Sa vie, Maurice Piron la consacre à la défense
de la littérature et des dialectes wallons. Étudiant en humanités
gréco-latines à l’Athénée de Liège, docteur en philologie romane de l’Université
de Liège en 1938 (sa thèse portait sur L’œuvre poétique et dramatique d’Henri
Simon), élève assistant de Jean Haust (1936-1938), chercheur FNRS
(1939-1944), primé par l’Académie de Belgique pour une monographie consacrée
à Tchantchès, il réalise un stage à l’École pratique des Hautes
Études à Paris (1946). Maurice Piron assume la direction de La Vie
wallonne au moment de sa renaissance d’après-guerre (1947-1948) mais
doit passer rapidement le témoin en raison de la charge académique de plus
en plus lourde qu’il remplit à l’Université de Gand depuis 1946 ; chargé de
cours dès la fin de la guerre, professeur invité à la Sorbonne (1950), il
est nommé professeur à l’Université de Gand, en 1950. Outre deux années
comme professeur à l’Université officielle du Congo belge et du
Rwanda-Urundi (1957-1959), il y enseigne la philologie française et la
dialectologie wallonne jusqu’en 1963. Cette année-là, il est invité à l’Université
de Laval, au Québec, et, parallèlement, devient professeur à l’Université de
Liège où il inaugure un cours de littérature québécoise. Professeur à l’Université
de Laval (Québec, 1967-1970), professeur à l’Université de la Sorbonne
(Paris, 1976-1979), titulaire de la chaire de philologie et de littérature
françaises à l’Université de Liège, il est admis à l’éméritat en 1976. C’est
à lui que l’Université de Liège doit la création du Centre d’Études
québécoises.
Déjà membre de la Société de Langue et de
Littérature wallonnes (1949, président en 1980-1981), membre (1960) puis
vice-directeur de l’Académie de Langue et de Littérature françaises
(1961-1967), membre de la Commission de Toponymie et de Dialectologie ainsi
que président de la Commission de la promotion des lettres dialectales de
Wallonie et vice-président du Musée de la Vie wallonne, Maurice Piron crée
le Centre d’Études Georges Simenon en 1976. En 1961, il publie à Paris, chez
Gallimard, un recueil intitulé Poètes wallons d’aujourd’hui, dans la
Collection Unesco d’œuvres représentatives, faisant ainsi connaître les
poètes wallons au niveau international. Il est l’auteur de l’Anthologie
de la littérature wallonne (prix Albert Counson). Folkloriste wallon, il
collabore à de nombreuses revues scientifiques de dialectologie, d’histoire
et de folklore, auxquelles il dédie des travaux et des recherches consacrés
notamment à l’étymologie, à l’histoire des littératures dialectales
(littérature wallonne), aux problèmes culturels et d’enseignement. L’œuvre
publiée de Maurice Piron comporte une dizaine de volumes et plus de deux
cents articles. Trois lignes de force s’en dégagent : la littérature
dialectale, l’image littéraire de Liège et de l’Ardenne liégeoise, le
français de la Belgique romane. À cela s’ajoute un apport théorique et
méthodologique important.

L’influence de Maurice Piron sur le Mouvement
wallon est également tangible. Membre du comité de la Société historique
pour la Défense et l’Illustration de la Wallonie (1938), Maurice Piron écrit
des articles pour les journaux d’action wallonne : L’Action wallonne
et Le Carré wallon (1938) ; il est aussi critique littéraire dans
La Défense wallonne. Dans le numéro spécial de La Cité chrétienne
consacré aux problèmes wallons (20 mai 1939), Maurice Piron traite de
l’aspect culturel. Cinq titres balisent son exposé : origines romanes,
participation à la culture française, apport des dialectes, traditions,
avant de se clore sur Culture et politique. D’une part, se
réjouissant du renouveau wallon qui s’affirme avec intensité dans divers
domaines de la culture régionale, il déplore, d’autre part, l’atmosphère peu
sympathique de la Belgique officielle à l’égard du développement de la vie
wallonne : Vu de Bruxelles, le régionalisme wallon (quand on daigne
s’apercevoir de son existence) apparaît médiocre et digne tout au plus d’une
estime purement verbale. Après nous avoir jeté des fleurs… asphyxiantes, on
passe à des choses plus sérieuses. Par ailleurs, Maurice Piron constate
qu’il est impossible d’asseoir le renouveau wallon sur les mêmes bases
que le Mouvement flamand que nous respectons (cela va de soi) et que nous
admirons assez souvent mais dont la mentalité, les aspirations profondes et
l’idéal ne correspondent pas à notre tempérament. Et il poursuit : Le
Mouvement wallon est avant tout d’essence politique. Lui a-t-on assez
reproché l’étroitesse de ses objectifs, son manque de dynamisme et
d’envergure ? Décentralisation administrative, délimitation exacte de la
frontière linguistique, résistance au bilinguisme, accords économiques et
militaires qui garantissent la vie et la sécurité du pays wallon, etc.
