Dessinateur industriel (1921), dessinateur de
constructions civiles (1923), Léon-Éli Troclet décroche un doctorat en droit
à l’Université de Liège (1926). Parallèlement à sa profession d’avocat à la
Cour d’Appel de Liège (1926-1945), il est professeur et directeur dans
différents établissements d’enseignement supérieur (-1945). Fils du député
Léon Troclet (1900-1946), Léon-Éli est secrétaire des Jeunes Gardes
socialistes (Liège 1919-1921) et s’occupe, à différents titres, de l’Éducation
ouvrière (1920-1965).
Militant wallon actif dans l’Entre-deux-Guerres,
il est le cofondateur et secrétaire du cercle Athéna (1917), il est aussi
membre de la Ligue des Lycéens wallons (1918), de la Ligue des Étudiants
wallons (1920), vice-président de la Jeune Garde wallonne fédéraliste
(1920-1922). Il est aussi chroniqueur politique de l’hebdomadaire littéraire
Noss Pèron, sous le pseudonyme de N. Cloret. Membre du comité de
rédaction de La Barricade (organe de la Garde wallonne autonomiste,
1924), il écrit encore dans Franchimont, La Jeune Revue wallonne,
L’Action wallonne et Les Documents wallons. En 1924, il est
membre du comité de la Ligue d’Action wallonne de Liège.
Avant-guerre, Léon-É. Troclet plaide
bénévolement en faveur des victimes du fascisme et du nazisme (1927-1939) ;
il est d’ailleurs l’avocat attitré du Fonds Matteotti ; il est membre du
Comité d’aide à l’Espagne républicaine et constitue des comités de lutte
contre le racisme et l’antisémitisme. Incarcéré à la citadelle de Huy en
1941 en raison de ses très nombreuses activités clandestines de résistance
(Comité d’aide aux familles des maquisards, comité politique du Front de l’Indépendance,
comité de rédaction du clandestin Le Monde du travail sous le nom de
Guillaume Telle...), cela ne l’empêche pas d’être l’un des rédacteurs de
Sambre et Meuse (1942). Après l’arrestation de Marcel Ferauche,
l’imprimeur des principaux clandestins wallons, Léon-É. Troclet permettra au
Front wallon et à Sambre et Meuse qui se sont rapprochés, de se procurer une
partie du matériel d’imprimerie en provenance du journal La Wallonie.

Cofondateur du Conseil économique wallon
clandestin (1942), Léon-É. Troclet y rédige un rapport sur les allocations
familiales. En fait, il reprend en le développant la synthèse qu’il avait
publiée, en 1939, dans la collection Les Documents wallons, sous le
titre La Wallonie et les allocations familiales. Dès ce moment, il
souligne que le régime belge n’est pas adapté à la situation démographique
et aux exigences sociales : les employeurs wallons perdent d’importants
moyens financiers au seul profit de l’industrie et du commerce flamands ;
les travailleurs wallons sont aussi touchés dans la mesure où leur salaire
est atteint et où l’on assiste à un transfert d’industries de Wallonie vers
la Flandre ; enfin, Troclet déplore que les allocations familiales ne jouent
aucun rôle d’incitant favorable à la natalité de Wallonie. À ce moment
(1939), Troclet suggère un système d’allocations qui tienne compte non d’un
cadre professionnel mais plutôt d’un cadre territorial, en l’occurrence la
région. Dans sa Réforme du régime des allocations familiales pour la
sauvegarde des intérêts wallons (février 1942), il considère que la
Flandre a prélevé sur la Wallonie, depuis la loi de 1930, plus de 25
millions de francs ; considérant que cette situation grève lourdement
l’économie wallonne, le Conseil économique wallon, suivant l’avis de Troclet,
exigera la suppression de la compensation nationale tant en matière
d’allocations aux salariés qu’aux non-salariés, et proposera un régime
wallon autonome. Ce régime wallon des allocations familiales s’appuiera sur
un système de provincialisation et un régime différentiel pour les zones
rurales et urbaines d’une part, compensation secondaire entre les caisses
provinciales wallonnes, d’autre part.
Membre du Rassemblement démocratique et
socialiste wallon, il y siège sous le pseudonyme de Noël, anagramme
de Léon (1942-1943). Partageant davantage l’option fédéraliste que celle
d’une intégration de la Wallonie à la France, il encourage le rapprochement
du RDSW avec le groupe du Monde du Travail. D’ailleurs, dès juillet
1943, il quitte le Rassemblement démocratique et socialiste wallon pour la
fédération liégeoise du Parti socialiste clandestin et participe aux travaux
de sa Commission des Affaires wallonnes qui aboutissent à un système proche
d’une Confédération. Cette étude d’un projet de fédéralisme visait à
consolider l’État belge, en normalisant les rapports entre Wallons et
Flamands, mettant sur pied d’égalité la communauté wallonne et la communauté
flamande.
