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Les participants des premiers congrès de défense wallonne (1890-1893) n’avaient jamais éprouvé le besoin de se mettre en quête d’un emblème à travers lequel les provinces romanes de Belgique auraient pu se reconnaître. Dans leur esprit, celles-ci ne se distinguaient sans doute pas du corps d’un pays légal encore francophone, dans le chef de ses élites, d’Ostende à Arlon. Mais les mentalités évoluent sous la pression des circonstances. L’utilisation abondante que le gouvernement catholique homogène (et à dominante flamande) de l’époque fait des couleurs nationales pour en couvrir sa politique finit par déplaire à certains. Ainsi peut-on déjà lire dans L’Âme wallonne du 17 septembre 1898 :

Le drapeau que nous déployons aujourd’hui dans nos fêtes nationales n’est pas le drapeau de 1830. Ce drapeau est adopté en 1831. (…) Le vieux drapeau de 1830, celui qui flottait sur les rangs des Volontaires belges, lors des Journées-de-Septembre (…) a ces trois couleurs à la hampe, le noir au dessus, le rouge en dessous et le jaune au centre (…) Wallons, dans toutes les circonstances où nous aurons à déployer notre drapeau, déployons fièrement notre vieux drapeau de 1830. Ce sera une protestation significative contre les agissements flamingants. Je demande donc à la Ligue wallonne de Liège, à la Ligue wallonne d’Ixelles et à la Propagande wallonne, de mettre à l’ordre du jour l’adoption de notre vieux drapeau de 1830 comme drapeau de la Wallonie.

Il faut cependant attendre l’année 1905 pour que le fondateur de la société archéo-historique Le Vieux-Liège, Charles-J. Comhaire, par ailleurs membre de la Ligue wallonne de Liège, reprenne cette idée à son compte dans une étude au titre évocateur, Le drapeau belge est mal construit. Au sein de la Ligue et du Vieux-Liège, le débat a déjà porté en 1902 sur les caractéristiques d’un drapeau propre à la Ligue : petit drapeau rouge et jaune, préconise De Warsage ; très grand drapeau orné des blasons des villes de Wallonie, défend Comhaire. Jusque-là, on peut croire qu’il s’agit d’un amusement innocent d’érudits soucieux de meubler leurs loisirs. Or, au cours de cette même année 1905 se tient dans la Cité ardente un important congrès wallon. Durant la séance du 2 octobre, Paul Gahide, journaliste tournaisien, pose en réunion publique la question du choix d’un drapeau propre à la seule Wallonie. Bien qu’il reçoive le soutien de l’influent Hector Chainaye, sa proposition ne soulève guère d’enthousiasme. Le gros des congressistes craint de passer pour de mauvais belges séparatistes et l’affaire en reste là.

La question revient sur le tapis en décembre 1907. Un correspondant du Réveil wallon – un hebdomadaire liégeois au ton résolument francophile lancé par Émile Jennissen et Hector Chainaye – propose d’associer le coq au tricolore bleu-blanc-rouge si on veut vraiment doter la Wallonie d’une symbolique parlante. Le débat est ouvert. Cette suggestion fait son chemin durant les mois suivants. La Revue française de Raymond Colleye imprime sur sa page de couverture un coq flamboyant tandis qu’à Liège on voit naître en mars 1909 une feuille dialectale baptisée Li Coq wallon. De plus, à partir de 1910, la revue universitaire L’Étudiant libéral s’orne d’un Chantecler aux ailes déployées, figé dans une attitude de défi.

