de la production (personnel commercial, des transports, des
communications, des relations publiques, publicité), de même que les dirigeants
et cadres supérieurs, ont des indices de spécificité défavorables.

2.2. Secteur tertiaire
Quatre types de
professions regroupent à eux seuls 55 % de l'emploi total du secteur tertiaire:
il s'agit des employés de bureau, des enseignants, des ouvriers et des
travailleurs de services domestiques - personnels - HORECA - nettoyage -
culturels.
Au total, la
main-d'oeuvre non ou peu qualifiée(6)
représente 29,8 % de l'emploi tertiaire.
La variance entre
branches NACE, en ce qui concerne la part des différentes fonctions, est
beaucoup plus grande en général dans le secteur tertiaire que dans le
secondaire, ce qui s'explique par la très grande hétérogénéité des activités
tertiaires.
D'un point de vue
dynamique (évolution 1970-1981), le développement important du secteur tertiaire
est un mouvement "large" qui bénéficie à la grande majorité des professions
concernées (qualifiées ou moins qualifiées), en termes absolus sinon relatifs.
Les professions qui, en
Wallonie, ont connu une croissance très rapide peuvent se regrouper en
différents domaines:
-
domaine des activités
liées à la gestion, au développement et à l'innovation de la production, aux
services aux entreprises, à l'aide à la décision (publique ou privée):
conseils en gestion - économie -statistiques - actuariat, publicistes et
relations publiques, comptables, professions scientifiques, traducteurs,
dessinateurs et techniciens, juristes, ingénieurs, chercheurs, etc.;
-
domaine social et
culturel (sports, loisirs, information, social, culturel);
-
domaine des soins de
santé;
-
domaine des agents
immobiliers et des intermédiaires financiers - douane - courtage -
transports;
-
l'indice de
croissance très élevé des informaticiens confirme la pénétration de l'outil
informatique (7).
Inversement, deux
importants domaines professionnels apparaissent en déclin relatif, sinon absolu:
-
le domaine des
transports (fluviaux, route et rail);
-
les commerçants
(gros, détail, HORECA); il y a donc un processus de concentration de
l'activité commerciale.
L'examen des indices de
spécificité dans le secteur tertiaire rejoint un certain nombre d'observations
réalisées dans le secondaire.
Ainsi, nous trouvons,
dans le tertiaire, la confirmation d'une relative "spécialisation" de la
Wallonie en main-d'oeuvre à haute qualification scientifique (dessinateurs et
techniciens, informaticiens, professions scientifiques, chercheurs).
Par ailleurs, nous avions
observé dans le secteur secondaire des indices de spécificité défavorables pour
un certain nombre d'activités situées davantage en aval de la production
(personnel commercial, des transports, des communications, des relations
publiques - publicité). Dans le tertiaire également, nous observons des indices
de spécificité défavorables pour les commerçants, les professions relations
publiques - publicité, les intermédiaires financiers - douane - courtage -
transports et les représentants de commerce.

3. Analyse des niveaux
d'instruction
Dans l'industrie et la
construction, ce sont les travailleurs non et peu qualifiés qui sont les plus
nombreux (respectivement 47,3 % et 58,0 %).
Les diplômés de
l'enseignement supérieur (universitaire et non universitaire) représentent
respectivement 6,9 % et 3,4 % de l'emploi dans l'industrie et la construction.
Le niveau de
qualification est nettement plus élevé dans le secteur tertiaire. Près de la
moitié des travailleurs (plus exactement 48,1 %) sont diplômés de l'enseignement
secondaire. Les diplômés de l'enseignement supérieur représentent 21,9 % de
l'emploi tertiaire total, parmi lesquels 7,2 % d'universitaires. 86,2 % des
universitaires wallons sont occupés dans les services. Les travailleurs non ou
peu qualifiés ne représentent que 29,8 % de l'emploi total des services. Cette
proportion est nettement plus faible que dans le secteur secondaire. C'est
néanmoins dans le secteur tertiaire que trouvent à s'employer la majorité
(exactement 55,2 %) des travailleurs non ou peu qualifiés, étant donné le poids
global du secteur tertiaire.
D'un point de vue
dynamique, l'effondrement du nombre de travailleurs non ou peu qualifiés (tous
secteurs confondus) profite uniformément aux diplômés de l'enseignement
secondaire, ce qui s'explique par la généralisation de la scolarité obligatoire
et les relèvements de l'âge de celle-ci.
Dans l'industrie,
l'accroissement des diplômés de l'enseignement supérieur est observé en termes
relatifs (mais non absolus), ce qui s'explique par les mutations technologiques
et organisationnelles, parallèlement à une diminution de l'emploi total
(8)
Dans les services,
l'accroissement des diplômés de l'enseignement supérieur s'est mesuré davantage
en termes absolus que relatifs, ce qui répond à l'augmentation du volume de
prestations et de responsabilités qui en découle. On peut toutefois s'attendre à
une accélération de l'accroissement relatif des qualifications supérieures dans
le tertiaire.
Enfin, l'examen des
indices de spécificité montre qu'il n'y a, globalement, pas d'importantes
différences dans les niveaux d'instruction entre la Wallonie et le référentiel
(le Royaume). De légers écarts indiquent toutefois que la part des diplômés de
l'enseignement supérieur (universitaire et non-universitaire) dans la population
active occupée, est plus élevée en Wallonie que dans le référentiel.

