L’ombre de Jules Destrée n’a cessé de planer tant sur la Société
historique pour la Défense et l'Illustration de la Wallonie que
sur l’Association pour le Progrès intellectuel et artistique de
la Wallonie et sur la Wallonie libre. Toutes ont mis en exergue
les analyses de l’ancien ministre des Sciences et des Arts.
C’est sous le nom du député de Charleroi que va renaître la
Société historique.
Le contexte s’y prête particulièrement bien. Le 6 septembre
1959, alors que le Mouvement wallon tout entier se réveille en
prenant la mesure du déclin économique qui frappe la région,
Arille Carlier prononce un important discours au monument Jules
Destrée qui, depuis deux ans, s’élève au croisement de la rue de
la Montagne et du boulevard Audent à Charleroi. Le président de
la Wallonie libre annonce que, désormais, les militants wallons
viendront chaque année, le premier dimanche de septembre,
attester de leur fermeté wallonne. Réuni le 8 novembre 1959, le
conseil général de Wallonie libre – et plus particulièrement
Marcel-Hubert Grégoire – évoque l’intérêt qu’il y aurait à créer
une asbl culturelle, destinée à publier des études et travaux
relatifs à certains aspects du problème wallon, comme ceux issus
du Congrès national wallon ou des commissions des congrès des
socialistes wallons. Cette association pourrait, dès lors,
obtenir des subventions des pouvoirs publics. Fernand Schreurs
se fait l’interprète de Maurice Delbouille pour suggérer de
fusionner le Centre culturel wallon avec la Commission
culturelle du Congrès national wallon. Au tout début 1960, c’est
également Wallonie libre qui réédite le texte de Jules Destrée,
Socialisme, nationalisme, internationalisme.
C’est le 13 janvier 1960 que la Société historique sort de sa
léthargie pour entamer sa métamorphose – pour reprendre
la formule d’Aimée Lemaire. La préfète du Lycée de Charleroi,
Louis Bertaux, Maurice Bologne, Arille Carlier et Jean Pirotte,
nouveaux administrateurs, se réunissent à la Taverne du
Luxembourg à Charleroi et décident de réactiver l’ancienne
société savante sous le nom d’Institut Jules Destrée. L’article
premier des statuts est modifié dans ce sens, tandis que, à
l’article 2, l’objet porte désormais sur l’étude des
problèmes que posent la défense et l’illustration de la Wallonie
ainsi que la publication des travaux qui s’y rapportent, en
dehors de toute préoccupation politique, religieuse ou
philosophique. La nouvelle équipe se met à l’ouvrage dans un
contexte qui va bientôt prendre une dimension insoupçonnée.
Immédiatement d’ailleurs, l’Institut Jules Destrée reçoit le
patronage de personnalités culturelles – parmi lesquelles les
professeurs Marcel Florkin et Léopold Genicot ainsi que Henri
Puttemans, inspecteur de l’enseignement moyen – mais aussi
politiques wallonnes – essentiellement libérales et socialistes
– : bourgmestres de Liège, Mons et Charleroi, députés,
sénateurs, gouverneurs, anciens ministres et même le commissaire
européen Jean Rey. Du côté PSC, refus poli, comme
l’indique Maurice Bologne à René Thône le 19 mars 1960.
Plusieurs personnalités chrétiennes ont en effet refusé. C’est
le cas du sénateur et baron René de Dorlodot, qui écrit avoir
pris pour règle de ne faire partie d’aucun comité aussi
longtemps qu’il remplira des fonctions publiques, mais aussi du
sénateur Joseph Meurice qui s’affirme déjà trop surchargé.
Des interrogations légitimes naissent aussi parmi les acteurs ou
observateurs culturels wallons quant à la concurrence que la
nouvelle association peut faire naître par rapport à la
Commission culturelle du Congrès national wallon ou par rapport
à la Fondation Charles Plisnier.

L’action culturelle et éditoriale nécessite des fonds. Le 29
février (ou le 1er mars ?) 1960, le Comité d’Action
wallonne de Charleroi, sur proposition de son président, le
sénateur Edmond Yernaux – ancien instituteur passionné
d’histoire et de folklore – décide d’allouer un subside de
10.000 frs à l’Institut Jules Destrée. La somme est importante.
Elle permet de commencer à travailler. Dès le 9 mars, Aimée
Lemaire manifeste auprès de Félix Rousseau son intention
pressante de publier sa communication au deuxième Congrès
culturel wallon comme premier ouvrage de l’Institut Jules
Destrée, sous la forme d’un petit livre dans le format de la
collection Que sais-je ? Mais, ses intentions précises,
la directrice des travaux de l’Institut Jules Destrée choisit de
les exprimer à la tribune de Radio-Namur, le 17 avril 1960,
dimanche de Pâques. Cette allocution, que Félix Rousseau
qualifie de magnifique départ pour l’Institut Jules
Destrée, indique en effet les objectifs du nouvel organisme :
Il nous faut toucher un public plus étendu et mettre à la
disposition de la jeunesse, du personnel enseignant, de tout
Wallon désireux de savoir, le moyen de connaître l’histoire
véridique de la Wallonie, l’apport spécifiquement wallon aux
arts, aux lettres et aux sciences, à la vie industrielle et
commerciale, à l’évolution sociale et économique. Il importe
surtout de faire des synthèses, car nous connaissons mal
l’ensemble des faits et des idées qui concernent spécialement la
Wallonie. Ensuite, après avoir évoqué les projets de
rédaction et d’édition en cours, la préfète du Lycée de
Charleroi cite La chanson des clochers wallons de Jules
Destrée – Qui donc éveillera la Wallonie qui dort ? ‑ et
convie ses auditeurs à participer au réveil de la Wallonie
par la prise de conscience de ses richesses spirituelles et
matérielles, à l’initiative de l’Institut Jules Destrée.
Les projets ne manquent pas : Irène Vrancken-Pirson a accepté
d’écrire une biographie de Jules Destrée, tandis que
Maurice-Pierre Herremans se dit prêt à écrire un nouveau texte
consacré à la question wallonne. Sur le conseil de Félix
Rousseau, Jacques-A. Dupont est approché pour qu’il développe
l’étude qu’il a publiée à la fin de la guerre pour Wallonie
catholique et relative aux Wallons à l’étranger. Sollicité
lui aussi, Fernand Schreurs rédige – entre le 10 et le 31 mars –
les 60 pages qu’il lui a été demandé de consacrer aux congrès de
rassemblement wallon. L’ouvrage du secrétaire général du Congrès
national wallon paraît début octobre 1960. Dans El Bourdon,
Émile Lempereur souligne tout l’intérêt stratégique que
constitue ce premier ouvrage : L’agonie économique de la
Wallonie se précipitera si certains problèmes politiques de base
ne sont résolus assez tôt et à l’avantage de notre peuple.
Par cette publication, le nouvel Institut va soutenir
culturellement l’action politique wallonne en cours. Le premier
ouvrage de la nouvelle collection Connaître la Wallonie
vient en effet particulièrement bien à point puisqu’il s’agit
d’une présentation de la plupart des congrès wallons de 1890 à
1959, c’est-à-dire de l’ensemble des griefs wallons replacés
dans leurs perspectives historiques.
L’aide initiale reçue du Comité d’Action wallonne voire le vif
succès que rencontre l’ouvrage de Fernand Schreurs, tiré à mille
exemplaires, ne dispensent pas les promoteurs de l’Institut
Jules Destrée d’engager une recherche de moyens financiers. Dès
le 19 septembre, Maurice Bologne écrit à cet effet à Marcel
Hicter, directeur d’administration au ministère de l’Instruction
publique. Un courrier adressé au ministre de l’Instruction
publique Charles Moureaux, le 22 novembre 1960, évoque les
importants subsides versés par le gouvernement aux institutions
flamandes et insiste sur le besoin de financement de l’Institut,
notamment pour publier l’étude de Félix Rousseau : Nous
espérons que l’État fera ce que nous estimons, excusez-nous si
nous nous trompons, son devoir à l’égard de la Wallonie
intellectuelle.

