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Les Amitiés françaises, vocable unique d’inspiration barrésienne, cachent une multitude de sections locales, plus ou moins importantes et plus ou moins durables. De ces sections, nous ne savons pas grand-chose et les informations que nous avons pu découvrir furent très souvent le fruit du hasard. Elles ne nous permettent donc pas de donner une image globale ni dans le temps, ni dans l’espace, de ce que furent et sont les Amitiés françaises.

C’est en septembre 1909 qu’un premier noyau des Amitiés françaises voit le jour à l’initiative d’Émile Jennissen. Parmi les membres du comité fondateur figurent notamment Olympe Gilbart, Isi Collin et Charles Delchevalerie. Le nouveau groupement s’assigne plusieurs objectifs : resserrer les liens d’amitié entre la Belgique et la France, défendre la culture latine, lutter contre les menées flamingantes, faciliter les relations économiques entre la Belgique et la France. Les Amitiés françaises envisagent donc d’emblée de couvrir un plus vaste champ d’activités que celles qui ont été développées par les associations de défense de la langue française qui ont vu le jour jusqu’alors. Ces dernières entendent en effet essentiellement promouvoir la diffusion et le développement de la langue française. Si les Amitiés françaises se veulent évidemment proches de la France, elles n’entendent nullement prôner une quelconque doctrine réunioniste, ce qui n’exclut évidemment pas le fait que certains de ses membres peuvent l’être. Les Amitiés françaises développent pour activités essentielles l’organisation de conférences, pièces de théâtre et autres soirées divertissantes.

Le premier noyau, liégeois, est rapidement suivi d’un deuxième : le 10 mai 1910, les Amitiés françaises de Mons voient le jour à l’initiative d’Alphonse Lambilliotte. Elles se définissent comme étant l’émanation d’un groupe d’intellectuels profondément attachés à leur patrie mais animés du souci de bénéficier de l’inépuisable richesse de la culture française. À Bruxelles, c’est à l’initiative de Maurice des Ombiaux qu’une section des Amitiés françaises est créée en 1911. D’emblée, elle entre en concurrence avec la Ligue nationale pour la Défense de la Langue française, fondée au même moment et dont les objectifs sont évidemment apparentés aux organismes de défense de la langue française. L’existence de la Ligue, dirigée par Simon Sasserath et Fernard Pavard, est une sérieuse entrave au développement des Amitiés françaises à Bruxelles. À Verviers, enfin, une section est jetée sur les fonts baptismaux en 1910 suivie, un an plus tard, par la mise sur pied d’une section à Tournai.

Les Amitiés françaises de Belgique s’inscrivent théoriquement dans une plus vaste structure, celle de la Ligue internationale des Amitiés françaises qui regroupe à la fois des Français de France et des Français du dehors. Mais, en fait, les liens qui unissent toutes les sections sont des plus lâches et les sections belges des Amitiés françaises ne souhaitent pas faire trop état de liens de dépendance à l’égard de la France. Elles démentent également toute subvention de la part des autorités françaises. Seul l’amour de la France apparaît comme étant le dénominateur commun de toutes les sections. La structure internationale des Amitiés françaises est dirigée depuis Paris et se charge de l’organisation des congrès, tel celui de Mons en 1911 organisé à l’occasion de la commémoration de la bataille de Jemappes.

Ce Congrès, qui se tient du 21 au 27 septembre 1911, est l’occasion de mesurer l’impact des Amitiés françaises. Plus de 1.000 personnes sont inscrites, une trentaine de journaux français et une trentaine de journaux belges sont représentés. Les travaux du Congrès sont organisés en cinq sections. La section des marches de l’Est s’occupe de la situation de la langue française dans les États où elle est minoritaire tandis que la section de la culture française à l’étranger a une démarche plus littéraire. Mais celle qui recueille le plus vif succès est sans conteste la section franco-wallonne. Tenants et opposants à la séparation administrative s’y retrouvent. Finalement, la section adopte un ordre du jour dénonçant les dangers causés par le flamingantisme en matière d’unité nationale. La section économique achève ses travaux par un plaidoyer en faveur du rapprochement économique franco-belge et la section des Amitiés françaises fait la curieuse suggestion de créer un journal en langue flamande en vue de convaincre les populations flamandes de la nécessité de la langue française.