4. Conclusions
L'examen de la structure
professionnelle et des niveaux de qualification a permis de mettre en évidence
un certain nombre de mutations qui ont affecté le marché du travail, notamment
en Wallonie.
Ainsi, par exemple,
l'introduction des nouvelles technologies dans les processus de production a
induit un mouvement de glissement dans la répartition des fonctions au sein de
l'industrie (au détriment de la production proprement dite et au profit des
activités amont et aval), l'effondrement de la part des travailleurs non ou peu
qualifiés dans la population active occupée, le relèvement des besoins de
qualifications, etc. Par ailleurs, rappelons que, ayant souligné l'absence
d'écart substantiel de la part du personnel ouvrier dans l'emploi total entre la
Wallonie et le référentiel national, on peut raisonnablement en déduire une
utilisation similaire des facteurs travail et capital en Wallonie et dans ce
référentiel, étant entendu que la technologie disponible est homogène.
Dans le secteur
tertiaire, la presque totalité des professions connaissent une croissance en
termes absolus, sinon relatifs, surtout dans le domaine du social et du
culturel, dans le vaste champ gestion-innovation-conseil, ainsi que dans
l'informatique, les transactions, les soins de santé, etc.
Par ailleurs, les
services ont démontré leur capacité d'absorption de l'emploi peu qualifié, bien
que ce soit dans le tertiaire que le niveau global de qualification soit le plus
élevé.
Ainsi, le potentiel
humain de la Wallonie, mesuré par le niveau d'instruction de la population
active occupée, nous est apparu parfaitement équilibré et compétitif par rapport
à celui du Royaume. En effet, les indices de spécificité globaux indiquent une
quasi identité dans la structure des niveaux de qualification, et même un léger
avantage wallon en ce qui concerne les diplômés de l'enseignement supérieur, par
rapport à ce référentiel - ce qui rejoint les observations dégagées de l'examen
des taux de scolarisation, à savoir un taux de scolarisation des 20-24 ans
significativement plus élevé en Wallonie que dans le Royaume.
Par ailleurs, l'analyse
de la structure professionnelle permet d'identifier certaines spécificités du
potentiel humain wallon. D'une part, l'étude a mis en lumière une
"spécialisation" de la Wallonie dans des fonctions professionnelles à haute
qualification, plus particulièrement scientifiques, situées davantage en amont
de la production; ce type de spécialisation s'est retrouvé à la fois dans les
secteurs secondaire et tertiaire.
Parallèlement, on a
relevé que les universitaires sont particulièrement bien représentés dans
l'emploi industriel en Wallonie, par rapport au référentiel national.
D'autre part, l'étude a
également mis en lumière certaines faiblesses de la Wallonie dans des domaines
de la vie économique tels que les activités commerciales ou de
commercialisation, les transports, les communications, les relations publiques,
etc. Ici également, ces faiblesses - situées davantage en aval - se sont
révélées à la fois dans le secteur secondaire et tertiaire. La forte croissance
attendue de l'offre de diplômés universitaires en sciences économiques
appliquées et sciences commerciales constituera-t-elle progressivement un
facteur correctif?
(Octobre 1987)
Notes
(1)
Le présent texte constitue une synthèse du chapitre 5 de l'ouvrage:
Wallonie-Europe - horizon 1992, IRES-BIPE, Ed. De Boeck, Coll.
Ouvertures Economiques, Bruxelles 1987.
(2) 48,4 % en Wallonie, 50,2 % dans le Royaume.
(3) Proportion de la population considérée suivant une
formation (source INS, 1985).
(4) 127 % de croissance du flux annuel d'inscrits pour la
première fois en première candidature de 1975-76 à 1984-85.
(5) Rapport de la valeur observée en Wallonie à la valeur
observée dans le Royaume.
(6) Enseignement primaire terminé ou non.
(7) Il est important de relever que, pas plus dans le
secondaire que dans le tertiaire, le développement des informaticiens n'a
entraîné de régression des employés de bureau.
(8) Le glissement au détriment des ouvriers non qualifiés se
réalise également au profit des ouvriers qualifiés et des techniciens.

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