La période est – on le sait – difficile pour le gouvernement…
Félix Rousseau, quant à lui, a déposé son manuscrit, remanié, le
27 novembre 1960. Wallonie, terre romane sort à la
mi-avril 1961, édité à 2.000 exemplaires. Il s’agit de
l’intervention de l’académicien au congrès culturel wallon de
1955 paru, à l’époque, sans annotations et sans annexes dans les
actes de cette rencontre. Outre les trente-neuf pages d’histoire
de la Wallonie désormais annotées, on y trouve trois annexes. La
première, Pourquoi nombre de Wallons ignorent leur histoire,
reprend la première partie de l’argumentation utilisée par Félix
Rousseau à la Commission Harmel. La seconde, Importance du
français en pays wallon, complète l’analyse relative aux
premiers textes littéraires écrits en français dans nos régions.
La troisième évoque Jeanne d’Arc et les Tournaisiens,
présentation de la célèbre lettre adressée par la Pucelle aux
loyaux Français de la ville de Tournay.
L’assemblée générale de l’Institut Jules Destrée, initialement
prévue pour le début 1961, n’a lieu que le 15 avril. Elle se
tient à l’Hôtel de Ville de Charleroi et permet de faire un
premier bilan de l’action fulgurante qui a été menée depuis à
peine plus d’un an, malgré la participation très active des
membres du Comité aux événements politiques qui ont marqué la
Wallonie depuis janvier 1960. La séance réunit, sous la
présidence de Maurice Bologne, Aimée Bologne-Lemaire, Louis
Bertaux, Germaine Bertaux, Jacques Hoyaux, docteur en droit, et
Christiane Bailly, son épouse, licenciée en histoire, Arille
Carlier, Guy Galand, professeur de lettres, Émile Lempereur,
Albert Calay, Charles Becquet, Albert Romain. Le président
rappelle que la Société historique pour la Défense et
l’Illustration de la Wallonie a repris ses activités car l’APIAW
– au profit de laquelle elle s’était mise en veilleuse en
1945-1946 – ne vit plus qu’à Liège, dans le domaine de la
peinture. Le nouveau comité est constitué de Maurice Bologne
(président), Jean Pirotte (vice-président), Louis Bertaux
(trésorier), Arille Carlier (conseiller juridique) et Aimée
Lemaire (directrice des travaux). L’Institut Jules Destrée
comprend alors plus de 140 membres dont 38 membres protecteurs (savants
et professeurs). Maurice Bologne peut annoncer qu’un nouveau
subside de 10.000 frs a été alloué en 1961 par le Comité
carolorégien d’Action wallonne, à l’initiative de son président.
En 1961, l’Institut bénéficiera également d’un don substantiel
du baron Carlo Hénin, de Farciennes.
À côté du travail quotidien d’édition, des stratégies se mettent
en place pour un plus long terme. Jacques Hoyaux, qui a été
coopté au Conseil d’administration, est chargé de la
propagande. Il propose une pénétration au Mouvement
populaire wallon dont la plupart des administrateurs sont
d’ailleurs membres actifs. La question du nombre des membres va
constituer une préoccupation constante tant elle détermine, par
les cotisations, le capital nécessaire à la base de toute
édition et la quantité des tirages possibles pour atteindre le
seuil de rentabilité. Comme l’indique la directrice des travaux
dans un long exposé qu’elle présente lors de l’assemblée
générale du 31 mars 1962, indiquant ainsi la politique qui sera
menée par l’Institut Jules Destrée : il faut que nous
arrivions à faire de notre collection un ensemble impressionnant
qui pourra figurer dans de nombreuses bibliothèques. Ce moyen
nous a paru être le meilleur car il constitue une propagande
permanente. Les conférences sont aussi un procédé intéressant
mais il ne laisse pas assez de traces ; au bout de quelques mois
tout est oublié. Songez, au contraire, que le livre peut dormir
des années mais un jour quelqu’un l’ouvrira et la pensée qui s’y
trouve exprimée reprendra son vol et se fixera à nouveau dans
certains esprits, des orateurs y retrouveront des arguments, de
jeunes Wallons sauront qu’avant eux ont existé des gens qui
pensaient et sentaient comme eux. C’est cette chaîne aux
maillons permanents que nous essayons de constituer par ces
brochures.
La parution de la troisième brochure, Les lettres françaises
de Wallonie des origines au début du
xxe
siècle, due à la plume de Guy Galand et dont la première
édition est tirée à 1.000 exemplaires, provoque la réaction des
pouvoirs publics. La directrice des travaux doit monter au
créneau pour défendre le cadre qui a été fixé – par elle-même et
par Maurice Bologne, du reste – au jeune professeur du Hainaut
occidental, pour décrire les lettres françaises de Wallonie et
affirmer ainsi la position de l’Institut Jules Destrée sur ces
questions. À l’Inspecteur général et conseiller pédagogique au
ministère de l’Éducation nationale Marion Coulon, qui a fait des
remarques concernant la pertinence des choix opérés, Aimée
Lemaire écrit : évidemment, nos avis ne concordent pas en
tout avec le vôtre, notamment en ce qui concerne la situation
des francophones en littérature. Nous ne nions pas leur
importance mais c’est à d’autres que nous de les mettre en
valeur. Ils continuent à entretenir l’équivoque et à faire
croire à l’étranger que la Belgique d’aujourd’hui est toujours
la “ petite France ” de 1830. Ce n’est pas une conception plus
étriquée de considérer uniquement dans un ouvrage les auteurs
qui se rattachent par la naissance, l’ascendance ou la volonté à
la terre wallonne que de faire un manuel de littérature belge
d’expression française, limitée aux frontières d’un État. Vous
savez bien qu’au fond de nous-mêmes, nous considérons qu’il n’y
a qu’une littérature française qui devrait englober tout ce qui
a été écrit en français, en divisant en chapitres d’après les
régions. Mais cette conception ne prévaudra que le jour où les
problèmes de nationalité et celui de la décentralisation seront
résolus.

Dans un courrier qu’elle adresse à Joseph Delmelle le 2 août
1962, la directrice des travaux rappelle d’ailleurs les
indications données aux collaborateurs d’histoire littéraire,
parmi lesquels Guy Galand et André Wautier, pour déterminer si
un auteur appartient à la Wallonie : 1° le lieu de
naissance : il faut être né en Wallonie. 2° la nationalité des
parents : on peut être né n’importe où de parents wallons. 3°
l’opinion : si l’une de ces conditions n’est pas remplie, on
doit dès lors se déclarer wallon expressément. Le choix de la
langue française est insuffisant, il faut aussi opter pour la
Wallonie. Nous ne voulons pas faire entrer dans notre
littérature un auteur qui y répugne et comme nous ne sommes pas
racistes, il suffit de se vouloir wallon pour l’être. Celui qui
est né d’une alliance entre un(e) Flamande et un(e) Wallon(ne)
doit choisir l’une ou l’autre civilisation et pas seulement la
langue.
Quant à Marcel Hicter, responsable des lettres françaises de
ce pays, avec lequel Aimée Lemaire entretient également un
débat épistolaire courtois mais ferme sur le choix des auteurs
retenus par Guy Galand, la directrice répond toutefois par
quelques vers que le poète connaît bien :
Avou vos ou sins vos,
Dji mont’rè so les tâfes
Po m’bate po mès idêyes !
Dans la foulée des grandes mobilisations organisées par le
Mouvement populaire wallon et l’ensemble des mouvements wallons
à partir du printemps 1962, le Conseil d’administration décide,
le 20 juin 1962, de lancer un cycle d’information wallonne.
Il s’agit d’une initiative de Jacques Hoyaux, qui en est
spécifiquement chargé. Prenant appui sur l’Entente des
Groupements wallons de Charleroi : Wallonie libre, Rénovation
wallonne et Mouvement populaire wallon, onze conférences sont
organisées du 19 octobre 1962 jusqu’au 22 mars 1963, sous la
présidence d’Aimée Lemaire. Ainsi, 105 personnes se sont
inscrites au cycle qui se donne à l’hôtel de ville de Charleroi,
cycle qui a permis d’entendre des exposés de Louis Philippart –
directeur de l’Institut provincial de l’Éducation et des Loisirs
du Hainaut – sur Les solutions wallonnes au point de vue
culturel, de Maurice Bologne sur Naissance, développement
et perspective du Mouvement wallon, de Jean Pirotte sur
La Wallonie et le congrès national wallon, de Lucien Outers
– secrétaire général de Rénovation wallonne ‑ sur Rénovation
wallonne, de Stéphane Brabant sur Le Mouvement libéral
wallon, de Fernand Pirsoul – trésorier général du MPW – sur
Le Mouvement populaire wallon, de Norbert Gadenne –
secrétaire hennuyer du Conseil économique wallon – sur Les
besoins wallons au point de vue économique et social, de
l’économiste Yves de Wasseige sur Les Solutions wallonnes au
point de vue économique et social, de Jean Van Crombrugge –
Léopold Genicot n’étant pas disponible – sur Les Besoins
wallons au point de vue culturel, du sociologue
Maurice-Pierre Herremans sur Naissance, développement et
perspectives du Mouvement flamand et de Jacques Hoyaux –
François Perin n’étant pas disponible – sur Les solutions
fédéralistes. Les conférences, bien préparées, ont un
certain succès mais laissent les organisateurs sur leur faim en
matière de fréquentation, compte tenu des coûts et du temps de
préparation. Le projet d’organiser le même cycle de conférences
à Namur et à Liège n’a d’ailleurs pu être mené à bien, faute de
relais suffisant sur place. L’Institut veut également mener des
actions pour la défense de la Wallonie au point de vue culturel.
Ainsi, intervient-il auprès du directeur de la Radio-Télévision
française concernant une émission du 28 juillet 1960 sur
l’emploi abusif du mot flamand dans l’art. Ce geste n’est en
fait qu’une première initiative à l’égard des médias. Elle sera
suivie de nombreuses autres surtout dans le domaine de la
terminologie, particulièrement par rapport à la RTB dont le
discours est souvent perçu comme anti-wallon. De même,
l’Institut Jules Destrée prend fermement position contre la
circulaire du 5 octobre 1963 supprimant le cours d’anglais dans
les sections préparatoires des Écoles de l’État par suite de
l’application des nouvelles lois linguistiques.

