Institut Destrée - The Destree Institute

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Cette section propose la liste des notices contenues sur le cédérom de l'Encyclopédie du Mouvement wallon. Les notices accessibles en ligne sont datées : le carré jaune indique les mises à jour, le carré rouge signale les nouvelles notices.

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Institut Jules Destrée (1960-1985) 

L’ombre de Jules Destrée n’a cessé de planer tant sur la Société historique pour la Défense et l'Illustration de la Wallonie que sur l’Association pour le Progrès intellectuel et artistique de la Wallonie et sur la Wallonie libre. Toutes ont mis en exergue les analyses de l’ancien ministre des Sciences et des Arts. C’est sous le nom du député de Charleroi que va renaître la Société historique.

Le contexte s’y prête particulièrement bien. Le 6 septembre 1959, alors que le Mouvement wallon tout entier se réveille en prenant la mesure du déclin économique qui frappe la région, Arille Carlier prononce un important discours au monument Jules Destrée qui, depuis deux ans, s’élève au croisement de la rue de la Montagne et du boulevard Audent à Charleroi. Le président de la Wallonie libre annonce que, désormais, les militants wallons viendront chaque année, le premier dimanche de septembre, attester de leur fermeté wallonne. Réuni le 8 novembre 1959, le conseil général de Wallonie libre – et plus particulièrement Marcel-Hubert Grégoire – évoque l’intérêt qu’il y aurait à créer une asbl culturelle, destinée à publier des études et travaux relatifs à certains aspects du problème wallon, comme ceux issus du Congrès national wallon ou des commissions des congrès des socialistes wallons. Cette association pourrait, dès lors, obtenir des subventions des pouvoirs publics. Fernand Schreurs se fait l’interprète de Maurice Delbouille pour suggérer de fusionner le Centre culturel wallon avec la Commission culturelle du Congrès national wallon. Au tout début 1960, c’est également Wallonie libre qui réédite le texte de Jules Destrée, Socialisme, nationalisme, internationalisme.

C’est le 13 janvier 1960 que la Société historique sort de sa léthargie pour entamer sa métamorphose – pour reprendre la formule d’Aimée Lemaire. La préfète du Lycée de Charleroi, Louis Bertaux, Maurice Bologne, Arille Carlier et Jean Pirotte, nouveaux administrateurs, se réunissent à la Taverne du Luxembourg à Charleroi et décident de réactiver l’ancienne société savante sous le nom d’Institut Jules Destrée. L’article premier des statuts est modifié dans ce sens, tandis que, à l’article 2, l’objet porte désormais sur l’étude des problèmes que posent la défense et l’illustration de la Wallonie ainsi que la publication des travaux qui s’y rapportent, en dehors de toute préoccupation politique, religieuse ou philosophique. La nouvelle équipe se met à l’ouvrage dans un contexte qui va bientôt prendre une dimension insoupçonnée. Immédiatement d’ailleurs, l’Institut Jules Destrée reçoit le patronage de personnalités culturelles – parmi lesquelles les professeurs Marcel Florkin et Léopold Genicot ainsi que Henri Puttemans, inspecteur de l’enseignement moyen – mais aussi politiques wallonnes – essentiellement libérales et socialistes – : bourgmestres de Liège, Mons et Charleroi, députés, sénateurs, gouverneurs, anciens ministres et même le commissaire européen Jean Rey. Du côté PSC, refus poli, comme l’indique Maurice Bologne à René Thône le 19 mars 1960. Plusieurs personnalités chrétiennes ont en effet refusé. C’est le cas du sénateur et baron René de Dorlodot, qui écrit avoir pris pour règle de ne faire partie d’aucun comité aussi longtemps qu’il remplira des fonctions publiques, mais aussi du sénateur Joseph Meurice qui s’affirme déjà trop surchargé. Des interrogations légitimes naissent aussi parmi les acteurs ou observateurs culturels wallons quant à la concurrence que la nouvelle association peut faire naître par rapport à la Commission culturelle du Congrès national wallon ou par rapport à la Fondation Charles Plisnier.

L’action culturelle et éditoriale nécessite des fonds. Le 29 février (ou le 1er mars ?) 1960, le Comité d’Action wallonne de Charleroi, sur proposition de son président, le sénateur Edmond Yernaux – ancien instituteur passionné d’histoire et de folklore – décide d’allouer un subside de 10.000 frs à l’Institut Jules Destrée. La somme est importante. Elle permet de commencer à travailler. Dès le 9 mars, Aimée Lemaire manifeste auprès de Félix Rousseau son intention pressante de publier sa communication au deuxième Congrès culturel wallon comme premier ouvrage de l’Institut Jules Destrée, sous la forme d’un petit livre dans le format de la collection Que sais-je ? Mais, ses intentions précises, la directrice des travaux de l’Institut Jules Destrée choisit de les exprimer à la tribune de Radio-Namur, le 17 avril 1960, dimanche de Pâques. Cette allocution, que Félix Rousseau qualifie de magnifique départ pour l’Institut Jules Destrée, indique en effet les objectifs du nouvel organisme : Il nous faut toucher un public plus étendu et mettre à la disposition de la jeunesse, du personnel enseignant, de tout Wallon désireux de savoir, le moyen de connaître l’histoire véridique de la Wallonie, l’apport spécifiquement wallon aux arts, aux lettres et aux sciences, à la vie industrielle et commerciale, à l’évolution sociale et économique. Il importe surtout de faire des synthèses, car nous connaissons mal l’ensemble des faits et des idées qui concernent spécialement la Wallonie. Ensuite, après avoir évoqué les projets de rédaction et d’édition en cours, la préfète du Lycée de Charleroi cite La chanson des clochers wallons de Jules Destrée – Qui donc éveillera la Wallonie qui dort ? ‑ et convie ses auditeurs à participer au réveil de la Wallonie par la prise de conscience de ses richesses spirituelles et matérielles, à l’initiative de l’Institut Jules Destrée.

Les projets ne manquent pas : Irène Vrancken-Pirson a accepté d’écrire une biographie de Jules Destrée, tandis que Maurice-Pierre Herremans se dit prêt à écrire un nouveau texte consacré à la question wallonne. Sur le conseil de Félix Rousseau, Jacques-A. Dupont est approché pour qu’il développe l’étude qu’il a publiée à la fin de la guerre pour Wallonie catholique et relative aux Wallons à l’étranger. Sollicité lui aussi, Fernand Schreurs rédige – entre le 10 et le 31 mars – les 60 pages qu’il lui a été demandé de consacrer aux congrès de rassemblement wallon. L’ouvrage du secrétaire général du Congrès national wallon paraît début octobre 1960. Dans El Bourdon, Émile Lempereur souligne tout l’intérêt stratégique que constitue ce premier ouvrage : L’agonie économique de la Wallonie se précipitera si certains problèmes politiques de base ne sont résolus assez tôt et à l’avantage de notre peuple. Par cette publication, le nouvel Institut va soutenir culturellement l’action politique wallonne en cours. Le premier ouvrage de la nouvelle collection Connaître la Wallonie vient en effet particulièrement bien à point puisqu’il s’agit d’une présentation de la plupart des congrès wallons de 1890 à 1959, c’est-à-dire de l’ensemble des griefs wallons replacés dans leurs perspectives historiques.

L’aide initiale reçue du Comité d’Action wallonne voire le vif succès que rencontre l’ouvrage de Fernand Schreurs, tiré à mille exemplaires, ne dispensent pas les promoteurs de l’Institut Jules Destrée d’engager une recherche de moyens financiers. Dès le 19 septembre, Maurice Bologne écrit à cet effet à Marcel Hicter, directeur d’administration au ministère de l’Instruction publique. Un courrier adressé au ministre de l’Instruction publique Charles Moureaux, le 22 novembre 1960, évoque les importants subsides versés par le gouvernement aux institutions flamandes et insiste sur le besoin de financement de l’Institut, notamment pour publier l’étude de Félix Rousseau : Nous espérons que l’État fera ce que nous estimons, excusez-nous si nous nous trompons, son devoir à l’égard de la Wallonie intellectuelle.

La période est – on le sait – difficile pour le gouvernement… Félix Rousseau, quant à lui, a déposé son manuscrit, remanié, le 27 novembre 1960. Wallonie, terre romane sort à la mi-avril 1961, édité à 2.000 exemplaires. Il s’agit de l’intervention de l’académicien au congrès culturel wallon de 1955 paru, à l’époque, sans annotations et sans annexes dans les actes de cette rencontre. Outre les trente-neuf pages d’histoire de la Wallonie désormais annotées, on y trouve trois annexes. La première, Pourquoi nombre de Wallons ignorent leur histoire, reprend la première partie de l’argumentation utilisée par Félix Rousseau à la Commission Harmel. La seconde, Importance du français en pays wallon, complète l’analyse relative aux premiers textes littéraires écrits en français dans nos régions. La troisième évoque Jeanne d’Arc et les Tournaisiens, présentation de la célèbre lettre adressée par la Pucelle aux loyaux Français de la ville de Tournay.

L’assemblée générale de l’Institut Jules Destrée, initialement prévue pour le début 1961, n’a lieu que le 15 avril. Elle se tient à l’Hôtel de Ville de Charleroi et permet de faire un premier bilan de l’action fulgurante qui a été menée depuis à peine plus d’un an, malgré la participation très active des membres du Comité aux événements politiques qui ont marqué la Wallonie depuis janvier 1960. La séance réunit, sous la présidence de Maurice Bologne, Aimée Bologne-Lemaire, Louis Bertaux, Germaine Bertaux, Jacques Hoyaux, docteur en droit, et Christiane Bailly, son épouse, licenciée en histoire, Arille Carlier, Guy Galand, professeur de lettres, Émile Lempereur, Albert Calay, Charles Becquet, Albert Romain. Le président rappelle que la Société historique pour la Défense et l’Illustration de la Wallonie a repris ses activités car l’APIAW – au profit de laquelle elle s’était mise en veilleuse en 1945-1946 – ne vit plus qu’à Liège, dans le domaine de la peinture. Le nouveau comité est constitué de Maurice Bologne (président), Jean Pirotte (vice-président), Louis Bertaux (trésorier), Arille Carlier (conseiller juridique) et Aimée Lemaire (directrice des travaux). L’Institut Jules Destrée comprend alors plus de 140 membres dont 38 membres protecteurs (savants et professeurs). Maurice Bologne peut annoncer qu’un nouveau subside de 10.000 frs a été alloué en 1961 par le Comité carolorégien d’Action wallonne, à l’initiative de son président. En 1961, l’Institut bénéficiera également d’un don substantiel du baron Carlo Hénin, de Farciennes.

