Après ses humanités à l’École de l’État à
Hannut, Jean Pirotte prépare le régendat littéraire à l’École normale de
Nivelles avant de devenir professeur à l’Athénée de Gembloux (1934) ; dans
les années cinquante, il donne aussi des cours de morale ; il deviendra
d’ailleurs inspecteur de l’enseignement dans cette discipline dont il est un
ardent défenseur. Auteur de nombreux articles de critique littéraire, il
tient la chronique des livres dans de nombreuses revues de Wallonie, depuis
les années 1934-1935.
Au début des années trente déjà, Jean Pirotte
milite au sein du Mouvement wallon ; il est membre de la Ligue d’Action
wallonne et, avec Gustave Guiot, il est un jeune disciple de l’abbé Mahieu
avant de devenir son relais dans la région de Namur ; membre de la
Concentration wallonne, il milite activement au sein du Front démocratique
wallon contre les rexistes et pour la Wallonie. Enseignant à Gembloux, Jean
Pirotte s’y installe en 1934. Il préfère cependant s’affilier à la Ligue
wallonne de Sauvenière parce qu’il trouve que la section de Gembloux n’est
pas assez active ; il devient membre de la Société historique pour la
Défense et l’Illustration de la Wallonie et publie des articles sur le
problème wallon dans des journaux locaux à Gembloux et à Hannut.
En mai 1940, avec le 2e régiment de
cavaliers cyclistes, le soldat Pirotte est dans les Flandres lorsqu’il
apprend la décision de Léopold III de capituler : j’ai pleuré de rage (Wallonie
libre, 1er octobre 1978, n° 16, p. 6). Démobilisé en 1940
après avoir combattu sur la Jette et sur la Lys, il entre en résistance dans
la lutte clandestine contre l’occupant ; dès le mois de septembre, il crée à
Gembloux une section de Wallonie libre. En octobre, avec Gustave Guiot, il
met en place des cellules du mouvement dans diverses localités du Namurois.
Cette activité lui vaut d’être désigné, dès le mois de décembre, comme
président provincial, responsable de la diffusion de la presse clandestine
dont il assure aussi la reproduction. Jean Pirotte qui est obligé d’héberger
un officier allemand parvient à faire transporter par celui-ci un certain
nombre de “ paquets ”, bien ficelés, contenant les Wallonie libre
clandestins. Résistant armé au sein des milices du Front de l’Indépendance,
il diffuse aussi d’autres journaux.
Le cinquième point de la motion votée le 13
avril 1944 par le conseil général de la Wallonie libre clandestine stipule
que le mouvement convoquera, après la Libération, un Congrès national
wallon, composé de personnalités représentatives du peuple wallon, lequel
congrès se prononcera sur la réalisation de l’autonomie de la Wallonie. Jean
Pirotte fait partie du comité organisateur mis en place dans la
clandestinité. Dès 1944, il est membre du Comité permanent du Congrès
national wallon (1944-1971), dont il deviendra par la suite secrétaire
général adjoint (à Fernand Schreurs). Membre du comité provincial namurois
de patronage du Congrès national wallon de 1947, il devient le secrétaire du
Comité d’Action wallonne constitué en mai 1947. Il aura la lourde tâche de
réaliser le rapport sur les activités du Comité d’Action wallonne lors du
congrès wallon de 1948. Ce congrès était appelé à tirer les conclusions de
l’échec enregistré suite au rejet pur et simple par la Chambre de la prise
en considération de la proposition de réforme institutionnelle introduite à
l’initiative du Congrès national wallon.
Membre de la Commission d’histoire de l’Association
pour le Progrès intellectuel et artistique de la Wallonie, il prend part à
ses travaux et contribue à la publication de la brochure L’enseignement
de l’histoire en Wallonie, dont les principales conclusions mettent
l’accent sur l’indispensable apprentissage de la critique historique et sur
la nécessité d’enseigner, dans les classes primaires et au début du
secondaire, l’histoire locale et régionale afin (et avant) de mieux
appréhender l’histoire générale ; la Commission juge aussi nécessaire la
création de chaires d’histoire régionale et de folklore dans les
universités, ainsi que la publication d’une collection d’ouvrages sérieux
consacrés à l’histoire des entités composant la Belgique (1947).