Pourquoi cet oiseau a-t-il retenu l’attention des sociétés régionalistes ? L’héraldique locale ne peut assurément pas les inspirer. En effet, si toutes les provinces et plus de soixante communes du pays wallon ont intégré le lion dans leurs armoiries, un seul village, Limelette (Brabant wallon) a songé à fixer le coq sur son écu. Bien entendu, les lettrés savent que, dès l’Antiquité, cet animal fait figure de symbole solaire (son chant n’annonce-t-il pas le retour de la lumière ?) et il passe communément en Grèce pour un attribut d’Apollon. Dans la tradition nordique, on l’assimile plutôt à la vigilance guerrière ainsi qu’à un gardien de la vie. Le christianisme lui attribue de surcroît le pouvoir de faire reculer les démons… et le lion, volontiers assimilé à l’esprit du Mal. L’Église catholique finit par en user d’une façon ostentatoire. À l’aube du ixe siècle, Rampert, évêque de Brescia, fait hisser un coq sur le clocher de son église, inspiré par la scène bien connue du Prince des Apôtres reniant à trois reprises le Christ et plein de repentir quand, aux premières lueurs du jour, conformément à la prédiction, le chant de l’oiseau souligne l’ampleur de sa faute. Le pape Léon IV l’approuve et fait de même pour la basilique Saint-Pierre. Cet exemple est suivi à travers tout l’Occident chrétien et spécialement en Gaule. Transformé en girouette d’église, le volatile devient familier au menu peuple. De plus, dans la mesure où “ le coq rouge ” désigne l’incendie dans nos régions, les artistes, les poètes de chez nous ne peuvent manquer d’être sensibles à la joliesse de l’image : une revue aux accents régionalistes paraissant à Bruxelles de 1895 à 1897 ne s’intitulait-elle pas ainsi ?

Enfin – et surtout – l’image du coq est associée depuis longtemps à la Gaule. Il s’agit en fait d’une erreur : celle-ci ne possède aucun emblème “ national ” pour la simple raison qu’il n’a existé aucune “ nation gauloise ” dans l’histoire mais, au mieux, une vague confédération de peuplades. Néanmoins, le nom latin du coq, gallus, se trouve être le même que celui du Gaulois. Suétone semble être le premier à avoir opéré ce rapprochement, fruit d’un banal jeu de mots, dans sa Vie des douze Césars. Redécouvert à la fin du Moyen Age par les ennemis de la France, systématiquement exploité dans un but de dérision, le calembour est récupéré par les intéressés alors que s’amorce la Renaissance et favorise l’identification : coq = Gaulois = Français. En 1585 par exemple, Jean Passerat, professeur au Collège de France et co-auteur de l’illustre Satire Ménippée lui consacre une pièce en vers où il conclut : Le coq a donné son nom à la Gaule. Auparavant, une gravure éditée lors de la paix de Crespy (1544) représente les aigles de Charles-Quint enserrant un coq blessé, perdant un sang où se mêlent trois fleurs de lys. Le bon roi Henri fait frapper en 1601 une médaille à cette image pour célébrer la naissance du futur Louis XIII.

L’oiseau survit au naufrage de l’Ancien Régime. La Première République en fait un usage abondant et la faveur qu’il rencontre ne s’interrompt qu’avec l’apparition des aigles napoléoniennes puis le retour des lys de la Restauration. Ressuscité par la monarchie de Juillet, demeuré fort populaire sous la Deuxième République, rejeté dans l’ombre par le Second Empire, il revient à l’honneur sous la IIIe République en s’agrémentant d’une touche chauvine, face à l’aigle allemand. Une polémique assez âpre relative à ses origines prétendument gauloises connaît outre-Quiévrain un certain retentissement lorsqu’on prend la décision, à la fin du siècle dernier, de le faire figurer sur les pièces de monnaie puis sur les nouvelles grilles de l’Élysée ou à l’entrée de l’Exposition universelle de Paris (1900).

