Membre du POB depuis 1907, conseiller communal (1911), fondateur de la
Maison du Peuple de Seraing, échevin des Finances (1912), Joseph Merlot
devient ainsi le plus jeune responsable politique communal de Wallonie ; la
Première Guerre mondiale le propulse à la tête de sa commune comme
bourgmestre faisant fonction ; confirmé dans ses fonctions maïorales à
Seraing en 1921, il devient député de Liège (1924-1958) en remplacement de
Célestin Demblon. Ministre des Travaux publics et de la Résorption du
chômage (1936-1938), de l’Intérieur et de la Santé publique (1938-1939), du
Budget (1946-1948), de l’Administration générale et des Pensions
(1948-1949), il est fait ministre d’État en 1945.
Alors qu’il est ministre de l’Intérieur et de la Santé publique (11 mai
1938-23 janvier 1939), celui qui avait contresigné le Compromis des
Belges en 1929 participe au congrès des socialistes wallons de Liège
(janvier 1938) et de Charleroi (11 juin 1938). Ministre de l’Intérieur (23
janvier – 22 février 1939), il est l’un des trois socialistes wallons qui
rejettent la prise en considération de la proposition de révision de la
Constitution déposée par Georges Truffaut, François Van Belle et Joseph
Martel (2 février). Il fait aussi partie de ce gouvernement tripartite qui,
quelques jours plus tard, tombe sur l’affaire Adriaan Martens, médecin
flamand, condamné à mort par contumace en 1920 pour collaboration avec
l’ennemi et gracié suite à une mesure d’amnistie remontant à 1936. Lorsqu’il
doit dresser la liste des membres de l’Académie de médecine, Joseph Merlot
se décharge de sa tâche sur deux ministres flamands. Cette liste, où
figurait Martens, n’est pas discutée en Conseil de Cabinet et, avant même
que les arrêtés royaux ne soient soumis à la signature royale, elle est
publiée dans la presse. Martens refuse de démissionner (il ne le fera que le
2 avril 1939, jour des élections) et la Flandre prend fait et cause pour son
“ martyr ” alors que les anciens combattants s’insurgent. Une crise
gouvernementale éclate et un vote de confiance apporte 88 voix pour la
confiance, 86 contre et 7 abstentions. Mais surtout, tous les ministres et
les nationalistes flamands votent en faveur du gouvernement et tous les
Wallons et francophones contre. Si le débat parlementaire est clos, il n’en
est pas de même dans la rue. Sous la pression des anciens combattants et du
Mouvement wallon, la tension monte ; des bagarres éclatent dans les rues ;
les ministres libéraux (dont Émile Jennissen) donnent leur démission (9
février) et le gouvernement doit se résoudre à faire de même (22 février) (Pirenne
H., Histoire de
Belgique, t. 5, p. 131-132).

Dès
1940, Joseph Merlot entre dans la Résistance. Il participe notamment aux
travaux du Rassemblement démocratique et socialiste wallon, où il siège sous
les pseudonymes de Leblanc, Dissart ou Gros Joseph
(1942-1943). Surveillé par l’Occupant, Joseph Merlot est démis de sa
fonction de bourgmestre de Seraing par l’Occupant le 19 juillet 1941 et est
utilisé comme otage. Il parvient cependant à entrer dans le maquis, vivant
retiré dans un village du Luxembourg. L’inactivité lui pèse cependant et, à
la suite d’une réunion d’anciens ministres, il est dénoncé par Paul Collin ;
rentré à Liège où il participe à la reconstruction du parti socialiste
clandestin et où il tente d’écarter des “ traîtres ” des instances de la
Mutualité des Administrations publiques, il est arrêté par la Gestapo
(1943), emprisonné à Saint-Gilles, déporté à Bois-le-Duc puis à Nordhausen
jusqu’à la fin de la guerre.