(…) Tout cela, aux yeux de certains, manque un peu de panache. Nous nous
félicitons, pour notre part, de cette orientation. Les buts limités, précis
et immédiats suffisent à l’action politique, et l’on ne saurait trop se
méfier des peuples qui ont, jusqu’à l’enivrement collectif, le sens de leur
grandeur. Rappelant l’article de Fernand Dehousse dans L’Action
wallonne d’octobre 1937 qui interrogeait Y a-t-il un nationalisme
wallon ?, la réponse, entièrement fondée, fut négative souligne
Maurice Piron. Et d’insister : Aussi longtemps que les tâches
essentielles du Mouvement wallon coïncideront avec la lutte pour la liberté,
pour le respect des droits de la personne contre l’accaparement de la
“ communauté ”, pour la
défense de nos ouvriers et de nos industries menacées, le mouvement restera
fidèle à sa vocation démocratique. Il servira au lieu de dominer. Et c’est
très bien ainsi.
Posant la question de la culture en Wallonie,
Maurice Piron affirme que la culture wallonne n’existe pas, mais qu’il y a
un apport wallon à la culture et qu’il importe que les Wallons puissent
déterminer la situation de leur culture dans une Wallonie qui se révèle de
plus en plus. Et les Wallons ont un certain nombre de griefs à faire valoir
car le pouvoir central ne se préoccupe pas des dialectes wallons (malgré une
grande production littéraire et dramatique) ; il lèse les Wallons en matière
de radiodiffusion ; les programmes d’histoire omettent la Wallonie ; enfin,
les Wallons sont confondus avec les francophones et sont donc
sous-représentés dans de nombreux organismes scientifiques et parastataux.
En attribuant aussi une responsabilité de cette situation aux Wallons
eux-mêmes, en raison de copinages malsains, Maurice Piron encourage à la
formation d’une élite wallonne (La Défense wallonne, n° 8, août 1939,
p. 2).
Membre de l’Association pour le Progrès
intellectuel et artistique de la Wallonie, membre-fondateur de Rénovation
wallonne (1945), membre de son comité provincial liégeois (1945) et de son
comité consultatif central, Maurice Piron participe à l’expérience UDBiste
et est rédacteur en chef de Forces nouvelles (1945-1946). En cette
période de Libération, il estime que Pour les gens qui vivent aujourd’hui
en Belgique romane, bâtir le monde nouveau auquel nous aspirons tous, c’est
nécessairement et premièrement, construire la Wallonie. (…)
construire la Wallonie ne signifie pas détruire la Belgique. À ses yeux,
seule la reconnaissance de la Wallonie peut assurer l’avenir tant de la
Belgique que des Wallons. Et il en appelle à penser les questions
politiques, sociales, économiques et culturelles à la lumière de la réalité
wallonne et des besoins de la Wallonie ; il appelle aussi les Wallons à
prendre leur destin en mains en chassant la médiocrité et en prouvant leur
savoir-faire (Forces nouvelles, 7 avril 1945).

En 1948, Rénovation wallonne publie une étude
de Maurice Piron sur l’aspect culturel du problème wallon. En
substance, il y aborde trois problèmes, celui de la langue, celui de
l’enseignement et celui de l’encouragement à la vie culturelle en
Wallonie : il faut donner au français la place qui lui revient par un
apprentissage de qualité à tous les niveaux de l’enseignement, primaire et
secondaire ; d’autre part, il préconise de rendre obligatoire, dans les
universités (faculté de droit et de philosophie et lettres), un cours
d’histoire culturelle des provinces wallonnes, d’autoriser des cours
facultatifs de wallon dans l’enseignement primaire, il exige la liberté
absolue du choix de la seconde langue dans l’enseignement moyen et souligne
la nécessité d’adapter l’histoire nationale à une vue plus objective du
passé et à une plus juste compréhension de nos traditionnels particularismes
régionaux. Enfin, pour dynamiser la vie culturelle, il formule dix
revendications à mettre en œuvre d’urgence, parmi lesquelles la mise à
disposition d’une longueur d’onde radio wallonne autonome, le développement
et le financement d’institutions capables de mettre en valeur le patrimoine
wallon, et des frais d’édition de grands travaux. Encourageant l’aide aux
théâtres et l’ouverture de bibliothèques décentralisées, il réclame la mise
en chantier d’une encyclopédie illustrée des connaissances relatives à la
Wallonie, dirigée et rédigée par des spécialistes avertis. On retrouve
l’ensemble de ses idées dans les conclusions du deuxième Congrès culturel
wallon qui se tient à Liège, en octobre 1955, et auquel il participe
activement.