Les militants wallons, d’autant plus francophiles qu’ils sympathisent volontiers avec les idéaux de la République triomphante et qu’ils se veulent les héritiers de la culture (gallo-)romaine, ne peuvent manquer de percevoir les échos de ces débats. C’est tout naturellement qu’ils couronnent d’un coq imposant l’obélisque rappelant la victoire française et républicaine de Jemappes. Le monument est inauguré le 24 septembre 1911 au milieu d’un grand concours de foule. À partir de 1912, après des élections législatives qui semblent accentuer le clivage politique entre le sud et le nord du pays, le sentiment régionaliste connaît une poussée notable. Une Assemblée wallonne est constituée le 7 juillet 1912. Elle se réunit en session plénière à Charleroi, le 20 octobre, et répartit son travail en différentes Commissions correspondant aux différents ministères de l’époque. Celle de l’Intérieur qui a pour président Paul Pastur se préoccupe en novembre de pourvoir la petite patrie d’un drapeau, d’un blason, d’une fête et d’un chant. Elle envoie donc à tous les membres de l’Assemblée un questionnaire sollicitant leur avis quant au drapeau (Faut-il adopter un drapeau déjà existant ou en créer un nouveau ? Faut-il prendre, dans le drapeau belge, les couleurs jaune et rouge, qui sont celles de Liège ? Ou le rouge et le vert ? Et quant aux armes, convient-il d’adopter un insigne héraldique analogue au lion Belgique ? On a proposé le perron liégeois, une étoile, le coq, l’alouette, le taureau, le sanglier, l’écureuil,). La Lutte wallonne publie ce questionnaire le 17 novembre 1912. Un de ses rédacteurs, Ivan Paul, verrait très bien le perron liégeois – évocation multiséculaire des franchises de la Cité – figurer sur les armes. Les couleurs bleu et rouge, dans son optique, auraient alors été utilisées pour le drapeau. Un de ses correspondants l’approuve en suggérant toutefois de remplacer la pomme de pin et la croix qui surmontaient le perron par un coq aux formes à la fois gracieuses et imposantes. Peut-être le correspondant en question a-t-il tiré son inspiration d’une représentation de l’ancien perron hutois qui présentait en effet cet aspect.

La Ligue wallonne d’Ixelles est pour sa part déjà passée aux actes. Lors d’une manifestation, le 22 septembre 1912, elle a surmonté son drapeau vert et bleu d’un coq gaulois. Décidée à ne plus s’attarder, la Commission de l’Intérieur, après avoir examiné les multiples propositions, souhaite s’en tenir aux couleurs jaune et rouge pour le drapeau, couleurs disposées horizontalement. Selon elle, le coq doit simplement servir d’insigne héraldique. L’écrivain Richard Dupierreux présente à Mons au cours de l’assemblée générale du 16 mars 1913 un rapport complet sur la question. Abordant le choix des armes, ou insignes, il fait remarquer combien il est malaisé d’utiliser un écu “ wallon ” divisé en six quartiers avec les armes des provinces de Liège, Hainaut, Namur et Luxembourg, celles de Tournai et du Roman Pays de Brabant. Surchargé à l’excès, il ne serait plus intelligible. Le perron a certes rallié bon nombre de suffrages mais il demeure trop exclusivement liégeois. Sont également rejetés l’étoile (associée à l’État indépendant du Congo), l’alouette, le taureau, le sanglier (trop ardennais !) ainsi que l’écureuil. Seul le coq, par sa forme décorative et les qualités morales qu’on lui attribue, par le fait aussi qu’aucune des sous-régions wallonnes ne peut le revendiquer, peut recueillir un large consensus. Cependant, afin de le distinguer de son grand frère “ gaulois ” qui se présente la tête haute, dressé sur les ergots et le bec ouvert (en héraldique, on le dit “ crêté, barbé, becqué ”), on conseille de prendre un coq “ hardi ”, la dextre levée. Comme “ hardi ” est un terme de vénerie appliqué à tout oiseau aimant la chasse ou le combat, cela ne peut que plaire aux délégués d’un mouvement militant.

Dupierreux aborde ensuite le problème du drapeau. Il ne s’y attarde pas. Bien que la majorité des personnes consultées penche pour les couleurs jaune et rouge, le rapporteur veut convaincre l’assemblée de les rejeter car elles ont été celles de la défunte principauté de Liège, donc entachées de particularisme. Personnellement, Dupierreux considère avec faveur le projet d’un drapeau formé de trois bandes verticales, blanche, rouge et jaune. Pur hasard ou volonté réfléchie, l’emblème ainsi proposé a, hormis l’orientation des bandes, un air de famille avec celui qui a été arboré dans les Pays-Bas catholiques du xvie au xviiie siècles. En même temps, Richard Dupierreux demande que l’on prenne en considération la suggestion du sénateur Libioulle qui aurait aimé cravater le futur drapeau aux couleurs belges. On aurait ajouté à celles-ci deux dates : 1830 (en souvenir de la révolution nationale) et 1912 (convocation de l’Assemblée wallonne).