Durant sa captivité, le Mouvement wallon s’organise à Liège sous la
présidence de François Van Belle. Un grand congrès est en préparation qui,
dès la Libération, permettrait aux Wallons d’exprimer au grand jour les
perspectives d’avenir de leur patrie. François Van Belle se prononçant
nettement en faveur de la thèse de l’indépendance de la Wallonie, il était
impossible qu’il préside l’assemblée. Joseph Bologne non plus, pour d’autres
raisons. Quant à Joseph Merlot, qui resta captif jusqu’au printemps 1945, il
est pressenti en juin 1945 comme président du Congrès national wallon de
Liège, en raison de son prestige personnel, de son autorité indiscutable
et de son énergie capable de maîtriser une assistance.
En
ouvrant le congrès national wallon, le 20 octobre 1945, le président déclare
qu’il se doit de participer à l’élaboration des réformes politiques qui
s’avèrent indispensables et urgentes pour que la Wallonie connaisse les
conditions favorables à son épanouissement complet. Il réussit à diriger
les travaux avec beaucoup de doigté, accordant à chaque opinion un temps et
un contexte de paroles équitables. Dès lors, c’est tout naturellement vers
lui que les autres dirigeants de l’action wallonne vont se tourner pour la
présidence des congrès suivants. Seule la maladie l’empêchera de présider le
congrès wallon de 1957 et la mort le frappera peu avant celui de 1959. C’est
Simon Paque qui lui succède alors.
Président du Comité permanent du Congrès national wallon (1945-1959), Joseph
Merlot devient l’un des hommes forts du Mouvement wallon de l’après-guerre.
Son action ne se limite pas aux cénacles de ce mouvement. Le 26 novembre
1947, il est le seul représentant du gouvernement à voter la prise en
considération de la proposition de loi introduisant le fédéralisme en
Belgique, déposée à l’initiative du groupe parlementaire wallon. Lors de la
Question royale, il joue aussi un rôle prépondérant. En août 1949, par
exemple, il fait partie de la délégation du Parti socialiste belge qui
rencontre Léopold III à Prégny et discute des modalités d’une consultation
populaire. Quelques mois plus tard, Merlot qui avait senti la différence de
sensibilité qui animaient les Flamands et les Wallons, réclame le
dépouillement régional des résultats de la consultation populaire du 12 mars
1950.
Une prise de conscience d’une intensité et d’une profondeur peu communes
s’opère dans tout le pays wallon. (…) Le sentiment d’appartenir à la
même communauté s’affirme avec une égale vigueur (…). Ce n’est pas
seulement la stabilité du pays qui est en jeu mais le fonctionnement normal
de ses institutions, celles-là même sur lesquelles le peuple wallon,
essentiellement démocrate, faisait fond pour obtenir que satisfaction soit
donnée à ses justes revendications, déclare-t-il lors d’une conférence
de presse du Congrès national wallon (21 mars). C’est au nom des Wallons et
du Congrès national wallon qu’il prend la parole à la Chambre, le 19 juillet
1950, pour rappeler leurs revendications. Pour Joseph Merlot, au-delà de
l’objectif immédiat (l’abdication de Léopold III), il y a la volonté de
réaliser le fédéralisme qui garantira l’indépendance de la Wallonie (La
Wallonie, 22 juillet 1950). Présent à de nombreux meetings, il n’hésite
pas à déclarer que les Wallons ne reconnaissent plus Léopold III comme leur
souverain légitime. Le 29 juillet 1950, la réunion où il doit parler à Liège
est interdite. Il déclare cependant à l’agence Reuter que si Léopold III
ne se démet pas, les États généraux de Wallonie seront convoqués à l’hôtel
de ville de Liège. Dans le même temps, Joseph Merlot paraît avoir
apporté son soutien à la formation d’un gouvernement wallon provisoire (avec
François Van Belle, André Renard, Fernand Dehousse, Simon Paque, Georges
Thone, Robert Lambion, Paul Gruselin et Fernand Schreurs). Joseph Merlot
aurait été le président de cet Exécutif wallon provisoire chargé de
convoquer les États généraux de Wallonie.