Globalement, les travaux de ce Congrès reflètent davantage les positions des défenseurs de la langue française. Le problème de la séparation administrative, soulevé essentiellement par Émile Jennissen, se heurte aux tenants de l’unité belge, majoritaires lors du Congrès. Devant la structuration du Mouvement wallon autour de l’Assemblée wallonne, la plupart des résolutions du Congrès relatives à la Belgique en restent au stade de vœu pieux.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les activités des Amitiés françaises reprennent et de nouvelles sections voient le jour. Il est extrêmement difficile d’avoir une idée précise de l’ampleur des activités de chacune d’elles étant donné la nature des plus lacunaires de la documentation. Seules de grandes tendances peuvent donc être observées. Une première constatation qui s’impose, c’est le développement des Amitiés françaises en Flandre. Des sections sont formées, vers 1919-1920, à Bruges, Anvers, Malines, Courtrai, Roulers, Renaix, Ypres, Hasselt (où un noyau préexistait à la Première Guerre mondiale), Tirlemont et Ostende. C’est évidemment le débat sur la flamandisation de l’Université de Gand qui provoque une telle floraison de sections des Amitiés françaises en Flandre. À cet égard, il est d’ailleurs significatif de constater qu’après 1930, soit après la flamandisation totale de l’Université de Gand, ces sections disparaissent progressivement. En Wallonie, des sections voient le jour à Dinant, Charleroi et La Louvière.

Le principe demeure identique à celui qui avait prévalu avant la Première Guerre mondiale. Il ne s’agit pas de développer de quelconques sentiments réunionistes, mais bien de mettre la France en valeur dans ce qu’elle a de beau et de grand. En fait, les Amitiés françaises se placent en quelque sorte sous une double légitimité : patriotisme belge et amour de la France.

Les sections organisent des conférences, en toute indépendance, mais la majorité des orateurs sont de nationalité française. Certaines sections – les plus importantes – s’assignent également une vocation philanthropique. Ainsi les Amitiés françaises de La Louvière versent une modeste contribution lors de la création du Fonds national de la Recherche scientifique. Alors qu’en Wallonie, les sections n’interfèrent généralement pas dans le débat linguistique – ce qui n’empêche pas les membres des Amitiés françaises d’être présents en nombre au sein de l’Assemblée wallonne –, il est clair que, pour les sections de Flandre, la flamandisation de l’Université de Gand est un enjeu de taille et que, dès lors, plus que l’amour de la France, c’est surtout l’amour de la langue française qui motive les membres des sections. Ainsi, les Amitiés françaises de Malines se définissent-elles avant tout comme une association patriotique belge dont le but est d’assurer le progrès intellectuel et moral de la Belgique par la diffusion de la culture latine sans préjudice des légitimes aspirations des populations flamandes. Au même moment, Émile Jennissen, fondateur des Amitiés françaises, quitte l’Assemblée wallonne dans la foulée des autonomistes. Sans doute est-il significatif de noter qu’à l’heure où les sentiments d’Émile Jennissen penchent tant et plus vers le fédéralisme, celui-ci est déchargé du secrétariat général des Amitiés françaises (1927), lequel est transféré à Bruxelles où il aura l’avantage d’être plus tangible pour les représentants des Cercles de tout le pays. On retrouve donc sous la bannière des Amitiés françaises des personnes animées de sentiments totalement contradictoires, unies seulement par la langue française.