En 1962, Maurice Piron se mobilise contre les
projets linguistiques du gouvernement ; avec d’autres représentants de
Rénovation wallonne, il mène la lutte pour le maintien des Fourons en
province de Liège. Membre du Comité d’Action wallonne (1962-1964), il
participe au Congrès d’Action wallonne, en mars 1963, à Namur, et devient
l’un des membres du Collège exécutif de Wallonie (1963-1965) et du comité
liégeois de patronage au pétitionnement (1963). Au sein du Collège exécutif
de Wallonie, il ne représente pas Rénovation wallonne comme telle, mais la
tendance chrétienne, au même titre que Joseph Bercy et Pierre Rouelle.
Membre de la Commission culturelle de
Rénovation wallonne, avec Félix Rousseau et Léopold Genicot notamment
(1963), il préside une grande journée culturelle organisée par Rénovation
wallonne, et placée sous le signe d’un hommage à la culture française ;
symboliquement organisée à Bruxelles, elle permet d’entendre des
intellectuels de haut rang et de rappeler un certain nombre des
revendications déjà énoncées en 1948. Membre de la Défense des Libertés
démocratiques (1962), membre de la commission des questions culturelles et
linguistiques de Rénovation wallonne (1963), il est fait membre d’honneur de
Rénovation wallonne en 1966. Aux élections du 31 mars 1968, il occupe la
septième et dernière place sur la liste du Rassemblement wallon au Sénat,
dans l’arrondissement de Liège, liste conduite par Marcel Thiry dont il est
aussi le premier suppléant.
Au lendemain de la réforme de 1970 qui inscrit
les régions et les communautés dans la Constitution, Maurice Piron publie un
dossier de 19 pages, au Cacef, intitulé Une autonomie culturelle, pour
quoi faire ? Cette réflexion volontairement limitée, lucide et précise,
se veut une orientation pour les Conseils culturels. Ce dossier est en fait
une présentation étoffée des conclusions du huitième congrès de Rénovation
wallonne organisé à Namur, en mars 1972. Insistant sur le fait que la
Communauté française est unie par sa langue, une langue internationale qui
n’a aucune raison de lutter contre les dialectes, il précise que ceux-ci
font aussi partie de ce qui donne à la Wallonie son visage et son âme.
Lorsque Maurice Piron traite de la Wallonie, il pense aussi à la partie
francophone de Bruxelles, Bruxelles qui est le point sur le i de la
Romania. Ce n’est pas que Bruxelles avec son agglomération ne soit
une entité particulière qui ait ses besoins distincts, notamment en matière
de politique et d’économie. Mais l’autonomie culturelle s’appuie sur les
communautés et non sur les régions. Maurice Piron considère comme une
erreur le fait que l’on a confié aux seuls parlementaires le soin de régler
la politique culturelle et appelle de ses vœux un organe de consultation
sérieux et institutionnalisé. Préconisant la coopération culturelle
internationale, tournée vers la France, de façon non exclusive, il
revendique un projet d’enseignement, la démocratisation des études, une plus
grande autonomie pour les universités et surtout une amélioration de
l’apprentissage de la langue française. Le Conseil culturel ne sera pas
ingrat à l’égard de Maurice Piron, puisqu’il lui remet, en 1976, le tout
premier prix littéraire de l’institution.
En juin 1976, Maurice Piron figure parmi les
signataires de la Nouvelle Lettre au roi pour un vrai fédéralisme
rédigée à l’initiative de Fernand Dehousse, Jean Rey et Marcel Thiry,
notamment, et qui vise à dépasser la régionalisation pour instaurer un
fédéralisme véritable, fondé sur le respect des droits de l’homme et de
l’égalité des citoyens, fondé sur l’égalité politique des communautés et des
régions qui ont des pouvoirs véritables, un fédéralisme où Bruxelles est
reconnue comme région à part entière.
Paul Delforge