Le
31 juillet, à la suite de rumeurs faisant état d’une abdication de
Léopold III, le Comité permanent du Congrès national wallon tient séance et
déclare, de Namur où il est réuni, que le peuple de Wallonie, dressé pour
défendre son autonomie politique et morale, ne cessera le combat que le jour
où il aura obtenu le respect de sa personnalité et de ses droits. Une
délégation, où Joseph Merlot accompagne Léo Collard, René Drèze, Georges
Colle et Fernand Schreurs, est chargée de remettre cette motion au Premier
ministre, Jean Duvieusart. C’est la nuit même que Léopold III signe
officiellement la délégation de ses pouvoirs à son fils. Mais le fédéralisme
espéré par Joseph Merlot n’est pas obtenu.
En
1952, cinq ans après la proposition dite Grégoire, c’est avec François Van
Belle, et au nom du Groupe parlementaire wallon, que Joseph Merlot
réintroduit une nouvelle proposition de loi instaurant
le fédéralisme (1952-1953). Réuni les 14 et 21 mai 1952, le Groupe
parlementaire wallon a approuvé le projet. Pour des questions de politique
générale, cependant, les mandataires libéraux n’ont pas accepté d’apposer
leur signature à côté de celles de communistes, bien que les uns et les
autres aient marqué leur accord complet sur le texte. Il a donc été décidé
que le texte serait présenté par Joseph Merlot et François Van Belle,
respectivement présidents du Congrès national wallon et du Groupe
parlementaire wallon. Déposé sur le bureau de la Chambre, le 27 mai 1952, il
est pris en considération sans opposition. Le texte se présente très
simplement : Article unique : il y a lieu à révision des articles 1 à 11,
16, 17, 19, 20, 22, 23, 25, 26, 27, 28, 29, 32, 35, 36, 47, 57, 59, 61 à 74,
77, 79 à 82, 84 à 91, 93 à 95, 99, 102 à 108, 110 à 129 de la Constitution.
La
révision s’inspirera de six grands principes, dont la majorité concerne le
règlement du problème de Bruxelles. 1. Réforme structurelle de la Belgique
sur la base de la reconnaissance de deux communautés ethniques : la
communauté wallonne et la communauté flamande ; et de trois entités
territoriales : la Wallonie, la Flandre et le territoire fédéral formé par
l’agglomération bruxelloise. 2. Création d’une chambre wallonne et d’une
chambre flamande disposant de larges pouvoirs culturels, économiques et
sociaux. 3. Option pour des habitants de l’agglomération bruxelloise pour la
qualité de Wallon ou de Flamand. 4. Attributions de garanties
constitutionnelles dans le domaine culturel aux habitants de l’agglomération
bruxelloise. 5. Création d’un conseil général du territoire fédéral
bruxellois, disposant de pouvoirs limités. 6. Représentation paritaire des
Wallons de Wallonie et des Wallons de Bruxelles d’une part, des Flamands de
Flandre et des Flamands de Bruxelles d’autre part, au sein du Parlement
fédéral.
En commission, la proposition du Groupe parlementaire wallon est cependant
rejetée. C’est donc l’échec de la proposition Merlot-Van Belle (début 1954),
mais surtout de toute la stratégie réformiste du Mouvement wallon. Membre du
comité liégeois d’Action wallonne (1948-1953), membre du Conseil économique
wallon, section de Liège (1945-1959), membre du comité de patronage du
deuxième Congrès culturel wallon (1955), Joseph Merlot meurt en 1959,
laissant le Mouvement wallon orphelin du guide qui, depuis la Libération,
avait tenté de le conduire de façon ordonnée et résolue sur le chemin
difficile du fédéralisme.
Paul Delforge