L’idée de créer des sections régionales, déjà envisagée à
l’époque de la Société historique, est à nouveau à l’ordre du
jour en 1964. Elle révèle la recherche de moyens d’organisation
nouveaux pour faire face au succès de l’association, à
l’accroissement de ses membres ainsi qu’aux sollicitations
extérieures en matière de documentation sur le Mouvement wallon.
Un projet de création de quatre directions régionales :
Liège-Luxembourg, Namur-Brabant, Hainaut et Bruxelles est
élaboré. Mais deux autres urgences se dessinent : celle d’un
permanent pour appuyer le travail bénévole des administrateurs
et celle de ressources financières supplémentaires, notamment
pour rémunérer ce collaborateur éventuel, ce qui s’avère alors
impossible. En 1963, l’Institut Jules Destrée a reçu 32.500 frs
de subventions dont 20.000 frs du ministère de l’Éducation
nationale et de la Culture et 6.000 frs provenant de l’APIAW de
Charleroi, à l’initiative de Nestor Miserez et d’Émile
Lempereur. Il s’agit également de renforcer le Conseil
d’administration très affecté par la disparition d’Arille
Carlier, décédé le 17 mai 1963. En mars 1964, Fernand Schreurs
est appelé au Conseil, ainsi que Abel Piraux, directeur d’École
honoraire. Sollicité par Maurice Bologne, Louis Philippart a dû
décliner car accablé de prestations et d’engagements,
d’autant que, ainsi que l’écrit le directeur de l’Institut
provincial de l’Éducation et des Loisirs, l’Institut pourrait
avoir une mission plus importante à remplir à mesure que
s’accomplira une véritable décentralisation culturelle.
La vie de l’Institut Jules Destrée n’est pourtant pas un long
fleuve tranquille. Les publications se suivent et ne se
ressemblent pas toujours, particulièrement en qualité. La
publication du livre d’André Wautier consacré à la Poésie
française contemporaine en Wallonie provoque la profonde
affliction de Marcel Hicter qui considère ce travail comme
une mauvaise action. Cet événement constitue pour Aimée
Lemaire une nouvelle occasion de défendre un de ses auteurs –
qui doivent obligatoirement être des membres – mais aussi de
constater que, malgré ses efforts et ses appels, aucun
spécialiste notoire, à l’exception de Félix Rousseau, n’a
accepté les conditions de bénévolat ni de soumission de son
manuscrit à un comité de lecture, imposées par l’Institut. La
directrice des travaux poursuit : les uns ont prétexté le
manque de temps, mais nous avons bien senti que c’était surtout
le fait de s’affirmer wallon sous le patronage de la pensée de
Jules Destrée qui les fait reculer. D’autres ont eu la franchise
de nous dire que nous exigions d’eux un engagement “ contraire à
leur esprit scientifique ”. L’ancienne préfète explique
toutefois les positions de ces universitaires : n’est-ce pas
simplement l’esprit de soumission aux conceptions répandues par
l’État Belgique qui subit la pression de sa majorité flamande
depuis 1884, aux dires de Destrée ? s’interroge-t-elle.
Maurice Bologne répètera ces considérations en janvier 1966, en
regrettant qu’un savant pense manquer à l’objectivité
scientifique en s’engageant dans une collection qui
paraît sous les auspices de Jules Destrée. Il faut reconnaître
que, parfois, l’association et sa directrice des travaux se
nourrissent aussi de révoltes et de colères qui s’expriment par
des propos virulents. Le 13 mars 1967, dans un texte destiné à
promouvoir la collection Connaître la Wallonie – qui sera
notamment publié dans Wallonie libre –, Aimée Lemaire
dénonce la promotion de la Flandre à Montréal où on nagera
dans le waterzoi, les soles à la bière et le dindonneau à la
kriek, avant d’aborder la flamandisation de la châsse de
Saint-Remacle : l’ignorance entretenue à dessein par les
Machiavel de la mère Flandre ne sera combattue efficacement que
le jour où le peuple wallon lui-même aura retrouvé son âme et
exigera le respect de son passé. Quelques mois plus tard,
des critiques formulées à l’égard de l’ouvrage consacré à Robert
Boxus et rédigé par Adèle Durieux dans la nouvelle collection
Figures de Wallonie, amènent la directrice des travaux à
évoquer une fois encore Félix Rousseau – le seul professeur
d’université qui, jusque là, ait daigné donner son
travail à l’Institut – et à constater l’élitisme des
universitaires liégeois. Ce snobisme, qui est intéressant
pour faire avancer les conceptions artistiques, littéraires ou
scientifiques, est absolument inaccessible à la masse, à qui il
faut tout de même faire une place, que ce soient de petits
bourgeois désireux de se cultiver ou des ouvriers studieux ou
des jeunes gens encore aux études qui, grâce à des programmes
bien élaborés et à des professeurs sortis des moules belgeois,
ignorent ce que fut et est la Wallonie. Au professeur Paul
Brien qui, en 1969, émettait également quelques réserves, Aimée
Lemaire écrivait ne pas se faire d’illusion sur la valeur des
publications éditées et répétait les conditions difficiles de
travail dans lesquelles se débattait l’Institut face au
désintérêt des universitaires compétents. La directrice des
travaux soulignait également la décision de produire des
travaux même imparfaits plutôt que de ne rien faire du tout.
Cette analyse, Aimée Lemaire la confirme encore en réponse
cordiale aux remarques formulées en 1971 par le directeur de la
revue La Vie wallonne, Jean Servais, sur la compétence
des rédacteurs de certains ouvrages de l’Institut Jules Destrée.
Des initiatives plus politiques sont également prises. Ainsi, la
problématique fouronnaise ne peut laisser indifférent l’Institut
Jules Destrée. En 1964, l’Institut Jules Destrée alloue une aide
de 1.000 frs à l’école française de Teuven. Par ailleurs,
l’Institut est, avec la Fondation Charles Plisnier, à la base de
la création de l’Union wallonne des Associations culturelles (UWAC),
qui organise sa première journée d’étude à la Maison de la
Culture de Namur, le 25 avril 1965. Jacques Hoyaux, délégué de
l’Institut au sein de l’UWAC, y prend la parole concernant
l’autonomie culturelle. Sa contribution sera publiée en
brochure. Enfin, depuis décembre 1964, par l’intermédiaire d’un
de ses membres, André Bertouille, de Comines, l’Institut signale
à la Commission de Contrôle linguistique les infractions à la
loi du 2 août 1963 sur le territoire de la Wallonie. Quinze
requêtes sont adressées jusqu’en mars 1965. Par ailleurs, le 17
mars 1965, l’Institut Jules Destrée fait rapport à ses membres –
qui sont désormais 374 – sur les propositions de la Table ronde.
L’Institut fonctionne également comme une formidable machine à
idées. Celles qui naissent ne pourront souvent être mises en
œuvre que bien plus tard : un projet de Que sais-je ? sur
l’histoire de la Wallonie est conçu en 1964. En 1966, le Conseil
avance l’idée de créer un centre d’archives, en 1967, de mettre
sur pied un Musée Destrée à Marcinelle et, la même année,
d’écrire une Histoire de la Wallonie, tâche qui serait
confiée à Léon-E. Halkin mais qui n’a pas eu de suite immédiate,
aucun courrier ne paraissant avoir été adressé au professeur
liégeois. L’action quotidienne ne ralentit pas : les éditions se
développent considérablement grâce aux achats importants
effectués par le ministère de l’Éducation nationale – 400
volumes de chaque ouvrage publié – et grâce à la reconnaissance
de la qualité pédagogique des ouvrages édités accordée par le
Conseil de Perfectionnement de l’Enseignement moyen. Des moyens
financiers importants sont aussi recherchés du côté de la Poste.
Ainsi, l’Institut Jules Destrée obtient-il un accès à la
quote-part dans la répartition des bénéfices de la série
culturelle de timbres postes en 1962 grâce à l’accession de
Marcel Busieau au titre de ministre des PTT. Fin 1965, c’est
Édouard Anseele, remplaçant de Marcel Busieau en janvier 1963 et
vieille connaissance de Maurice Bologne, qui favorise une
subvention de 50.000 frs pour l’Institut Jules Destrée. Henri
Maisse ramène ce montant à 20.000 en 1967.

L’Institut Jules Destrée est chargé, par l’administration
communale de Marcinelle, de la mise en place de l’exposition
organisée à l’hôtel de ville, du 20 septembre 1963 au 15 février
1964, pour commémorer le centième anniversaire de la naissance
de l’auteur de la Lettre au roi, et qui accueillera de
nombreuses conférences. Pour cette activité, la directrice des
travaux avait appelé à la prudence : Nous ne voulons pas
dépenser l’argent de notre association à fonds perdus. Les mânes
de Jules Destrée seront mieux honorées par la diffusion des
idées susceptibles d’éveiller la Wallonie qui dort que par une
manifestation intéressante sans nul doute mais sans lendemain.
Les hommages aux militants et personnalités wallonnes restent
néanmoins à l’ordre du jour, comme celui qui est rendu à Albert
Mockel, le 22 décembre 1966 au Palais des Congrès de Liège, à
l’initiative d’André Piron et de Marcel Florkin. Pour cette
occasion, l’Institut s’est associé à l’APIAW, au Grand Liège
ainsi qu’à la Société des Amis de l’Art wallon. Lors du
centenaire de la naissance de Jules Destrée, en 1963, une carte
postale illustrant l’auteur de la Lettre au roi est tirée
à 4.000 exemplaires.
Fort de son impact et intégrant totalement son passé de Société
historique, l’Institut Jules Destrée organise son trentième
anniversaire en 1969. Le décalage de quelques mois est
probablement dû à la situation personnelle du président Maurice
Bologne qui, aux élections du 31 mars 1968, a été élu sénateur
du Rassemblement wallon. La manifestation du trentenaire obtient
un succès considérable. En présence d’une grande foule, le
comité organisateur est amené à changer de salle au dernier
moment, d’annuler la réservation faite au Musée du Verre de
Charleroi pour rassembler ses invités à la Salle de la Bourse.
Près de quatre cents personnalités sont présentes à la séance
académique pour écouter les conférences de Henri Brugmans,
recteur du Collège d’Europe à Bruges, et de Guy Héraud,
directeur de l’Institut de droit et d’économie comparés de
l’Université de Strasbourg. Jean Pirotte tire les conclusions de
ce moment fort avant que les invités ne soient accueillis à
l’administration communale par l’échevin Gustave Pirson.
Plusieurs ministres et parlementaires ont assisté à la
cérémonie, dont trois élus de la Volksunie, parmi
lesquels Lode Claes. Le bilan qui est dressé à cette occasion
est impressionnant : en neuf ans, vingt-quatre ouvrages ont été
publiés sur la Wallonie, soit plus de 30.000 volumes. Ainsi, la
collection phare, Connaître la Wallonie, s’est enrichie
de plusieurs titres de bonne vulgarisation comme La peinture
wallonne ancienne de André Piron (1963), La romanisation
de la Wallonie de Louis Bertaux (1964 et 1970), Les
musiciens wallons d’Élisa Meynaerts-Wathelet (1963) ou
encore l’Histoire sommaire de la Recherche scientifique en
Wallonie (1964 et 1965) et l’Expansion wallonne en Europe
(1966), puis hors Europe (1967) de Joseph Delmelle.
Ce dernier ouvrage est d’ailleurs promu avec vigueur par Aimée
Lemaire qui le considère comme susceptible de rendre aux
Wallons l’audace et la fierté dont ils ont grand besoin pour le
moment. La base de ce livre est constituée d’une étude
réalisée pour la Défense nationale et pour laquelle ce
département a accordé l’imprimatur à son auteur.
D’anciens titres jadis publiés par la Société historique ont
également été réédités. C’est le cas de L’irrédentisme
français en Wallonie (1965) de Francis Dumont ou de La
Révolution de 1789 en Wallonie de Maurice Bologne (1964).
Ce travail d’édition et de diffusion – vraiment impressionnant –
n’a pu être réalisé que grâce à l’extraordinaire disponibilité
d’Aimée Lemaire qui, en quittant prématurément ses fonctions de
préfète au moment des grèves de 1961, s’est mise à la
disposition de l’Institut Jules Destrée, en faisant son
quotidien. En outre, à cette occasion, la fidélité aux objectifs
de la Société historique peut être rappelée par la directrice
des travaux : démontrer que l’on peut mettre en valeur la
Wallonie tout en étant objectif.