À côté du travail quotidien d’édition, des stratégies se mettent en place pour un plus long terme. Jacques Hoyaux, qui a été coopté au Conseil d’administration, est chargé de la propagande. Il propose une pénétration au Mouvement populaire wallon dont la plupart des administrateurs sont d’ailleurs membres actifs. La question du nombre des membres va constituer une préoccupation constante tant elle détermine, par les cotisations, le capital nécessaire à la base de toute édition et la quantité des tirages possibles pour atteindre le seuil de rentabilité. Comme l’indique la directrice des travaux dans un long exposé qu’elle présente lors de l’assemblée générale du 31 mars 1962, indiquant ainsi la politique qui sera menée par l’Institut Jules Destrée : il faut que nous arrivions à faire de notre collection un ensemble impressionnant qui pourra figurer dans de nombreuses bibliothèques. Ce moyen nous a paru être le meilleur car il constitue une propagande permanente. Les conférences sont aussi un procédé intéressant mais il ne laisse pas assez de traces ; au bout de quelques mois tout est oublié. Songez, au contraire, que le livre peut dormir des années mais un jour quelqu’un l’ouvrira et la pensée qui s’y trouve exprimée reprendra son vol et se fixera à nouveau dans certains esprits, des orateurs y retrouveront des arguments, de jeunes Wallons sauront qu’avant eux ont existé des gens qui pensaient et sentaient comme eux. C’est cette chaîne aux maillons permanents que nous essayons de constituer par ces brochures.

La parution de la troisième brochure, Les lettres françaises de Wallonie des origines au début du xxe siècle, due à la plume de Guy Galand et dont la première édition est tirée à 1.000 exemplaires, provoque la réaction des pouvoirs publics. La directrice des travaux doit monter au créneau pour défendre le cadre qui a été fixé – par elle-même et par Maurice Bologne, du reste – au jeune professeur du Hainaut occidental, pour décrire les lettres françaises de Wallonie et affirmer ainsi la position de l’Institut Jules Destrée sur ces questions. À l’Inspecteur général et conseiller pédagogique au ministère de l’Éducation nationale Marion Coulon, qui a fait des remarques concernant la pertinence des choix opérés, Aimée Lemaire écrit : évidemment, nos avis ne concordent pas en tout avec le vôtre, notamment en ce qui concerne la situation des francophones en littérature. Nous ne nions pas leur importance mais c’est à d’autres que nous de les mettre en valeur. Ils continuent à entretenir l’équivoque et à faire croire à l’étranger que la Belgique d’aujourd’hui est toujours la “ petite France ” de 1830. Ce n’est pas une conception plus étriquée de considérer uniquement dans un ouvrage les auteurs qui se rattachent par la naissance, l’ascendance ou la volonté à la terre wallonne que de faire un manuel de littérature belge d’expression française, limitée aux frontières d’un État. Vous savez bien qu’au fond de nous-mêmes, nous considérons qu’il n’y a qu’une littérature française qui devrait englober tout ce qui a été écrit en français, en divisant en chapitres d’après les régions. Mais cette conception ne prévaudra que le jour où les problèmes de nationalité et celui de la décentralisation seront résolus.

Dans un courrier qu’elle adresse à Joseph Delmelle le 2 août 1962, la directrice des travaux rappelle d’ailleurs les indications données aux collaborateurs d’histoire littéraire, parmi lesquels Guy Galand et André Wautier, pour déterminer si un auteur appartient à la Wallonie : 1° le lieu de naissance : il faut être né en Wallonie. 2° la nationalité des parents : on peut être né n’importe où de parents wallons. 3° l’opinion : si l’une de ces conditions n’est pas remplie, on doit dès lors se déclarer wallon expressément. Le choix de la langue française est insuffisant, il faut aussi opter pour la Wallonie. Nous ne voulons pas faire entrer dans notre littérature un auteur qui y répugne et comme nous ne sommes pas racistes, il suffit de se vouloir wallon pour l’être. Celui qui est né d’une alliance entre un(e) Flamande et un(e) Wallon(ne) doit choisir l’une ou l’autre civilisation et pas seulement la langue.

Quant à Marcel Hicter, responsable des lettres françaises de ce pays, avec lequel Aimée Lemaire entretient également un débat épistolaire courtois mais ferme sur le choix des auteurs retenus par Guy Galand, la directrice répond toutefois par quelques vers que le poète connaît bien :

Avou vos ou sins vos,

Dji mont’rè so les tâfes

Po m’bate po mès idêyes !

Dans la foulée des grandes mobilisations organisées par le Mouvement populaire wallon et l’ensemble des mouvements wallons à partir du printemps 1962, le Conseil d’administration décide, le 20 juin 1962, de lancer un cycle d’information wallonne. Il s’agit d’une initiative de Jacques Hoyaux, qui en est spécifiquement chargé. Prenant appui sur l’Entente des Groupements wallons de Charleroi : Wallonie libre, Rénovation wallonne et Mouvement populaire wallon, onze conférences sont organisées du 19 octobre 1962 jusqu’au 22 mars 1963, sous la présidence d’Aimée Lemaire. Ainsi, 105 personnes se sont inscrites au cycle qui se donne à l’hôtel de ville de Charleroi, cycle qui a permis d’entendre des exposés de Louis Philippart – directeur de l’Institut provincial de l’Éducation et des Loisirs du Hainaut – sur Les solutions wallonnes au point de vue culturel, de Maurice Bologne sur Naissance, développement et perspective du Mouvement wallon, de Jean Pirotte sur La Wallonie et le congrès national wallon, de Lucien Outers – secrétaire général de Rénovation wallonne ‑ sur Rénovation wallonne, de Stéphane Brabant sur Le Mouvement libéral wallon, de Fernand Pirsoul – trésorier général du MPW – sur Le Mouvement populaire wallon, de Norbert Gadenne – secrétaire hennuyer du Conseil économique wallon – sur Les besoins wallons au point de vue économique et social, de l’économiste Yves de Wasseige sur Les Solutions wallonnes au point de vue économique et social, de Jean Van Crombrugge – Léopold Genicot n’étant pas disponible – sur Les Besoins wallons au point de vue culturel, du sociologue Maurice-Pierre Herremans sur Naissance, développement et perspectives du Mouvement flamand et de Jacques Hoyaux – François Perin n’étant pas disponible – sur Les solutions fédéralistes. Les conférences, bien préparées, ont un certain succès mais laissent les organisateurs sur leur faim en matière de fréquentation, compte tenu des coûts et du temps de préparation. Le projet d’organiser le même cycle de conférences à Namur et à Liège n’a d’ailleurs pu être mené à bien, faute de relais suffisant sur place. L’Institut veut également mener des actions pour la défense de la Wallonie au point de vue culturel. Ainsi, intervient-il auprès du directeur de la Radio-Télévision française concernant une émission du 28 juillet 1960 sur l’emploi abusif du mot flamand dans l’art. Ce geste n’est en fait qu’une première initiative à l’égard des médias. Elle sera suivie de nombreuses autres surtout dans le domaine de la terminologie, particulièrement par rapport à la RTB dont le discours est souvent perçu comme anti-wallon. De même, l’Institut Jules Destrée prend fermement position contre la circulaire du 5 octobre 1963 supprimant le cours d’anglais dans les sections préparatoires des Écoles de l’État par suite de l’application des nouvelles lois linguistiques.

L’idée de créer des sections régionales, déjà envisagée à l’époque de la Société historique, est à nouveau à l’ordre du jour en 1964. Elle révèle la recherche de moyens d’organisation nouveaux pour faire face au succès de l’association, à l’accroissement de ses membres ainsi qu’aux sollicitations extérieures en matière de documentation sur le Mouvement wallon. Un projet de création de quatre directions régionales : Liège-Luxembourg, Namur-Brabant, Hainaut et Bruxelles est élaboré. Mais deux autres urgences se dessinent : celle d’un permanent pour appuyer le travail bénévole des administrateurs et celle de ressources financières supplémentaires, notamment pour rémunérer ce collaborateur éventuel, ce qui s’avère alors impossible. En 1963, l’Institut Jules Destrée a reçu 32.500 frs de subventions dont 20.000 frs du ministère de l’Éducation nationale et de la Culture et 6.000 frs provenant de l’APIAW de Charleroi, à l’initiative de Nestor Miserez et d’Émile Lempereur. Il s’agit également de renforcer le Conseil d’administration très affecté par la disparition d’Arille Carlier, décédé le 17 mai 1963. En mars 1964, Fernand Schreurs est appelé au Conseil, ainsi que Abel Piraux, directeur d’École honoraire. Sollicité par Maurice Bologne, Louis Philippart a dû décliner car accablé de prestations et d’engagements, d’autant que, ainsi que l’écrit le directeur de l’Institut provincial de l’Éducation et des Loisirs, l’Institut pourrait avoir une mission plus importante à remplir à mesure que s’accomplira une véritable décentralisation culturelle.