À Bruxelles, les Amitiés françaises qui ont grandi dans l’ombre de la Ligue nationale pour la Défense de la Langue française, fusionnent avec cette dernière en 1929 mais, fait significatif, c’est la direction de la Ligue qui monopolise tous les postes clés du nouveau groupement et Albert Vlemincx, jusque là président des Amitiés françaises de Bruxelles, devient Président d’Honneur. Simon Sasserath est élu à la présidence, poste qu’il occupe jusqu’à sa mort, en octobre 1955. Les Amitiés françaises et la Ligue nationale pour la Défense de la Langue française de Bruxelles consacrent également une part importante de leur budget à l’organisation de cours de français donnés à la fois à Bruxelles et dans ses communes périphériques.

En 1927, des délégués des sections se réunissent à Dinant. On y rappelle les buts des Amitiés françaises, cercles d’extension de la culture française qui n’ont pas à intervenir dans la querelle des langues. Il s’agit évidemment d’une pétition de principe car, tant à Bruxelles qu’en Flandre, les sections prennent à maintes reprises position dans la question linguistique. Mais l’unité a ses limites et les projets concrets telle la création d’un bulletin unique des Amitiés françaises, envisagé lors de cette rencontre, ne voient jamais le jour de même que la réunion des délégués des sections belges prévue à Malines en 1928.

Comme c’est généralement le cas, l’ampleur des activités d’un groupement est fonction des personnalités qui le dirigent. Les Amitiés françaises n’échappent pas à ce principe. Ainsi, à Namur, la section dirigée par Marcel Grafé est tombée en léthargie jusqu’au moment où elle est prise en charge par Luc Javaux au début des années trente.

Autre signe du relâchement de la structure des Amitiés françaises, ce n’est qu’en juillet 1930 que se tient à Liège le deuxième Congrès international des Amitiés françaises. Quelque 250 personnes y assistent. L’ordre du jour du Congrès est des plus variés : influence de la pensée française à la Société des Nations, situation et influence de la langue française en Chine, en Égypte, en Lettonie, au Chili, etc ; le théâtre français nouveau, le dictionnaire des comédiens français, les rapports entre les écrivains belges et français, l’influence française dans la peinture et la sculpture wallonnes, la conquête des esprits et des cœurs, la place du wallon dans l’enseignement en Belgique romane, l’influence des dialectes sur la langue française, le français régional, le français en Bretagne, le tourisme et le développement des sympathies dans le monde, le développement du tourisme entre France et Belgique, etc. Les problèmes spécifiquement belges ne constituent pas l’enjeu essentiel du Congrès. Une nouvelle fois, l’absence de coordination entre les diverses sections des Amitiés françaises est déplorée, mais la volonté de mettre sur pied une Fédération des Amitiés françaises de Belgique est rejetée par souci d’autonomie.

Un troisième Congrès international des Amitiés françaises a lieu à Bruxelles les 7, 8 et 9 septembre 1935 à l’occasion de l’Exposition de Bruxelles. Présidé par Simon Sasserath, le Congrès est consacré à l’examen de la situation de la langue et de la culture françaises en Belgique et de par le monde. Le Congrès demeure en dehors des débats nationaux et émet le vœu de voir favoriser l’enseignement du français partout dans le monde et de la purger des vocables étrangers de plus en plus envahissants qui la défigurent. Autre signe du “ purisme ” des congressistes, ceux-ci déplorent la diffusion de livres et de publications obscènes, offerts au public sous le couvert d’éditions françaises, alors qu’ils sont, le plus souvent, le produit d’un mercantilisme international. Pour le reste, le Congrès émet une série de vœux tendant à faciliter la diffusion de la langue française, estimant notamment, contexte international oblige, que l’étude d’une grande langue européenne par des nationaux appartenant à un grand nombre de pays différents est de nature à favoriser le rapprochement des peuples et à servir la cause de la Paix.