Au lendemain de la Question royale, le
Mouvement wallon s’enlise. En 1952, Jean Pirotte lance l’idée de convoquer
un nouveau congrès wallon. À cette occasion (1953), Jean Pirotte fait
rapport sur les contacts noués entre fédéralistes wallons et flamands. En
fait, avec Fernand Schreurs, Arille Carlier, Maurice Bologne et Jean Van
Crombrugge, Jean Pirotte a engagé, dès 1952, un dialogue avec des militants
flamands. À l’issue de plusieurs mois de réflexion, ce groupe de
fédéralistes publie le Manifeste des Intellectuels wallons et flamands,
aussi appelé Accord Schreurs-Couvreur (3 décembre 1952) ; il défend l’idée
d’une fédéralisation de la Belgique, reposant sur la reconnaissance de deux
peuples (la Wallonie et la Flandre), considère que Bruxelles est la capitale
fédérale et doit jouir d’un statut spécial, revendique la fixation
définitive de la frontière qui les sépare, et appelle à la défense de
l’intégrité française de la Wallonie et l’intégrité néerlandaise de la
Flandre (aucune minorité linguistique ne sera reconnue). Il marque aussi
son accord sur l’attribution de toutes les compétences aux deux chambres
régionales, hormis les matières définies, précisément, dans la Constitution
et attribuées à une Chambre fédérale, où Wallons et Flamands sont
représentés paritairement. Poursuivant leurs réflexions, ces militants
rédigent un projet complet de Constitution fédérale et fondent le Collège
wallo-flamand (octobre 1954). Jean Pirotte est l’un des dix membres wallons
de ce Collège.
Président de la section de Gembloux de Wallonie
libre (février 1945-1978), président du comité provincial namurois (janvier
1946-1962), Jean Pirotte crée, dès 1945, la Fête de la Wallonie à Gembloux ;
il entre ensuite au directoire de Wallonie libre (1953), dont il devient le
secrétaire politique, puis le secrétaire général. Médaille d’or de Wallonie
libre (1960), il succède à Maurice Bologne à la présidence du mouvement
(1966-1978). Jean Pirotte a participé à un nombre considérable de réunions,
de congrès, de manifestations, et écrit autant d’articles, d’éditoriaux, de
tracts, de chroniques pour la défense de la Wallonie. Il est souvent
rapporteur lors des journées d’études qu’organise le Congrès national wallon
dans les années cinquante. Il tente de jouer le rôle d’éveilleur de la
conscience wallonne tant auprès de ses amis du parti socialiste que des
autres partis, et d’attirer l’attention des professeurs de morale sur la
notion de civisme wallon.
Intéressé surtout par les questions
culturelles, Jean Pirotte est administrateur de l’Association pour le
Progrès intellectuel et artistique de la Wallonie (APIAW), membre du comité
de la Société historique pour la Défense et l’Illustration de la Wallonie
puis administrateur de l’Institut Jules Destrée (1960-1978). Membre du
comité exécutif du deuxième Congrès culturel wallon (Liège, octobre 1955),
il devient également administrateur du Centre culturel wallon créé en 1956.
C’est lui aussi qui est chargé, au nom du Comité permanent du Congrès
national wallon, dont il est membre (1944-1971), de rédiger et de présenter
un rapport sur les problèmes culturels, lors d’une journée d’études, à huis
clos, consacrée à l’action gouvernementale sur le plan wallon (26 juin
1955). Quatre rapporteurs, Fernand Schreurs (politique), Jean Pirotte
(culture), Urbain Missaire (administratif), Alphonse Tonneaux (économique et
social), introduisent le débat qui se clôture par le vote unanime d’un
rapport général adressé aux membres du gouvernement au moment de la rentrée
parlementaire.