Lorsque l’assistance veut discuter ce rapport, elle se divise. Le Bruxellois Léon Hennebicq, le Carolorégien Émile Buisset se déclarent dans un premier temps attachés au lion qui se trouve dans tous les blasons des provinces wallonnes et du nord de la France ; le Liégeois Troclet et le Nivellois Gheude continuent à défendre l’un le perron, l’autre l’écureuil. Puis Buisset se ravise et le coq l’emporte à une confortable majorité. L’après-midi, on passe au choix d’un drapeau. L’heure avance. L’ordre du jour est chargé. Les débats se déroulent dans une précipitation certaine. Un vote décide la création d’un drapeau unicolore blanc frappé en son milieu d’un coq rouge et cravaté aux couleurs belges. Jules Destrée estime que la décision prise ce 16 mars est sujette à caution. Il propose de réaborder la question dans une atmosphère plus sereine lors de la prochaine réunion de l’Assemblée, réunion prévue le 20 avril 1913. Un groupe de Liégeois peu sensibles au charme de la couleur blanche (elle est salissante, elle évoque de façon bizarre le Japon…) profite de ce délai pour demander qu’on lui substitue un fond jaune : cette simple opération permettrait de rattacher la Wallonie en devenir, (…) avec le rouge du coq au glorieux passé de la principauté (…) et ses dix siècles de farouche indépendance. Le débat est bel et bien relancé d’autant plus que les Hennuyers, Arille Carlier en tête, semblent tenir au drapeau blanc. Les délégués de la région bruxelloise se montrent plus partagés. Achille Chainaye hésite car le drapeau jaune au coq rouge apparaîtrait dans la capitale comme une simple opposition au drapeau flamingant (jaune au lion noir). À son sens, il passerait beaucoup plus pour un emblème anti-flamingant que pour un drapeau wallon, ce qui réduirait singulièrement sa portée symbolique. Par contre, son collègue Hennebicq ne perçoit pas d’un mauvais œil la couleur de feu du coq dans la mesure où il voit dans le rouge une couleur de combat.

Au lendemain de cette séance, la Ligue wallonne de Liège fait savoir que le drapeau blanc, rouge et jaune a sa préférence, les couleurs étant perpendiculaires à la hampe. Quant au coq, il serait l’objet d’un blason indépendant. En juin, la Ligue confie d’ailleurs à Léon Defrecheux le soin de dessiner un coq destiné aux magasins de Liège soucieux d’arborer le nouvel emblème wallon lors de la Joyeuse Entrée d’Albert. La réunion qui doit trancher la question une fois pour toutes se déroule à Ixelles, le 20 avril 1913, sous la présidence du sénateur libéral Charles Magnette. Les Carolorégiens Émile Buisset et Arille Carlier, décidément partisans de la couleur blanche, veulent s’en tenir au vote du 16 mars précédent. Les Liégeois Albert Mockel et Fernand Mallieux font pencher la balance en direction des propositions du rapport Dupierreux, c’est-à-dire du drapeau tricolore jaune-rouge-blanc. Le coq, onglé d’or sur fond de gueules, doit être utilisé uniquement dans le blason. Las, quand on procède au vote final, on assiste à une réédition de la confusion antérieure. Tandis que l’Assemblée incline de manière incontestable vers les thèses de Mallieux et de Mockel, on constate, lors du dépouillement des bulletins, que c’est le drapeau jaune au coq rouge qui a été choisi suite vraisemblablement à un malentendu dans l’exposition de l’article mis au voix. Plusieurs assistants veulent encore protester. Pour Arille Carlier, tout le mal (était) venu des Liégeois qui ne veulent voir partout et toujours que le Pays de Liège. C’est un peu tard et Carlier doit faire une douce violence à son irritation. La décision prise le 20 avril dans les locaux du musée communal d’Ixelles s’avère à présent irréversible. Jules Destrée fait publier en mai dans La Défense wallonne, le mensuel de l’Assemblée, un décret stipulant dans son article premier : La Wallonie adopte le coq rouge sur fond jaune, cravaté aux couleurs nationales belges. L’article 2 précise la couleur des armes : (…) le coq hardi de gueules sur or, avec le cri : Liberté et la devise : Wallons toujours ! Enfin, l’article 4 charge le président de la Commission de l’Intérieur d’appliquer le décret. Paul Pastur confie à l’artiste-peintre Pierre Paulus la mission de dessiner le coq. Son œuvre est adoptée quelques mois plus tard, le 3 juillet 1913 précisément, par une Commission d’artistes ; celle-ci recommande l’usage d’un drapeau carré et les couleurs définitives doivent être pour le fond, le jaune orangé ; pour le coq, le rouge pourpre. Mais avant que le projet de Paulus ne parvienne à maturité, d’autres coqs wallons ont pointé le bec ici et là.