Le trentième anniversaire a constitué un encouragement à
franchir une étape dans l’action en multipliant les initiatives.
Si Maurice Bologne est davantage absorbé par ses fonctions
politiques, Aimée Lemaire dispose désormais non seulement de
l’appui de Charles Becquet, de Jean-Marie Horemans puis d’Émile
Lempereur qui, en 1968 et 1969, sont venus renforcer le Conseil
d’administration, mais aussi de la collaboration de Françoise
Bertaux au secrétariat. Bénévole depuis le 8 octobre 1969, elle
deviendra la première permanente rémunérée (à temps partiel) de
l’Institut à partir du 1er septembre 1970.
Parallèlement, Jacques Hoyaux constitue un appui de plus en plus
solide pour l’institution. Secrétaire général de Wallonie libre
de 1966 à 1968 puis vice-président chargé des relations
extérieures, il assume la coordination du mouvement avec
l’Institut Jules Destrée dans de nombreux domaines, comme, par
exemple, l’inauguration du monument Arille Carlier, érigé à
Dampremy, ou la diffusion d’ouvrages par l’intermédiaire de
Wallonie libre. Membre et vice-président de la Commission de
Contrôle linguistique à partir de 1969, il y assure la présence
de l’Institut Jules Destrée. Davantage que les Bologne, Jacques
Hoyaux perçoit la nécessité pour l’Institut de faire un choix
entre l’idée de société savante de 450 à 500 membres, quelque
peu intellectuellement élitiste, et celle d’un organisme à la
base plus large, élaborant un fichier général wallon et
mobilisant les ressources – déjà réclamées par Louis Bertaux
depuis plusieurs années – de plus de mille membres permettant
des tirages d’ouvrages de 1.500 à 2.000 exemplaires.
Il est vrai que l’élan de la décennie précédente paraît
difficile à maintenir. Si les 418 membres ont été franchis en
1970, il faut bien constater des difficultés de recrutement, un
vieillissement des membres – et donc des décès. À l’assemblée
générale du 28 mars 1971, même s’ils peuvent se féliciter d’un
subside de l’Éducation populaire (47.000 frs), mais aussi de
Wallonie libre (12.000 frs), la directrice des travaux et le
trésorier constatent qu’un marché s’est fermé : celui des écoles
où l’on a supprimé les distributions des prix. L’admission des
livres par le Conseil de Perfectionnement, qui permettait de
nombreuses ventes, revêt dès lors moins d’importance. Du reste,
crise économique ou réforme institutionnelle, les bibliothèques
publiques ont diminué drastiquement leurs achats à l’Institut.
Depuis 1967, des restrictions se sont progressivement fait
sentir. Comme l’avait perçu la directrice des travaux dès
janvier 1968, on a sabré dans le budget culturel et la
décentralisation annoncée s’est faite au détriment de la
Wallonie, les services étant partagés entre les provinces. Pour
éviter la constitution de stocks d’ouvrages invendus, la
directrice des travaux réduit, en 1968, le tirage des ouvrages
en le faisant passer de 1500 à 1000 exemplaires. En 1972, les
bibliothèques publiques et le ministère de la Culture française
n’achèteront plus que 79 livres, tandis que les Affaires
étrangères font l’acquisition de 210 ouvrages.
Des tensions naissent naturellement du travail en équipe face à
une situation qui s’avère difficile et dans le contexte
politique assez pénible du non aboutissement de la réforme de
l’État, du blocage de l’article 107quater qui doit
créer la Région wallonne. Les stocks de livres invendus
s’accumulent et encombrent la maison des Bologne ainsi que les
annexes construites dans leur jardin. Jacques Hoyaux prône une
politique d’expansion des membres et l’utilisation de méthodes
plus adaptées au temps. Nous sommes un vieil attelage, c’est
vrai. (…) Mais il ne faut pas fouetter de vieux chevaux
et les obliger à marcher plus vite que leur train, estime
Aimée Lemaire en février 1971. La crise ainsi ouverte au sein du
conseil d’administration est qualifiée par Louis Bertaux de
querelle entre les anciens et les modernes et assez vite
refermée. Nous avons été obligés à cause de la pression de
Jacques Hoyaux – écrit la directrice des travaux le 1er
mars 1971 – de consentir à une politique d’accroissement des
membres qui fait partie de son plan d’expansion avec comme
aboutissement notre installation dans un complexe culturel où
l’Institut Jules Destrée aurait un bureau, une administration et
un entrepôt de livres, de documents et d’objets. En fait,
c’est bien dans cette direction que l’Institut s’orientera
désormais.

Les administrateurs doivent aussi évoquer l’impact de la
retraite de Louis Bertaux de sa fonction d’inspecteur de
l’enseignement. Il démissionne d’ailleurs de son poste
d’administrateur pour raison de santé et de longs séjours dans
le Midi – même si, à la demande de Maurice Bologne, il en
gardera le titre. Le major (puis lieutenant-colonel) à la
retraite Gaston Lambert est coopté au Conseil le 25 septembre
1971 et assume dès lors la tâche de trésorier. Autre changement
au Conseil d’administration : Roger Pinon remplace Fernand
Schreurs comme administrateur et délégué de la province de
Liège. Le 24 mars 1973, c’est Robert Goffin – membre de la
Société historique depuis le 3 avril 1940 – qui rejoint le
Conseil pour assumer la fonction de conseiller juridique
anciennement dévolue à l’avocat liégeois. Assez rapidement,
l’ancien collègue de Jules Destrée va suggérer de léguer sa
maison d’Overijse à l’Institut. L’idée naît alors de transformer
l’institution en Centre wallon d’Études fédéralistes et
de créer, à côté, une Fondation Robert Goffin, Musée
littéraire et artistique de Wallonie. Le principe du legs
sera accepté en 1978, avant que l’Institut y renonce au début
des années 1980.
Des collaborations suivies s’établissent avec le CACEF et la
Fondation Plisnier. Le Conseil d’administration du 11 mars 1972
aborde la question de la dissolution de l’UWAC dans laquelle
Jacques Hoyaux a représenté l’Institut. Maurice Bologne dénonce
la tendance des milieux bruxellois à remplacer le mot
“ français ” par “ francophone ” et à supprimer le mot wallon.
C’est l’occasion pour son fondateur de réaffirmer la position de
l’Institut et de rappeler que Jules Destrée a quitté l’Assemblée
wallonne parce qu’elle défendait les francophones de Flandre. De
même, pour le président, le problème de Bruxelles est
terriblement dangereux pour la Wallonie. Le FDF,
souligne-t-il, subit des pressions pour se transformer en
Rassemblement des Bruxellois. Nous, c’est pour être le
Rassemblement des Français. Francité vaut mieux que
Francophonie. Ces déclarations sont soutenues par l’envoi à
tous les parlementaires du livre de Guy Héraud, Fédéralisme
et Communautés ethniques, que l’Institut vient d’éditer en
février 1972, dans sa collection Études et documents.
Alors que le Conseil d’administration ouvre, le 13 décembre
1972, une révision des statuts pour permettre d’accueillir un
legs de Martine et Georges Armand, anciens factotums de
Jules Destrée, Jacques Hoyaux propose d’étendre la mission
wallonne de l’Institut à la Communauté française de Belgique,
à la Francité et au monde français. Maurice Bologne lui oppose
un refus très net, considérant que l’idée n’est pas encore mûre
et que l’Institut serait dans l’incapacité d’assurer cet
objectif…. Tandis que, depuis novembre 1973, l’Institut diffuse
parmi ses membres l’ouvrage Contre les États, les régions
d’Europe, préfacé par Alexandre Marc, avec une introduction
de Guy Héraud, dans lequel Maurice Bologne traite de la
Wallonie, un autre débat, assez vif, se déroule lors de
l’assemblée générale du 24 avril 1974, entre Maurice Bologne,
Roger Somville, Jean Humblet et Jacques Hoyaux, sur l’idée de
régions d’Europe et les rapports éventuels des Wallons avec les
autonomistes bretons.
L’organisation d’une séance académique en hommage à Arille
Carlier, au Palais des Beaux-Arts de Charleroi, le 18 mai 1973,
à l’occasion du dixième anniversaire de la mort de l’ancien
membre fondateur de l’Assemblée wallonne, constitue le dernier
grand événement de la présidence de Maurice Bologne. Le Conseil
d’administration du 7 mars 1975 prend acte de la démission de
leurs fonctions de président et de directrice des travaux
pour raisons d’âge et de santé. Maurice Bologne – qui a
renoncé à son mandat de sénateur un an auparavant – annonce que
la directrice des travaux et lui-même sont au bout du rouleau,
que personnellement, il est en mauvaise santé et doit cesser
par ordre de la faculté. Il ajoute qu’il faut s’incliner
devant les faits.
L’assemblée générale 15 mars 1975 est celle de la mise en place
de la nouvelle équipe afin de rajeunir les cadres. Trois
nouveaux administrateurs sont élus : Guy Galand, Étienne Knoops
– secrétaire d’État (RW) aux Affaires économiques –, et Jacques
Lanotte, romaniste diplômé de l’Université de Liège,
bibliothécaire à l’Université du Travail. Les Bologne proposent
que Jacques Hoyaux assume la présidence : il vit à Charleroi,
siège de l’Institut Jules Destrée, c’est un militant wallon et
il est, depuis un an, sénateur socialiste de Charleroi, titre
qui ouvre les portes. Jacques Hoyaux accepte la tâche qui
lui est confiée et annonce que, désormais, la direction des
travaux s’exercera collégialement. La directrice des travaux
n’est donc pas immédiatement remplacée tandis que Françoise
Bertaux est confirmée dans ses fonctions. Le secrétariat est
déplacé à son domicile personnel, 10 rue du Tunnel à Couillet.

