Dès 1897 et 1898, tant
Albert Mockel que Julien Delaite ont évoqué l’idée d’une séparation
administrative comme solution à ce qu’ils considèrent comme la remise en
cause par les “ flamingants ” du “ Pacte de 1830 ”, c’est-à-dire
l’acceptation de l’emploi du français sur l’ensemble du territoire belge. À
l’origine de la revendication des deux militants wallons, on trouve la
discussion puis l’adoption par le Parlement de la proposition Coremans – De
Vriendt attribuant au flamand le même statut que la langue française.
Lors du congrès wallon de
1905, Julien Delaite avait tenté de remettre en cause la loi dite d’égalité
de 1898. En vain. Les nouvelles revendications du mouvement flamand,
relayées par les partis politiques traditionnels, poussent la Ligue wallonne
de Liège à renoncer définitivement au rêve d’un retour à la situation de
1830 et à envisager sérieusement la formule de la séparation administrative.
Examinée en commission interne de la Ligue dès 1909, une étude de Julien
Delaite analyse les avantages et les inconvénients d’un projet d’essence
fédéraliste et conclut à la nécessité de réunir un Comité plus large.
Dans le même temps, le
projet de loi linguistique sur les Conseils de Prud’hommes, repoussé en 1909
au Sénat par parité des voix, revient devant les sénateurs. Au cours de la
discussion parlementaire (9 mars 1910), le cri est lancé : Vive la
Séparation administrative ! L’auteur de cette exclamation n’est autre
qu’un sénateur reconnu pour sa modération et sa sagesse : Émile Dupont a été
vice-président du Sénat et choisi comme ministre d’État en 1907. Par ce cri
du cœur qui bouleverse les débats parlementaires, il donne une publicité
exceptionnelle à l’idée de séparation administrative et offre une forme de
caution à l’action du Mouvement wallon et plus particulièrement à la Ligue
wallonne de Liège ainsi qu’au Comité qui vient d’être constitué.
Dès février 1910, a été
créé un Comité d’étude pour la sauvegarde de l’autonomie des provinces
wallonnes (on trouve aussi, de façon irrégulière, l’orthographe Comité d’Études…),
composé d’abord de onze personnalités. Y siègent sept Liégeois, trois
Hennuyers et un “ Liégeois de Bruxelles ”, en la personne d’Achille Chainaye.
À côté de ce dernier, représentant la Ligue wallonne du Brabant, figurent
Julien Delaite et Edmond Schoonbroodt pour celle de Liège ; cinq
parlementaires issus des mondes socialiste et libéral (Émile Dupont, Charles
Magnette, Émile Buisset, Léon Troclet, Joseph Descamps), un professeur
d’université (Victor Chauvin), un député permanent et un conseiller communal
et provincial. Essentiellement liégeois dans un premier temps, le Comité
s’élargit et reçoit la demande d’adhésion de Jules Destrée (mars 1910).

Le 11 mars 1910, le Comité pour la Sauvegarde de l’Autonomie
des provinces wallonnes analyse une note confidentielle de Julien Delaite
visant à s’assurer que la séparation administrative ne serait pas, au final,
le but même des cléricaux qui, perdant, selon lui, chaque jour plus de
terrain en Wallonie, s’assureraient ainsi un règne éternel sur les plaines
flamandes. Le vendredi 27 janvier 1911, Émile Dupont, Achille Chainaye,
Victor Chauvin, Joseph Descamps, Julien Delaite, Jules Destrée, Émile
Buisset, Charles Magnette, Jean Roger et Edmond Schoonbroodt se retrouvent à
Bruxelles sur la convocation de la Ligue wallonne de Liège. Cette réunion de
travail paraît être la principale, voire la seule, à rassembler autant de
protagonistes ; elle est importante parce qu’elle se penche sur les moyens
légaux et concrets d’assurer l’autonomie wallonne souhaitée.
D’après Edmond Schoonbroodt, le Comité d’Étude se réunit encore plusieurs
fois à Bruxelles, avant le Congrès wallon de Liége, organisé en 1913
(sic ; i.e. 1912), par la Ligue Wallonne de Liége, lequel décida son
extension et sa permanence. Une nouvelle réunion des anciens membres
auxquels le Congrès avait adjoint de nombreux délégués nouveaux se tient à
Namur le 21 juillet 1912, ajoute Schoonbroodt, et ce fut ce jour que,
sur la proposition de (…) Jules Destrée, ces Messieurs constituèrent
l’Assemblée wallonne. Lors du Congrès wallon du 7 juillet 1912, après
avoir exposé son projet, Julien Delaite avait émis le vœu de voir
renforcer le “ Comité d'étude pour la sauvegarde de l'autonomie des
provinces wallonnes ” actuellement existant et de le charger de mettre au
point dans les plus brefs délais un projet séparatiste susceptible d'être
soumis aux chambres belges et s'inspirant des idées générales émises dans le
projet de révision constitutionnel présenté au Congrès ”.
À la fin du congrès, est
adoptée, comme corollaire de la motion de Jules Destrée en faveur de la
séparation de la Wallonie et de la Flandre selon des modalités restant à
étudier, la proposition de Jean Roger de création d’un comité d’action
wallonne composé des délégués des provinces wallonnes, qui au moins
une fois par an, (…) convoquera et organisera le Congrès wallon dans
l’une ou l’autre des grandes cités de la Wallonie et tiendra ses
séances à Namur qui est la ville la plus centrale de la région wallonne.
Ce comité se réunit une fois à Namur le 21 juillet 1912, sous la forme d’une
réunion élargie du Comité d’Étude(s) pour la Sauvegarde de l’Autonomie des
Provinces wallonnes (Papiers J. Delaite, convocation du 15 juillet 1912).
S’élargissant encore, c’est ce Comité d’études qui donnera naissance à l’Assemblée
wallonne, dont la séance constitutive sera convoquée à Charleroi le 20
octobre 1912 (Papiers J. Delaite, circulaire du 25 juillet 1912 et
convocation du 10 septembre 1912).
La confusion
reste toutefois grande quant au statut et à l’importance spécifique
véritable avant 1912 de ce Comité d’Étude(s) pour la Sauvegarde de l’Autonomie
des Provinces wallonnes, émanation de la Ligue wallonne de Liège, qui aura
permis à l’ensemble des Wallons de se retrouver sous une bannière non
liégeoise et de réfléchir à l’élaboration d’un projet de séparation
administrative.
Paul Delforge – Jean-Pol Hiernaux