La première représentation graphique connue du nouvel emblème semble avoir été un dessin à la plume ornant le programme de la fête de bienfaisance organisée le 2 avril 1913 par l’Union des Femmes de Wallonie au théâtre royal de Liège. Le peintre Georges Faniel réalise lui aussi une autre version du “ coq hardy ” pour une réunion des Amitiés françaises (29 mai 1913). Si elle connaît une certaine diffusion dans les milieux wallonisants, elle ne peut résister à la création de Paulus, supérieure sur le plan esthétique. Mentionnons encore pour mémoire l’oiseau figurant sur la couverture d’une brochure d’Edmond Schoonbroodt, Historique du Mouvement wallon. Réalisé sans doute dans le courant du mois de juillet, il tient davantage du poulet de ferme que de l’animal héraldique et ne sut pas se reproduire.

La première exhibition du jeune drapeau aurait eu lieu à Nivelles, le 22 juin 1913, lors des célébrations liées au VIIe centenaire de sainte Marie d’Oignies. Mais Arille Carlier revendique la paternité de l’événement qui se serait déroulé à Charleroi, au cours d’une distribution de prix aux tout-petits des écoles officielles. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit encore de drapeaux blancs frappés du coq rouge… On le revoit sous un aspect conforme cette fois dans la Cité Ardente le 6 juillet, à l’occasion du Congrès wallon qui s’y déroule. Puis l’on s’efforce d’en faire un usage abondant pour la Joyeuse Entrée d’Albert Ier dans cette même ville, le 13 juillet. Le succès de l’opération est mitigé, faute de temps pour la préparer. Au fil des mois suivants, les sociétés régionalistes mettent un point d’honneur à essayer de le populariser, aussi bien au moment des fêtes de Wallonie (en septembre) que pendant des activités à caractère folklorique. D’autre part, le publiciste Carl-Othon Goebel se met à publier à Marcinelle un bimensuel intitulé Li Coq wallon (1er août 1913 - 15 avril 1914) et Georges Durempart, de Couillet, entreprend d’éditer en octobre Le Coq hardy. Après quelque hésitation, au printemps 1914, une revue liégeoise obtient grand succès dans les cercles catholiques avec la pièce Amon nos Autes qui s’achève par le déploiement du drapeau wallon (Wallonia, t. 22, 1914, p. 121). Et dans la région de Malmedy, alors terre prussienne, l’abbé Joseph Bastin se risque à hisser le drapeau wallon sur le clocher de l’église de Faymonville.

