Journaliste, collègue de Franz Foulon, Jean Bary lui succède à
la tête du journal libéral L’Écho de la Dendre lorsque
Foulon devient directeur de l’hebdomadaire bruxellois Le
Ralliement (octobre 1906). Les deux journalistes restent en
contacts étroits. Plusieurs articles de L’Écho de la Dendre
consacrés à des questions wallonnes portent leurs deux
signatures. Ils sont sur une même longueur d’onde lorsqu’il
s’agit de réfuter les idées irrédentistes du comte Albert du
Bois, ou de rejeter les revendications linguistiques flamandes.
Au nom de l’Association libérale d’Ath, Bary invite Julien
Delaite et Charles Magnette à tenir conférence sur des problèmes
wallons (1910-1912). Il en retient des arguments, comme par
exemple le financement inéquitable des travaux publics par le
gouvernement belge : ce dernier favorise la Flandre au détriment
de la Wallonie. En 1912, Jean Bary salue l’émergence de la prise
de conscience wallonne, la création de l’Assemblée wallonne et
se réjouit de voir les Wallons « sortir de leur apathie à
l’égard des intransigeances flamingantes ». Comme Foulon, il
assimile facilement flamingantisme et cléricalisme. Il rend
longuement compte de la Lettre au roi de Jules Destrée.
Réagissant à la demande de « Home Rule » pour la Wallonie
formulée par le député libéral de Virton Georges Lorand
(l’Angleterre vient d’accorder ce statut particulier à
l’Irlande), J. Bary constate que « l’idée de la séparation fait
du chemin », mais se montre davantage partisan d’une formule de
décentralisation au profit des provinces et des communes,
formule « nécessaire dans ce pays bilingue et composé de deux
races si différentes par tant de côtés » (1912). Avec Foulon,
ses références explicites seront les projets remis à l’occasion
du Congrès wallon de juillet 1912 par le socialiste hennuyer
François André, par le conseiller provincial libéral liégeois
Julien Delaite, et surtout par le député libéral de Charleroi
Émile Buisset. Défenseur du principe de la liberté absolue en
matière de gestion communale, du choix par le père de famille en
matière scolaire, opposé à la flamandisation de l’université de
Gand, Jean Bary apparaît comme un militant défenseur de la
langue française partout en Belgique, et comme un partisan d’une
large autonomie provinciale, lorsque la Première Guerre mondiale
éclate. C’est par ses écrits dans la presse que Jean Bary défend
des positions wallonnes. Il n’apparaît pas, en effet, comme
membre ou responsable de cercles ou groupements wallons. Il
n’est pas membre de l’Assemblée wallonne. Directeur de L’Écho
de la Dendre, il est aussi rédacteur de La Flandre
libérale et chroniqueur à La Meuse. Il préside
l’Association des journalistes libéraux de Belgique.
Aux premiers jours de l’invasion allemande, Jean Bary se réfugie
en France. Il est l’unique correspondant libéral du journal
Le Courrier de l’Armée. Dès le printemps 1915, il prend la
plume pour combattre la politique annexionniste des milieux
proches du gouvernement belge. Avec Émile Royer (dans
L’Indépendance belge), Bary est l’un des pionniers de
l’opposition à la politique annexionniste, soutenue par quelques
journaux français comme Le Parisien, Le Matin,
Le Rappel, ou L’Action française. Par des articles
dans Le Figaro notamment, Bary tente de faire contrepied
à Fernand Neuray et au XXème siècle.
Face aux pressions dont il est l’objet, il préfère cependant
démissionner (avril 1915) et poursuivre ses articles incisifs
dans L’Indépendance belge : il y défend les principes du
régime constitutionnel, du contrôle parlementaire, et continue à
dénoncer les volontés d’agrandissements du territoire belge, en
s’en prenant notamment à la Nouvelle Belgique dirigée par
Dumont-Wilden.