La vie de l’Institut Jules Destrée n’est pourtant pas un long fleuve tranquille. Les publications se suivent et ne se ressemblent pas toujours, particulièrement en qualité. La publication du livre d’André Wautier consacré à la Poésie française contemporaine en Wallonie provoque la profonde affliction de Marcel Hicter qui considère ce travail comme une mauvaise action. Cet événement constitue pour Aimée Lemaire une nouvelle occasion de défendre un de ses auteurs – qui doivent obligatoirement être des membres – mais aussi de constater que, malgré ses efforts et ses appels, aucun spécialiste notoire, à l’exception de Félix Rousseau, n’a accepté les conditions de bénévolat ni de soumission de son manuscrit à un comité de lecture, imposées par l’Institut. La directrice des travaux poursuit : les uns ont prétexté le manque de temps, mais nous avons bien senti que c’était surtout le fait de s’affirmer wallon sous le patronage de la pensée de Jules Destrée qui les fait reculer. D’autres ont eu la franchise de nous dire que nous exigions d’eux un engagement “ contraire à leur esprit scientifique ”. L’ancienne préfète explique toutefois les positions de ces universitaires : n’est-ce pas simplement l’esprit de soumission aux conceptions répandues par l’État Belgique qui subit la pression de sa majorité flamande depuis 1884, aux dires de Destrée ? s’interroge-t-elle. Maurice Bologne répètera ces considérations en janvier 1966, en regrettant qu’un savant pense manquer à l’objectivité scientifique en s’engageant dans une collection qui paraît sous les auspices de Jules Destrée. Il faut reconnaître que, parfois, l’association et sa directrice des travaux se nourrissent aussi de révoltes et de colères qui s’expriment par des propos virulents. Le 13 mars 1967, dans un texte destiné à promouvoir la collection Connaître la Wallonie – qui sera notamment publié dans Wallonie libre –, Aimée Lemaire dénonce la promotion de la Flandre à Montréal où on nagera dans le waterzoi, les soles à la bière et le dindonneau à la kriek, avant d’aborder la flamandisation de la châsse de Saint-Remacle : l’ignorance entretenue à dessein par les Machiavel de la mère Flandre ne sera combattue efficacement que le jour où le peuple wallon lui-même aura retrouvé son âme et exigera le respect de son passé. Quelques mois plus tard, des critiques formulées à l’égard de l’ouvrage consacré à Robert Boxus et rédigé par Adèle Durieux dans la nouvelle collection Figures de Wallonie, amènent la directrice des travaux à évoquer une fois encore Félix Rousseau – le seul professeur d’université qui, jusque là, ait daigné donner son travail à l’Institut – et à constater l’élitisme des universitaires liégeois. Ce snobisme, qui est intéressant pour faire avancer les conceptions artistiques, littéraires ou scientifiques, est absolument inaccessible à la masse, à qui il faut tout de même faire une place, que ce soient de petits bourgeois désireux de se cultiver ou des ouvriers studieux ou des jeunes gens encore aux études qui, grâce à des programmes bien élaborés et à des professeurs sortis des moules belgeois, ignorent ce que fut et est la Wallonie. Au professeur Paul Brien qui, en 1969, émettait également quelques réserves, Aimée Lemaire écrivait ne pas se faire d’illusion sur la valeur des publications éditées et répétait les conditions difficiles de travail dans lesquelles se débattait l’Institut face au désintérêt des universitaires compétents. La directrice des travaux soulignait également la décision de produire des travaux même imparfaits plutôt que de ne rien faire du tout. Cette analyse, Aimée Lemaire la confirme encore en réponse cordiale aux remarques formulées en 1971 par le directeur de la revue La Vie wallonne, Jean Servais, sur la compétence des rédacteurs de certains ouvrages de l’Institut Jules Destrée.

Des initiatives plus politiques sont également prises. Ainsi, la problématique fouronnaise ne peut laisser indifférent l’Institut Jules Destrée. En 1964, l’Institut Jules Destrée alloue une aide de 1.000 frs à l’école française de Teuven. Par ailleurs, l’Institut est, avec la Fondation Charles Plisnier, à la base de la création de l’Union wallonne des Associations culturelles (UWAC), qui organise sa première journée d’étude à la Maison de la Culture de Namur, le 25 avril 1965. Jacques Hoyaux, délégué de l’Institut au sein de l’UWAC, y prend la parole concernant l’autonomie culturelle. Sa contribution sera publiée en brochure. Enfin, depuis décembre 1964, par l’intermédiaire d’un de ses membres, André Bertouille, de Comines, l’Institut signale à la Commission de Contrôle linguistique les infractions à la loi du 2 août 1963 sur le territoire de la Wallonie. Quinze requêtes sont adressées jusqu’en mars 1965. Par ailleurs, le 17 mars 1965, l’Institut Jules Destrée fait rapport à ses membres – qui sont désormais 374 – sur les propositions de la Table ronde.

L’Institut fonctionne également comme une formidable machine à idées. Celles qui naissent ne pourront souvent être mises en œuvre que bien plus tard : un projet de Que sais-je ? sur l’histoire de la Wallonie est conçu en 1964. En 1966, le Conseil avance l’idée de créer un centre d’archives, en 1967, de mettre sur pied un Musée Destrée à Marcinelle et, la même année, d’écrire une Histoire de la Wallonie, tâche qui serait confiée à Léon-E. Halkin mais qui n’a pas eu de suite immédiate, aucun courrier ne paraissant avoir été adressé au professeur liégeois. L’action quotidienne ne ralentit pas : les éditions se développent considérablement grâce aux achats importants effectués par le ministère de l’Éducation nationale – 400 volumes de chaque ouvrage publié – et grâce à la reconnaissance de la qualité pédagogique des ouvrages édités accordée par le Conseil de Perfectionnement de l’Enseignement moyen. Des moyens financiers importants sont aussi recherchés du côté de la Poste. Ainsi, l’Institut Jules Destrée obtient-il un accès à la quote-part dans la répartition des bénéfices de la série culturelle de timbres postes en 1962 grâce à l’accession de Marcel Busieau au titre de ministre des PTT. Fin 1965, c’est Édouard Anseele, remplaçant de Marcel Busieau en janvier 1963 et vieille connaissance de Maurice Bologne, qui favorise une subvention de 50.000 frs pour l’Institut Jules Destrée. Henri Maisse ramène ce montant à 20.000 en 1967.

L’Institut Jules Destrée est chargé, par l’administration communale de Marcinelle, de la mise en place de l’exposition organisée à l’hôtel de ville, du 20 septembre 1963 au 15 février 1964, pour commémorer le centième anniversaire de la naissance de l’auteur de la Lettre au roi, et qui accueillera de nombreuses conférences. Pour cette activité, la directrice des travaux avait appelé à la prudence : Nous ne voulons pas dépenser l’argent de notre association à fonds perdus. Les mânes de Jules Destrée seront mieux honorées par la diffusion des idées susceptibles d’éveiller la Wallonie qui dort que par une manifestation intéressante sans nul doute mais sans lendemain. Les hommages aux militants et personnalités wallonnes restent néanmoins à l’ordre du jour, comme celui qui est rendu à Albert Mockel, le 22 décembre 1966 au Palais des Congrès de Liège, à l’initiative d’André Piron et de Marcel Florkin. Pour cette occasion, l’Institut s’est associé à l’APIAW, au Grand Liège ainsi qu’à la Société des Amis de l’Art wallon. Lors du centenaire de la naissance de Jules Destrée, en 1963, une carte postale illustrant l’auteur de la Lettre au roi est tirée à 4.000 exemplaires.

Fort de son impact et intégrant totalement son passé de Société historique, l’Institut Jules Destrée organise son trentième anniversaire en 1969. Le décalage de quelques mois est probablement dû à la situation personnelle du président Maurice Bologne qui, aux élections du 31 mars 1968, a été élu sénateur du Rassemblement wallon. La manifestation du trentenaire obtient un succès considérable. En présence d’une grande foule, le comité organisateur est amené à changer de salle au dernier moment, d’annuler la réservation faite au Musée du Verre de Charleroi pour rassembler ses invités à la Salle de la Bourse. Près de quatre cents personnalités sont présentes à la séance académique pour écouter les conférences de Henri Brugmans, recteur du Collège d’Europe à Bruges, et de Guy Héraud, directeur de l’Institut de droit et d’économie comparés de l’Université de Strasbourg. Jean Pirotte tire les conclusions de ce moment fort avant que les invités ne soient accueillis à l’administration communale par l’échevin Gustave Pirson. Plusieurs ministres et parlementaires ont assisté à la cérémonie, dont trois élus de la Volksunie, parmi lesquels Lode Claes. Le bilan qui est dressé à cette occasion est impressionnant : en neuf ans, vingt-quatre ouvrages ont été publiés sur la Wallonie, soit plus de 30.000 volumes. Ainsi, la collection phare, Connaître la Wallonie, s’est enrichie de plusieurs titres de bonne vulgarisation comme La peinture wallonne ancienne de André Piron (1963), La romanisation de la Wallonie de Louis Bertaux (1964 et 1970), Les musiciens wallons d’Élisa Meynaerts-Wathelet (1963) ou encore l’Histoire sommaire de la Recherche scientifique en Wallonie (1964 et 1965) et l’Expansion wallonne en Europe (1966), puis hors Europe (1967) de Joseph Delmelle. Ce dernier ouvrage est d’ailleurs promu avec vigueur par Aimée Lemaire qui le considère comme susceptible de rendre aux Wallons l’audace et la fierté dont ils ont grand besoin pour le moment. La base de ce livre est constituée d’une étude réalisée pour la Défense nationale et pour laquelle ce département a accordé l’imprimatur à son auteur. D’anciens titres jadis publiés par la Société historique ont également été réédités. C’est le cas de L’irrédentisme français en Wallonie (1965) de Francis Dumont ou de La Révolution de 1789 en Wallonie de Maurice Bologne (1964).

Ce travail d’édition et de diffusion – vraiment impressionnant – n’a pu être réalisé que grâce à l’extraordinaire disponibilité d’Aimée Lemaire qui, en quittant prématurément ses fonctions de préfète au moment des grèves de 1961, s’est mise à la disposition de l’Institut Jules Destrée, en faisant son quotidien. En outre, à cette occasion, la fidélité aux objectifs de la Société historique peut être rappelée par la directrice des travaux : démontrer que l’on peut mettre en valeur la Wallonie tout en étant objectif.

Le trentième anniversaire a constitué un encouragement à franchir une étape dans l’action en multipliant les initiatives. Si Maurice Bologne est davantage absorbé par ses fonctions politiques, Aimée Lemaire dispose désormais non seulement de l’appui de Charles Becquet, de Jean-Marie Horemans puis d’Émile Lempereur qui, en 1968 et 1969, sont venus renforcer le Conseil d’administration, mais aussi de la collaboration de Françoise Bertaux au secrétariat. Bénévole depuis le 8 octobre 1969, elle deviendra la première permanente rémunérée (à temps partiel) de l’Institut à partir du 1er septembre 1970. Parallèlement, Jacques Hoyaux constitue un appui de plus en plus solide pour l’institution. Secrétaire général de Wallonie libre de 1966 à 1968 puis vice-président chargé des relations extérieures, il assume la coordination du mouvement avec l’Institut Jules Destrée dans de nombreux domaines, comme, par exemple, l’inauguration du monument Arille Carlier, érigé à Dampremy, ou la diffusion d’ouvrages par l’intermédiaire de Wallonie libre. Membre et vice-président de la Commission de Contrôle linguistique à partir de 1969, il y assure la présence de l’Institut Jules Destrée. Davantage que les Bologne, Jacques Hoyaux perçoit la nécessité pour l’Institut de faire un choix entre l’idée de société savante de 450 à 500 membres, quelque peu intellectuellement élitiste, et celle d’un organisme à la base plus large, élaborant un fichier général wallon et mobilisant les ressources – déjà réclamées par Louis Bertaux depuis plusieurs années – de plus de mille membres permettant des tirages d’ouvrages de 1.500 à 2.000 exemplaires.