Les couleurs de la Wallonie semblent donc connaître une faveur naissante. D’aucuns y voient la flamme de nos industries et l’or de nos moissons. Faveur naissante, mais fragile. À l’extérieur des grands centres urbains, de larges couches de l’opinion continuent à l’ignorer et certains membres du clergé – clergé qui ne se sent pas vraiment malmené par l’État belge des années 1884-1914 – ne se gênent pas pour le qualifier de torchon radical-socialiste. D’autres réticences, de caractère moins idéologique, peuvent également voir le jour. Ainsi, à Tournai par exemple, le coq hardy effarouche les commerçants qui craignent, en l’exhibant, de perdre une partie de leur clientèle. Un malheur n’allant jamais seul, des militants wallons engagés demeurent dubitatifs à son égard pour des raisons pratiques. Élie Baussart trouve que le coq de Paulus, esthétiquement valable, est graphiquement malaisé à reproduire sur les drapeaux, impossible à peindre sur les murs (même si lui-même le reproduit au pochoir sur les volets de sa maison à Loverval). En 1920 encore, il confie à Mockel qu’il se serait contenté des couleurs rouge et or, et Mockel n’est pas loin de partager son avis. Enfin, et peut-être surtout, le coq de Paulus émane d’un organisme qui se veut représentatif de l’ensemble de la Wallonie mais qui ne présente aucun caractère officiel.

La Grande Guerre aurait pu lui porter un coup fatal. Dans les années qui succèdent à l’Armistice, l’emblème wallon se fait plus discret. Le tricolore national, qui a été celui des soldats de l’Yser et du “ Roi-Chevalier ”, consacré par le sang et par la Victoire, recueille l’adhésion enthousiaste des Belges francophones. Inspiré par l’air du temps patriotard et germanophobe qui souffle en tempête, Paulus a songé à donner à son coq un aspect nettement plus belliqueux, hérissé d’une sainte fureur contre l’Allemand exécré. Cette seconde version demeurera dans ses cartons. D’ailleurs, la reprise rapide des tensions dites communautaires et l’inexorable émergence du Mouvement flamand rendent peu à peu aux couleurs wallonnes leur signification dans le sud du pays.

Adopté de façon constante et unanime par les autonomistes, des plus modérés aux plus radicaux, le drapeau wallon a retrouvé droit de cité à la veille du second conflit mondial. Nul autre symbole identitaire concurrent ne s’est réellement manifesté durant l’Entre-deux-Guerres, si ce n’est celui du Front démocratique wallon de l’abbé Mahieu, vers 1937. Emblème pour le moins alambiqué (le sigle FDW surmonté d’un casque ailé censé être gaulois), il émane de toute façon d’un groupe politique partisan, et qui se révéla éphémère : ce n’est pas un rival sérieux. Le coq hardi traverse la Seconde Guerre mondiale sans commettre de faux-pas, les collaborationnistes ayant eu la bonne idée de le négliger au profit de la croix de Saint-André (Rex), voire de la roue solaire (Amis du Grand Reich Allemand). On peut le voir au contraire associé à la Croix de Lorraine au sein du mouvement de résistance la Wallonie libre, puisque, pour reprendre la formule frappée à l’époque, la Wallonie libre ne se concevait qu’aux côtés de la France libre du général de Gaulle. La Libération lui permet désormais d’être arboré sans complexe, même si les cercles conservateurs situés dans la mouvance sociale-chrétienne continuent à le bouder. Le fait que les irrédentistes, fort remuants vers 1944-1946, ne craignent pas de faire trôner le coq rouge au beau milieu du tricolore français, n’apaise pas spécialement leurs craintes. Il faut du temps, beaucoup de temps, pour voir s’éteindre la méfiance de la droite chrétienne à son égard. L’évolution institutionnelle du pays rend bien évidemment ces préventions obsolètes.

En 1949, on enregistre une première proposition de loi reconnaissant comme officiels les emblèmes wallon et flamand en tant qu’emblèmes régionaux à arborer à toutes les fêtes, par tous les bâtiments officiels, aux côtés du drapeau belge. Le texte de cette proposition est examiné par le CP du Congrès national wallon en octobre 1949[1].

