Inconnu du Mouvement wallon avant la Grande Guerre, Paul Ruscart
a été embauché par l’occupant allemand pour mener de la
propagande séparatiste en pays wallon. Tout semble indiquer
qu’il a été un agent au service des Prussiens. En 1917, il
publie L’art et la guerre. Journaliste au quotidien
pro-allemand La Belgique, il y publie notamment (août –
septembre 1917) une série d’interviews d’activistes flamands
majeurs, membres du Raad van Vlaanderen comme René De
Clercq, Pieter Tack, August Borms et Richard de Cneudt. Ces
articles provoquent de nombreuses réactions de protestation que
Ruscart exploite dans la chronique qu’il tient aussi dans le
journal Le Télégraphe, publié à Liège. À cette occasion,
il argumente contre l’Union sacrée et le principe de mutisme que
les principales autorités belges se sont imposées au moment de
l’invasion allemande. Pendant plusieurs mois, Ruscart suit
attentivement tant la presse flamande, que les réunions et
meetings activistes organisés en Flandre.
Alors que jusque-là personne ne l’avait jamais rencontré dans
les milieux wallons, Paul Ruscart fait parvenir quelques
articles littéraires à L’Avenir wallon de Franz Foulon et
surtout devient le principal collaborateur du journal L’Écho
de Sambre et Meuse à partir de janvier 1918. Après quelques
contributions en faveur du pacifisme, il prête sa plume à la
défense exclusive de la séparation administrative. Prouver aux
lecteurs de L’Écho la réalité et les bienfaits de la
séparation administrative est alors le principal leitmotiv de
Paul Ruscart. À ses yeux, trois missions s’imposent. La première
consiste à éclairer les Wallons sur leur sort et à étudier avec
eux la question de la séparation : une unanimité doit être
trouvée pour le moment où les négociations de paix auront lieu.
Le modèle dont il faut s’inspirer est le Raad van Vlaanderen.
Ensuite, il conviendrait d’intéresser l’opinion mondiale à la
cause wallonne. Enfin, Ruscart prône un dialogue préalable avec
les Flamands afin de régler « en famille » les questions les
plus délicates.
Promu chef de bureau au ministère wallon de Namur, en janvier
1918, Paul Ruscart publie deux brochures, Propos d’un Wallon
sur la question flamande et La question flamande et la
Wallonie, il y tient les mêmes propos. Plus soucieux de
plaire à ses maîtres allemands que d’élaborer une doctrine
fédéraliste, Ruscart règle leur compte aux « Wallons passifs ».
Leur sympathie va à la France, mais néanmoins une entente avec
l’Allemagne est nécessaire parce que rien ne peut empêcher que
l’Allemagne impose à la Wallonie de rudes conditions dans son
intérêt, et à l’avantage des Flamands, écrit-il. En conclusion,
les Wallons doivent se montrer actifs et constituer un comité
pour défendre les intérêts de la Wallonie. En fait, une totale
indigence de pensée caractérise ces brochures sommaires.
Intriguant au service des Allemands, il prétend s’exprimer au
nom des Wallons décidés à revendiquer la séparation
administrative.
Lors d’une conférence (intitulée Guerre ou Paix), présentée le
10 février 1918, à l’Athénée de Huy, les élèves chahutent
l’exposé de Ruscart, avec le soutien de leur professeur Francis
Duchesne.
Le 1er mars 1918, Ruscart inscrit son nom au bas du
manifeste Au Peuple de Wallonie. Pendant quelque temps,
il est membre du Comité de Défense de la Wallonie et est chargé
du secrétariat et de la propagande. Il quitte rapidement le
Comité de Défense (mars 1918). Avec Henquinez et De Perron,
Ruscart essaye de convaincre de jeunes pacifistes de se
manifester à ses côtés : c’est ainsi que sont sollicités les
Anthony Vienne, Jean Tousseul et autre Charles Plisnier. Durant
l’été 1918, on retrouve Ruscart dans les colonnes de L’Écho
de Sambre et Meuse, sous son nom ou sous les initiales P. R.
Il tient aussi la rubrique « De ci de là ».