Le bilan de l’action de l’équipe, essentiellement formée par
Aimée Lemaire, Maurice Bologne, Louis Bertaux et Abel Piraux,
est impressionnant : de 1960 au 2 avril 1975 l’Institut Jules
Destrée a édité pas moins de quarante et un ouvrages. Les
dernières années, l’effort a porté sur la collection Figures
de Wallonie avec des titres consacrés à Hubert Krains
par Roger Gustin (1968), Maurice des Ombiaux par
Jean-Marie Horemans, Albert du Bois par Joseph Delmelle
(1969), Marcel Thiry par Roger Foulon (1969), Arille
Carlier par Aimée Lemaire (1969), François-Joseph Gossec
par Walter Thibaut (1970), Arthur Masson par Marcel Lobet
(1971), Charles Plisnier par Roger Foulon (1971),
Charles de Ligne par Raymond Quinot (1973). D’autres
ouvrages ont complété la collection Connaître la Wallonie :
Joseph Boly a traité de La Wallonie dans le monde français
(1971), Guy Lemeunier de L’art baroque et classique en
Wallonie, Maurice Bologne de Notre Passé wallon (1972
et deuxième édition,1973) et Jean-É. Humblet y a publié Le
petit livre du jeune Wallon (1975). Enfin, à côté des
travaux de Guy Héraud et Henri Brugmans, la collection Études
et documents a accueilli le premier volume de la synthèse
portant sur Le différend wallo-flamand due à Charles-Fr.
Becquet – inspecteur de mathématiques – et l’ouvrage précurseur
de Paul-Henry Gendebien, L’environnement, un problème
politique pour la Wallonie, pour l’Europe, pour le monde. Le
nombre de membres a plafonné à 415 en 1974, chiffre en léger
repli de 21 membres par rapport à 1973. Aucune commande publique
de livres n’a été obtenue en 1974. Quant aux subsides, ils sont
réduits à zéro, étant désormais déterminés par le nombre
d’activités davantage que par les publications.
Former les cadres du Mouvement wallon
Au Conseil d’administration du 10 mai 1975, Jacques Hoyaux
dévoile son ambition pour l’Institut Jules Destrée : devenir à
la fois le centre de formation des cadres du Mouvement wallon et
le partenaire du nouveau Conseil régional wallon. De manière
opérationnelle, plusieurs décisions importantes sont prises
immédiatement. D’abord, créer un bulletin d’information, ainsi
que l’avait précédemment suggéré Jean-Marie Horemans. Ce
trimestriel s’intitule Feuillets de la Wallonie.
Toutefois, dès le premier numéro de la deuxième année, cette
lettre d’information prend le nom de Feuillets de la
Communauté française Wallonie - Bruxelles, popularisant
cette appellation cinq ans avant que l’Exécutif de la Communauté
française ne la fasse sienne par la Déclaration de son président
Michel Hansenne, le 16 mai 1979. Ensuite, la nouvelle équipe de
l’Institut Jules Destrée décide d’organiser une exposition de
grande ampleur pour commémorer, début de l’année suivante, le
quarantième anniversaire de la mort de Jules Destrée. Nouvel
administrateur, Jacques Lanotte accepte de prendre en charge la
conception et l’organisation de l’exposition. Enfin, Jacques
Hoyaux annonce leur intention de mettre sur pied une journée
d’étude consacrée au Mouvement wallon, suivant en cela une idée
de Bernard Remiche. Aimée Lemaire apporte un renfort à
l’opération en rédigeant une courte biographie de Jules Destrée,
qui sera publiée pour la circonstance.
Les deux manifestations vont avoir un impact considérable,
d’autant qu’elles se situent à un moment clef de l’action
politique : les relations entre les communautés sont très
tendues, des négociations plus ou moins secrètes se tiennent
entre Flamands et Wallons hors du Parti socialiste qui, dans
l’opposition, campe sous sa tente. François Perin met en
chantier le Rapport politique qui, bientôt, fera tant de
bruit. Comme l’indique l’éditorialiste de Métro qui
annonce les manifestations dès le 13 février 1976 : quarante
ans après, Jules Destrée ressuscite parmi les Wallons du Pays de
Charleroi, pour leur montrer la voie à suivre, pour ramener dans
le droit chemin les brebis égarées.
L’exposition Jules Destrée se tient à l’Université du Travail à
Charleroi du 13 au 27 février 1976. Le vernissage a marqué la
presse au point qu’on a pu écrire que la Wallonie entière
était représentée : tout ce que la Wallonie compte de
personnalités politiques, syndicales ou représentatives
d’organismes wallons, avaient tenu à s’associer à “ l’homme qui
a pensé pour nous, au guide qui continue à nous montrer le
chemin ”. Il est vrai que, à côté du président de l’Institut
Jules Destrée, de l’hôte des lieux – le député permanent Richard
Carlier –, du représentant du ministre de la Culture
Henri-François Van Aal et, à côté du directeur de l’Académie de
Langue et de Littérature françaises Marcel Lobet, se tiennent
pas moins de trois ministres du Rassemblement wallon : François
Perin, Étienne Knoops et Robert Moreau, ainsi que les anciens
ministres socialistes Pierre Falize et Lucien Harmegnies. Cette
exposition, construite à partir d’objets et d’archives pour la
plupart mis en évidence pour la première fois, aura des
prolongements dans les années qui suivent et pendant lesquelles
des documents seront présentés, souvent en collaboration avec
les associations locales, au Musée communal herstalien (octobre
1978), au château du Roeulx (août 1979), au prieuré de Montaigu
à Morlanwelz (septembre 1979), à l’hôtel communal de Quaregnon
(octobre 1979), ainsi qu’au Centre Wallonie - Bruxelles à Paris
(janvier 1983).

La journée d’étude consacrée à l’histoire du Mouvement wallon se
tient également à l’Université du Travail, le 21 février 1976.
Cent cinquante personnes, dont de nombreux politiques, ont tenu
à y participer. Les orateurs invités à prendre la parole par
l’Institut Jules Destrée couvrent bien les différentes tendances
et sensibilités du mouvement. La journée est ouverte par le
ministre des Affaires wallonnes Alfred Califice, le
vice-président du Conseil régional wallon Frédéric François fait
également une intervention, le président Franz Janssens étant
hospitalisé. Maurice-Pierre Herremans, pour le CRISP, établit
les origines du Mouvement wallon, tandis que Maurice Bologne et
Fernand Dehousse analysent les partis et projets fédéralistes
wallons. Quatre interventions plus engagées se succèdent,
confiées à André Schreurs, Jean Pirotte, Robert Royer et Jacques
Yerna. Le premier apporte son témoignage sur le Congrès national
wallon, les autres abordent l’histoire et les orientations
présentes de leurs mouvements respectifs : Wallonie libre,
Rénovation wallonne et le Mouvement populaire wallon. La presse
prend la mesure de l’événement. Le Soir relève toutefois
l’absence des parlementaires et personnalités socialistes de
Charleroi dont certains furent pourtant, jadis, des affiliés
et d’ardents défenseurs du Mouvement populaire wallon.
Wallonie libre confirme cette analyse. Ce qu’il faut en réalité
relever, c’est l’importance de la délégation liégeoise ‑
particulièrement socialiste ‑ et la présence de Simon Paque,
président de la fédération socialiste de l’arrondissement de
Liège. L’appel que Jacques Yerna lance à la fin de son
intervention pour une reprise de contact avec la population
wallonne ne passe pas non plus inaperçu, donnant ainsi une
dimension politique à un colloque qui se voulait peut-être
d’abord scientifique. L’idée avancée par le président du MPW
consiste à demander aux mouvements wallons d’unir leurs efforts
pour prendre l’initiative d’une consultation de la population et
transmettre ses exigences aux partis politiques. Robert Lambion,
secrétaire général de la FGTB de Liège, présent dans la salle,
se dit prêt à défendre l’initiative. Bref, comme
l’indique Le Soir, une action conjuguée qui pourrait
déboucher sur un réveil de la conscience wallonne. Francis
Delperée, qui avait à tirer les conclusions de la journée,
rebondit sur cette idée en évoquant la nécessité pour les
mouvements wallons de se reconvertir en force d’éducation et
d’animation civique. Enfin, Fernand Dehousse, à la fin de la
séance et par écrit, fait part à Jacques Hoyaux de son souhait
de voir l’Institut Jules Destrée consacrer une journée
spéciale à l’étude et à l’approfondissement du fédéralisme
en ajoutant qu’il lui paraît souhaitable que les Wallons
adoptent une position à la fois constructive et nouvelle sur le
problème. Comme nous n’avons plus de mouvement œcuménique,
l’Institut pourrait en jouer le rôle. Et le professeur à
l’Université de Liège de se mettre à disposition de l’Institut
Jules Destrée à partir du 1er octobre, date de son
éméritat.
Les efforts de la nouvelle équipe portent leurs fruits. Lors de
l’assemblée générale du 21 mars 1976, et à l’issue d’une
campagne de recrutement soutenue, le président peut constater un
accroissement sensible des membres qui sont passés, en moins
d’un an, de 320 à 889. Le Conseil d’administration du même jour
fait de Jacques Lanotte le nouveau directeur des travaux de
l’Institut et se complète, d’une part, avec les membres du
Comité d’Action wallonne de Charleroi, qui passent à l’Institut
avec armes et bagages : Edmond Yernaux, Jean Deterville, Gustave
Pirson – administrateur de société et libéral – ainsi que la
bourgmestre de Pironchamps Lily Stilmant-Hambursin et, d’autre
part, avec Guy Vessié, agrégé ès lettres, président du Comité
Picardie et chargé de mission du secrétaire d’État aux Affaires
sociales wallonnes Robert Moreau, le politologue du CRISP Xavier
Mabille et l’écrivain Roger Foulon. Ce renfort – éclectique –
sera encore accru l’année suivante par Armand Deltenre, Jean-É.
Humblet, le chercheur FNRS Daniel Droixhe – animateur de la
section régionale qui vient de se créer à Liège –, et Eugène
Fooz, qui va progressivement reprendre les fonctions de
trésorier de l’association.
De nouvelles journées d’études sont organisées. Elles ont pour
objectif d’accompagner la mise en place des nouvelles
institutions et de permettre aux citoyens de s’initier aux
questions qui découlent de la modernisation de l’État. Quatre de
ces journées sont caractéristiques de cette démarche car elles
illustrent quatre enjeux fondamentaux de la réforme
institutionnelle.

Primo,
le 11 décembre 1976, sont abordées Les relations culturelles
internationales de la communauté française Wallonie - Bruxelles.
La journée d’étude qui se tient au Palais des Congrès de
Liège permet d’entendre Pierre Bertrand – président de la
Commission des Relations culturelles internationales au Conseil
culturel –, Claude Remy – fonctionnaire du Conseil culturel –,
le sénateur Jan Bascour – président du Cultuurrad –,
Gaston Cholette – sous-ministre adjoint des Affaires
internationales du Québec –, Lucien Outers – vice-président du
Conseil culturel –, le sénateur Pierre Falize –, ancien ministre
de la Culture française – et Émile-Edgard Jeunehomme, président
du Conseil culturel. En abordant ces questions internationales
difficiles, Jacques Hoyaux – qui, depuis 1972, a développé une
expertise dans le domaine de la coopération internationale –
estime qu’il est maintenant temps pour l’Institut Jules Destrée
de se donner une dimension d’action dans la Francophonie. Ainsi,
en 1977, l’Institut est-il le premier membre correspondant (hors
de France) de l’Association francophone d’Amitié et de Liaison (AFAL).
Les contacts vont se multiplier grâce aux missions et relations
de Jacques Hoyaux, notamment avec le Québec et le Jura, ainsi
que la diffusion des livres de l’Institut par le Conseil
international de la Langue française. Mais la volonté
d’illustrer davantage le monde de langue française sera surtout
manifeste à partir de 1982. En 1984, l’Institut Jules Destrée
fait œuvre de pionnier en organisant, en Wallonie et à
Bruxelles, la Première Journée internationale de la
Francophonie. En 1985, il coéditera une étude juridique avec le
Conseil de la Langue française de Québec, avant de devenir,
durant de nombreuses années, le diffuseur des éditions d’Acadie.
Secundo,
une journée d’étude L’Institutionnel, clé de l’économique
est organisée à Charleroi le 19 mai 1979, avec la participation
de Henry Miller – Section wallonne du Bureau du Plan –, Joseph
Henrotte – Conseil économique régional de Wallonie –, Michel
Dewaele – Société de Développement régional wallon –, Jacques
Defay – Chef de Cabinet adjoint du président de l’Exécutif
wallon –, Urbain Destrée – SETCa –, ainsi que les députés
Philippe Maystadt et Philippe Busquin – en remplacement de
Jean-Maurice Dehousse, ministre de l’Économie régionale wallonne
–, Étienne Knoops – en remplacement de Jean Gol, ancien
secrétaire d’État à l’Économie régionale wallonne. Cette journée
se clôture par un appel du député Philippe Busquin qui souhaite
qu’un effort de vulgarisation soit entrepris par l’Institut,
afin d’éclairer, à partir d’exemples précis, l’état de
dépendance économique de la Wallonie. La préoccupation du député
de Charleroi est partagée : le professeur Michel Quévit, auteur
de l’ouvrage Les causes du déclin wallon a été invité à
la tribune de l’Institut Jules Destrée en mars 1978 à Maison de
la Francité à Bruxelles. Le débat qui a suivi, animé par
plusieurs personnalités du monde scientifique et culturel wallon
et bruxellois, est arrivé à la conclusion que le redressement
économique de la Wallonie implique en priorité, d’une part, la
création d’un important organisme bancaire régional, et, d’autre
part, la régionalisation des principaux départements économiques
et financiers de l’État, dans une mesure bien supérieure à celle
qui est envisagée par le pacte d’Egmont. Michel Quévit, prix
Bologne en 1981, sera à nouveau l’invité de l’Institut Jules
Destrée pour une conférence à Liège le 12 juin 1982, au moment
de la sortie de son ouvrage La Wallonie : l’indispensable
autonomie.
Tertio,
une journée d’étude est organisée le 18 octobre 1980 au musée de
Mariemont, à l’intention des professeurs d’histoire. Plus de
cent-vingt participants planchent sur le thème : 1830…
Belgique, 1980… 3 régions : La Wallonie, Bruxelles et la
Flandre, 2 communautés : la française, la flamande. Quelles
constantes, quelles différences ? Des exposés sur l’histoire
de Wallonie et son enseignement sont présentés par les
professeurs Hervé Hasquin et Jean-Jacques Hoebanx (ULB), Albert
D’Haenens (UCL), Jean-Marie Duvosquel (Crédit communal), et un
travail méthodologique est animé par Michel Révelard, inspecteur
de l’Enseignement secondaire de l’État. Ce faisant, l’Institut
Jules Destrée actualise à la fois une ancienne préoccupation et
se positionne clairement comme un interlocuteur de
l’enseignement sur la question de l’histoire régionale.
Quarto,
mettant en évidence l’importance d’une “ administration plus
efficace ”, une journée d’étude est organisée à la Chambre
de Commerce de Charleroi le 17 octobre 1981 sous le titre :
Formation des agents de l’État, de la Communauté française, des
Régions wallonne et bruxelloise. De nombreux intervenants y
prennent la parole parmi lesquels Robert Dethier, Lucien
Poquette, Daniel Norrenberg, Philippe Esgain, Max Wasterlain,
Jean-Marie Quintin, Joseph Goffin et Jean-Louis Colmant.