Chose curieuse – et digne d’être relevée : lorsque, une génération plus tard, la Belgique unitaire ayant fini par céder, la réforme de l’État s’opère, dans un premier temps, sur une base communautaire, le “ drapeau wallon ” ne parvient à obtenir sa reconnaissance officielle qu’en tant qu’emblème de la “ Communauté culturelle française ”. C’est le 20 juillet 1975 et le cheminement qui a abouti à ce résultat a été lent, sinon pénible. En 1972 déjà, Fernand Massart a déposé au Conseil culturel de ladite Communauté une proposition de décret relative au drapeau de la Wallonie. Or, le Conseil d’État a émis un avis négatif, arguant du fait qu’il est impossible de pourvoir d’un emblème une entité distincte de la Communauté française, en l’occurence la Wallonie. Soutenu par Maurice Bologne, Fernand Massart revient à la charge formulant une deuxième puis une troisième proposition. Cette dernière, déposée le 24 juin 1975, est la bonne. Les débats qu’elle soulève sont assez sereins quoiqu’ils occupent une bonne partie de la journée du 24 juin. Ce sont surtout des Bruxellois qui émettent des réserves, les uns parce qu’il s’agit d’une symbolique étrangère à leur histoire, les autres parce qu’ils y subodorent une connotation anti-belge. André de Saint-Remy, élu PSC, exprime sa désapprobation car jamais les Bruxellois ne pourront accepter comme emblème un drapeau frappé du coq wallon (…) qui symbolise exclusivement la Wallonie. De manière non moins caractéristique – mais à un autre niveau –, le Liégeois Jean-Maurice Dehousse déclare vouloir s’abstenir afin de souligner le fait qu’au bout du compte, la Wallonie en tant que telle se retrouve dépouillée de son drapeau au profit de la Communauté. Jacques Hoyaux se veut apaisant ; il rappelle que le drapeau d’or chargé d’un coq hardi appartient (…) à l’histoire de notre communauté française de Belgique tout entière puisque des délégués de Bruxelles ont participé à l’assemblée wallonne du 16 mars 1913 qui eut à discuter du choix d’un drapeau et que le rapporteur, Richard Dupierreux, venait de la capitale. Avec l’appui de Léon Defosset, il réussit à rallier une confortable majorité en faveur du décret puisque sur 138 membres présents, 121 répondent par l’affirmative et 2 par la négative, tandis que 15 – dont Jean Gol et Jean-Maurice Dehousse – s’abstiennent. Fernand Massart croit alors pouvoir pousser le cri du cœur : Qu’il soit noir ou or, le petit peuple s’y reconnaîtra. Il verra que c’est notre coq wallon (…) qui est le coq de toute notre communauté. Vive la Wallonie !

Lorsque ce décret est publié au Moniteur belge (14 août 1975), le drapeau wallon est donc devenu celui de la Communauté culturelle française puis, la terminologie évoluant, celui de la Communauté française de Belgique (3 juillet 1991). La Région Wallonie, en tant qu’institution spécifique, en reste bel et bien dépourvue. Il faut attendre le 23 juillet 1998 pour que, à l’initiative du député wallon Willy Burgeon, une Commission étudie la question et qu’un décret fasse très officiellement de l’œuvre de Paulus le signe identitaire de la Wallonie (juillet 1998). L’administration régionale a dû jusque-là recourir au curieux W, flèche rouge sur fond jaune, imaginé au sein de cabinets ministériels dans le courant des années 1980. Cette reconnaissance tardive provoque une réaction du président du Conseil de l’héraldique et de vexillologie de la Communauté française (qui met ainsi le doigt sur le problème soulevé autrefois par Jean-Maurice Dehousse) : la Communauté ne bénéficie-t-elle pas d’une antériorité en la matière et n’est-il pas illogique que deux entités distinctes fassent usage d’emblèmes officiels identiques ?

Affaire à suivre ou cause entendue ? En dotant la Wallonie du Coq de Paulus, le Parlement wallon a comblé une lacune : la région wallonne était restée jusqu’alors la seule entité fédérée à ne pas disposer de son emblème officiel.


 

[1] Institut Jules-Destrée, Dossier 389, Fonds Bologne, Aux membres du directoire de Wallonie libre et des comités, 11 octobre 1949.

 

 Alain Collignon

 

 

 

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