Il est vrai que l’élan de la décennie précédente paraît difficile à maintenir. Si les 418 membres ont été franchis en 1970, il faut bien constater des difficultés de recrutement, un vieillissement des membres – et donc des décès. À l’assemblée générale du 28 mars 1971, même s’ils peuvent se féliciter d’un subside de l’Éducation populaire (47.000 frs), mais aussi de Wallonie libre (12.000 frs), la directrice des travaux et le trésorier constatent qu’un marché s’est fermé : celui des écoles où l’on a supprimé les distributions des prix. L’admission des livres par le Conseil de Perfectionnement, qui permettait de nombreuses ventes, revêt dès lors moins d’importance. Du reste, crise économique ou réforme institutionnelle, les bibliothèques publiques ont diminué drastiquement leurs achats à l’Institut. Depuis 1967, des restrictions se sont progressivement fait sentir. Comme l’avait perçu la directrice des travaux dès janvier 1968, on a sabré dans le budget culturel et la décentralisation annoncée s’est faite au détriment de la Wallonie, les services étant partagés entre les provinces. Pour éviter la constitution de stocks d’ouvrages invendus, la directrice des travaux réduit, en 1968, le tirage des ouvrages en le faisant passer de 1500 à 1000 exemplaires. En 1972, les bibliothèques publiques et le ministère de la Culture française n’achèteront plus que 79 livres, tandis que les Affaires étrangères font l’acquisition de 210 ouvrages.

Des tensions naissent naturellement du travail en équipe face à une situation qui s’avère difficile et dans le contexte politique assez pénible du non aboutissement de la réforme de l’État, du blocage de l’article 107quater qui doit créer la Région wallonne. Les stocks de livres invendus s’accumulent et encombrent la maison des Bologne ainsi que les annexes construites dans leur jardin. Jacques Hoyaux prône une politique d’expansion des membres et l’utilisation de méthodes plus adaptées au temps. Nous sommes un vieil attelage, c’est vrai. (…) Mais il ne faut pas fouetter de vieux chevaux et les obliger à marcher plus vite que leur train, estime Aimée Lemaire en février 1971. La crise ainsi ouverte au sein du conseil d’administration est qualifiée par Louis Bertaux de querelle entre les anciens et les modernes et assez vite refermée. Nous avons été obligés à cause de la pression de Jacques Hoyaux – écrit la directrice des travaux le 1er mars 1971 – de consentir à une politique d’accroissement des membres qui fait partie de son plan d’expansion avec comme aboutissement notre installation dans un complexe culturel où l’Institut Jules Destrée aurait un bureau, une administration et un entrepôt de livres, de documents et d’objets. En fait, c’est bien dans cette direction que l’Institut s’orientera désormais.

Les administrateurs doivent aussi évoquer l’impact de la retraite de Louis Bertaux de sa fonction d’inspecteur de l’enseignement. Il démissionne d’ailleurs de son poste d’administrateur pour raison de santé et de longs séjours dans le Midi – même si, à la demande de Maurice Bologne, il en gardera le titre. Le major (puis lieutenant-colonel) à la retraite Gaston Lambert est coopté au Conseil le 25 septembre 1971 et assume dès lors la tâche de trésorier. Autre changement au Conseil d’administration : Roger Pinon remplace Fernand Schreurs comme administrateur et délégué de la province de Liège. Le 24 mars 1973, c’est Robert Goffin – membre de la Société historique depuis le 3 avril 1940 – qui rejoint le Conseil pour assumer la fonction de conseiller juridique anciennement dévolue à l’avocat liégeois. Assez rapidement, l’ancien collègue de Jules Destrée va suggérer de léguer sa maison d’Overijse à l’Institut. L’idée naît alors de transformer l’institution en Centre wallon d’Études fédéralistes et de créer, à côté, une Fondation Robert Goffin, Musée littéraire et artistique de Wallonie. Le principe du legs sera accepté en 1978, avant que l’Institut y renonce au début des années 1980.

Des collaborations suivies s’établissent avec le CACEF et la Fondation Plisnier. Le Conseil d’administration du 11 mars 1972 aborde la question de la dissolution de l’UWAC dans laquelle Jacques Hoyaux a représenté l’Institut. Maurice Bologne dénonce la tendance des milieux bruxellois à remplacer le mot “ français ” par “ francophone ” et à supprimer le mot wallon. C’est l’occasion pour son fondateur de réaffirmer la position de l’Institut et de rappeler que Jules Destrée a quitté l’Assemblée wallonne parce qu’elle défendait les francophones de Flandre. De même, pour le président, le problème de Bruxelles est terriblement dangereux pour la Wallonie. Le FDF, souligne-t-il, subit des pressions pour se transformer en Rassemblement des Bruxellois. Nous, c’est pour être le Rassemblement des Français. Francité vaut mieux que Francophonie. Ces déclarations sont soutenues par l’envoi à tous les parlementaires du livre de Guy Héraud, Fédéralisme et Communautés ethniques, que l’Institut vient d’éditer en février 1972, dans sa collection Études et documents.

Alors que le Conseil d’administration ouvre, le 13 décembre 1972, une révision des statuts pour permettre d’accueillir un legs de Martine et Georges Armand, anciens factotums de Jules Destrée, Jacques Hoyaux propose d’étendre la mission wallonne de l’Institut à la Communauté française de Belgique, à la Francité et au monde français. Maurice Bologne lui oppose un refus très net, considérant que l’idée n’est pas encore mûre et que l’Institut serait dans l’incapacité d’assurer cet objectif…. Tandis que, depuis novembre 1973, l’Institut diffuse parmi ses membres l’ouvrage Contre les États, les régions d’Europe, préfacé par Alexandre Marc, avec une introduction de Guy Héraud, dans lequel Maurice Bologne traite de la Wallonie, un autre débat, assez vif, se déroule lors de l’assemblée générale du 24 avril 1974, entre Maurice Bologne, Roger Somville, Jean Humblet et Jacques Hoyaux, sur l’idée de régions d’Europe et les rapports éventuels des Wallons avec les autonomistes bretons.

L’organisation d’une séance académique en hommage à Arille Carlier, au Palais des Beaux-Arts de Charleroi, le 18 mai 1973, à l’occasion du dixième anniversaire de la mort de l’ancien membre fondateur de l’Assemblée wallonne, constitue le dernier grand événement de la présidence de Maurice Bologne. Le Conseil d’administration du 7 mars 1975 prend acte de la démission de leurs fonctions de président et de directrice des travaux pour raisons d’âge et de santé. Maurice Bologne – qui a renoncé à son mandat de sénateur un an auparavant – annonce que la directrice des travaux et lui-même sont au bout du rouleau, que personnellement, il est en mauvaise santé et doit cesser par ordre de la faculté. Il ajoute qu’il faut s’incliner devant les faits.

L’assemblée générale 15 mars 1975 est celle de la mise en place de la nouvelle équipe afin de rajeunir les cadres. Trois nouveaux administrateurs sont élus : Guy Galand, Étienne Knoops – secrétaire d’État (RW) aux Affaires économiques –, et Jacques Lanotte, romaniste diplômé de l’Université de Liège, bibliothécaire à l’Université du Travail. Les Bologne proposent que Jacques Hoyaux assume la présidence : il vit à Charleroi, siège de l’Institut Jules Destrée, c’est un militant wallon et il est, depuis un an, sénateur socialiste de Charleroi, titre qui ouvre les portes. Jacques Hoyaux accepte la tâche qui lui est confiée et annonce que, désormais, la direction des travaux s’exercera collégialement. La directrice des travaux n’est donc pas immédiatement remplacée tandis que Françoise Bertaux est confirmée dans ses fonctions. Le secrétariat est déplacé à son domicile personnel, 10 rue du Tunnel à Couillet.

Le bilan de l’action de l’équipe, essentiellement formée par Aimée Lemaire, Maurice Bologne, Louis Bertaux et Abel Piraux, est impressionnant : de 1960 au 2 avril 1975 l’Institut Jules Destrée a édité pas moins de quarante et un ouvrages. Les dernières années, l’effort a porté sur la collection Figures de Wallonie avec des titres consacrés à Hubert Krains par Roger Gustin (1968), Maurice des Ombiaux par Jean-Marie Horemans, Albert du Bois par Joseph Delmelle (1969), Marcel Thiry par Roger Foulon (1969), Arille Carlier par Aimée Lemaire (1969), François-Joseph Gossec par Walter Thibaut (1970), Arthur Masson par Marcel Lobet (1971), Charles Plisnier par Roger Foulon (1971), Charles de Ligne par Raymond Quinot (1973). D’autres ouvrages ont complété la collection Connaître la Wallonie : Joseph Boly a traité de La Wallonie dans le monde français (1971), Guy Lemeunier de L’art baroque et classique en Wallonie, Maurice Bologne de Notre Passé wallon (1972 et deuxième édition,1973) et Jean-É. Humblet y a publié Le petit livre du jeune Wallon (1975). Enfin, à côté des travaux de Guy Héraud et Henri Brugmans, la collection Études et documents a accueilli le premier volume de la synthèse portant sur Le différend wallo-flamand due à Charles-Fr. Becquet – inspecteur de mathématiques – et l’ouvrage précurseur de Paul-Henry Gendebien, L’environnement, un problème politique pour la Wallonie, pour l’Europe, pour le monde. Le nombre de membres a plafonné à 415 en 1974, chiffre en léger repli de 21 membres par rapport à 1973. Aucune commande publique de livres n’a été obtenue en 1974. Quant aux subsides, ils sont réduits à zéro, étant désormais déterminés par le nombre d’activités davantage que par les publications.