Quand il reçoit soudainement des fonds qui lui permettent de
supporter durablement un exil, il quitte Paris et s’établit en
Suisse, où il continue à combattre la politique annexionniste de
certains parlementaires belges sous la forme de pamphlets. Ce
sont des milieux pacifistes anglais, voire défaitistes, qui
auraient ainsi misé sur Jean Bary, en lui proposant de l’aider
financièrement dans l’édition de son propre journal. Là, il
édite une brochure intitulée France et Belgique, soit le
même titre qu’une brochure rédigée par son ami Foulon en 1913,
et il commence, à Genève, à partir du 15 février 1916, la
publication du journal La Belgique indépendante. En mars
1916, Bary participe à une réunion des Belges de Suisse, sous la
direction de Paul Otlet, eux aussi opposés aux projets de Grande
Belgique et qui décident de former un Cercle actif.
La Belgique indépendante rassemble alors de fort bons articles
noyés au milieu d’une prose parfois abjecte et souvent
incohérente. Jean Bary y développe ses thèmes de prédilection
contre le gouvernement du Havre, composé de cléricaux, de
nationalistes et d’annexionnistes. Il signe des articles où il
dénonce la politique de l’Angleterre. Attentif aux
revendications wallonnes avant-guerre, J. Bary développe des
idées qui s’écartent désormais des programmes wallons habituels.
Ceux-ci étaient davantage enclins à défendre une union
franco-belge, militaire et économique au minimum, ainsi que
l’unilinguisme pour les Wallons. J. Bary, pour sa part, défend
l’idée d’une entente belgo-hollandaise et considère qu’il faut
introduire et imposer le bilinguisme aux fonctionnaires wallons.
Journaliste, correcteur, éditeur, diffuseur, Jean Bary s’occupe
de toutes les étapes de la fabrication de son journal. Isolé, il
est cependant victime de son tempérament. Il se voulait
l’observateur le plus clairvoyant de la politique extérieure et
le seul redresseur de toutes les iniquités. Se croyant
« persécuté », il s’en prend alors à tous ceux qui ne pensent
pas exactement comme lui et attaque, parfois méchamment tant ses
réels ennemis que ses anciens amis. Selon les rares témoignages
recueillis, J. Bary aurait été gagné par la folie, rêvant
d’instaurer une République belge dont il aurait été le
président. Les réactions à ses divagations sont à la mesure de
ses attaques. Traité de vendu et de traître, J. Bary ne supporte
pas la pression. Abandonnant ses affaires en Suisse, il rentre
en Belgique où il se suicide en décembre 1916. Au moment de son
départ, les Allemands tentent de s’emparer des réserves de La
Belgique indépendante pour en assurer la diffusion. Des
« résistants » suisses parviendront à intervenir et à détruire
les milliers de pages que J. Bary tenait en réserve.
Une note du 11 juin 1918 adressée au gouvernement belge du Havre
indique que Raymond Colleye entretenait des relations avec Jean
Bary au moment où celui-ci était en Suisse. Le gouvernement
belge lui reprochait sa collaboration à la presse censurée,
après son retour en Belgique occupée.
Paul Delforge
A.E.B., Dossier B 259 : R. Colleye
- Jean-Pierre Delhaye
et Paul Delforge,
Franz Foulon. La tentation inopportune, Namur, Institut
Destrée, 2008, coll. Écrits politiques wallons n°9 - Paul
Delforge, La Wallonie et la Première Guerre mondiale. Pour
une histoire de la séparation administrative, Namur,
Institut Destrée, 2008 - L’Indépendance belge, décembre
1916 - L’Opinion wallonne, n°2, 15-31 janvier 1917, p. 2
- M. Leroy, La
presse belge en Belgique libre et à l’étranger en 1918,
CIHC, Cahier n°63, Louvain-Paris, 1971, p. 20. - Témoignage de
Henri Henquinez, Université de Liège, Salle des manuscrits,
Dossier procès de Namur - J. Willequet,
Documents pour servir à l’Histoire de la presse belge
(1887-1914), CIHC, Cahier n°16, p. 21, Louvain-Paris, 1961 |