On le constate, en quelques années, la donne avec les acteurs
publics a été modifiée non seulement parce que les institutions
se sont régionalisées et communautarisées, mais aussi parce que
l’Institut a créé une relation entre ces acteurs, un public
régional ou communautaire et son Conseil d’administration,
particulièrement son directeur et son président. Ce dernier
constitue d’ailleurs une pièce maîtresse de cette évolution. Le
militant socialiste wallon et sénateur, Jacques Hoyaux a
été désigné secrétaire d’État à la Réforme des institutions dans
les gouvernements Tindemans II et Vanden Boeynants (1977-1979)
et ministre de l’Éducation nationale (F) dans le gouvernement
Martens (1979-1980). Cette évolution n’est pas sans apport pour
l’Institut Jules Destrée, avec les moyens humains et financiers
dont peut désormais disposer l’association, avec l’attraction
que son président va exercer sur nombre de membres et de
partenaires potentiels, avec sa visibilité, par sa relation avec
les universités – relation qui avait posé problème durant la
période précédente. Ainsi, lorsque Jacques Hoyaux est reçu sur
le site de l’Université à Louvain-la-Neuve, à l’automne 1979, le
doyen de la faculté de philosophie et lettres, Guy Muraille, ne
craint pas d’accueillir – en s’affirmant membre de l’Institut
Jules Destrée – non le ministre de l’Éducation nationale mais
le président de cet Institut qui œuvre si vaillamment et avec
tant de succès pour la connaissance de notre patrimoine wallon.
Du reste, divers facteurs ont modifié le rapport avec les
universités. D’abord, l’étude de la Wallonie est entrée à l’Alma
Mater, particulièrement dans le domaine de l’histoire, grâce
aux publications largement diffusées que constituent
L’Histoire de la Wallonie dirigée par Léopold Genicot
(Université catholique de Louvain) et publiée en 1973, mais
surtout l’encyclopédie La Wallonie, le Pays et les Hommes,
dont la publication a été entamée depuis 1978 sous la direction
des professeurs Hervé Hasquin (Université libre de Bruxelles),
Rita Lejeune (Université de Liège) et Jacques Stiennon
(Université de Liège).
Si ces initiatives remarquables ne sont pas nées de l’Institut
Jules Destrée, trois démarches ont toutefois permis de rompre le
long isolement intellectuel qui avait marqué les travaux de
l’Institut Jules Destrée depuis ses origines à l’égard
d’universités, elles aussi d’ailleurs bien isolées des mutations
politiques et institutionnelles. La première démarche est celle
qu’entreprend Jacques Lanotte en 1978 en prenant contact avec
Jacques Dubois et Marcel Deprez, en tant qu’animateurs de la
Commission Art et Société de l’Université de Liège, pour publier
les textes de ce qui deviendra L’Avenir culturel de la
Communauté française. Ce travail – qui se veut une
prospective – avait été commandé à l’Université par les Amis
et disciples de François Bovesse mais était resté en friche. En
éditant cet ouvrage, par ailleurs préfacé par le ministre de la
Région wallonne Jean-Maurice Dehousse, l’Institut Jules Destrée,
par l’intermédiaire de son directeur des travaux – qui est aussi
un ancien assistant de l’Université Lovanium à Kinshasa – fait
entrer dans la liste de ses auteurs quatre professeurs de
l’Université de Liège, deux de Louvain, un de Mons et un de
l’Université libre de Bruxelles alors que, jusque-là,
l’association n’avait bénéficié que des collaborations de Félix
Rousseau, Fernand Dehousse et Francis Delperée.
La seconde démarche est celle qui consiste pour l’Institut à
faire campagne pour obtenir une chaire d’histoire du Mouvement
wallon dans les universités francophones. Les recteurs des
universités sont approchés en ce sens et émettent des promesses
dès 1979 pour l’Université libre de Bruxelles et en 1980 pour
Université catholique de Louvain. Le cours inaugural du
professeur Hasquin sur l’histoire de la Wallonie aura lieu à
l’ULB le 6 février 1980, celui de Léopold Genicot à Louvain sera
organisé lors de l’année académique 1981-1982.
La troisième démarche sera double. Au sein de l’Institut Jules
Destrée, elle consistera, d’une part à inscrire les travaux et
éditions dans la logique scientifique qui vient d’y être
affirmée et, d’autre part, à tourner le dos aux pratiques de
vulgarisations militantes qui avaient eu cours précédemment :
peut-être faut-il interpréter comme un signal la présence du
professeur Hervé Hasquin à l’assemblée générale de l’Institut le
8 mars 1980 ? Le premier chemin conduira à publier
Historiographie et politique, Essai sur l’Histoire de Belgique
et la Wallonie, de Hervé Hasquin, préfacé par Félix Rousseau
– ce qui constitue un bel exemple de décloisonnement
philosophique. Ce livre sera présenté à la Maison de la Culture
de Tournai
le 25 avril 1981. La seconde route amènera l’Institut à renoncer
à publier certains ouvrages de ses membres, modifiant
radicalement et subitement une politique d’édition qui n’avait
pour elle que la tradition. C’est ainsi, notamment, que le
troisième tome de l’ouvrage Le Différend wallo-flamand,
dû à la plume de Charles-Fr. Becquet, ne sortira jamais des
presses de l’Institut Jules Destrée qui avait pourtant largement
diffusé les deux éditions des premiers livres du président de la
Fondation Charles Plisnier.

