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Notes sur le syndicalisme

Jacques YERNA
Secrétaire général de la FGTB Liège Huy - Waremme

 

Introduction

Il est difficile de faire des prévisions à l'échelle de l'an 2000. On ne voit pas bien en effet ce qui pourrait être fondamentalement modifié dans les dix années à venir y compris sur le plan technologique où certains s'obstinent cependant à prédire une véritable révolution. Comme cela a été précisé au cours de certains colloques consacrés à ce thème, il faut s'attendre plutôt à une révolution lente sans grands chocs. Les matériaux de l'an 2000 existent en effet déjà et tout reposera dans les prochaines années sur leurs combinaisons.

Les experts qui, en matière d'évolution scientifique et technique, manifestent une grande certitude, sont généralement plus réservés lorsqu'ils abordent le terrain des prévisions économiques et sociales. Il n'en reste pas moins que la réflexion sur l'avenir à court terme du syndicalisme est nécessaire. Elle est cependant difficile car cet avenir s'enracine dans un présent d'autant plus confus qu'il est marqué par la crise qui traverse le syndicalisme depuis une dizaine d'années. Nous nous bornerons quant à nous à présenter quelques éléments d'analyse en partant de l'hypothèse vraisemblable qu'il n'y aura rien d'autre dans les prochaines années qu'un renforcement des tendances actuelles.

 

1. Le syndicalisme dans la crise - la crise dans le syndicalisme

1.1. Les effectifs

On fait généralement état, dans l'analyse de la crise qui traverserait le syndicalisme, d'une lente diminution des effectifs. Si cette évolution semble se vérifier au niveau international, la situation en Belgique est assez différente. Les effectifs se sont maintenus globalement. Il est cependant impossible au stade actuel de mesurer avec précision les mutations qui se produisent à l'intérieur des centrales professionnelles qui font partie des deux grandes confédérations, CSC et FGTB.

On sait en effet que les affiliés syndiqués payent des cotisations différentes lorsqu'il perdent leur activité. Il en résulte donc une diminution des ressources qui ne pourra manquer d'avoir des conséquences à terme. Celles-ci sont difficilement mesurables aujourd'hui. Tout dépendra d'ailleurs de la capacité des centrales professionnelles à maintenir en leur sein des travailleurs que le chômage ou la prépension réduiront à l'inactivité.

1.2. La base sociale

Le syndicalisme est avant tout un mouvement social dont la base subit des transformations importantes que la crise a accentuées ces dernières années.

Il s'agit principalement de la progression du secteur tertiaire (services dans le privé et le public) au détriment du secteur secondaire (production industrielle). Le taux de syndicalisation est resté beaucoup plus important chez les ouvriers. Il a continué à augmenter durant la crise, passant de 78,30% en 1972 à plus de 90% au début des années 80. Le nombre des syndicables a diminué toutefois lentement passant de 1.616.00 à 1.538.000 environ.

Chez les employés, le taux de syndicalisation augmente, pendant la même période, de 35,15% à 42,77%. Le nombre de syndicables augmente passant de 732.000 à plus de 941.000.

Il est évident que ces nouvelles couches de syndiqués qui ont des réactions socio-culturelles différentes de celles des ouvriers auront une influence sur la stratégie des organisations syndicales. Les employés seront en effet plus acquis aux formules participatives qui se développent en matière d'organisation du travail. L'augmentation du taux de syndicalisation dans cette catégorie aura inévitablement pour conséquence de relancer au sein des syndicats le débat délicat sur le syndicalisme d'industrie. Les ouvriers sont en effet regroupés par industrie dans des centrales ouvrières. Les employés par contre sont, sauf exceptions, regroupés toutes industries confondues, tant à la FGTB qu'à la CSC. Ce n'est pas le cas pour les services publics où les ouvriers appartiennent à la même centrale.

Une autre mutation à prendre en considération résulte de la diminution de l'emploi et par conséquent de l'augmentation des non-actifs dans les effectifs syndiqués. On atteint dans certaines centrales professionnelles des chiffres voisins de 30 à 40% tandis que le nombre de travailleurs à statut précaire (CMT, CST, TCT, Temps partiel,...) augmente également de façon importante.

 

1.3. Institutionnalisation du syndicalisme

Avec la crise le rôle du syndicalisme s'est modifié. Pendant les 25 années de croissance économique s'est bâti en Belgique tout un réseau d'institutions consultatives au centre desquelles les syndicats ont joué un rôle important. Tout se passait comme si les interlocuteurs sociaux se répartissaient les rôles. Il appartenait aux employeurs d'élargir la part du revenu à redistribuer, aux syndicats d'en régler l'affectation sociale et à l'Etat d'arbitrer les conflits qui pouvaient surgir.

Depuis la crise le système s'est effondré. Il n'y a plus de consensus sur la note du progrès social. Les syndicats n'en continuent pas moins à siéger dans les institutions où les débats sur l'affectation du revenu deviennent de plus en plus formels. Les syndicats acceptent même la "dérégulation" sociale à condition d'être préalablement consultés. Ils conservent ainsi leur rôle d'acteur institutionnel; au prix d'une altération de leur fonction de mouvement social. On assiste par ailleurs à un phénomène d'accentuation de la bureaucratisation des organisations sociales dans la mesure où la négociation en se formalisant toujours davantage renforce le poids des états-majors au sommet et l'envahissement de ces derniers par des techniciens de plus en plus nombreux.

1.4. Les mutations chez les autres interlocuteurs sociaux.

Des mutations se développent également du côté des autres interlocuteurs sociaux, le patronat et l'Etat. En ce qui concerne le patronat, une double évolution se produit. Le nombre de petites et moyennes entreprises augmente. Les relations sociales qui s'y établissent diffèrent fortement de l'ancien système de conventions collectives propre aux années de l'immédiat après-guerre.