 

Former les cadres du Mouvement wallon

Au Conseil d’administration du 10 mai 1975, Jacques Hoyaux dévoile son ambition pour l’Institut Jules Destrée : devenir à la fois le centre de formation des cadres du Mouvement wallon et le partenaire du nouveau Conseil régional wallon. De manière opérationnelle, plusieurs décisions importantes sont prises immédiatement. D’abord, créer un bulletin d’information, ainsi que l’avait précédemment suggéré Jean-Marie Horemans. Ce trimestriel s’intitule Feuillets de la Wallonie. Toutefois, dès le premier numéro de la deuxième année, cette lettre d’information prend le nom de Feuillets de la Communauté française Wallonie - Bruxelles, popularisant cette appellation cinq ans avant que l’Exécutif de la Communauté française ne la fasse sienne par la Déclaration de son président Michel Hansenne, le 16 mai 1979. Ensuite, la nouvelle équipe de l’Institut Jules Destrée décide d’organiser une exposition de grande ampleur pour commémorer, début de l’année suivante, le quarantième anniversaire de la mort de Jules Destrée. Nouvel administrateur, Jacques Lanotte accepte de prendre en charge la conception et l’organisation de l’exposition. Enfin, Jacques Hoyaux annonce leur intention de mettre sur pied une journée d’étude consacrée au Mouvement wallon, suivant en cela une idée de Bernard Remiche. Aimée Lemaire apporte un renfort à l’opération en rédigeant une courte biographie de Jules Destrée, qui sera publiée pour la circonstance.

Les deux manifestations vont avoir un impact considérable, d’autant qu’elles se situent à un moment clef de l’action politique : les relations entre les communautés sont très tendues, des négociations plus ou moins secrètes se tiennent entre Flamands et Wallons hors du Parti socialiste qui, dans l’opposition, campe sous sa tente. François Perin met en chantier le Rapport politique qui, bientôt, fera tant de bruit. Comme l’indique l’éditorialiste de Métro qui annonce les manifestations dès le 13 février 1976 : quarante ans après, Jules Destrée ressuscite parmi les Wallons du Pays de Charleroi, pour leur montrer la voie à suivre, pour ramener dans le droit chemin les brebis égarées.

L’exposition Jules Destrée se tient à l’Université du Travail à Charleroi du 13 au 27 février 1976. Le vernissage a marqué la presse au point qu’on a pu écrire que la Wallonie entière était représentée : tout ce que la Wallonie compte de personnalités politiques, syndicales ou représentatives d’organismes wallons, avaient tenu à s’associer à “ l’homme qui a pensé pour nous, au guide qui continue à nous montrer le chemin ”. Il est vrai que, à côté du président de l’Institut Jules Destrée, de l’hôte des lieux – le député permanent Richard Carlier –, du représentant du ministre de la Culture Henri-François Van Aal et, à côté du directeur de l’Académie de Langue et de Littérature françaises Marcel Lobet, se tiennent pas moins de trois ministres du Rassemblement wallon : François Perin, Étienne Knoops et Robert Moreau, ainsi que les anciens ministres socialistes Pierre Falize et Lucien Harmegnies. Cette exposition, construite à partir d’objets et d’archives pour la plupart mis en évidence pour la première fois, aura des prolongements dans les années qui suivent et pendant lesquelles des documents seront présentés, souvent en collaboration avec les associations locales, au Musée communal herstalien (octobre 1978), au château du Roeulx (août 1979), au prieuré de Montaigu à Morlanwelz (septembre 1979), à l’hôtel communal de Quaregnon (octobre 1979), ainsi qu’au Centre Wallonie - Bruxelles à Paris (janvier 1983).

La journée d’étude consacrée à l’histoire du Mouvement wallon se tient également à l’Université du Travail, le 21 février 1976. Cent cinquante personnes, dont de nombreux politiques, ont tenu à y participer. Les orateurs invités à prendre la parole par l’Institut Jules Destrée couvrent bien les différentes tendances et sensibilités du mouvement. La journée est ouverte par le ministre des Affaires wallonnes Alfred Califice, le vice-président du Conseil régional wallon Frédéric François fait également une intervention, le président Franz Janssens étant hospitalisé. Maurice-Pierre Herremans, pour le CRISP, établit les origines du Mouvement wallon, tandis que Maurice Bologne et Fernand Dehousse analysent les partis et projets fédéralistes wallons. Quatre interventions plus engagées se succèdent, confiées à André Schreurs, Jean Pirotte, Robert Royer et Jacques Yerna. Le premier apporte son témoignage sur le Congrès national wallon, les autres abordent l’histoire et les orientations présentes de leurs mouvements respectifs : Wallonie libre, Rénovation wallonne et le Mouvement populaire wallon. La presse prend la mesure de l’événement. Le Soir relève toutefois l’absence des parlementaires et personnalités socialistes de Charleroi dont certains furent pourtant, jadis, des affiliés et d’ardents défenseurs du Mouvement populaire wallon. Wallonie libre confirme cette analyse. Ce qu’il faut en réalité relever, c’est l’importance de la délégation liégeoise ‑ particulièrement socialiste ‑ et la présence de Simon Paque, président de la fédération socialiste de l’arrondissement de Liège. L’appel que Jacques Yerna lance à la fin de son intervention pour une reprise de contact avec la population wallonne ne passe pas non plus inaperçu, donnant ainsi une dimension politique à un colloque qui se voulait peut-être d’abord scientifique. L’idée avancée par le président du MPW consiste à demander aux mouvements wallons d’unir leurs efforts pour prendre l’initiative d’une consultation de la population et transmettre ses exigences aux partis politiques. Robert Lambion, secrétaire général de la FGTB de Liège, présent dans la salle, se dit prêt à défendre l’initiative. Bref, comme l’indique Le Soir, une action conjuguée qui pourrait déboucher sur un réveil de la conscience wallonne. Francis Delperée, qui avait à tirer les conclusions de la journée, rebondit sur cette idée en évoquant la nécessité pour les mouvements wallons de se reconvertir en force d’éducation et d’animation civique. Enfin, Fernand Dehousse, à la fin de la séance et par écrit, fait part à Jacques Hoyaux de son souhait de voir l’Institut Jules Destrée consacrer une journée spéciale à l’étude et à l’approfondissement du fédéralisme en ajoutant qu’il lui paraît souhaitable que les Wallons adoptent une position à la fois constructive et nouvelle sur le problème. Comme nous n’avons plus de mouvement œcuménique, l’Institut pourrait en jouer le rôle. Et le professeur à l’Université de Liège de se mettre à disposition de l’Institut Jules Destrée à partir du 1er octobre, date de son éméritat.

Les efforts de la nouvelle équipe portent leurs fruits. Lors de l’assemblée générale du 21 mars 1976, et à l’issue d’une campagne de recrutement soutenue, le président peut constater un accroissement sensible des membres qui sont passés, en moins d’un an, de 320 à 889. Le Conseil d’administration du même jour fait de Jacques Lanotte le nouveau directeur des travaux de l’Institut et se complète, d’une part, avec les membres du Comité d’Action wallonne de Charleroi, qui passent à l’Institut avec armes et bagages : Edmond Yernaux, Jean Deterville, Gustave Pirson – administrateur de société et libéral – ainsi que la bourgmestre de Pironchamps Lily Stilmant-Hambursin et, d’autre part, avec Guy Vessié, agrégé ès lettres, président du Comité Picardie et chargé de mission du secrétaire d’État aux Affaires sociales wallonnes Robert Moreau, le politologue du CRISP Xavier Mabille et l’écrivain Roger Foulon. Ce renfort – éclectique – sera encore accru l’année suivante par Armand Deltenre, Jean-É. Humblet, le chercheur FNRS Daniel Droixhe – animateur de la section régionale qui vient de se créer à Liège –, et Eugène Fooz, qui va progressivement reprendre les fonctions de trésorier de l’association.

De nouvelles journées d’études sont organisées. Elles ont pour objectif d’accompagner la mise en place des nouvelles institutions et de permettre aux citoyens de s’initier aux questions qui découlent de la modernisation de l’État. Quatre de ces journées sont caractéristiques de cette démarche car elles illustrent quatre enjeux fondamentaux de la réforme institutionnelle.

Primo, le 11 décembre 1976, sont abordées Les relations culturelles internationales de la communauté française Wallonie - Bruxelles. La journée d’étude qui se tient au Palais des Congrès de Liège permet d’entendre Pierre Bertrand – président de la Commission des Relations culturelles internationales au Conseil culturel –, Claude Remy – fonctionnaire du Conseil culturel –, le sénateur Jan Bascour – président du Cultuurrad –, Gaston Cholette – sous-ministre adjoint des Affaires internationales du Québec –, Lucien Outers – vice-président du Conseil culturel –, le sénateur Pierre Falize –, ancien ministre de la Culture française – et Émile-Edgard Jeunehomme, président du Conseil culturel. En abordant ces questions internationales difficiles, Jacques Hoyaux – qui, depuis 1972, a développé une expertise dans le domaine de la coopération internationale – estime qu’il est maintenant temps pour l’Institut Jules Destrée de se donner une dimension d’action dans la Francophonie. Ainsi, en 1977, l’Institut est-il le premier membre correspondant (hors de France) de l’Association francophone d’Amitié et de Liaison (AFAL). Les contacts vont se multiplier grâce aux missions et relations de Jacques Hoyaux, notamment avec le Québec et le Jura, ainsi que la diffusion des livres de l’Institut par le Conseil international de la Langue française. Mais la volonté d’illustrer davantage le monde de langue française sera surtout manifeste à partir de 1982. En 1984, l’Institut Jules Destrée fait œuvre de pionnier en organisant, en Wallonie et à Bruxelles, la Première Journée internationale de la Francophonie. En 1985, il coéditera une étude juridique avec le Conseil de la Langue française de Québec, avant de devenir, durant de nombreuses années, le diffuseur des éditions d’Acadie.

Secundo, une journée d’étude L’Institutionnel, clé de l’économique est organisée à Charleroi le 19 mai 1979, avec la participation de Henry Miller – Section wallonne du Bureau du Plan –, Joseph Henrotte – Conseil économique régional de Wallonie –, Michel Dewaele – Société de Développement régional wallon –, Jacques Defay – Chef de Cabinet adjoint du président de l’Exécutif wallon –, Urbain Destrée – SETCa –, ainsi que les députés Philippe Maystadt et Philippe Busquin – en remplacement de Jean-Maurice Dehousse, ministre de l’Économie régionale wallonne –, Étienne Knoops – en remplacement de Jean Gol, ancien secrétaire d’État à l’Économie régionale wallonne. Cette journée se clôture par un appel du député Philippe Busquin qui souhaite qu’un effort de vulgarisation soit entrepris par l’Institut, afin d’éclairer, à partir d’exemples précis, l’état de dépendance économique de la Wallonie. La préoccupation du député de Charleroi est partagée : le professeur Michel Quévit, auteur de l’ouvrage Les causes du déclin wallon a été invité à la tribune de l’Institut Jules Destrée en mars 1978 à Maison de la Francité à Bruxelles. Le débat qui a suivi, animé par plusieurs personnalités du monde scientifique et culturel wallon et bruxellois, est arrivé à la conclusion que le redressement économique de la Wallonie implique en priorité, d’une part, la création d’un important organisme bancaire régional, et, d’autre part, la régionalisation des principaux départements économiques et financiers de l’État, dans une mesure bien supérieure à celle qui est envisagée par le pacte d’Egmont. Michel Quévit, prix Bologne en 1981, sera à nouveau l’invité de l’Institut Jules Destrée pour une conférence à Liège le 12 juin 1982, au moment de la sortie de son ouvrage La Wallonie : l’indispensable autonomie.