Si l’on essaie de dresser un bilan des Amitiés françaises à la veille de la Seconde Guerre mondiale, il faut constater la disparition progressive des sections flamandes, ce qui correspond bien à l’évolution vers l’homogénéité linguistique régionale. La section de Bruxelles est demeurée très dynamique sous la direction de Simon Sasserath et la section de Liège connaît un développement brillant sous la direction de Georges Thone. Si, à Liège, on retrouve principalement des militants wallons, à Bruxelles, ce sont essentiellement des défenseurs de la Liberté linguistique qui tiennent le haut du pavé. À Liège d’ailleurs, les partisans d’un rapprochement politique avec la France sont en nombre au sein du comité, même si la section ne prendra jamais de position officielle en la matière. C’est à Liège aussi que la véritable tradition de 1909 incarnée par Émile Jennissen demeure la plus vivace.

Sur le plan sociologique, les Amitiés françaises apparaissent comme un groupe de notables. Les conférences s’adressent essentiellement à un public d’intellectuels, de personnes issues des professions libérales, d’enseignants et d’hommes politiques. À Bruxelles, ce sont plutôt les conférences littéraires qui sont en vogue tandis qu’à Liège, francophilie oblige ?, on reçoit de nombreux hommes politiques français de tout bord, le tout avec la bienveillance des autorités diplomatiques et consulaires françaises. Les Amitiés françaises disposent de fonds importants, provenant à la fois des cotisations de leurs membres, mais aussi de subsides des pouvoirs publics, et rétribuent largement leurs conférenciers. Néanmoins, au fil des années trente, les Amitiés françaises ont été quelque peu victimes à la fois de la crise économique et du protectionnisme des États voisins dont la France et ensuite de l’évolution de la situation politique, en France. Appartenant au milieu des notables, tous les membres des Amitiés françaises ne voient pas avec la même joie s’installer un gouvernement de Front populaire en France, à partir de 1936.

Quant au nombre de membres que comprennent les différentes sections, il est extrêmement difficile d’avoir des données précises. Les seuls chiffres connus doivent d’ailleurs être pris avec toutes les considérations d’usage puisqu’il s’agit toujours de données émanant des sections elles-mêmes : 1.500 à 1.800 membres à Bruges en 1928, 1.800 à 2.000 membres à Ypres en 1928, 3.000 membres à La Louvière en 1929, 2.000 membres à Bruxelles en 1929, 3.000 membres à Liège en 1945, 7.400 membres à Bruxelles en 1948.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Amitiés françaises se maintiennent essentiellement à Liège et à Bruxelles, mais aussi à Mons, à Charleroi et à Namur. Certaines sections flamandes ont survécu, sur papier du moins, mais il est clair qu’elles sont toutes condamnées à disparaître. Si la section de Bruxelles prend encore de temps à autre position via sa section linguistique, les Amitiés françaises apparaissent de plus en plus comme un groupe d’éducation permanente organisant spectacles et conférences. Les liens entre les différentes sections se limitent à des rencontres informelles de délégués une à deux fois l’an en vue d’harmoniser, éventuellement, le programme des conférences. Entre Liège et Bruxelles, les relations ne sont pas au beau fixe : Liège accuse Bruxelles de vouloir monopoliser les meilleurs conférenciers.

Près de nonante ans après leur création, les Amitiés françaises se sont maintenues à Liège, à Charleroi et à Bruxelles notamment. Le volume de leurs activités s’est fortement réduit. La France ne constitue plus, ou du moins plus de manière aussi globale, le pôle d’attraction intellectuel unique. Aux Amitiés françaises de Bruxelles, la référence explicite à la France a disparu et, en 1974, la section des Amitiés françaises y rappelle qu’elle a pour objectif unique le développement de la langue et de la culture françaises. La section continue d’ailleurs à organiser des cours de français bien que concurrencée sur ce terrain par l’Alliance française, financée directement par la France. En outre, la multiplication des canaux d’informations a rapproché la France. De manière plus générale, l’attrait pour la conférence s’est réduit et seuls de très grands noms remplissent encore les salles.

 Chantal Kesteloot

 

 

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