Ces initiatives ont pourtant montré leurs limites, notamment
dans la capacité pour l’Institut de devenir un opérateur dans le
domaine de la recherche. Même si l’idée de créer une cellule de
chercheurs va faire son chemin au sein du Conseil
d’administration, elle ne pourra aboutir avant longtemps. Ainsi,
lorsque, en mars 1979, Étienne Duvieusart suggère de créer un
service d’études économiques chargé d’analyser le rôle des
pouvoirs publics dans l’économie wallonne, l’Institut considère
qu’il ne peut prendre en compte la suggestion du sénateur
Rassemblement wallon. De même, lorsque le ministre de la Région
wallonne Jean-Maurice Dehousse propose, en octobre 1980, de
confier à l’Institut Jules Destrée des études et des recherches,
le Conseil d’administration ne veut pas répondre positivement,
compte tenu de l’emprunt de près de 4 millions de frs que
l’opération nécessiterait pour le paiement des chercheurs avant
même de recevoir les moyens financiers de la Région. Il peut
toutefois être répondu à certaines sollicitations extérieures
par l’implication d’administrateurs. Lorsque, en 1981, la
présidente du Conseil de la Communauté française Irène Pétry
demande un rapport à l’Institut Jules Destrée sur la situation
du français en Belgique, ce sont les administrateurs Marc
Lefèvre et Guy Galand qui préparent la note destinée in fine
à la Commission d’enquête créée par l’Assemblée nationale
française sur ce sujet. Au début des années quatre-vingt,
l’Institut obtient toutefois, du ministère de l’Éducation
nationale, le statut d’association scientifique et sera subsidié
comme tel pendant plusieurs années.
À côté de l’attention nouvelle portée à la dynamique publique et
citoyenne, à côté de ces nouvelles fréquentations
universitaires, l’Institut Jules Destrée est attentif à
maintenir ses relations avec le Mouvement wallon organisé.
Tantôt, c’est Jacques Lanotte qui, en tant que directeur des
travaux de l’Institut, prend la parole à Braine-l’Alleud, le 18
juin 1978, aux côtés de militants wallons qui tentent de
renouveler l’hommage rendu à la Grande Armée, tantôt c’est
l’Institut qui s’associe avec le Club Freddy Terwagne pour
adresser une nouvelle Lettre au roi (1977), tantôt c’est son
président qui, retraçant les gestes de l’ancien secrétaire
général de l’Assemblée wallonne, s’en va à Tournai inaugurer une
plaque d’hommage sur une maison ayant appartenu à Rogier de le
Pasture. Cette manifestation est l’occasion pour Jacques Hoyaux
de rappeler qu’une leçon est gravée dans cette pierre de 1978 :
Elle illustre un artiste, certes. Mais elle constitue en
outre le paradigme éclatant de la constance d’un peuple, à
redécouvrir son histoire et à l’enseigner à ses enfants. En
cette fête de notre communauté, où les Wallons les plus lucides
s’interrogent sur leur avenir, il est bon que soit louée la
grandeur de notre passé. Dévoiler la pierre commémorative de
Rogier de le Pasture, c’est affirmer la permanence de notre
patrie, c’est rendre témoignage à notre dignité. À partir du
début des années quatre-vingt, pourtant, les mouvements wallons
s’effilochent. Souvent, l’Institut, relativement bien implanté
dans les provinces wallonnes par ses comités régionaux, est
amené à suppléer à l’absence de vigueur des anciens mouvements
dont certains membres viennent y chercher une base d’action
militante plus politique que culturelle. Ces hésitations, qui
répondent à des nécessités citoyennes, nuisent sans aucun doute
à la sérénité et donc à la visibilité des démarches
scientifiques et pédagogiques.
Un effort important de professionnalisation du travail de
l’association est fourni par l’équipe dirigée par Jacques
Hoyaux. Les capacités d’action dans le domaine de l’éducation
sont renforcées grâce à la reconnaissance de l’Institut Jules
Destrée dans le cadre du décret du Conseil culturel du 8 avril
1976 comme service général d’éducation permanente. La demande,
introduite le 26 juillet 1978, a été accordée par le ministre de
la Culture française Jean-Maurice Dehousse, le 2 février 1979
avec effet au 1er juillet 1977. L’Institut va pouvoir
disposer de moyens financiers accrus et bientôt de personnel. Un
premier permanent culturel est accordé par l’Éducation
permanente en 1981, par l’intermédiaire des ministres Michel
Hansenne et Guy Mathot. L’engagement d’un permanent va
permettre, selon les intentions du président, d’orienter les
efforts vers une meilleure diffusion des activités, aussi bien
au point de vue impact culturel que publicitaire. Pour Jacques
Hoyaux, l’Institut souhaite étendre son champ d’impact
au-delà de nos régions, notamment vers la France. Plusieurs
animatrices se succèderont dans cette tâche de 1980 à 1987, sans
toutefois que la frontière sud de la Wallonie ne soit franchie.
Ces moyens nouveaux sont conjugués à l’appui qu’apporte
désormais la Ville de Charleroi. En fait, il s’agit avant tout
de faire face à la disparition brutale de Françoise Bertaux le
19 janvier 1979, alors que son domicile était devenu le centre
administratif de l’Institut. Dès le 21 février 1979, à
l’initiative de son échevin de la Culture, Jean-Pol Demacq,
Charleroi met à la disposition de l’Institut Jules Destrée des
locaux permanents au n°3 de la rue du Château à Mont-sur-Marchienne.
L’appui de la métropole carolorégienne permet également de
disposer d’un secrétariat administratif à partir du 3 mars 1979,
en la personne de Jacqueline Huberland-Duchêne. Enfin, ce
dispositif est renforcé par Guy Galand qui, devenu conseiller
spécial du ministre Jacques Hoyaux, va assurer la coordination
entre un président très absorbé par ses fonctions, le directeur
des travaux et les deux permanents. Christiane Bailly-Hoyaux
sera également très présente pendant cette période.
Les statuts ont été adaptés à la nouvelle réalité
institutionnelle ainsi qu’aux ambitions de l’association lors de
l’assemblée générale du 30 juin 1979. Dorénavant, le nom de
l’association – qui reçoit du reste une subvention de la
Commission française de l’Agglomération de Bruxelles – est
Institut Jules Destrée pour la Défense et l’Illustration de la
Communauté française Wallonie - Bruxelles. Même dans
l’objet, le mot Wallonie n’apparaît plus indistinctement du mot
Bruxelles. Il faudra attendre une nouvelle réforme des statuts
lors de l’assemblée générale du 16 décembre 1990 pour qu’il y
soit réintroduit.

Le Conseil d’administration est, avec le Bureau, le centre de
conception et de dynamisation de l’association. Il a été
largement élargi au point de rassembler jusqu’à trente
administrateurs en 1982 et d’en faire un organe représentatif
des différentes parties de la Wallonie ainsi que de Bruxelles,
du pluralisme politique et philosophique, de différentes
disciplines intellectuelles ou professionnelles. Les projets y
foisonnent, dont un certain nombre ne pourront être réalisés :
l’idée d’un ouvrage à éditer sur la prospective économique
sera accueillie avec réserve par le partenaire escompté (1978),
l’idée d’un ouvrage sur la gastronomie wallonne sera abandonnée
faute d’auteur (1979), un projet d’histoire de la Wallonie en
bandes dessinées sera arrêté faute de trouver un historien
adéquat pour l’encadrer (1982), un projet de film sur Jules
Destrée n’aura pas de suite (1983), etc.
Les activités, très diversifiées, se suivent toutefois à un
rythme soutenu. Dans le domaine de la communication, un périple
politique et culturel de cinq jours est organisé en Wallonie et
à Bruxelles à l’intention de journalistes européens, du 18 au 22
septembre 1978 : des journalistes du Figaro, de l’Hannoversche
Algemeine Zeitung, de L’Humanité, des quotidiens
Le Matin, Le Monde et Nord Éclair y
participent. De même, des journées de tourisme économique et
culturel sont régulièrement mises sur pied au profit d’écoles et
d’associations culturelles ou politiques. Ces journées ont comme
objectif de présenter au public des aspects qualifiés de
positifs de l’activité économique et culturelle de la
Wallonie, ainsi que de leur proposer un repas composé
exclusivement de produits wallons. Le 20 novembre 1982, un
colloque est consacré à la question du statut de Bruxelles et de
ses relations futures avec la Wallonie : Xavier Mabille et
Robert Devleeshouwer participent à cette réflexion à côté de
représentants de tous les partis politiques francophones.
L’Institut Jules Destrée reste attaché à la mission culturelle
qu’il veut remplir : dans le domaine de la musique classique,
par exemple, par l’organisation de concerts comme celui consacré
à la Musique wallonne qui se tient le 10 février 1978 à
l’église Saint-Martin à Marcinelle, où sont interprétées des
œuvres de François-Joseph Gossec, de Guillaume Lekeu, de Claude
Siquiet, d’Eugène Ysaye et d’André-Modeste Gretry. Quelques mois
plus tard, c’est un récital de Philippe Anciaux que le directeur
des travaux met sur pied à Charleroi. L’Institut accorde
d’ailleurs une attention soutenue à la valorisation des
musiciens wallons, au point d’être le réceptacle de
l’association Les Amis d’Adolphe Biarent et de poursuivre
leur action en diffusant l’œuvre de ce Prix de Rome né à
Mont-sur-Marchienne. Dans les années qui vont suivre, de
nombreuses animations culturelles se tiendront dans le pays de
Charleroi, souvent avec des partenaires locaux, publics ou
privés. Le septième art n’est pas non plus oublié puisque, le 11
décembre 1982, l’Institut organise une journée d’étude consacrée
à la Vitalité du cinéma Super 8 dans la Communauté française
Wallonie - Bruxelles.
L’effort d’édition reste essentiel et l’apanage du directeur des
travaux. Les ouvrages se suivent même s’ils n’ont plus le
caractère systématiquement organisé de la période précédente.
Aux ouvrages déjà cités, il faut ajouter une dizaine d’autres
dans différents domaines : la littérature (un inédit de Constant
Malva, Le Brasier, 1982 – Robert Goffin, Souvenirs
1979 et 1980), la démographie (Robert André, La population de
la Wallonie dans la dualité démographique de la Belgique,
1983), l’histoire (Maurice Bologne, Notre passé wallon et
Marie-Françoise Gihousse, Mouvements wallons de résistance,
1984), la musique (Adolphe Biarent, Sonate pour piano et
violoncelle et Albert Lovegnée, Guillaume Dufay,
1980), l’aménagement du territoire (Robert Fourneau,
Géomorphologie de Région de Charleroi, 1976), le théâtre
dialectal (Émile Lempereur, Aspects du théâtre wallon
contemporain, 1980), les Beaux-Arts (Jean-Luc Wauthier,
Jean Ransy, 1977 et Gustave Camus, 1981 –
Geneviève Rousseaux, Alphonse Darville, 1982), le
témoignage (Robert Moreau, Combat syndical et conscience
wallonne, 1984 et Maurice Bologne, 1985).
Renouant avec une initiative déjà prise en 1971, une exposition
intitulée Le parcours culturel de Jules Destrée est
présentée aux grands magasins À l’Innovation de
Charleroi, du 17 février au 6 mars 1984. Cette manifestation
sera présentée le même mois au Palais des Congrès de Liège et en
mai au Théâtre de Mons. Cette exposition constitue d’ailleurs la
première activité de la nouvelle section de Mons, lancée par le
conseiller communal Élio Di Rupo, collaborateur du ministre de
la Région wallonne Philippe Busquin.
Les exigences du décret, et notamment la nécessité d’une
implantation dans trois provinces, va accroître la
décentralisation des activités de l’Institut Jules Destrée mais
aussi sa capacité d’action. Des comités travaillant en toute
autonomie à Liège, dans le Brabant wallon et à Bruxelles, dans
le Hainaut occidental, et plus tard à Namur, vont prendre des
initiatives qui, souvent, vont renforcer l’effort commun,
parfois s’en écarter. Ainsi, c’est grâce aux synergies établies
que, en 1982 et 1983, pourra être mis sur pied un vaste et
cohérent cycle d’information sur la réforme des institutions
qui mettra en débat, avec des scientifiques et des politiques,
les résultats de la négociation communautaire de 1980. La liste
des orateurs qui se succèdent à Charleroi, à Liège, à Bruxelles,
à Louvain-la-Neuve, à Tournai est impressionnante : Robert
Sevrin, Claude Renard, André Bertouille, Marc Lestienne, Serge
Moureaux, Arnaud Declety, François Perin, Maurice-Pierre
Herremans, Antoinette Spaak, Dieudonné André, Jean-Maurice
Dehousse, Édouard Klein, Xavier Mabille, Valmy Féaux, Francis
Delperée, Étienne Cerexhe (attaché au Cabinet de
Charles-Ferdinand Nothomb), Didier Reynders (attaché au Cabinet
de Jean Gol en remplacement de Louis Michel), Jean-Émile Humblet,
Jean-Claude Van Cauwenberghe, Étienne Knoops, Gérard Le Hardy de
Baulieu, Philippe Busquin, Marius Cohart, Robert Devleeshouwer,
Georges Vandersmissen. Dans chaque ville, trois séances
d’information ont été organisées, abordant successivement les
relations entre les communautés avant 1980, les institutions en
fonction des lois de 1980, ce qu’il est advenu depuis 1980. Ces
séances, à caractère avant tout pédagogique, débouchent parfois
sur des prises de positions politiques que répercute la presse.
C’est notamment le cas en octobre 1983 lorsque, à la tribune de
l’Institut Jules Destrée, Étienne Knoops déclare la nécessité
pour les francophones du pays, outre les scénarios de
l’accentuation de la réforme de l’État, d’examiner toutes
les solutions envisageables, jusque et y compris le séparatisme,
ne fût-ce que pour se préparer à cette éventualité.
De même, parmi les initiatives des sections régionales, faut-il
mettre en évidence le colloque Options urbanistiques et
pratiques culturelles : les enjeux liégeois, organisé le 22
novembre 1980 à l’initiative du président de la section
liégeoise le journaliste Dieudonné Boverie et dont les actes
sont publiés par son successeur, le professeur Jacques de Caluwé ;
la journée d’étude du 3 octobre 1981 organisée également à
l’initiative de la section de Liège, particulièrement de Louis
Rouche, et relative aux Lettres françaises en Wallonie ou
encore le colloque Culture et Politique organisé à Liège
le 5 mars 1983 sur le thème de Promouvoir la création
culturelle en Wallonie. Cette dernière rencontre sera
porteuse de suites politiques considérables, non seulement parce
qu’elle ouvre – y compris au sein de l’Institut Jules Destrée
lui-même – le débat sur la place réservée à la culture de
Wallonie dans les nouvelles institutions nées de la réforme de
l’État, mais aussi parce que le député Jean Mottard y fait la
proposition de voir l’Institut Jules Destrée organiser des
assises culturelles de Wallonie, qui compléteraient les volets
économiques et politiques wallons. Cette proposition, mûrie au
sein du Conseil d’administration, débouchera quatre ans plus
tard sur le premier congrès La Wallonie au Futur. De
même, peut-on relever le colloque consacré aux Artistes
wallons du xve
au xixe
siècle organisé à Louvain-la-Neuve, le 4 novembre 1983.
Le recrutement et l’accroissement des membres constitue la
première préoccupation de Jacques Hoyaux pendant sa présidence.
Il s’agit en effet d’étendre au maximum les relais dont la
réflexion et l’action wallonnes peuvent disposer. L’Institut
compte 876 membres en 1977. Le 1.500e membre est
recruté en 1981 et il sera mis à l’honneur d’un banquet organisé
le 28 novembre de la même année. En fin d’année, le nombre de
1.600 membres est atteint. À partir de 1982 toutefois, le nombre
de membres va diminuer brutalement pour atteindre moins de 1.400
membres. La chute se poursuit dans les années suivantes. Pour
expliquer cette tendance à la baisse, on peut mettre en évidence
des éléments démobilisateurs : l’âge des membres de la première
heure, la reprise des thèmes traditionnels de l’Institut dans
d’autres lieux, l’évolution de la carrière politique de Jacques
Hoyaux, la mise en place d’institutions régionales et
communautaires plus présentes, etc.