Tertio, une journée d’étude est organisée le 18 octobre 1980 au musée de Mariemont, à l’intention des professeurs d’histoire. Plus de cent-vingt participants planchent sur le thème : 1830… Belgique, 1980… 3 régions : La Wallonie, Bruxelles et la Flandre, 2 communautés : la française, la flamande. Quelles constantes, quelles différences ? Des exposés sur l’histoire de Wallonie et son enseignement sont présentés par les professeurs Hervé Hasquin et Jean-Jacques Hoebanx (ULB), Albert D’Haenens (UCL), Jean-Marie Duvosquel (Crédit communal), et un travail méthodologique est animé par Michel Révelard, inspecteur de l’Enseignement secondaire de l’État. Ce faisant, l’Institut Jules Destrée actualise à la fois une ancienne préoccupation et se positionne clairement comme un interlocuteur de l’enseignement sur la question de l’histoire régionale.

Quarto, mettant en évidence l’importance d’une “ administration plus efficace ”, une journée d’étude est organisée à la Chambre de Commerce de Charleroi le 17 octobre 1981 sous le titre : Formation des agents de l’État, de la Communauté française, des Régions wallonne et bruxelloise. De nombreux intervenants y prennent la parole parmi lesquels Robert Dethier, Lucien Poquette, Daniel Norrenberg, Philippe Esgain, Max Wasterlain, Jean-Marie Quintin, Joseph Goffin et Jean-Louis Colmant.

On le constate, en quelques années, la donne avec les acteurs publics a été modifiée non seulement parce que les institutions se sont régionalisées et communautarisées, mais aussi parce que l’Institut a créé une relation entre ces acteurs, un public régional ou communautaire et son Conseil d’administration, particulièrement son directeur et son président. Ce dernier constitue d’ailleurs une pièce maîtresse de cette évolution. Le militant socialiste wallon et sénateur, Jacques Hoyaux a été désigné secrétaire d’État à la Réforme des institutions dans les gouvernements Tindemans II et Vanden Boeynants (1977-1979) et ministre de l’Éducation nationale (F) dans le gouvernement Martens (1979-1980). Cette évolution n’est pas sans apport pour l’Institut Jules Destrée, avec les moyens humains et financiers dont peut désormais disposer l’association, avec l’attraction que son président va exercer sur nombre de membres et de partenaires potentiels, avec sa visibilité, par sa relation avec les universités – relation qui avait posé problème durant la période précédente. Ainsi, lorsque Jacques Hoyaux est reçu sur le site de l’Université à Louvain-la-Neuve, à l’automne 1979, le doyen de la faculté de philosophie et lettres, Guy Muraille, ne craint pas d’accueillir – en s’affirmant membre de l’Institut Jules Destrée – non le ministre de l’Éducation nationale mais le président de cet Institut qui œuvre si vaillamment et avec tant de succès pour la connaissance de notre patrimoine wallon. Du reste, divers facteurs ont modifié le rapport avec les universités. D’abord, l’étude de la Wallonie est entrée à l’Alma Mater, particulièrement dans le domaine de l’histoire, grâce aux publications largement diffusées que constituent L’Histoire de la Wallonie dirigée par Léopold Genicot (Université catholique de Louvain) et publiée en 1973, mais surtout l’encyclopédie La Wallonie, le Pays et les Hommes, dont la publication a été entamée depuis 1978 sous la direction des professeurs Hervé Hasquin (Université libre de Bruxelles), Rita Lejeune (Université de Liège) et Jacques Stiennon (Université de Liège).

Si ces initiatives remarquables ne sont pas nées de l’Institut Jules Destrée, trois démarches ont toutefois permis de rompre le long isolement intellectuel qui avait marqué les travaux de l’Institut Jules Destrée depuis ses origines à l’égard d’universités, elles aussi d’ailleurs bien isolées des mutations politiques et institutionnelles. La première démarche est celle qu’entreprend Jacques Lanotte en 1978 en prenant contact avec Jacques Dubois et Marcel Deprez, en tant qu’animateurs de la Commission Art et Société de l’Université de Liège, pour publier les textes de ce qui deviendra L’Avenir culturel de la Communauté française. Ce travail – qui se veut une prospective – avait été commandé à l’Université par les Amis et disciples de François Bovesse mais était resté en friche. En éditant cet ouvrage, par ailleurs préfacé par le ministre de la Région wallonne Jean-Maurice Dehousse, l’Institut Jules Destrée, par l’intermédiaire de son directeur des travaux – qui est aussi un ancien assistant de l’Université Lovanium à Kinshasa – fait entrer dans la liste de ses auteurs quatre professeurs de l’Université de Liège, deux de Louvain, un de Mons et un de l’Université libre de Bruxelles alors que, jusque-là, l’association n’avait bénéficié que des collaborations de Félix Rousseau, Fernand Dehousse et Francis Delperée.

La seconde démarche est celle qui consiste pour l’Institut à faire campagne pour obtenir une chaire d’histoire du Mouvement wallon dans les universités francophones. Les recteurs des universités sont approchés en ce sens et émettent des promesses dès 1979 pour l’Université libre de Bruxelles et en 1980 pour Université catholique de Louvain. Le cours inaugural du professeur Hasquin sur l’histoire de la Wallonie aura lieu à l’ULB le 6 février 1980, celui de Léopold Genicot à Louvain sera organisé lors de l’année académique 1981-1982.

La troisième démarche sera double. Au sein de l’Institut Jules Destrée, elle consistera, d’une part à inscrire les travaux et éditions dans la logique scientifique qui vient d’y être affirmée et, d’autre part, à tourner le dos aux pratiques de vulgarisations militantes qui avaient eu cours précédemment : peut-être faut-il interpréter comme un signal la présence du professeur Hervé Hasquin à l’assemblée générale de l’Institut le 8 mars 1980 ? Le premier chemin conduira à publier Historiographie et politique, Essai sur l’Histoire de Belgique et la Wallonie, de Hervé Hasquin, préfacé par Félix Rousseau – ce qui constitue un bel exemple de décloisonnement philosophique. Ce livre sera présenté à la Maison de la Culture de Tournai
le 25 avril 1981. La seconde route amènera l’Institut à renoncer à publier certains ouvrages de ses membres, modifiant radicalement et subitement une politique d’édition qui n’avait pour elle que la tradition. C’est ainsi, notamment, que le troisième tome de l’ouvrage Le Différend wallo-flamand, dû à la plume de Charles-Fr. Becquet, ne sortira jamais des presses de l’Institut Jules Destrée qui avait pourtant largement diffusé les deux éditions des premiers livres du président de la Fondation Charles Plisnier.

Ces initiatives ont pourtant montré leurs limites, notamment dans la capacité pour l’Institut de devenir un opérateur dans le domaine de la recherche. Même si l’idée de créer une cellule de chercheurs va faire son chemin au sein du Conseil d’administration, elle ne pourra aboutir avant longtemps. Ainsi, lorsque, en mars 1979, Étienne Duvieusart suggère de créer un service d’études économiques chargé d’analyser le rôle des pouvoirs publics dans l’économie wallonne, l’Institut considère qu’il ne peut prendre en compte la suggestion du sénateur Rassemblement wallon. De même, lorsque le ministre de la Région wallonne Jean-Maurice Dehousse propose, en octobre 1980, de confier à l’Institut Jules Destrée des études et des recherches, le Conseil d’administration ne veut pas répondre positivement, compte tenu de l’emprunt de près de 4 millions de frs que l’opération nécessiterait pour le paiement des chercheurs avant même de recevoir les moyens financiers de la Région. Il peut toutefois être répondu à certaines sollicitations extérieures par l’implication d’administrateurs. Lorsque, en 1981, la présidente du Conseil de la Communauté française Irène Pétry demande un rapport à l’Institut Jules Destrée sur la situation du français en Belgique, ce sont les administrateurs Marc Lefèvre et Guy Galand qui préparent la note destinée in fine à la Commission d’enquête créée par l’Assemblée nationale française sur ce sujet. Au début des années quatre-vingt, l’Institut obtient toutefois, du ministère de l’Éducation nationale, le statut d’association scientifique et sera subsidié comme tel pendant plusieurs années.

À côté de l’attention nouvelle portée à la dynamique publique et citoyenne, à côté de ces nouvelles fréquentations universitaires, l’Institut Jules Destrée est attentif à maintenir ses relations avec le Mouvement wallon organisé. Tantôt, c’est Jacques Lanotte qui, en tant que directeur des travaux de l’Institut, prend la parole à Braine-l’Alleud, le 18 juin 1978, aux côtés de militants wallons qui tentent de renouveler l’hommage rendu à la Grande Armée, tantôt c’est l’Institut qui s’associe avec le Club Freddy Terwagne pour adresser une nouvelle Lettre au roi (1977), tantôt c’est son président qui, retraçant les gestes de l’ancien secrétaire général de l’Assemblée wallonne, s’en va à Tournai inaugurer une plaque d’hommage sur une maison ayant appartenu à Rogier de le Pasture. Cette manifestation est l’occasion pour Jacques Hoyaux de rappeler qu’une leçon est gravée dans cette pierre de 1978 : Elle illustre un artiste, certes. Mais elle constitue en outre le paradigme éclatant de la constance d’un peuple, à redécouvrir son histoire et à l’enseigner à ses enfants. En cette fête de notre communauté, où les Wallons les plus lucides s’interrogent sur leur avenir, il est bon que soit louée la grandeur de notre passé. Dévoiler la pierre commémorative de Rogier de le Pasture, c’est affirmer la permanence de notre patrie, c’est rendre témoignage à notre dignité. À partir du début des années quatre-vingt, pourtant, les mouvements wallons s’effilochent. Souvent, l’Institut, relativement bien implanté dans les provinces wallonnes par ses comités régionaux, est amené à suppléer à l’absence de vigueur des anciens mouvements dont certains membres viennent y chercher une base d’action militante plus politique que culturelle. Ces hésitations, qui répondent à des nécessités citoyennes, nuisent sans aucun doute à la sérénité et donc à la visibilité des démarches scientifiques et pédagogiques.