Lors du congrès wallon de 1957, Jean Pirotte
est chargé de faire le bilan de chacun des ministres wallons du
gouvernement. Si le bilan des réalisations du gouvernement dans les affaires
wallonnes est tout à fait négatif, cette carence est due, explique
Jean Pirotte, au refus du Premier ministre de dédoubler les services de
son Cabinet, à l’incompréhension des socialistes et libéraux flamands, à
l’hostilité des ministres bruxellois, enfin à l’action purement réformiste
du mouvement wallon depuis la libération. De plus, les ministres wallons
n’ont pas démérité. Mais visiblement, ils sont isolés des problèmes wallons
lorsqu’ils sont à Bruxelles. (...) La structure unitaire de la
Belgique est la raison de cette situation. Telle est la conclusion
officielle du Congrès national wallon, conclusion où l’on trouve toute la
personnalité de Jean Pirotte, homme décidé et résolu et en même temps
modéré.
Militant wallon actif, co-organisateur des
manifestations du vingtième anniversaire de Wallonie libre (1960), Jean
Pirotte est cloué sur son lit par la maladie au moment où éclate la grève
contre la Loi unique. Pestant sur son indisponibilité au moment où la
Wallonie se mobilise, le secrétaire général de Wallonie libre parvient
néanmoins à assurer, depuis son domicile, la coordination des diverses
régionales du mouvement. Rassemblant tous les articles de presse, écoutant
constamment la radio et collectant des informations de terrain auprès des
responsables des régionales de Wallonie libre, il rédige une chronique des
événements et, surtout, affine les positions politiques du bureau exécutif
de la Wallonie libre avec un recul (imposé) dont lui seul bénéficie.
Secrétaire du comité namurois d’Action wallonne
(1962-1964), Jean Pirotte est membre de la commission chargée de
l’organisation du Congrès d’Action wallonne (Namur, mars 1963) d’où
sortiront le Collège exécutif de Wallonie et le pétitionnement. Délégué du
directoire de Wallonie libre, il prend la parole lors du congrès. Il
préconise différentes formes d’action pour obtenir le fédéralisme : aller au
peuple pour le déconditionner des idées développées par les organismes
unitaires de presse et de télévision ; informer les enseignants ;
populariser les symboles et les emblèmes wallons (chant, drapeau, etc.) ;
réclamer partout la parité à l’échelon belge et la division en sections
wallonne et flamande ; enfin, convaincre les Bruxellois de l’impossibilité
d’échapper à la flamandisation dans un État unitaire. Membre du Collège
exécutif de Wallonie (1963-1965), Jean Pirotte participe activement à la
campagne du pétitionnement (octobre-novembre 1963). Signataire de la
déclaration en faveur de Fernand Massart (1963), il fera aussi partie du
groupe de travail chargé de comprendre pourquoi le Collège exécutif de
Wallonie est tombé en léthargie.
Membre du bureau de la Délégation permanente
des quatre Mouvements wallons (1965), où il représente évidemment Wallonie
libre, il participe à l’élaboration d’un Memorandum, diffusé à 20.000
exemplaires et adressé prioritairement à Pierre Harmel. Ce mémorandum
regrette l’absence de suivi donné au pétitionnement et invite les
parlementaires à déposer une proposition de loi organisant une consultation
populaire sur la révision de la Constitution. Avec la Délégation permanente,
il mène la lutte en faveur des Fourons, contre les lois linguistiques, prend
des contacts avec la Communauté économique européenne et étudie de très près
les propositions de fédéralisme développées au sein du PSB, ainsi que les
travaux du groupe des XXVIII (1965-1970).
Défenseur de la langue et de la civilisation
françaises, Jean Pirotte est le premier président du bureau du Comité
permanent des Minorités ethniques de Langue française (1971-1977). Lorsque
les Conseils culturels sont créés (1971), Jean Pirotte y voit l’An I de
la Wallonie. Tout en réclamant l’installation du Centre culturel
français à Namur, il demande qu’il adopte rapidement des symboles (étendard,
chant, fête nationale...) et qu’il œuvre à développer un nouveau civisme
wallon. Travailleur infatigable, militant wallon actif, Jean Pirotte ne se
porta jamais candidat sur une liste électorale. Son action, ingrate, il la
mena sans cesse au sein du Mouvement wallon fidèle à ses idéaux et aux
mouvements qui les défendaient.
Paul Delforge