Durant l’été 1918, Paul Ruscart essaye certainement d’imiter le
Mouvement flamand en se lançant dans des conférences dans
plusieurs villes wallonnes. Sans succès. On sait aussi qu’à
Liège, une conférence du même Ruscart consacrée à la séparation
administrative fut écoutée par cinquante personnes… dont
plusieurs officiers allemands. Malgré ses efforts, Ruscart doit
bien se rendre à l’évidence. Sa propagande est un échec.Dans son
rapport administratif pour la Wallonie (août 1917-janvier 1918),
Edgar Haniel von Haimhaussen (1870-1935) explique comment il est
parvenu à soudoyer de Peron, Houba et Ruscart pour promouvoir le
séparatisme. En septembre 1918, à la veille de l’Armistice,
Ruscart entreprend une nouvelle tournée de conférences en
Wallonie : M.P. Ruscart, membre du Comité de Défense de la
Wallonie, donnera le dimanche 29 septembre, à La Louvière une
conférence publique et contradictoire : Le socialisme dans la
Wallonie de demain.
En novembre 1918, Ruscart choisit de se réfugier aux Pays-Bas.
Lors
du procès dit des « ministères wallons » qui se tient à Namur en
décembre 1919, Paul Ruscart figure parmi les inculpés absents et
en fuite. Dans son acte d’accusation, l’avocat général le
considère comme l’un des huit « politiques ». Jugé par
contumace, il est condamné à vingt ans de travaux forcés.
Mais le fugitif Ruscart vit une existence paisible à La Haye,
grâce à la générosité des Allemands. Dès l’été 1919, il édite,
dans cette ville, un journal The World in the service of an
understanding between all manking, avec des fonds allemands,
qui serait une feuille de propagande bolchéviste.
Il y a chez lui une continuité d’action dans la collaboration,
pendant les deux guerres mondiales. Bénéficiant des mesures
d’amnistie en 1924, Ruscart reprend pied en Belgique et, comme
journaliste, collabore aux revues A.Z. – A.B.C.,
Femmes d’aujourd’hui, et journaux Le Peuple,
Vooruit, Journal de Charleroi. Il écrit même dans les
colonnes des revues françaises Lu et Vu. En 1937,
il devient le directeur de La Tribune libre, organisme
strictement neutre, affilié au Club du Faubourg et à la
Fédération internationale des Tribunes libres. Il organise
notamment plusieurs conférences à Bruxelles où s’engagent des
débats contradictoires (Degrelle-De Laveleye, Mahieu-Van Dieren-Balthazar,
etc.).
En mai 1933, Paul Ruscart commet une série de trois articles
dans L’Œuvre : il y dresse un tableau de la situation en
Belgique, sous le titre, Chez nos amis Belges, destiné à un
public français. Il y présente une Belgique coupée en deux, dont
la partie Nord aspire à un rattachement avec la Hollande et la
partie Sud avec la France. Il présente également un tableau
favorable à l’annexion d’Eupen-Malmedy à l’Allemagne et entonne
un couplet en faveur de l’amnistie pour les Wallons et les
Flamands condamnés pour faits de guerre.
Dès septembre 1939, Ruscart rend à nouveau service aux
Allemands. Mai 1940 le voit aux côtés de l’armée allemande.
Profitant de ses entrées dans la presse socialiste, il tente –
sans succès – de convaincre les ouvriers des imprimeries de
jouer le jeu de la collaboration. Lui-même prête sa plume de
collaborateur au Soir volé de 1940 à 1944 et devient
bientôt rédacteur en chef de la revue bimensuelle Les Hommes
au Travail, publication nazie éditée par le Front du Travail
allemand. P. Ruscart dirige encore la chambre bruxelloise de la
Communauté culturelle wallonne ainsi que l’association les Amis
du Grand Reich Allemand. À la Libération, en 1944, Paul Ruscart
échappe, une fois de plus, à la justice de son pays : déchu de
la nationalité belge par un jugement à Bruxelles le 4 juillet
1946, il est condamné par défaut à la peine de mort par
fusillade par le Conseil de guerre de Bruxelles, le 24 juillet
1946.
Paul Delforge – Jean-Pierre Delhaye
Jean-Pierre Delhaye
et Paul Delforge, Franz Foulon. La tentation inopportune,
Namur, Institut Destrée, 2008, coll. Écrits politiques wallons
n°9 - Paul Delforge,
La Wallonie et la Première Guerre mondiale. Pour une histoire
de la séparation administrative, Namur, Institut Destrée,
2008 |