Un effort important de professionnalisation du travail de l’association est fourni par l’équipe dirigée par Jacques Hoyaux. Les capacités d’action dans le domaine de l’éducation sont renforcées grâce à la reconnaissance de l’Institut Jules Destrée dans le cadre du décret du Conseil culturel du 8 avril 1976 comme service général d’éducation permanente. La demande, introduite le 26 juillet 1978, a été accordée par le ministre de la Culture française Jean-Maurice Dehousse, le 2 février 1979 avec effet au 1er juillet 1977. L’Institut va pouvoir disposer de moyens financiers accrus et bientôt de personnel. Un premier permanent culturel est accordé par l’Éducation permanente en 1981, par l’intermédiaire des ministres Michel Hansenne et Guy Mathot. L’engagement d’un permanent va permettre, selon les intentions du président, d’orienter les efforts vers une meilleure diffusion des activités, aussi bien au point de vue impact culturel que publicitaire. Pour Jacques Hoyaux, l’Institut souhaite étendre son champ d’impact au-delà de nos régions, notamment vers la France. Plusieurs animatrices se succèderont dans cette tâche de 1980 à 1987, sans toutefois que la frontière sud de la Wallonie ne soit franchie.

Ces moyens nouveaux sont conjugués à l’appui qu’apporte désormais la Ville de Charleroi. En fait, il s’agit avant tout de faire face à la disparition brutale de Françoise Bertaux le 19 janvier 1979, alors que son domicile était devenu le centre administratif de l’Institut. Dès le 21 février 1979, à l’initiative de son échevin de la Culture, Jean-Pol Demacq, Charleroi met à la disposition de l’Institut Jules Destrée des locaux permanents au n°3 de la rue du Château à Mont-sur-Marchienne. L’appui de la métropole carolorégienne permet également de disposer d’un secrétariat administratif à partir du 3 mars 1979, en la personne de Jacqueline Huberland-Duchêne. Enfin, ce dispositif est renforcé par Guy Galand qui, devenu conseiller spécial du ministre Jacques Hoyaux, va assurer la coordination entre un président très absorbé par ses fonctions, le directeur des travaux et les deux permanents. Christiane Bailly-Hoyaux sera également très présente pendant cette période.

Les statuts ont été adaptés à la nouvelle réalité institutionnelle ainsi qu’aux ambitions de l’association lors de l’assemblée générale du 30 juin 1979. Dorénavant, le nom de l’association – qui reçoit du reste une subvention de la Commission française de l’Agglomération de Bruxelles – est Institut Jules Destrée pour la Défense et l’Illustration de la Communauté française Wallonie - Bruxelles. Même dans l’objet, le mot Wallonie n’apparaît plus indistinctement du mot Bruxelles. Il faudra attendre une nouvelle réforme des statuts lors de l’assemblée générale du 16 décembre 1990 pour qu’il y soit réintroduit.

Le Conseil d’administration est, avec le Bureau, le centre de conception et de dynamisation de l’association. Il a été largement élargi au point de rassembler jusqu’à trente administrateurs en 1982 et d’en faire un organe représentatif des différentes parties de la Wallonie ainsi que de Bruxelles, du pluralisme politique et philosophique, de différentes disciplines intellectuelles ou professionnelles. Les projets y foisonnent, dont un certain nombre ne pourront être réalisés : l’idée d’un ouvrage à éditer sur la prospective économique sera accueillie avec réserve par le partenaire escompté (1978), l’idée d’un ouvrage sur la gastronomie wallonne sera abandonnée faute d’auteur (1979), un projet d’histoire de la Wallonie en bandes dessinées sera arrêté faute de trouver un historien adéquat pour l’encadrer (1982), un projet de film sur Jules Destrée n’aura pas de suite (1983), etc.

Les activités, très diversifiées, se suivent toutefois à un rythme soutenu. Dans le domaine de la communication, un périple politique et culturel de cinq jours est organisé en Wallonie et à Bruxelles à l’intention de journalistes européens, du 18 au 22 septembre 1978 : des journalistes du Figaro, de l’Hannoversche Algemeine Zeitung, de L’Humanité, des quotidiens Le Matin, Le Monde et Nord Éclair y participent. De même, des journées de tourisme économique et culturel sont régulièrement mises sur pied au profit d’écoles et d’associations culturelles ou politiques. Ces journées ont comme objectif de présenter au public des aspects qualifiés de positifs de l’activité économique et culturelle de la Wallonie, ainsi que de leur proposer un repas composé exclusivement de produits wallons. Le 20 novembre 1982, un colloque est consacré à la question du statut de Bruxelles et de ses relations futures avec la Wallonie : Xavier Mabille et Robert Devleeshouwer participent à cette réflexion à côté de représentants de tous les partis politiques francophones.

L’Institut Jules Destrée reste attaché à la mission culturelle qu’il veut remplir : dans le domaine de la musique classique, par exemple, par l’organisation de concerts comme celui consacré à la Musique wallonne qui se tient le 10 février 1978 à l’église Saint-Martin à Marcinelle, où sont interprétées des œuvres de François-Joseph Gossec, de Guillaume Lekeu, de Claude Siquiet, d’Eugène Ysaye et d’André-Modeste Gretry. Quelques mois plus tard, c’est un récital de Philippe Anciaux que le directeur des travaux met sur pied à Charleroi. L’Institut accorde d’ailleurs une attention soutenue à la valorisation des musiciens wallons, au point d’être le réceptacle de l’association Les Amis d’Adolphe Biarent et de poursuivre leur action en diffusant l’œuvre de ce Prix de Rome né à Mont-sur-Marchienne. Dans les années qui vont suivre, de nombreuses animations culturelles se tiendront dans le pays de Charleroi, souvent avec des partenaires locaux, publics ou privés. Le septième art n’est pas non plus oublié puisque, le 11 décembre 1982, l’Institut organise une journée d’étude consacrée à la Vitalité du cinéma Super 8 dans la Communauté française Wallonie - Bruxelles.

L’effort d’édition reste essentiel et l’apanage du directeur des travaux. Les ouvrages se suivent même s’ils n’ont plus le caractère systématiquement organisé de la période précédente. Aux ouvrages déjà cités, il faut ajouter une dizaine d’autres dans différents domaines : la littérature (un inédit de Constant Malva, Le Brasier, 1982 – Robert Goffin, Souvenirs 1979 et 1980), la démographie (Robert André, La population de la Wallonie dans la dualité démographique de la Belgique, 1983), l’histoire (Maurice Bologne, Notre passé wallon et Marie-Françoise Gihousse, Mouvements wallons de résistance, 1984), la musique (Adolphe Biarent, Sonate pour piano et violoncelle et Albert Lovegnée, Guillaume Dufay, 1980), l’aménagement du territoire (Robert Fourneau, Géomorphologie de Région de Charleroi, 1976), le théâtre dialectal (Émile Lempereur, Aspects du théâtre wallon contemporain, 1980), les Beaux-Arts (Jean-Luc Wauthier, Jean Ransy, 1977 et Gustave Camus, 1981 – Geneviève Rousseaux, Alphonse Darville, 1982), le témoignage (Robert Moreau, Combat syndical et conscience wallonne, 1984 et Maurice Bologne, 1985).

Renouant avec une initiative déjà prise en 1971, une exposition intitulée Le parcours culturel de Jules Destrée est présentée aux grands magasins À l’Innovation de Charleroi, du 17 février au 6 mars 1984. Cette manifestation sera présentée le même mois au Palais des Congrès de Liège et en mai au Théâtre de Mons. Cette exposition constitue d’ailleurs la première activité de la nouvelle section de Mons, lancée par le conseiller communal Élio Di Rupo, collaborateur du ministre de la Région wallonne Philippe Busquin.

Les exigences du décret, et notamment la nécessité d’une implantation dans trois provinces, va accroître la décentralisation des activités de l’Institut Jules Destrée mais aussi sa capacité d’action. Des comités travaillant en toute autonomie à Liège, dans le Brabant wallon et à Bruxelles, dans le Hainaut occidental, et plus tard à Namur, vont prendre des initiatives qui, souvent, vont renforcer l’effort commun, parfois s’en écarter. Ainsi, c’est grâce aux synergies établies que, en 1982 et 1983, pourra être mis sur pied un vaste et cohérent cycle d’information sur la réforme des institutions qui mettra en débat, avec des scientifiques et des politiques, les résultats de la négociation communautaire de 1980. La liste des orateurs qui se succèdent à Charleroi, à Liège, à Bruxelles, à Louvain-la-Neuve, à Tournai est impressionnante : Robert Sevrin, Claude Renard, André Bertouille, Marc Lestienne, Serge Moureaux, Arnaud Declety, François Perin, Maurice-Pierre Herremans, Antoinette Spaak, Dieudonné André, Jean-Maurice Dehousse, Édouard Klein, Xavier Mabille, Valmy Féaux, Francis Delperée, Étienne Cerexhe (attaché au Cabinet de Charles-Ferdinand Nothomb), Didier Reynders (attaché au Cabinet de Jean Gol en remplacement de Louis Michel), Jean-Émile Humblet, Jean-Claude Van Cauwenberghe, Étienne Knoops, Gérard Le Hardy de Baulieu, Philippe Busquin, Marius Cohart, Robert Devleeshouwer, Georges Vandersmissen. Dans chaque ville, trois séances d’information ont été organisées, abordant successivement les relations entre les communautés avant 1980, les institutions en fonction des lois de 1980, ce qu’il est advenu depuis 1980. Ces séances, à caractère avant tout pédagogique, débouchent parfois sur des prises de positions politiques que répercute la presse. C’est notamment le cas en octobre 1983 lorsque, à la tribune de l’Institut Jules Destrée, Étienne Knoops déclare la nécessité pour les francophones du pays, outre les scénarios de l’accentuation de la réforme de l’État, d’examiner toutes les solutions envisageables, jusque et y compris le séparatisme, ne fût-ce que pour se préparer à cette éventualité.