D'un autre côté on observe le développement des multinationales qui, en Belgique, occupent environ la moitié des travailleurs. Ces multinationales prennent leurs décisions d'implantations ou de fermetures d'entreprises en fonction du critère exclusif du profit apprécié au niveau mondial. Elles accroissent ainsi considérablement l'insécurité de l'emploi. Ces entreprises ont créé avec leurs filiales un réseau mondial puissant qui les met en position de force face à des syndicats qui, à ce jour, ne sont pas parvenus à s'organiser efficacement sur le plan international.

L'Etat, quant à lui, a abandonné son rôle d'arbitre neutre. Il joue désormais le rôle d'un employeur industriel important ce qui fait de lui un interlocuteur à part entière sur le plan social à côté des syndicats des travailleurs et des organisations patronales. Il faut s'attendre, si la crise se prolonge, à un durcissement de son attitude dans la négociation et à un alignement inconditionnel sur les positions patronales.

 

1.5. Conclusions

Tels sont aujourd'hui les principaux facteurs d'évolution au départ desquels il convient d'examiner l'évolution future du syndicalisme. Ces facteurs vont certainement perdurer jusqu'à la fin du siècle et sortir pleinement leurs effets. Rien ne nous permet d'affirmer qu'il en résultera une modification importante dans le comportement des syndicats. Il faut s'attendre au contraire à ce que ces derniers continuent à s'occuper surtout des intérêts immédiats des travailleurs sur les lieux de travail quel que soit par ailleurs le discours qu'ils tiennent sur les "nouveaux terrains" de lutte: paix, aide au Tiers-Monde, logements sociaux, féminisme, environnement,... Ces terrains sont généralement occupés par des groupes sociaux plus souples et beaucoup plus dynamiques.

Nous nous limiterons donc au stade actuel à situer les principaux défis avec lesquels les syndicats vont être confrontés dans les prochaines années.

2. Les principaux défis

2.1. La problématique internationale

L'analyse de la crise économique montre que les USA, par leur rôle hégémonique en matière de taux d'intérêt et de politique monétaire, empêchent les pays européens de développer une politique autonome de relance économique. L'Allemagne en 1979 et la France en 1981 en ont fait l'amère expérience. La Communauté économique européenne doit donc évoluer de son stade d'union douanière vers celui d'une véritable union économique et financière si elle veut demain sortir de la crise et agir en toute indépendance à l'égard de l'économie américaine.

Les syndicats doivent vaincre leur égoïsme national, unir leurs forces sur le plan européen et dépasser ainsi le stade des résolutions gratuites sur la nécessaire solidarité internationale. De ce point de vue, il faut souligner la résolution votée au congrès à Milan par la CES (Confédération européenne des Syndicats) en mai 1985.

 

2.2. Solidarité du Nord-Sud

Le Sud c'est le Tiers-Monde, c'est-à-dire une population de 3 milliards d'habitants dont la majorité vit dans des conditions de pauvreté et de sous-alimentation dramatiques. Le Nord c'est le monde industrialisé et riche.

Il n'y a entre eux aucune solidarité. Pour les syndicalistes du Nord comme du Sud, la seule voie porteuse d'avenir est pourtant celle du développement d'un équilibre des échanges basés sur une complémentarité du Nord et du Sud. Dans un monde dominé par les tensions Est-Ouest et par le surarmement cette voie reste un défi permanent.

Il convient cependant de distinguer dans le Tiers-Monde des pays qui, comme le Chili, connaissent des régimes dictatoriaux. Certains s'interrogent dès lors sur des mesures visant à interdire l'importation de biens produits dans ces pays aussi longtemps que les droits syndicaux n'y seraient pas respectés.

2.3. Les multinationales

Les multinationales peuvent, grâce à leurs dimensions, à leur stratégie globale et à leur position d'oligopole, déséquilibrer les économies nationales. Pour réglementer leur conduite, des initiatives ont été prises par les pays membres de l'OCDE. Il s'agit de recommandations destinées à empêcher les multinationales d'abuser de leur position dominante ou de se dégager quand elles le jugent opportun.

Il n'existe malheureusement pas de sanctions juridiques pour les actes d'inconduite. Les syndicats doivent donc développer à la base, au niveau des filiales, des contacts entre les travailleurs. C'est le point de passage obligé pour amorcer le processus de maîtrise des multinationales.

 

2.4. Structures syndicales

Les syndicats doivent vaincre leur conservatisme entretenu d'ailleurs par les structures héritées du siècle dernier lorsque les travailleurs se sont regroupés sur la base du métier et de l'industrie.

Il convient d'amorcer enfin le débat si délicat sur le regroupement ou sur une meilleure coordination entre les ouvriers et les employés appartenant à une même industrie.

Il faut par ailleurs que les syndicats permettent aux non-actifs de se regrouper en leur sein à un niveau où les conditions statutaires seraient réunies pour permettre à ces non-actifs de discuter à part entière les mesures qui déterminent leur avenir.

 

2.5. Nouvelles technologies

Même si ses dimensions sont réduites, la Belgique ne peut évacuer le problème de l'adaptation aux nouvelles technologies. D'autres petits pays, tels que la Suède, occupent en effet dans des domaines comme la robotique, des positions avancées. Le dynamisme dont ils font preuve s'explique sans doute par les mécanismes de concertation et de contrôle qui se sont développés à la base dans les entreprises entre syndicat et patronat.

L'enjeu des nouvelles technologies se situe aussi sur la scène du grand capital international. Il faut donc définir au niveau de la région une option politique fondée à la fois sur l'indépendance des régions et de l'Europe et sur la satisfaction d'un ensemble de besoins sociaux.

(Octobre 1987)

 


 

 

 

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