Membre du comité préparatoire clandestin du
Congrès national wallon (1943), ministre du Travail et de la Prévoyance
sociale, il quitte Paris où il participe à la Conférence internationale du
Travail pour participer au congrès wallon de Liège, le 20 octobre 1945 ; il
prend la parole pour défendre la thèse de l’autonomie et du fédéralisme, et
émet le souhait de voir se forger un Mouvement wallon fort, sage, uni et qui
n’est pas anti-flamand. Il sera membre du Comité permanent du Congrès
national wallon (1945-1971) et fera partie de la délégation wallonne qui
rencontrera le ministre des Affaires étrangères Paul-Henry Spaak pour
exposer les griefs wallons. Opposé au retour de Léopold III, Léon-É. Troclet
se montre très actif dans la Question royale. Le 31 juillet 1950, il fait la
synthèse entre revendications wallonnes et revendications ouvrières :
l’obtention des objectifs des uns et des autres passe par le départ de
Léopold III.
Intéressé cependant par le seul aspect social
de la question wallonne, L-É. Troclet ne se mêlera plus aux actions du
Mouvement wallon se “ contentant ”, comme par exemple en 1957, d’attirer
l’attention sur l’intérêt que présenteraient des études portant sur le
vieillissement de la population en relation avec la politique générale
d’aide sociale aux vieillards, sur la morbidité régionale et ses effets en
matière d’assurance maladie-invalidité, sur les enseignements à tirer en
matière de politique familiale des études de la démographie belge élaborées
par le Conseil économique wallon et le VEV.

Conseiller provincial de Liège (1928-1932),
conseiller communal de Chênée (1938-1945) puis de Liège (1946-1947,
1952-1980), sénateur provincial de Liège (1945-1946) puis sénateur élu
direct (1946-1968), ministre du Travail et de la Prévoyance sociale
(1945-1946, 1946-1949, 1954-1958), ministre des Affaires économiques (1946),
membre du Parlement européen (1961), ministre d’État (1969), Léon-É. Troclet
marque profondément le domaine de la sécurité sociale ; membre actif de l’Organisation
internationale du Travail où il occupe de nombreuses fonctions (1945-1980),
il est considéré comme le père de la Sécurité sociale : lois sur les
pensions de retraite et de survie (ouvriers, employés, marins, mineurs),
code de la protection du travail, lois sur le reclassement des handicapés,
sur les conseils d’entreprise, sur les commissions paritaires et les
conventions collectives... Au sein des structures de la Communauté
économique européenne (1954-1969), il siège également à de nombreux postes,
toujours pour traiter des affaires sociales. Professeur à l’Université libre
de Bruxelles (1952-1972), il fonde le Centre national de Sociologie du Droit
social (1958) dont il assure la présidence ; il donne également des cours à
l’étranger.
Signataire du manifeste La Wallonie dans l’Europe
(mars 1968), il observe que le déclin économique wallon mesuré à l’échelle
européenne est considérable (ralentissement de l’économie de plus de 30% en
dix ans) et se prononce en faveur d’une réforme institutionnelle profonde.
S’il considère légitime la volonté flamande de constituer un grand ensemble
avec le Limbourg hollandais et Rotterdam, il demande que la Wallonie ne soit
pas prisonnière du Benelux et qu’elle puisse, librement, se chercher les
alliances qui lui conviennent le mieux, ainsi que le prévoient les traités
européens.
Membre du comité de patronage de la grande
mobilisation wallonne du 19 avril 1969, Troclet apporte ainsi son soutien à
l’action lancée en 1968 par les quatre Mouvements wallons, sur base du
Memorandum réalisé par le Conseil économique wallon (1968) : il s’agit
de mobiliser l’ensemble des Wallons pour obtenir au minimum une réelle
décentralisation économique.
En juin 1976, Léon-É. Troclet figure enfin
parmi les signataires de la Nouvelle Lettre au roi pour un vrai
fédéralisme rédigée à l’initiative de Fernand Dehousse, Jean Rey et
Marcel Thiry, notamment, et qui vise à dépasser la régionalisation pour
instaurer un fédéralisme véritable, fondé sur le respect des droits de
l’homme et de l’égalité des citoyens, fondé sur l’égalité politique des
communautés et des régions qui ont des pouvoirs véritables, un fédéralisme
où Bruxelles est reconnue comme région à part entière.
Paul Delforge