De même, parmi les initiatives des sections régionales, faut-il mettre en évidence le colloque Options urbanistiques et pratiques culturelles : les enjeux liégeois, organisé le 22 novembre 1980 à l’initiative du président de la section liégeoise le journaliste Dieudonné Boverie et dont les actes sont publiés par son successeur, le professeur Jacques de Caluwé ; la journée d’étude du 3 octobre 1981 organisée également à l’initiative de la section de Liège, particulièrement de Louis Rouche, et relative aux Lettres françaises en Wallonie ou encore le colloque Culture et Politique organisé à Liège le 5 mars 1983 sur le thème de Promouvoir la création culturelle en Wallonie. Cette dernière rencontre sera porteuse de suites politiques considérables, non seulement parce qu’elle ouvre – y compris au sein de l’Institut Jules Destrée lui-même – le débat sur la place réservée à la culture de Wallonie dans les nouvelles institutions nées de la réforme de l’État, mais aussi parce que le député Jean Mottard y fait la proposition de voir l’Institut Jules Destrée organiser des assises culturelles de Wallonie, qui compléteraient les volets économiques et politiques wallons. Cette proposition, mûrie au sein du Conseil d’administration, débouchera quatre ans plus tard sur le premier congrès La Wallonie au Futur. De même, peut-on relever le colloque consacré aux Artistes wallons du xve au xixe siècle organisé à Louvain-la-Neuve, le 4 novembre 1983.

Le recrutement et l’accroissement des membres constitue la première préoccupation de Jacques Hoyaux pendant sa présidence. Il s’agit en effet d’étendre au maximum les relais dont la réflexion et l’action wallonnes peuvent disposer. L’Institut compte 876 membres en 1977. Le 1.500e membre est recruté en 1981 et il sera mis à l’honneur d’un banquet organisé le 28 novembre de la même année. En fin d’année, le nombre de 1.600 membres est atteint. À partir de 1982 toutefois, le nombre de membres va diminuer brutalement pour atteindre moins de 1.400 membres. La chute se poursuit dans les années suivantes. Pour expliquer cette tendance à la baisse, on peut mettre en évidence des éléments démobilisateurs : l’âge des membres de la première heure, la reprise des thèmes traditionnels de l’Institut dans d’autres lieux, l’évolution de la carrière politique de Jacques Hoyaux, la mise en place d’institutions régionales et communautaires plus présentes, etc.

En 1984, l’Institut entame une démarche d’autoévaluation sur ses objectifs et ses méthodes, qui n’est d’ailleurs pas sans rapport avec l’impact du Manifeste pour la culture wallonne que de nombreux administrateurs ont signé, à la suite d’ailleurs de Maurice Bologne et d’Aimée Lemaire. Ce geste met toutefois en porte-à-faux l’axe principal de la Communauté française Wallonie-Bruxelles sur lequel s’appuie dorénavant la présidence de l’Institut. La Liégeoise France Truffaut, qui assume dorénavant avec le Bruxellois Claude Remy une des deux vice-présidences de l’Institut, écrit en éditorial des Feuillets : Dans un domaine plus récent, notre association, spécialement son président, a manifesté son intérêt à propos des concepts rendus nécessaires par les nouvelles réalités régionales et culturelles de la réforme des institutions dont le manque de clarté parfois va à l’encontre de la revendication d’identité nette inscrite dans nos objectifs en faveur de la Wallonie, de la Communauté française Wallonie - Bruxelles et de la Francité. La démarche de Jules Destrée illustrait qu’aucun événement, fut-il culturel, n’est isolé d’une perspective politique.

Le premier, Jacques Lanotte, démissionne de la direction des travaux le 21 juillet 1983. Guy Galand, qui l’a remplacé, a quitté cette fonction lorsque, un peu plus d’un an plus tard – lors de l’assemblée générale du 27 avril 1985 – Jacques Hoyaux, partant vivre en France, cède le flambeau à un nouveau président. Tous trois avaient radicalement transformé l’institution dont ils étaient les héritiers et avaient été les artisans de sa modernisation. Lors de son discours de départ, Jacques Hoyaux rappelle à nouveau les trois axes de l’action de l’Institut Jules Destrée : la Wallonie, la Communauté française et la Francophonie. Il ajoute toutefois : Plus spécifiquement encore, l’Institut constate et exprime l’appartenance française de la Wallonie et de nombreux francophones de Bruxelles. Cette dimension est fondamentale ainsi que l’a exprimé l’abbé Mahieu à l’origine de notre groupement.

Les départs ont été subits. La nouvelle équipe souffre assurément d’un déficit de mémoire de l’institution et, au-delà des trois axes rappelés par le président sortant, les objectifs ne sont pas stabilisés ni au sein de l’organisme ni au sein de chacun de ses membres. En 1985, le Mouvement wallon est plus absent que jamais, l’idée wallonne même apparaît en recul : les petits partis nés de l’éclatement du Rassemblement wallon finissent de mourir, l’Exécutif wallon retourne à Bruxelles… Avec le départ de l’ancien ministre de l’Éducation nationale, qui va toutefois rester attentif à l’évolution de l’association en tant que président d’honneur, c’est une quatrième période de l’Institut Jules Destrée qui s’ouvre. Son étude sort du cadre de ce travail.

Tout comme en 1976, l’Institut tente un retour aux sources vers la personnalité de Jules Destrée dans le sillage duquel il a choisi de travailler et dont il porte le nom. Une exposition est organisée au Botanique, nouvel outil de la Communauté française à Bruxelles. L’idée a été formulée par le ministre-président Jean-Maurice Dehousse en octobre 1984 : il s’agit de mettre en valeur, en particulier pour les jeunes générations, tout ce que la nation wallonne doit au dévouement et à la perspicacité du tribun carolorégien. Une exposition, bénéficiant de l’appui du président du Conseil de la Communauté française Jean-Pierre Grafé ainsi que du ministre-président Philippe Monfils, et intitulée Autour de Jules Destrée sera présentée au Centre culturel Le Botanique du 14 février au 16 mars 1986, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort de l’auteur de la Lettre au roi.

À l’issue d’une réflexion menée par le Bureau et préparée par les Conseils d’administration des 28 mars et 29 août 1987, l’Institut s’est une nouvelle fois réorganisé. Il l’a fait autour de trois secteurs bien déterminés : animation, édition, et recherche, pour intégrer le jeune Centre d’Histoire de la Wallonie et du Mouvement wallon mis en place depuis 1986. Les collections ont été, elles aussi, restructurées : Écrits politiques wallons, Nos Artistes, Notre Histoire, Études et Documents. Les enjeux de la fin de siècle ne sont toutefois pas que politiques ou scientifiques. Pour la première fois depuis le début de son existence, l’Institut Jules Destrée a accusé en 1984 des pertes importantes qui n’ont pu être compensées les années suivantes. Au sortir d’un premier congrès La Wallonie au futur que d’aucuns ont considéré, après les discours de clôture de Michel Quévit et de Riccardo Petrella, comme un nouveau réveil wallon, le message de Jean-Pol Demacq, quatrième président de l’Institut Jules Destrée a porté, en cette fin d’année 1987, sur l’inadéquation flagrante entre l’action de l’Institut et les moyens dérisoires dont il dispose.

Au moment où, en 1988, la nouvelle équipe fête les cinquante ans de l’Institut, elle a délibérément choisi de le faire au sein même du Parlement wallon où ses membres et amis ont été invités à siéger sous la présidence du président de l’Assemblée wallonne. L’Institut a obtenu que quatre personnalités prennent la parole : le ministre-président de la Région wallonne, le ministre-président de la Communauté française ainsi que deux professeurs d’histoire. Léopold Genicot parlera de l’histoire de la Wallonie, Marinette Bruwier du travail historique. Les manifestations qui seront organisées dans ce cadre à Liège et à Bruxelles associeront à cet anniversaire le ministre de la Recherche scientifique ainsi que les professeurs François Perin, Jacques Stiennon et Hervé Hasquin.

Un débat fondamental, qui a agité la section liégeoise de l’Institut et que France Truffaut, son animatrice devenue vice-présidente, avait déjà bien formulé, réapparaît constamment au niveau de l’Institut tout entier : Pour les uns, il s’agit de réveiller les Wallons par des prises de positions wallonisantes, pour les autres, il s’agit d’opérer une prise de conscience en s’ouvrant largement sur un public extérieur aux membres du comité et de les rassembler dans des actions ponctuelles et autour de thèmes de réflexion.

L’Institut Jules Destrée, de 1938 à 1988, a balancé entre ces deux options, au point de les mener simultanément. Son caractère militant et politique wallon, il l’a affirmé mais aussi assumé à de nombreuses reprises : il a soutenu des organisations – comme la Wallonie libre qu’il avait fondée et appuyée depuis 1940 – , il a soutenu des militants, comme Fernand Massart quand, en 1965 et en 1966, l’Institut avait, avec d’autres, permis – financièrement – à ce militant d’être libre et indépendant face aux partis politiques. Il allait continuer à assumer cet engagement. Son objectif d’organisme de rassemblement et de réflexion, il l’a poursuivi tant par ses éditions que par ses manifestations. Les deux grandes présidences et directions avaient pourtant connu de fortes nuances. Ainsi, lors de la période 1960-1975, Aimée Lemaire a fait de la publication d’ouvrages la priorité absolue et affirmé que, par rapport aux éditions, les conférences ont toujours été considérées comme un adjuvant ainsi que les expositions relatives à Jules Destrée. Même si France Truffaut met encore en évidence en 1984 le fait que l’édition de livres produit des outils culturels durables, force est de constater malgré tout que, pendant la période 1975-1985, l’Institut Jules Destrée s’est efforcé d’être, avant tout, un centre de réflexion et d’animation, le lieu de formation des cadres du mouvement wallon, comme Jacques Hoyaux en avait exprimé l’ambition à plusieurs reprises, ou – pour reprendre la formule promotionnelle de Guy Galand – savoir plus, agir mieux.

En ce sens, il est permis d’affirmer que, de 1975 à 1985, l’Institut Jules Destrée a été davantage opérationnel. Cette ambition paraît avoir été menée avec une plus grande sérénité à l’Institut Jules Destrée que dans d’autres lieux du Mouvement wallon : par une ouverture à l’ensemble de la société, certes, mais aussi car il s’agissait, comme l’indiquait Jacques Hoyaux le 12 décembre 1983, au-delà des passions et des préjugés, de mener ensemble le combat de l’honnête homme.

 

Philippe Destatte

 

 

 

 

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