En 1984, l’Institut entame une démarche d’autoévaluation sur ses
objectifs et ses méthodes, qui n’est d’ailleurs pas sans rapport
avec l’impact du Manifeste pour la culture wallonne que
de nombreux administrateurs ont signé, à la suite d’ailleurs de
Maurice Bologne et d’Aimée Lemaire. Ce geste met toutefois en
porte-à-faux l’axe principal de la Communauté française
Wallonie-Bruxelles sur lequel s’appuie dorénavant la présidence
de l’Institut. La Liégeoise France Truffaut, qui assume
dorénavant avec le Bruxellois Claude Remy une des deux
vice-présidences de l’Institut, écrit en éditorial des
Feuillets : Dans un domaine plus récent, notre
association, spécialement son président, a manifesté son intérêt
à propos des concepts rendus nécessaires par les nouvelles
réalités régionales et culturelles de la réforme des
institutions dont le manque de clarté parfois va à l’encontre de
la revendication d’identité nette inscrite dans nos objectifs en
faveur de la Wallonie, de la Communauté française Wallonie -
Bruxelles et de la Francité. La démarche de Jules Destrée
illustrait qu’aucun événement, fut-il culturel, n’est isolé
d’une perspective politique.
Le premier, Jacques Lanotte, démissionne de la direction des
travaux le 21 juillet 1983. Guy Galand, qui l’a remplacé, a
quitté cette fonction lorsque, un peu plus d’un an plus tard –
lors de l’assemblée générale du 27 avril 1985 – Jacques Hoyaux,
partant vivre en France, cède le flambeau à un nouveau
président. Tous trois avaient radicalement transformé
l’institution dont ils étaient les héritiers et avaient été les
artisans de sa modernisation. Lors de son discours de départ,
Jacques Hoyaux rappelle à nouveau les trois axes de l’action de
l’Institut Jules Destrée : la Wallonie, la Communauté française
et la Francophonie. Il ajoute toutefois : Plus spécifiquement
encore, l’Institut constate et exprime l’appartenance française
de la Wallonie et de nombreux francophones de Bruxelles. Cette
dimension est fondamentale ainsi que l’a exprimé l’abbé Mahieu à
l’origine de notre groupement.
Les départs ont été subits. La nouvelle équipe souffre
assurément d’un déficit de mémoire de l’institution et, au-delà
des trois axes rappelés par le président sortant, les objectifs
ne sont pas stabilisés ni au sein de l’organisme ni au sein de
chacun de ses membres. En 1985, le Mouvement wallon est plus
absent que jamais, l’idée wallonne même apparaît en recul : les
petits partis nés de l’éclatement du Rassemblement wallon
finissent de mourir, l’Exécutif wallon retourne à Bruxelles…
Avec le départ de l’ancien ministre de l’Éducation nationale,
qui va toutefois rester attentif à l’évolution de l’association
en tant que président d’honneur, c’est une quatrième période de
l’Institut Jules Destrée qui s’ouvre. Son étude sort du cadre de
ce travail.
Tout comme en 1976, l’Institut tente un retour aux sources vers
la personnalité de Jules Destrée dans le sillage duquel il a
choisi de travailler et dont il porte le nom. Une exposition est
organisée au Botanique, nouvel outil de la Communauté française
à Bruxelles. L’idée a été formulée par le ministre-président
Jean-Maurice Dehousse en octobre 1984 : il s’agit de mettre en
valeur, en particulier pour les jeunes générations, tout ce
que la nation wallonne doit au dévouement et à la perspicacité
du tribun carolorégien. Une exposition, bénéficiant de
l’appui du président du Conseil de la Communauté française
Jean-Pierre Grafé ainsi que du ministre-président Philippe
Monfils, et intitulée Autour de Jules Destrée sera
présentée au Centre culturel Le Botanique du 14 février au 16
mars 1986, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort
de l’auteur de la Lettre au roi.
À l’issue d’une réflexion menée par le Bureau et préparée par
les Conseils d’administration des 28 mars et 29 août 1987,
l’Institut s’est une nouvelle fois réorganisé. Il l’a fait
autour de trois secteurs bien déterminés : animation, édition,
et recherche, pour intégrer le jeune Centre d’Histoire de la
Wallonie et du Mouvement wallon mis en place depuis 1986. Les
collections ont été, elles aussi, restructurées : Écrits
politiques wallons, Nos Artistes, Notre Histoire, Études et
Documents. Les enjeux de la fin de siècle ne sont toutefois
pas que politiques ou scientifiques. Pour la première fois
depuis le début de son existence, l’Institut Jules Destrée a
accusé en 1984 des pertes importantes qui n’ont pu être
compensées les années suivantes. Au sortir d’un premier congrès
La Wallonie au futur que d’aucuns ont considéré, après
les discours de clôture de Michel Quévit et de Riccardo Petrella,
comme un nouveau réveil wallon, le message de Jean-Pol Demacq,
quatrième président de l’Institut Jules Destrée a porté, en
cette fin d’année 1987, sur l’inadéquation flagrante entre
l’action de l’Institut et les moyens dérisoires dont il dispose.

Au moment où, en 1988, la nouvelle équipe fête les cinquante ans
de l’Institut, elle a délibérément choisi de le faire au sein
même du Parlement wallon où ses membres et amis ont été invités
à siéger sous la présidence du président de l’Assemblée
wallonne. L’Institut a obtenu que quatre personnalités prennent
la parole : le ministre-président de la Région wallonne, le
ministre-président de la Communauté française ainsi que deux
professeurs d’histoire. Léopold Genicot parlera de l’histoire de
la Wallonie, Marinette Bruwier du travail historique. Les
manifestations qui seront organisées dans ce cadre à Liège et à
Bruxelles associeront à cet anniversaire le ministre de la
Recherche scientifique ainsi que les professeurs François Perin,
Jacques Stiennon et Hervé Hasquin.
Un débat fondamental, qui a agité la section liégeoise de
l’Institut et que France Truffaut, son animatrice devenue
vice-présidente, avait déjà bien formulé, réapparaît constamment
au niveau de l’Institut tout entier : Pour les uns, il s’agit
de réveiller les Wallons par des prises de positions
wallonisantes, pour les autres, il s’agit d’opérer une prise de
conscience en s’ouvrant largement sur un public extérieur aux
membres du comité et de les rassembler dans des actions
ponctuelles et autour de thèmes de réflexion.
L’Institut Jules Destrée, de 1938 à 1988, a balancé entre ces
deux options, au point de les mener simultanément. Son caractère
militant et politique wallon, il l’a affirmé mais aussi assumé à
de nombreuses reprises : il a soutenu des organisations – comme
la Wallonie libre qu’il avait fondée et appuyée depuis 1940 – ,
il a soutenu des militants, comme Fernand Massart quand, en 1965
et en 1966, l’Institut avait, avec d’autres, permis –
financièrement – à ce militant d’être libre et indépendant face
aux partis politiques. Il allait continuer à assumer cet
engagement. Son objectif d’organisme de rassemblement et de
réflexion, il l’a poursuivi tant par ses éditions que par ses
manifestations. Les deux grandes présidences et directions
avaient pourtant connu de fortes nuances. Ainsi, lors de la
période 1960-1975, Aimée Lemaire a fait de la publication
d’ouvrages la priorité absolue et affirmé que, par rapport aux
éditions, les conférences ont toujours été considérées comme
un adjuvant ainsi que les expositions relatives à Jules Destrée.
Même si France Truffaut met encore en évidence en 1984 le fait
que l’édition de livres produit des outils culturels durables,
force est de constater malgré tout que, pendant la période
1975-1985, l’Institut Jules Destrée s’est efforcé d’être, avant
tout, un centre de réflexion et d’animation, le lieu de
formation des cadres du mouvement wallon, comme Jacques
Hoyaux en avait exprimé l’ambition à plusieurs reprises, ou –
pour reprendre la formule promotionnelle de Guy Galand –
savoir plus, agir mieux.
En ce sens, il est permis d’affirmer que, de 1975 à 1985,
l’Institut Jules Destrée a été davantage opérationnel. Cette
ambition paraît avoir été menée avec une plus grande sérénité à
l’Institut Jules Destrée que dans d’autres lieux du Mouvement
wallon : par une ouverture à l’ensemble de la société, certes,
mais aussi car il s’agissait, comme l’indiquait Jacques Hoyaux
le 12 décembre 1983, au-delà des passions et des préjugés,
de mener ensemble le combat de l’honnête homme.
Philippe Destatte |